On parle de la dissolution de la direction centrale des renseignements généraux et de la direction de la surveillance du territoire, et, simultanément, de la création d’un tout nouveau service appelé (probablement) Direction du renseignement intérieur (DRI). Si l’on connaît assez bien les RG, il n’en est pas de même pour la DST (ses agents disent la ST). Elle reste une maison mystérieuse. Et pour cause. Son organigramme, son activité, ses missions, ses résultats, tout est estampillé du sceau « secret-défense » – même le nom de ses fonctionnaires. D’ailleurs, vous entendrez rarement un flic revendiquer son appartenance à ce service – ou alors, c’est qu’il est des RG.
Ainsi, il va suffire d’un trait de plume, pour supprimer la DST ! Un paraphe au bas d’un document. Et c’est tout. En sa forme, issue de la résistance, c’est pourtant une vieille dame. Elle mérite la croix de guerre. Mais de tous ces gens qui aujourd’hui décident de son sort, qui connaît son histoire ?
En France, deux organismes se partagent le monde du renseignement : la DGSE (direction générale de la sécurité extérieure) et la DST.
La DGSE est rattachée au ministère des armées. C’est notre service de renseignement, façon mielleuse de parler d’espionnage. Son action se porte essentiellement hors de l’Hexagone. Ses réussites sont inconnues du grand public et sa plus belle bavure a fait la une des journaux. C’est l’attentat contre le Rainbow Warrior, en 1985.
La DST est rattachée au ministère de l’intérieur. C’est notre service de contre-espionnage, chargé, en quelques sortes, d’éviter que d’autres pays nous fassent ce que la DGSE est supposée leur faire. Composée de fonctionnaires de police, et donc d’officiers de police judiciaire, elle devrait dépendre à ce titre des procureurs, ce qui est évidemment incompatible avec sa mission, qui est souvent borderline avec le code pénal. Ses réussites sont rarement médiatisées, ses échecs non plus. À l’exception de la charbonneuse histoire des micros du Canard Enchaîné, en 1973.
Un peu d’histoire – Tout a commencé au XIX° siècle. L’armée prussienne est en marche vers Paris, lorsque brusquement elle bifurque vers Sedan. Un agent secret a averti l’empereur Von Moltke que Mac Mahon quitte la capitale pour protéger la ville de Metz. Deux cent mille Français vont se faire piéger sur les hauteurs de Sedan, jusqu’à la capitulation de l’empereur Napoléon III. Des dizaines de milliers de morts plus loin, la France découvre avec stupeur que la Prusse a quadrillé notre territoire d’une multitude d’espions (30.000, selon la thèse d’un Allemand). En 1872, échaudée, l’Armée décide de créer un « service militaire de contre-espionnage ». Une dizaine d’années plus tard, sur l’initiative du général Boulanger, l’assemblée nationale vote une loi pénale (18 juin 1885) qui vient compléter le Code de 1810. C’est sans doute le traumatisme de cette douloureuse expérience qui conduit alors les officiers de l’armée à voir des espions partout. Ce qui explique en partie, en dehors d’un antisémitisme confirmé, les excès de l’affaire Dreyfus. Le tollé populaire soulevé par cette injustice amène le gouvernement à faire passer sous la houlette du ministre de l’intérieur le contre-espionnage et la surveillance des frontières.
En 1913, sous la menace allemande, une instruction du ministre de la guerre réorganise le contre-espionnage : À l’extérieur des frontières, compétence des militaires ; à l’intérieur des frontières, compétence des civils. Grosso modo, cette répartition subsiste de nos jours.
En 1933, alors qu’Hitler fait briller ses bottes, le Parlement vote une nouvelle loi pénale réprimant les actes et la pratique de l’espionnage. Dans la foulée, le gouvernement crée, au sein du ministère de l’intérieur, un « Contrôle général de la surveillance du territoire ». C’est un bien modeste service. Un noyau de policiers de la sûreté nationale implantés à Paris et dans quelques villes de province. Mais c’est l’ancêtre de la DST.
À la fin de l’année 1940, pour ne pas tomber aux mains de l’ennemi, le service central de la ST fait ses cartons et prend la direction de l’Afrique du Nord. La ST est officiellement dissoute, à la demande des autorités allemandes, en novembre 1942. La plupart de ses membres prennent le maquis et travaillent avec le réseau AJAX. Quelques-uns pourtant se trompent de camp. Deux seront fusillés après la guerre.
À la Libération, le 16 novembre 1944, le général de Gaulle signe l’ordonnance qui créé une nouvelle direction au sein de la sûreté nationale. La ST devient la DST. Le lieutenant Roger Wybot, qui, depuis Londres, près de lui, a dirigé pendant trois ans la section du contre-espionnage du BCRA (bureau central de renseignements et d’action) est chargé d’organiser ce service. Il sera majoritairement composé d’anciens de la ST et de membres de la Résistance.
Wybot va régner en maître absolu sur ce service secret pendant quinze ans. On dit qu’il avait constitué des dossiers parfois compromettants sur nombre de personnages politiques et qu’il était devenu intouchable. Pas pour De Gaulle. Revenu aux manettes, il découvre que la DST a placé des micros dans son bureau. On raconte qu’il a pris un coup de sang et qu’il a viré Wybot, manu militari, si j’ose dire.
Jean-Paul Mauriat, qui a longtemps été le porte-parole de la DST, a déclaré dans un texte (que je n’ai pas retrouvé. Je cite donc de mémoire) : « La DST est un service qui n’a jamais failli à sa tâche et ceux qui ont eu l’honneur d’en faire partie ont tendance à considérer qu’ils étaient membres d’une communauté plutôt que fonctionnaires d’un service de police. »
À l’époque, la DST était essentiellement chargée du contre-espionnage. Elle possédait un service de documentation et d’archivage extrêmement rigoureux, assurait également la police des communications radioélectriques et, plus folklorique, la police de la colombophilie.
De nos jours, ses missions ont évolué (décret du 22 décembre 1982). Si le contre-espionnage reste le noyau de son activité, l’accent est mis sur la surveillance du monde musulman, le contre-terrorisme, et la protection du patrimoine économique et scientifique. Elle possède en outre des services techniques et informatiques particulièrement pointus – et probablement uniques en France.
Cette direction de la police nationale, à la différence de toutes les autres a toujours réagi rapidement aux changements de la société. Cette souplesse, c’est sa force.
Et la petite histoire – Nous étions une vingtaine. Bon nombre venaient de la marine marchande, où ils avaient bourlingué sur des mastodontes d’acier comme officiers radio. C’est cette spécialité qui intéressait la DST. Cette direction avait donc organisé un concours (très fermé) où les épreuves principales ne portaient pas sur le droit, mais sur la technique et la connaissance du morse. Et nous étions les survivants. Pour nous, pas d’école de police. Une affectation directe à la DST, avec, d’entrée de jeu, une carte tricolore, un pistolet, un vieil Unique de calibre 7.65, avec consigne de le laisser dans son tiroir, et un acompte de 2.000 francs (anciens) comme avance sur d’éventuels frais. Une paire de menottes, aussi, mais de toute façon vous n’arrêterez jamais personne… De la passerelle d’un cargo, d’un pétrolier ou autre rafiot, à la petite salle de la rue Cambacérès où nous devions recevoir notre formation, la mutation n’était pas évidente. Plus d’une fois, alors que le commissaire principal Jean-Paul Mauriat nous parlait de son métier nous faisait vivre ses expériences, j’ai surpris quelques-uns de mes amis les yeux dans… la vague. Pourtant, Mauriat réussit à faire passer le courant. Deux mois plus tard, il nous avait transmis un rien de sa passion et, à défaut de nous avoir formé au contre-espionnage, il avait fait de nous des officiers de police adjoints.
Jean-Paul Mauriat a terminé sa carrière comme sous-directeur à la DST. Lors de la garde à vue du préfet Georges Paques (arrêté pour espionnage au profit du KGB, alors qu’il était en poste à l’OTAN), je me souviens de son intervention. Catholique pratiquant, Paques demande à se confesser. On fait venir un prêtre, avec l’arrière-pensée de poser des micros. L’occasion est trop belle ! Mauriat s’y oppose. Il tient tête à l’état-major. Il y a des choses qui ne se font pas ! se contente-t-il de dire. Cette attitude m’a profondément marqué. Au point d’en tirer une doctrine : Même face à de sales gens, on fait son métier proprement. Un rien de noblesse chez le policier peut changer bien des choses. Lorsque j’ai appris la mort de Jean-Paul Mauriat, il y a quelques années, cette anecdote m’est revenue et, rétrospectivement, je lui ai tiré mon chapeau.
Sur la vingtaine d’OPA-radio, il en fallait cinq pour créer un service d’enquêtes. Je ne me souviens plus comment le choix s’est fait.
Il y avait Christian, dit Gaby, qui au retour d’un repas trop arrosé entonnait régulièrement le chant de la légion dans les couloirs du service.
Il y avait l’autre Christian, dit Coq, un gaillard d’environ 1,90 mètre et d’un peu plus d’un quintal qui s’avalait des sandwiches aux rillettes comme d’autres grignotent des petits-fours.
Il y avait Guy, alias Enrico, dit aussi le vieillard, pour les deux ou trois ans qu’il avait de plus que nous.
Et il y avait Robert, le Breton, dont je tairai le surnom, qui cachait son regard malicieux derrière le verre de ses lunettes.
Et moi, Geo, ou Jojo, selon les cas, à l’évidence « le meilleur d’entre nous ».
On s’est entassé dans un petit bureau, avec vue sur cour, au cinquième étage du 13 de la rue des Saussaies, le siège de la DST, à cette époque.
À l’étage au-dessus, sous les toits, deux vétérans, Jeannot et Raymond, organisaient des rallyes de bateaux en papier dans les gouttières. Et de temps en temps, ils ouvraient leur placard, non pas pour y prendre un dossier, mais pour lamper un p’tit blanc. Faut dire que ces deux-là formaient la brigade colombophile. Des poulets chargés de surveiller les lâchers de pigeons… Ça ne s’invente pas.
Dans des bureaux voisins, on côtoyait untel qui refusait l’enveloppe contenant les frais mensuels, sous prétexte qu’il ne les avait pas gagnés. Ou cet autre, fusillé par les Allemands et laissé mort sur place, après le coup de grâce, alors que la balle avait glissé sur l’occiput, et s’était contentée de l’assommer. Ou encore l’écrivain, qui faisait le tour des bureaux pour vendre son dernier livre. Et bien d’autres encore. Un mélange de fonctionnaires frileux et de personnages hors du commun, et parfois hors du temps.
Et nous, les cinq petits OPA, nous regardions tout ça avec des yeux étonnés. A la fois abasourdis et émerveillés. Nous avions fait copains avec le gardien (j’ai oublié son nom) qui filtrait les entrées, au rez-de-chaussée. Il était là depuis des lustres, il connaissait tout le monde. Il nous racontait les derniers potins. Parfois, on avait du mal à y croire. Puis finalement, on s’était adapté. Nous formions une sacrée bande de bras cassés. Je ne sais plus qui le premier a parlé de la brigade des branleurs…
On a quand même fait illusion pendant quelques années. Et, s’il n’y avait pas eu mai-68…
À la fin du mois de mai 1968, Christian Fouchet, le ministre de l’intérieur est remercié. Raymond Marcellin prend la suite. Pour lui, cette agitation estudiantine qui secoue le pays est le fait de groupuscules d’extrême gauches manipulés par des nations ennemies, et situées nettement à l’est (certains historiens se sont demandé par la suite, si la manipulation ne venait pas de l’Ouest !). Il enjoint au patron de la DST de mettre le paquet pour arrêter tout ça. Le préfet Jean Rochet n’est pas homme à résister à son ministre. Il décide la création d’un service, la SUBAC, doté de moyens importants, pour contrer ces… terroristes qui ont mis nos étudiants dans la rue. Lorsqu’un gouvernement décide d’utiliser un service secret pour régler un problème interne, c’est que quelque chose ne va pas dans ledit pays. En 68, la DST a perdu un peu de son âme.
Et chacun a suivi sa route.
Aujourd’hui, notre président de la République décide de remplacer les RG et la ST par une nouvelle direction, la DRI. Outre le peu d’originalité de cet acronyme, on peut se demander pourquoi. On peut se demander s’il n’est pas dangereux de mettre tant de pouvoirs entre les mains de l’homme qui va en prendre la tête. Les Américains, qui pourtant ont des problèmes plus épineux que nous avec le terrorisme, n’ont pas franchi le pas. Et même si la CIA a pris du poids depuis le 11-Septembre, il existe dans ce pays de nombreux services, de nombreuses agences, qui gèrent le renseignement. Notre Président n’est pas énarque, il s’en vante, et c’est sans doute une bonne chose, mais un énarque ne prendrait pas ce risque. Il appliquerait le précepte de base qui vise à la dispersion des pouvoirs – et des responsabilités.
et moi je peux donner des informations sur Georges Pâques, des informations de première main même^^
Vous êtes sûrement bien informés…mais j’ai des doutes losque vous affirmez que Georges Pâques était préfet!!!Je suis même tordue de rire!!!
Bonjour,
Lors de cette affaire, je n’étais qu’un petit inspecteur à la DST. Aussi, ma participation a-t-elle été bien modeste. Le commissaire qui a suivi ce dossier au plus près est le commissaire Jean-Paul Mauriat. Il est hélas décédé. Vous pouvez vous procurez son livre, dont vous trouvez la référence dans un commentaire précédent rédigé par son fils.
Cordialement.
GM
Bonjour monsieur,
je ne sais pas si vous continuez toujours votre blog et si donc, vous pourrez me répondre. J’aimerai savoir ce que vous savez sur Georges Paques, je cherche des informations sur lui.
Merci par avance de votre réponse.
Je ne dirai pas à mon père que la DST va se dissoudre dans le DRI, il ne reposerait plus en paix…
Merci d’avoir évoqué avec justesse la personnalité de JP Mauriat, en effet, il aimait transmettre sa passion pour la chose publique, l’équité et la justice. Malgré les conditions difficiles de votre métier, il se faisait un devoir de faire respecter l’autre à tout instant, si l’exemple de Paques était démonstratif, ses prises de positions et ses actions anti-tortures pendant la guerre d’Algérie furent extrêmement courageuses et lui valurent bien des problèmes. Ceci pour lui n’avait pas d’importance, il avait fait son devoir d’homme. J’espère que son exemple a en influencé d’autres, et certainement son fils…
Jean-Paul Mauriat a écrit un livre, publié après sa mort : Un siècle de contre-espionnage civil français (L’espion et le prophète); Editions FM/BIO : 17 rue de Chatillon 92170 Vanves.
Super intéressant cet article.
Fusionner la DST « Composée de fonctionnaires de police, et donc d’officiers de police judiciaire, elle devrait dépendre à ce titre des procureurs » et les RG (qui à l’origine est une police politique) n’est-il pas surprenant ?
Qui va diriger cette police politique avec des pouvoir de PJ ?
Les « grandes » décisions seront-elles prises par une personne ou valider par un conseil de cinq fonctionnaires ?
Et qui va la contrôler ? l’IGPN ? une commission parlementaire ?
La DST et les RG en l’état ne fonctionnaient-ils pas ?
Si c’est nécessaire, je comprends le rapprochement -bien qu’il n’inquiète un peu- mais si ce n’est que pour flatter les égos de certaines personnes, là je suis inquiet.