LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Police (Page 3 of 34)

Yves Jobic : une vie d’aventure en PJ

« C’est pour la PJ que j’ai passé le concours de commissaire de police », me dit Yves Jobic, qui vient de publier ses mémoires : Les secrets de l’antigang, flics, indics et coups tordus, Plon, 2022, écrit en collaboration avec Frédéric Ploquin.

Yves Jobic, octobre 2022

Après des études de droit à Bordeaux, à l’âge de 25 ans, il termine major de sa promo, la 33e ; tous les postes lui sont donc ouverts. Il aurait pu rester près de chez lui, mais sans hésiter, il choisit Paris, peut-être pour être « au centre des choses », comme disait Camus. En tout cas, s’il cherchait une vie d’aventure, il a été servi. Il a même connu la prison : cellule C 415, à Bois-d’Arcy.

C’était le 22 juin 1988 : neuf mètres carrés, un lit métallique, une petite table, un WC, un lavabo, une fenêtre ovale en partie occultée par des lames d’acier horizontales et des murs couleur de rien bardés d’inscriptions. « L’une d’elles me fait sourire : Mieux vaut mitard que jamais ! » C’est le QI (?), le quartier d’isolement, au quatrième et dernier étage de cette prison récente où séjournent les habituels clients du commissaire en attente de jugement. Derrière les murs, la rumeur s’est vite répandue… Au petit matin, Jobic est réveillé par des cris : « Fils de pute ! Pédé de flic ! – Bravo Hayat, envoie tous les flics au trou ! ». Jean-Michel Hayat, c’est le juge d’instruction qui a placé Jobic en détention – contre l’avis du ministère public – pour proxénétisme et corruption. « Tu te rends compte, me dit-il, dans la perquise, chez moi, comme il n’a rien trouvé, il a saisi un « Que sais-je ! » sur le proxénétisme… » Son histoire est méandreuse à souhait. Elle fleure le règlement de comptes dans le quart monde du business du sexe, et notamment de la rue de Budapest, dans le 9e – Buda pour les initiés. Un coupe-gorge qui s’ouvre par une arche sur la rue Saint-Lazare, en face de l’immeuble où Charlie Bauer, le complice de Jacques Mesrine, avait trouvé refuge. Là où les filles de joie (la joie des clients s’entend) sont sous la coupe machiste du banditisme de ces années-là : si t’as pas de filles au tapin, t’es rien ! Buda, c’est un peu la Cour des Miracles, on y trouve de tout : des putes, des julots, des voleurs, des michetons, des dealers, des camés…, et les braves gens qui viennent pour le folklore ou pour acheter le dernier Leica « tombé du camion ». Et sous le vernis, on y trouve aussi des indics : c’est le terrain de chasse du commissaire.

Yves Jobic est accusé d’avoir touché de l’argent des prostituées, de leurs protecteurs, des tenanciers d’hôtel, ou de je ne sais trop qui, et d’avoir planqué cet argent sale en Algérie. Je simplifie. Le jour du procès approche. Continue reading

La PJ sacrifiée sur l’autel de la politique

Ils ont la rage, les flics de PJ, car ils sont les grands perdants de la réforme de la police nationale dont le ministre de l’Intérieur a fait son marqueur. Cette réforme, qui se veut « dans l’esprit et la continuité des réformes engagées depuis 2017 », supprime d’un trait de plume les services extérieurs de la direction centrale de la police judiciaire – une maison vieille de plus d’un siècle, tout de même ! – qui sera absorbée au sein de nouvelles structures départementales regroupant l’ensemble « des forces de sécurité intérieure ». Un organigramme calqué sur celui des grands groupes privés.

Site de l’Association nationale de police judiciaire (ANPJ)

Cette réforme trouverait sa justification dans la nécessité de restaurer une relation de confiance entre la population et les forces de sécurité.

Y a du grain à moudre !

Depuis sa création par Clemenceau, en 1907, la police judiciaire n’a cessé d’évoluer. Et son terrain de chasse n’a cessé de s’agrandir. En 1941, les sûretés urbaines et les brigades mobiles fusionnent pour devenir des services régionaux de police judiciaire (dissous à la Libération et recréés peu après). En 2003, pour s’adapter à l’évolution de la criminalité organisée et pour mieux mutualiser les moyens d’action, des structures territoriales de la DCPJ sont regroupées au sein de directions interrégionales. En décembre 2020, un décret soutenu par Gérald Darmanin agrandit le territoire de certains services en créant des directions zonales de police judiciaire (DZPJ).

     Billet de décembre 2013 : La vraie histoire du logo de la PJ

La zone sud, que dirigeait Éric Arella avant d’être limogé, s’étend sur l’ensemble de l’arc méditerranéen. Son ressort de compétence englobe les régions Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA), Occitanie et Corse, ce qui représente 30 tribunaux judiciaires et 8 cours d’appel.

Demain, cette structure sera balayée et ses 1350 fonctionnaires seront répartis dans 21 départements, au sein des services de sécurité publique.

L’horizon se rétrécit pour la police judiciaire. Pourquoi une telle régression ? Il y a des non-dits dans cette réorganisation simpliste, par exemple, supprimer l’autonomie des enquêteurs de PJ et, en les plaçant directement sous la coupe d’un directeur « généraliste », bras droit du préfet, les éloigner des magistrats.

Cette réforme est présentée comme une volonté de déconcentration alors qu’elle est le reflet d’un contrôle renforcé, tant sur l’action de la PJ que sur la teneur des dossiers judiciaires, comme cela se passe à Paris. On comprend bien l’intérêt politique de reprendre la main sur des affaires potentiellement sensibles.

Existe-t-il un seul avantage, pour nous, citoyens, à cette liquidation de la police judiciaire ? Continue reading

Dans la peau de Mesrine

Jacques Mesrine, « L’ennemi public n° 1 » pour les Français, « Mister Jacky », pour les Québécois, est mort criblé de balles le 2 novembre 1979. Il avait 42 ans. Sa traque finale s’est étalée sur plusieurs mois, mais durant des années, chez nous comme au Canada, il n’a eu de cesse de faire parler de lui, pavoisant dans les médias, dénonçant un système pénitentiaire déshumanisé, fustigeant le pouvoir politique, menaçant les journalistes, les magistrats, et sans cesse provoquant les flics. Il devait mourir, il le savait, mais il rêvait d’un face-à-face, l’arme à la main, les bottes aux pieds et le soleil dans les yeux. Comme dans un western. Il est parti sans éclat, saucissonné sur le siège de sa BMW, sans avoir eu le temps de glisser la main dans sa sacoche, à ses pieds, dans laquelle se trouvaient son nouveau hochet, un Browning GP 35, et deux vieilles grenades quadrillées qui ne le quittaient jamais. Ce jour-là, sa légende est née.

C’était un vendredi, il était 15 h 15. Porte de Clignancourt, l’embouteillage a été colossal.

Moi, j’ai suivi l’opération depuis le PC de l’Office central pour la répression du banditisme. Lorsque Mesrine est sorti de sa planque, rue Belliard, le trafic radio s’est intensifié. Puis, tout est allé très vite. Sous les crachotements, j’ai cru entendre une voix qui disait « Oh putain, ça flingue ! » Ensuite un long silence, plus fort que tout : ce moment qui succède à la tension d’une intervention à haut risque.

Comme beaucoup de flics, je me suis senti frustré par cette fin brutale. Cet événement marquait la fin d’une épopée criminelle hors du commun et, d’une certaine manière, l’épilogue aux années folles de la PJ.

Chacun d’entre nous rêvait de passer les pinces au « Grand » et d’un face-à-face, le temps d’une garde à vue – sans avocat, à l’époque. Dans son livre de souvenirs (De l’antigang à la criminelle, Plon, 2000), le commissaire Marcel Leclerc (c’était loin d’être un affreux gauchiste) disait de lui : « La première impression qui se dégage du personnage, c’est la sensation intense d’une présence. Il est là. Il capte le regard, d’abord par son apparence physique athlétique, ensuite par la force de sa personnalité, mélange de gouaille, de séduction et de brutalité. »

Oui, qu’on le veuille ou non, Mesrine était un truand hors norme, non pas en raison de son parcours criminel, mais en raison de sa personnalité – à facettes multiples. Il a passé sa vie à la jouer. Comme un comédien sur les planches. Il nous avait dit « Attrape-moi, si tu peux ! » Jeu de piste, jeu de rôle…, le jeu a tourné court. Continue reading

Refus d’obtempérer : Halte au feu !

Il y a quelques jours, deux jeunes hommes ont été tués par des policiers. Cela s’est passé à Vénissieux, dans la banlieue sud de Lyon, non pas lors d’un banal contrôle routier, mais au cours d’une intervention à connotation pénale sur un véhicule signalé volé à l’arrêt sur le parking d’une grande surface. Une situation qui laissait présager un « mauvais coup ». Ce que les juristes appellent un délit d’apparence.

Dans la nuit du jeudi 18 août 2022, peu après minuit, l’attention de quatre policiers de la brigade spécialisée de terrain de Vénissieux (BST) est attirée par une Renault Megane en stationnement sur l’immense parking d’un centre commercial. Deux hommes sont à bord, la voiture est signalée volée. C’est le type même d’une intervention à risques. En l’état, difficile de dire comment les événements se sont enchaînés, mais tout se joue en quelques dizaines de secondes : le chauffeur aurait d’abord levé les mains, puis il aurait manœuvré pour s’enfuir, renversant un gardien. Le policier blessé et l’un de ses collègues auraient alors fait usage de leur arme à huit reprises. Adam, le passager, âgé de 20 ans, est mort sur le coup ; le conducteur, Reihane, 26 ans, est décédé peu après. On nous les présente comme des « multiréitérants », un néologisme pour désigner des individus qui ont eu des comptes à rendre à la police mais non à la justice. Peu importe, même multirécidivistes, il s’agit là d’informations connues après coup.

Cette fusillade unilatérale qui succède à d’autres tout aussi meurtrières (Pont-Neuf, Barbès…) pose question, car, contrairement aux allégations entendues ici ou là, notamment dans la bouche de politiciens plutôt rétrogrades dès qu’il est question de nos valeurs républicaines, l’usage des armes par les forces de l’ordre doit être l’exception. On signe pour sauver des vies, pas pour les prendre. L’entraînement des policiers du RAID ou des gendarmes du GIGN est d’ailleurs basé sur la sauvegarde de la vie humaine. « C’est un échec », aurait dit un jour un gradé de la gendarmerie après que ces hommes eurent tué un preneur d’otages.

Cependant, la loi du 28 février 2017 a inséré dans le code de la sécurité intérieure (CSI) l’article L 435-1 qui modifie la perception de la légitime défense. Il existe donc aujourd’hui deux vitesses : la légitime défense qui s’applique aux particuliers, et une autre, modulée pour les représentants de la puissance publique. Cela n’est pas anormal, dans la mesure où policiers et gendarmes sont confrontés à des situations que ne connaît pas le citoyen lambda, dans la stricte limite toutefois du respect du « droit à la vie », comme il est dit dans la Convention européenne des droits de l’homme. C’est pourquoi l’ambiguïté du paragraphe 4 de cet article du CSI pose question : l’usage des armes est possible pour immobiliser un véhicule « dont les occupants sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celle d’autrui ». (Il faut comprendre la vie des policiers ou des gendarmes, pas celle des occupants du véhicule.)

On imagine le flic devant le refus d’obtempérer d’un chauffeur qui, en pleine nuit, s’interroge : les occupants de cette voiture ont-ils l’intention de fuir le contrôle, ou d’attenter à ma vie ou à celle d’autrui ?

Cet article du CSI, écrit avec le pied, est une diversion démagogique digne du quinquennat Hollande, car il appartient au législateur de dire clairement le droit afin d’effacer le doute qui nous interpelle à chaque nouvelle fusillade des forces de l’ordre et qui, je le suppose, doit laisser les magistrats dubitatifs. Comment rendre la justice en se basant sur un texte aussi approximatif ?

Sans surprise, depuis la Corse – il est sur tous les feux – le ministre Darmanin lui ne s’est pas posé de question. Il a immédiatement réaffirmé son « soutien a priori » à tous les policiers et les gendarmes de France qui font face tous les jours à des refus d’obtempérer. « Alliance » était aux anges. Continue reading

Surveillance des communications téléphoniques : c’est la cata !

La téléphonie est au centre de la plupart des enquêtes judiciaires, et personne ne peut nier leur efficacité… ni les risques liés à une utilisation déviante. En dehors des écoutes, qui font l’objet d’une procédure particulière, les enquêteurs s’intéressent systématiquement aux données de connexion en temps différé, c’est-à-dire tout ce qui a trait aux échanges passés, communications et SMS : dates, numéro des correspondants, durée des échanges, bornage… et, plus rarement, aux données en temps réel : la géolocalisation. Cette possibilité de « remonter le temps » permet de retracer la vie privée d’une personne au long de l’année écoulée. C’est un atout considérable, un peu comme une empreinte immatérielle, mais à la différence d’une trace papillaire ou ADN, on pénètre là dans l’intimité des gens, on viole leur vie privée.  C’est donc une démarche particulièrement intrusive qui ne devrait être effectuée qu’à bon escient. Est-ce vraiment le cas ?

En 2021, en France, les opérateurs téléphoniques ont reçu 1 726 144 réquisitions. Un adulte sur trente, environ, a donc fait l’objet d’une vérification de sa vie privée…

Eh bien, la Cour de cassation vient d’y mettre le holà ! Dans quatre arrêts rendus le 12 juillet 2022, elle a entériné les décisions de la Cour de justice de l’Union européenne de 2014, 2016, 2020 et 2021, qui déterminent les conditions dans lesquelles une nation peut autoriser l’accès aux données de téléphonie. Ces fameuses métadonnées, c’est-à-dire toutes les informations que peut révéler un message téléphonique sans pour autant l’écouter ou le lire.

Note explicative relative aux arrêts de la chambre criminelle du 12 juillet     2022 (pourvois n° 21-83.710, 21-83.820, 21-84.096 et 20-86.652) : « Les articles 60-1, 60-2, 77-1-1 et 77-1-2 du code de procédure pénale, sont contraires au droit de l’Union uniquement en ce qu’ils ne prévoient pas un contrôle préalable par une juridiction ou une entité administrative indépendante. »

Pour la Cour de justice, cette technique d’enquête doit s’entourer d’un maximum de garanties, car ces données sont susceptibles de révéler des informations sensibles sur la vie privée, « telles que l’orientation sexuelle, les opinions politiques, les convictions religieuses, philosophiques, sociétales ou autres ainsi que l’état de santé… », et de fournir des indications sur le mode de vie (déplacements, lieux de séjour, activités, relations, milieux fréquentés, etc.)

Or, au nom de la sécurité, tous les services plus ou moins secrets, bataillent pour engranger ces informations, si possible d’une manière généralisée – ce qui permet ensuite, selon la demande, de « faire son marché ».

C’est d’ailleurs pour avoir rendu publics les programmes de la NSA concernant l’enregistrement systématique de ces métadonnées aux USA, et la captation des échanges sur Internet, que le lanceur d’alerte Edward Snowden est en cavale depuis bientôt dix ans. Et aucun État, sauf la Russie (pour des raisons plus politiques qu’idéologiques), ne l’a soutenu. Sous la présidence de François Hollande et celle d’Emmanuel Macron, la France a refusé le droit d’asile à Snowden – et personne n’a moufté au sein de l’U-E.

En deux mots, nous disent les juges européens, Continue reading

Le commissaire François Thierry sera-t-il jugé par une cour d’assises ?

Dans son réquisitoire rendu le 4 juillet dernier, « que Le Monde a pu consulter », le procureur de la République de Lyon réclame le renvoi devant la cour d’assises de l’ancien chef de l’Office central pour la répression du trafic illicite de stupéfiants (OCRTIS), pour faux en écriture publique.

Le faux en écriture publique, dans une procédure pénale, est un fait parfois soulevé par les avocats pour décrédibiliser l’enquête d’un OPJ ; il est rarement retenu. Dans le cas de François Thierry, les choses se compliquent, car ce faux serait la conséquence d’une « fausse garde à vue ». Ou le contraire.

On est là dans les méandres de la procédure pénale : pour faire tenir une infraction qui n’existe pas, on se rabat sur une autre infraction. Et on shake !

Que reproche-t-on au commissaire ? En 2012, il aurait raconté des bobards au juge des libertés et de la détention (JLD) de Nancy pour extraire de cellule son indicateur, un certain Sofiane Hambli, dit La Chimère, et, sous couvert d’une enquête imaginaire, il l’aurait placé en garde à vue. Une garde à vue qui aurait été prolongée à deux ou trois reprises par ce magistrat à la demande pressante de deux procureures parisiennes.

Durant cette garde à vue, le bonhomme aurait été hébergé dans un hôtel de Nanterre, à proximité du siège de l’Office des stups, d’où il aurait coordonné une livraison de plusieurs tonnes de cannabis sur la côte andalouse, à destination de notre beau pays. C’est l’opération Myrmidon (Marmiton, pour les initiés) : une « livraison surveillée » (LS), menée dans les limites (extrêmes) du code de procédure pénale.

Ces faits ont été dénoncés en 2017 par un certain Hubert Avoine, 56 ans, indic professionnel, recruté, non pas par le Bureau des légendes, mais par le Bureau des sources, un service rattaché au SIAT (service interministériel d’assistance technique), à l’époque où le commissaire Thierry en était le patron. C’est à la demande de ce policier, devenu chef de l’OCRTIS, qu’Avoine aurait participé à cette opération saugrenue. (Sur ce blog : La justice secrète : indic, infiltré, repenti, collaborateur…)

On imagine la scène : par une nuit sans lune, sous un ciel sans étoiles, une dizaine d’hommes cagoulés, policiers et trafiquants à tu et à toi, entourent de mystérieuses embarcations échouées sur la plage d’Estepona et déchargent des dizaines, des centaines de ballots de cannabis qu’ils entreposent dans une maison louée pour la circonstance avant qu’ils ne soient acheminés vers la France par des « go fast »…

On ne sait pas ce qu’ont touché les autres, mais, pour cette « mission », Avoine a pris du blé Continue reading

L’étrange histoire des 3 orphelins de la gare de Barcelone

Depuis 38 ans, Ramon, Richard et Elvira courent après leur passé.  Le dimanche 24 avril 1984, un ami de leur père les a déposés à la gare de Barcelone. « Ne bougez pas, je vais vous acheter des bonbons et je reviens ». Il n’est jamais revenu.

Ils attendent, ils jouent, insouciants, sans imaginer un seul instant que leur vie est en train de basculer. Au bout d’un certain temps, ils sont pris en charge par les policiers. Les trois enfants sont correctement habillés, ils sont en bonne santé et ne portent aucune trace de maltraitance. On imagine les appels dans la gare… Toutes les hypothèses sont possibles, la plus vraisemblable étant que leurs parents soient montés dans un train et que celui-ci ait démarré avant qu’ils aient eu le temps d’en redescendre. On voit tellement de choses dans une gare. Bien entendu, les policiers les interrogent : « Où sont vos parents ? Comment vous vous appelez ? Quel est votre âge ? » Etc. Les enfants parlent français. Seul l’aîné connaît quelques mots d’espagnol. Il raconte qu’ils habitent Paris, mais qu’ils voyagent beaucoup, Belgique, Suisse, Espagne… Depuis quelque temps, c’est un ami de leur famille qui s’occupe d’eux. Ils le connaissent sous le prénom de Denis, de Tony…, enfin, ils ne savent pas trop. C’est lui qui, avec la Mercedes de leur père, les a déposés à la gare. Finalement, ils sont pris en charge par les services sociaux de Barcelone. Ils n’entendront plus jamais parler de leurs parents.

Deux ans plus tard, ils sont adoptés par une famille espagnole et seront inscrits à l’état civil sous les noms de Moral Manera.

Mais à un moment, lorsque l’on sort de l’enfance, on s’interroge forcément sur ses origines. Et là, le mystère est complet. Comment leurs parents, à l’évidence financièrement à l’aise, ont-ils pu les abandonner dans une gare ? Quel secret se cache derrière cet acte odieux ? Étaient-ils menacés ? Ont-ils agi pour les protéger d’un danger ? Et surtout, sont-ils encore vivants ?

C’est Elvira qui des années plus tard, alors qu’elle vient d’avoir un bébé, décide d’entamer des recherches pour elle, ses deux frères, et pour cet enfant qui vient de naître. Elle commence par presser de questions Ramon, son frère aîné. Il est le seul à avoir des réminiscences de son enfance. Elle et Richard étaient trop petits. Il se souvient que leurs parents voyageaient beaucoup dans des voitures de luxe : une Mercedes blanche, une Jaguar kaki, une Porsche… Qu’ils avaient beaucoup d’argent en billets de banque, et des armes dissimulées un peu partout. Un jour, il a saisi un pistolet qui traînait sur une table et, pour jouer, il l’a pointé sur Richard. Un coup de feu est parti, sans le blesser heureusement. Son père l’avait sérieusement houspillé.

Tout laisse à penser que leurs parents étaient liés au grand banditisme.

Les enfants devenus adultes font le récit de leur histoire sur les réseaux sociaux, à la recherche de témoignages. Le résultat n’est pas au rendez-vous, mais plusieurs personnes se proposent pour les aider dans leurs recherches.

C’est ainsi qu’est né un groupe d’enquêteurs bénévoles. Continue reading

Des greffiers chez les poulets

Le chef de l’État veut voir davantage de policiers sur le terrain et moins dans les bureaux à perdre leur temps à des tâches administratives. Bravo ! Mais comment concilier cette ambition avec le télétravail. Et quel rapport avec la création de postes de greffier de police ?

Depuis un décret de février 2016, le télétravail s’est peu à peu installé au sein de la fonction publique pour tous les personnels qui le souhaitent à raison de trois jours par semaine, au maximum. Cela « constitue pour les agents une opportunité d’améliorer la conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle », mentionnait le directeur général de la police nationale dans sa circulaire d’application. Une possibilité qui a été aménagée au bon vouloir du coronavirus responsable de la Covid-19.

Naïvement, on peut se demander comment un métier dit de « service actif » peut être pratiqué à domicile, les pieds dans les charentaises. C’est le miracle d’une société branchée ! Non seulement le policier peut rédiger toute la paperasse à distance, mais il peut également consulter les fichiers, procéder à des écoutes téléphoniques, suivre une géolocalisation en live et même assurer des planques ou des patrouilles grâce à des caméras vidéo judicieusement installées. C’est la réalité virtuelle. Quand je pense que leurs aînés se caillaient dans des fourgons de planque sans chauffage ou qu’en l’absence de tenue adaptée, les motards glissaient des journaux entre leurs sous-vêtements et leur chemise pour mieux se protéger du froid…

Je dis ça parce que je suis un peu énervé d’entendre les flics se plaindre à longueur de journée : on ne nous aime pas, on se fait injurier, on n’a pas le matos, les ordis moulinent à vide, les logiciels sont obsolètes, la justice est trop lente, pas assez répressive, la procédure pénale est trop compliquée…

Tiens, arrêtons-nous à cette réflexion qui revient en boucle dans la bouche de nombreux responsables syndicaux : la procédure pénale est trop compliquée. Au pied de la lettre, c’est admettre que leurs collègues en activité ne maîtrisent pas l’outil de base de leur fonction d’agent ou d’officier de police judiciaire. Quel désaveu cinglant ! Et pourtant cet axiome est admis sans sourciller.

Comment peut-on relayer un tel discours ? Ces sempiternels râleurs diraient-ils à leurs enfants : « T’as raison tes devoirs sont trop compliqués, je vais demander à ton prof de faire plus simple ! » Continue reading

Qui veut la peau d’Interpol ?

L’élection récente du général émirati Ahmed Naser Al-Raisi à la présidence d’Interpol a causé un sacré remous dans les rangs de l’Organisation internationale de Police criminelle (OIPC), ou plutôt un tourbillon qui risque de lui faire boire la tasse. À première vue, on pourrait se dire que l’homme est à sa place, puisqu’il s’agit d’un ancien policier. Mais son ascension jusqu’aux grades les plus élevés ne s’est pas faite sans violence. Il est d’ailleurs présenté par de nombreuses ONG comme l’un des personnages influents les plus autoritaires du Golfe, pour qui les « droits de l’homme » se résument au droit de la fermer. En France, il fait l’objet de plusieurs plaintes, dont l’une, déposée par Me William Bourdon, le tient pour responsable des tortures infligées à Ahmed Mansoor, détenu à l’isolement depuis quatre ans. Celui-ci, poète, blogueur et défenseur des droits de l’homme, aujourd’hui âgé de 52 ans, a été arrêté en 2017 et condamné en 2018 à dix ans de prison pour avoir publié sur les réseaux sociaux des « informations fausses et trompeuses ».

Sur Twitter, Grégory Doucet, le maire de Lyon, où se trouve le siège d’Interpol, s’est offusqué : « Comment un homme suspecté de tortures peut-il prendre la tête de l’organisation mondiale des polices ? » Cette réaction épidermique inquiète, car l’OIPC a un projet d’agrandissement sur la ville pour un budget de plus de 60 millions d’euros, dont une partie doit être financée par nos impôts – avec un bémol (une menace ?) : sur un coin de table, l’option de transférer son siège dans un autre pays. Les Émirats arabes unis ont évidemment ouvert grand leur coffre-fort : le symbole de cette prestigieuse organisation quittant « la patrie » des droits de l’homme pour un  État monarchique qui cherche à se blanchir d’une image ancrée dans le totalitarisme n’a pas de prix.

En soutenant et en facilitant l’élection de Naser Al-Raisi à la présidence d’Interpol, les autorités émiraties ont posé une première pierre. Si ce projet devait se concrétiser, quelle serait la position de l’Europe, alors que le parlement européen vient de prendre une résolution condamnant la situation des droits de l’homme dans ce pays ? Une résolution qui a été rejetée par les Émirats et par l’Observatoire arabe des droits de l’homme, une émanation du Parlement arabe.

On est en pleine guerre des droits de l’homme !

L’OIPC-Interpol, dont l’un des principes fondateurs est basé sur l’interdiction d’intervenir « dans les questions ou affaires présentant un caractère politique, militaire, religieux ou racial », risque donc de s’engluer dans une mouscaille politique. D’autant que pour faire tourner cette énorme boutique, il faut beaucoup d’argent. En 2021, le budget de fonctionnement s’élève à 145 millions d’euros qui sont couverts pour 72 millions par les contributions statutaires des 195 pays adhérents, et le solde par les contributions volontaires de ces pays ainsi que les financements privés. On a reproché par exemple à Interpol d’accepter l’argent de fabricants de cigarettes ou de laboratoires pharmaceutiques, cependant, il n’y a pas de conflit d’intérêt : la lutte contre les trafics autour de ces activités est bien de sa compétence. L’Union européenne, le Canada et les États-Unis sont les principales sources de financement volontaire. La France est l’un des principaux donateurs en nature (personnel, locaux, équipements…). Le quart des effectifs d’Interpol est composé de policiers et de gendarmes détachés. Continue reading

Une police en déshérence

Après la mort d’un collègue, le 19 mai 2021, de nombreux policiers se sont massés devant l’Assemblée nationale pour scander leur ras-le-bol et dénoncer une justice trop laxiste, aussitôt rejoints par de pseudo-responsables de partis politiques allant de l’extrême-droite à la gauche socialiste. Il faut bien le dire, ce jour-là, un seul est resté droit dans ses bottes républicaines.

Qu’il est vieux jeu, ce Mélenchon !

 

Après une mise en scène du plus mauvais goût, allégorie d’une justice balayant les cadavres, grisés par le succès de la manif, certains leaders syndicaux, d’Alliance, évidemment, n’ont pas hésité à réclamer un « toilettage de la Constitution » pour établir une passerelle entre la place Vendôme et la place Beauvau. Et pourquoi pas une fusion Intérieur-Justice !

Il ne faut surtout pas prendre ces revendications trop au sérieux. Ces magistrats qui ne comprendraient rien au travail de terrain, c’est comme un leitmotiv dans la police.

Il y a près de 40 ans, le 3 juin 1983, à l’issue des obsèques de deux gardiens de la paix abattus de plusieurs balles lors d’un banal contrôle routier, au cours duquel un troisième était gravement blessé (un autre devait trouver la mort dans des conditions similaires 48 heures plus tard), plusieurs milliers de policiers manifestent leur exaspération sous les fenêtres du garde des Sceaux, entonnant, comme il se doit, La Marseillaise. Un coup de gueule que Badinter apprécie moyen, d’autant que Mitterrand et lui sont en pleine extase angélique, et qu’une majorité de gens rêvent (encore) d’une France patrie des droits de l’homme.

Après une loi d’amnistie généreuse, l’abolition de la peine de mort, le raccourcissement de la sûreté pour les peines perpétuelles, la suppression des quartiers de haute sécurité, la suppression de la Cour de sûreté de l’État, la disparition de l’association de malfaiteurs (rétablie en 1986), les policiers, même les plus modérés, savent que ce n’est pas tenable. La coupe déborde après l’adoption par les députés d’une loi pour abolir la loi « sécurité et liberté ». Une loi adoptée en catastrophe avant les Présidentielles, notamment pour étendre les prérogatives des forces de l’ordre, renforcer les pouvoirs des procureurs et restreindre la liberté d’appréciation du juge lors du prononcé de la peine. Une mauvaise pioche de Giscard d’Estaing qui a misé sur un tour de vis sécuritaire alors que les Français aspiraient à plus de liberté.

Et c’est le 31 mai, le jour où cette « contre-loi » est votée, que les deux gardiens de la paix sont tués, puis un autre trois jours plus tard : le treizième en deux ans. Continue reading

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