LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Fiches de lecture (Page 2 of 6)

Livres lus ayant un rapport avec ce blog.

Plumes de poulets : la police fait-elle encore rêver ?

En début d’année, après les attentats contre Charlie Hebdo et le magasin casher de la porte de Vincennes, des milliers de personnes ont applaudi les policiers et les gendarmes. Et dans la rue, les « bleus » sentaient bien qu’on les regardait différemment. Comme il est bon d’être fier de son métier ! Mais dans un pays que certains ne veulent plus policé, mais plutôt policier, cela ne pouvait durer. Avec les dernières lois liberticides et l’état d’urgence le gouvernement a sifflé la fin de récré.

Heureusement, pour rêver, il nous reste les livres. Et comme c’est souvent le cadeau que l’on fait à la lueur de la lanterne rouge, je me permets de vous donner un avis sur les derniers que j’ai lus.

La police pour les nuls« Le flic de fiction est notre ami des soirées télé, le vrai flic est une énigme », peut-on lire dans La police pour les nuls, chez First Éditions. Peu de policiers et de gendarmes peuvent se vanter de connaître les arcanes de l’auguste Maison. C’est un monde un peu secret mais surtout protéiforme où se côtoient des dizaines de milliers de personnes d’origines différentes : fonctionnaires, militaires, contractuels, détachés d’une autre administration, chargés de mission, etc. Comment s’y retrouver dans ce méli-mélo de gens dont la seule unicité est de bosser pour le même patron ! Un patron qui change souvent et qui souvent veut tout changer. Il n’est pas rare que dans sa carrière, un flic « use » ainsi une dizaine de ministres. Continue reading

Entrez ailleurs… pour trouver le cadeau que l’on ne revend pas

La campagne de communication démarrée le mois dernier pour inciter les gens à pousser la porte d’une librairie est pour le moins équivoque. Du genre, allez voir ailleurs… Heureusement, cela n’a pas dissuadé notre Président, à la veille de Noël, de faire ses emplettes à l’Écume des Pages, lieu chébran parisien de la littérature de Saint-Germain-des-Prés. Et même si l’établissement n’a pas souhaité s’étendre sur les livres qu’il a achetés, il y a fort à parier que les deux bestsellers du moment n’étaient pas dans son panier.

Entrez ailleuursSur ce blog, moins introverti que le grand homme, je vais de ce pas vous donner un aperçu de ma rencontre avec trois auteurs…

L’autre jour, Claude Cancès, ancien directeur du 36, me traîne à la FNAC pour m’offrir son dernier ouvrage, La brigade Mondaine, aux éditions Pygmalion. Manque de chance, il n’y est pas. La jolie libraire est désolée. Tous deux parlent littérature (je tiens la bougie), et, avant de se séparer, elle lui demande de lui dédicacer l’un de ses anciens livres. Je raconte l’anecdote car ce sont ces petites choses de la vie qui font qu’un libraire n’est pas un commerçant comme un autre. Continue reading

Monsieur Jo se met à table

De Mesrine à DSK, un livre au titre un rien racoleur (mais nous mettrons ça sur le dos de l’éditeur) dans lequel René-Georges Querry, alias Jo, nous livre les moments forts de sa vie professionnelle. Et dieu sait si elle a été riche et variée : stups, antigang, antiterrorisme, protection des hautes personnalités… Il a même été associé à la préparation de la Coupe du monde de football.

Jo Querry dans les salons du Sénat

Pourtant, en 2002, il quitte la police pour se lancer dans le privé. Il faut dire qu’on lui offre un poste en or : responsable de la sécurité pour le groupe hôtelier Accor. Un poste qui n’existe pas et qu’il faut créer de toutes pièces. Un challenge. Il a quand même dû hésiter… Je me souviens d’un déjeuner avec notre ami commun Ange Mancini, où tous deux s’interrogeaient sur l’orientation à donner à leur carrière. Ils étaient sur les rails pour devenir préfets et ils barguignaient. Pas facile de quitter la boîte ! Querry a démissionné, (avec le grade d’inspecteur général, quand même) et Mancini a sauté le pas. Et comme ce dernier vient de prendre sa retraite (de l’administration), je m’interroge pour savoir s’il va lui aussi nous livrer ses mémoires. Il aurait des choses bien intéressantes à nous raconter…

Jo, on l’attendait sur l’affaire DSK. Il est presque minuit, ce 14 mai 2011, lorsqu’il reçoit un coup de fil dans sa voiture : Dominique Strauss-Kahn a été interpellé à l’aéroport de New York. « Il est accusé, lui dit son interlocuteur, d’agression à caractère sexuel sur une de nos femmes de ménage. » Arrivé chez lui, il appelle Ange Mancini, alors coordonnateur chargé du renseignement à la Présidence, persuadé que celui-ci est déjà au courant. Sauf que ce n’est pas le cas. C’est donc lui qui a informé le premier l’Élysée de l’arrestation du patron du FMI, et ensuite… Ensuite, il a été pris dans un tourbillon de rumeurs qui lui ont mis les nerfs à vif. « Lors de cette affaire DSK, on a épluché mon CV, relevé mon parcours. Mes amitiés professionnelles, mes divers postes, le côté flic de terrain qui voisinait avec des emplois  » sensibles « , notamment au sein du ministère de l’Intérieur… ». On sent qu’il a été meurtri d’être considéré comme complice d’un coup tordu. Dans ce blog, j’ai dit combien j’étais dubitatif sur la version officielle, un rien trop lisse, de cette affaire, mais je dois reconnaître que Querry m’a convaincu en partie qu’il n’y avait pas de complot et que les choses étaient relativement simples. Une sorte d’engrenage. Strauss-Kahn s’est noyé tout seul, et personne ne lui a tendu la main – bien au contraire. Mais, lorsque Querry dit que la DGSE n’a pas ses entrées secrètes dans le groupe Accor, là, j’ai du mal à le croire. Sinon, il faudrait envisager un sérieux recyclage des cadres au sein de notre service de renseignements.

S’il débute son livre par cette épopée humiliante pour DSK, René-Georges Querry le fait pour mieux vider l’abcès. Il revient vite sur ce qui l’intéresse : la PJ. Et comme pas mal de flics, l’affaire qui l’a le plus marqué c’est la traque de Jacques Mesrine. Il est à cette époque l’adjoint de Robert Broussard. Lors de l’opération, place de Clignancourt, il est en planque dans sa GS avec deux piliers de la BRI, Gérard Marlet et Bernard Pire. Lorsqu’il aperçoit le camion piloté par Christian Lambert (l’ex-préfet du 93) débouler à toute allure le boulevard Ornano, il vient se placer sur la droite de la BM dans laquelle se trouve le truand. « Il tourne la tête, me voit avec les autres policiers qui avancent sur sa gauche. Le camion le bloque devant, j’aperçois les fusils qui dépassent. Si le Grand lève les mains… »  Mais il ne l’a pas fait. Il s’est penché pour ramasser quelque chose sous son siège. Et la fusillade a éclaté. « C’est rapide. Je hurle : Halte au feu ! C’est fini. »

Extrait de la photo de la 23° promotion des commissaires de police

Quelques années plus tard, sans doute las de traîner dans les couloirs poussiéreux du quai des Orfèvres, Jo découvre les paillettes des cabinets ministériels. Sur l’album photos inséré dans son livre, on le voit côtoyer les grands de ce monde. Il a été félicité, décoré, jalousé et il a même été viré. Une vie normale, quoi ! Et pourtant, il n’a pas pris la grosse tête.

Tous les deux, on se connaît depuis les bancs de l’école de police et ce que j’ai toujours apprécié chez lui, c’est son humour au deuxième degré et cette façon de faire des choses sérieuses sans se prendre au sérieux.

Mis en examen dans l’affaire Neyret, un policier raconte…

« Il y avait quelque chose de surréaliste dans cette scène. Le juge seul derrière son grand bureau vide, à sa droite son greffier, encombré de dossiers, derrière l’écran mes deux avocats dans leur belle robe noire (…)  Il a croisé les mains sur son grand bureau vide, m’a fixé droit dans les yeux. J’ai soutenu son regard. Une tentative d’intimidation comme dans les cours d’école. C’est toujours plus facile de jouer, quand on est sûr de gagner. Il m’a mis en examen pour trafic de stupéfiants (…) détournement de scellés, vols en réunion et association de malfaiteurs… »

Christophe Gavat n’est pas allé en prison. Il était tellement soulagé, qu’il a serré la main du magistrat. En lisant son livre, 96 heures – Un commissaire en garde à vue, aux éditions Michalon, j’ai eu l’impression qu’il regrettait son geste… Il a néanmoins fait l’objet d’un contrôle judiciaire drastique qui lui interdisait d’exercer son métier, d’adresser la parole à ses collègues, à ses amis, et même de se déplacer. « Cette affaire m’a changé. Je me suis rendu compte à quel point la machine judiciaire pouvait broyer les hommes. C’est une mécanique de précision déshumanisée. La chance pour le juge d’instruction dans cette affaire, c’est qu’aucun policier ne se soit suicidé. Parce que le suicide, j’y ai pensé. » Les juges ont-ils conscience de la portée de leurs décisions ? Psychologiquement, un contrôle judiciaire peut être plus dur à supporter que la prison, car on est tout seul. Enfin, je dis ça, mais je n’ai vécu ni l’un ni l’autre.

Fortement marqué par cette expérience, depuis la Guyane, là où il exerce aujourd’hui les fonctions de sous-directeur de la police de l’air et des frontières, Christophe Gavat n’a trouvé qu’un moyen pour tirer un trait sur cette période : écrire. Écrire son histoire, son ressenti, son amertume, sa désillusion. Un peu comme un amoureux éconduit fait un poème à sa bien-aimée.

Le 29 septembre 2011, lorsque « l’affaire » a éclaté, il dirigeait l’antenne de PJ de Grenoble. Michel Neyret était donc son patron direct. L’info tourne en boucle sur les ondes et dans sa tête.  « Michel, mon chef, mon modèle », arrêté !… Il ne comprend pas, mais l’idée ne l’effleure même pas qu’il pourrait à son tour être visé par l’enquête. Ou tout au plus comme témoin. Et pourtant…

Le soir, il dîne avec ses parents. L’ambiance n’y est pas. Le téléphone sonne. C’est un copain de promo : « Christophe, j’ai consulté Internet. Ton nom complet est sur les sites. Ils disent que demain à dix heures, tu seras placé en garde à vue… » C’est ainsi qu’il apprend qu’il est sur la liste de l’IGS. « Putain, c’est quoi ce bordel ! (…) La presse au courant. Au courant des futurs gardés à vue par la police des polices (…) Trop forts ces journalistes ! »

Le lendemain à l’aube, il prend le TGV pour Lyon.

Toute l’enquête des bœufs-carottes sera ainsi en live dans les journaux, à la radio, à la télé, sur le Web. Chacun y allant de ses phantasmes. À se demander si certains journalistes n’avaient pas connaissance de la procédure avant les magistrats. Les policiers de l’IGS (à l’époque très proche du Pouvoir) avaient-ils des consignes pour agir de cette manière ? Cette enquête a-t-elle servi d’écran de fumée alors que, dans l’affaire Bettencourt, l’information judiciaire venait d’être dépaysée à Bordeaux et que les soupçons d’un abus de faiblesse au préjudice de la milliardaire commençaient à prendre corps ? Christophe Gavat est mis en cause pour n’avoir pas osé dire non à son chef. Les charges contre lui se résument à deux ou trois coups de fil de Michel Neyret, alors que celui-ci était sur écoute. L’un d’eux, en particulier, lorsqu’il lui demande si, dans sa dernière affaire de stups, il a pu mettre un peu de « produit » de côté pour l’un de ses « amigos » – Et il n’a pas osé l’envoyer se faire foutre. « Oui, oui, qu’il a répondu. C’est fait ! » – Mais pour autant, il ne l’a pas fait. Il n’a pas obéi.

La drogue avait d’ailleurs été brûlée à la déchetterie, selon la procédure habituelle, devant témoins, chacun ayant signé le procès-verbal de destruction. La suspicion du juge d’instruction est-elle là ? D’ailleurs, je crois que les policiers devraient refuser de détruire un scellé. Après tout, un scellé judiciaire est placé sous la responsabilité du Greffe du tribunal et il appartient à la Justice de s’en dépatouiller.

Lorsqu’il se présente pour passer au « tourniquet », Gavat est serein : « Je n’ai jamais remis de came à un indicateur », écrit-il.

Christophe Gavat en opération Harpie en Guyane
(avec son aimable autorisation)

À Lyon, il est reçu par Christian Lothion, le directeur de la PJ. « Je vais pas vous la faire à l’envers, lui dit celui-ci, Michel est accroché. Ils le tiennent. Pour vous, je ne sais pas ce qu’il y a exactement dans le dossier. Mais il semble que ce soit plus fragile (…) Sauvez vos couilles de là. Tant qu’on le pourra, on sera derrière vous. »

« À l’époque, dit Christophe Gavat, je n’ai pas compris tous les messages qu’il a voulu me faire passer, ils ont pris un sens plus tard, mais je dois reconnaître qu’il a toujours été là. »

Plus tard, c’est maintenant. Il ne sait toujours pas ce que l’on lui reproche. Son dossier lambine à l’instruction. Le juge ne semble pas pressé, puisque, en 18 mois, les policiers de l’IGS n’ont pas eu le temps de lui retourner sa commission rogatoire – et que cela ne le dérange pas.

Ce livre était forcément difficile à écrire, et le lecteur a parfois du mal à suivre, à s’accrocher aux allers-retours de l’auteur, tant il a de choses à dire. Mais c’est un livre chargé d’émotion. Bien sûr, Christophe Gavat a dû se limiter à son propre vécu, revenant   sur les enquêtes qui l’ont le plus marqué. On peut se sentir un peu frustré. On aimerait en savoir plus sur l’affaire de Lyon. Percer les arcanes. Mais déjà, comme ça, en le publiant, il a pris d’énormes risques. Une manière de fermer la porte de l’Intérieur pour mieux l’ouvrir sur l’extérieur. Et là, je sais de quoi je parle. A son âge, j’ai fait la même chose.

J’ai l’impression que le commissaire Gavat pourrait bien reprendre le fil d’un vieux rêve : le théâtre, le cinéma… Il ne sera pas tout seul : des amis l’attendent, comme Olivier Marchal et Bruno Wolkowitch, les deux flics de la pièce Pluie d’enfer.

Plume de poulets

Les policiers aiment se raconter. Souvent, ils retracent leurs propres expériences et parfois celles des autres, mais assez peu se risquent à la fiction. Certains se sont néanmoins jetés dans le roman ou le scénario, parfois sous des pseudos. Avec plus ou moins de succès. Et je sais de quoi je parle.

On peut se dire que la vie d’un flic est pleine de la vie des autres – souvent dans ce qu’elle a de plus tragique. Mais cela ne suffit pas à justifier ce besoin d’aligner des mots. En fait, je crois qu’il y a une autre raison. Le policier fait partie d’une drôle d’espèce : il passe une partie de son temps à raconter par écrit ce qu’il a fait durant l’autre partie. Surtout en PJ, où chaque acte fait l’objet d’un procès-verbal : déplacements, constatations, perquisitions, arrestations, autopsies, etc.  Et à la finale, l’OPJ doit encore résumer l’ensemble de son enquête avant de la transmettre au magistrat compétent. Parfois une chronologie de plusieurs dizaines de pages. Certains de ces « rapports de synthèse » sont d’ailleurs de véritables petits bijoux.

Si la plupart attendent d’avoir quitté la Maison pour prendre la plume, Danielle Thiéry n’a pas su temporiser. Son premier livre date de 1995, alors qu’elle est détachée à Air France. En 1997, elle publie La petite-fille de Marie Gare, chez Robert Laffont, qui servira de bible à la série télévisée Quai n° 1. Série dans laquelle on découvre un autre flic, Olivier Marchal. Depuis, elle n’a jamais faibli. Aujourd’hui, Danielle Thiéry est la lauréate du Prix du Quai des Orfèvres pour son manuscrit Des clous dans le cœur, publié chez Fayard. Dans son récit, on suit pas à pas un groupe de la division des affaires criminelle de la PJ de Versailles (ce qui nous change du 36) qui se dépatouille d’une enquête sur la mort mystérieuse d’une star du show-biz, un rocker sur le retour. « Le corps est allongé face contre terre entre un canapé de style anglais et une table basse chargée de revues et de vaisselle sale… ». L’enquête va se télescoper avec un vieux dossier jamais refermé. Une affaire qui a profondément marqué le personnage central du roman, le commandant Maxime Revel, et qui lui reste plantée dans le cœur comme un clou.

Le prix du quai des Orfèvres est décerné chaque année par un jury composé de policiers, de magistrats et de journalistes. Ce ne sont pas toujours des chefs-d’œuvre, mais ce prix est le seul à ma connaissance à être attribué sur manuscrit. Il s’adresse donc aussi bien aux auteurs confirmés qu’à ceux qui n’ont pas réussi à forcer la porte d’un éditeur. En tout cas, cette année, c’est un bon cru. Très bizarrement, le plus prenant ce n’est pas l’histoire, mais le  réalisme de l’enquête, sa technicité, et aussi la nature des personnages. On les suit et on a un peu l’impression de faire partie du 19 (avenue de Paris) et de pénétrer avec eux dans ces anciennes écuries de Versailles, classées monument historique, où est installée la direction régionale de la PJ.

L’année dernière, le prix avait été attribué à un avocat, Pierre Borromée, pour son livre L’hermine était pourpre, toujours chez Fayard. Une sorte d’exclusivité pour cette maison d’édition, qui s’engage, en contrepartie à une diffusion de 50 000 exemplaires. Ce qui est quand même exceptionnel.

Jean-Pierre Pochon, lui, n’a pas cherché à décrocher un prix. D’ailleurs, son livre, Sonate pour un espion, chez Robert Laffont, n’est pas un polar, mais un roman d’espionnage. Enfin, quand je dis roman…

C’est l’histoire d’un agent double, un espion tchécoslovaque en poste à Paris dans les années 80, qui décide de virer de bord. Lors d’une réception dans une ambassade, il glisse une enveloppe dans la poche du manteau d’un officier de l’armée française. Elle contient une cassette et un petit mot : à remettre à la DST. En écoutant l’enregistrement, le sous-directeur du contre-espionnage pense à une bonne blague. Il s’agit d’une sonate pour piano du compositeur tchèque Leos Janacek . Mais après la musique, en fin de bande, il y a l’enregistrement d’une conversation. C’est ainsi que le bébé arrive sur le bureau du commissaire Maxime Jaussan qui dirige la division axée sur les pays satellites de l’URSS. Un poste que justement Jean-Pierre Pochon a occupé durant plusieurs années. L’agent double restera un mystère. À la Direction de la surveillance du territoire, il est surnommé Leos, et, pour respecter la parole donnée, jamais personne ne tentera de l’identifier. Ses informations transiteront toujours par une boîte aux lettres morte, un trou dans un mur. Puis, il y a eu l’implosion du bloc communiste… Jean-Pierre Pochon nous entraîne dans le monde feutré de la rue Nélaton, là où se trouvait la DST avant que Nicolas Sarkozy ne décide de la création de la DCRI. Il nous fait découvrir un service de police bien différent des stéréotypes, un service de police où les cellules de garde à vue étaient le plus souvent vides. Dans la revue de la Défense nationale, le commissaire Jean-Paul Mauriat écrivait, il y a de cela près de 50 ans : « Le crime que nous poursuivons est un crime sans cadavre et sans indice. Le raisonnement sera le seul fil conducteur… »

Christine Rogier est capitaine de police dans un commissariat parisien mais, comme Danielle Thiéry, l’envie d’écrire la tarabuste. Pas question d’attendre la retraite ! Après un premier roman aux éditions AO, elle vient de sortir La Cristaine ou Journal d’une fliquette, chez Jacob-Duvernet. Avec son style très particulier, elle nous raconte son métier, mais aussi, dans les années 80/90, les difficultés pour une femme de s’imposer dans un milieu encore très macho. Lorsqu’elle a passé son concours de gardien de la paix, l’inspectrice qui surveille les épreuves lui confie : « Ça peut être bien [pour une femme]. Mais il faut toujours en faire plus pour obtenir le même résultat ! » Je ne suis pas sûr que ce ne soit pas toujours le cas pour les policières qui sont sur le terrain…

Depuis plus de 20 ans, Christine Rogier fréquente les commissariats parisiens. Une véritable loge sur la misère humaine. Homme ou femme, même si on aime son job, cela finit par atteindre le moral. C’est du moins ce que l’on ressent à la lecture de son livre. « Les quelques années qu’il me reste à accomplir peuvent passer vite. Je ne sais pas ce que va devenir le métier d’ici là ; ni même ce que j’en penserai… Je peux me remettre à rêver. Un jour, je raccrocherai ma tenue définitivement, comme des chaussons de danse, après une fracture irrévocable. »

Chez le même éditeur, qui a publié de nombreux livres de policiers, on peut aussi s’intéresser à une BD, Le mystère HB. C’est le compte-rendu de la prise d’otages à la maternelle de Neuilly. Le 13 mai 1993, une vingtaine d’enfants et leur maîtresse sont retenus  dans leur classe par un individu qui menace de tout faire exploser. L’histoire est racontée par Claude Cancès, alors directeur de la PJ parisienne. « Une affaire qui, par sa dimension dramatique, reste une de celles que j’ai le plus intensément vécue… » On y découvre certains éléments qui sont peu connus et notamment le déroulé de l’intervention de Nicolas Sarkozy, alors maire de la commune. Les images et un plan des lieux permettent de mieux comprendre la chronologie des faits, et s’il est amusant aujourd’hui de mettre un nom sur chacun des participants, on comprend mieux leurs hésitations à décider entre intervention et négociation.

Il y a sans doute d’autres livres de policiers qui sont sortis récemment. Mais on ne peut pas tout lire !  En tout cas, ça fait du bien de se détacher de l’actu.

Bon anniversaire, Monsieur Kalachnikov !

En ce 10 novembre, il fête ses 93 ans. Il était tout jeunot lorsqu’il a inventé le fusil-mitrailleur qui va symboliser une époque. L’arme de toutes les révolutions. Que l’on retrouve aujourd’hui chez nous, dans les guéguerres des cités.

L’histoire de Mikhaïl Timofeïevitch Kalachnikov ne démarre pas sur les bancs de l’école. Né le 10 novembre 1919, près de la frontière chinoise, d’une famille paysanne, il est le 17e d’une fratrie de 19 (Wikipédia). Pour le régime communiste, son père est un koulak. Autrement dit un paysan qui se serait enrichi sur le dos des travailleurs. Lui et sa famille sont déportés en Sibérie. Mikhaïl a 11 ans. Il voit mourir ses frères et ses sœurs. Sept seulement ont survécu. À 15 ans, il s’évade. Repris deux ans plus tard, il s’évade de nouveau. Il se fait alors embaucher dans un atelier des chemins de fer et se découvre une véritable passion pour la mécanique. À 19 ans il dépose son premier brevet : un dispositif pour mesurer le kilométrage et la consommation des véhicules, juste avant de partir pour remplir ses obligations militaires. Il est affecté dans les chars. Lors de son stage de formation, il impressionne ses instructeurs par l’effervescence de ses idées. Dès qu’il découvre un nouvel outil, un nouveau dispositif…, il cherche à améliorer son fonctionnement. Comme il le fit avec le Tokarev T33. Un pistolet qui restera en dotation dans la police et dans l’armée jusqu’aux années 60.

Mais le 22 juin 1941, c’est l’opération Barbarossa : la Wehrmacht envahit l’URSS. Lors de la bataille de Briansk, destinée à stopper l’avancée allemande vers Moscou, Mikhaïl Kalachnikov est grièvement blessé. Son séjour à l’hôpital lui sera profitable. En effet, les soldats se plaignent de la supériorité de l’armement des forces allemandes. Ils le trouvent bien supérieur à celui de l’Armée rouge. Ce qui titille Mikhaïl. C’est ainsi que lui vient l’idée de créer une arme automatique. Il effectue de nombreuses esquisses sur son lit d’hôpital. À sa sortie, convalescent, il rejoint son ancien atelier aux chemins de fer et se met à bricoler un truc qui ressemble à un fusil d’assaut, même si le terme n’existe pas encore. À l’époque, au mieux, les militaires possèdent des fusils semi-automatiques. Dans les troupes françaises, le fusil Lebel, dont l’invention remonte à 1886, est encore largement utilisé, même s’il est peu à peu remplacé par le MAS 36. Une fois son arme conçue, Mikhaïl ne sait pas trop quoi en faire. À qui la présenter ? Il se rend au commissariat et… il est arrêté pour détention d’arme. Ce sont ses compagnons du Komsomol (les Jeunesses communistes) qui le font libérer. Il est alors convoqué au Parti où un dirigeant lui dit que ce qu’il a fait était bien « même si ton arme n’est pas très belle ». Et il l’expédie faire des études à l’Université. En 1942, Mikhaïl créé un deuxième prototype, plus proche du modèle final, aujourd’hui exposé au musée de Saint-Pétersbourg – et il épouse la dessinatrice industrielle qui l’accompagne dans ses recherches.

L’arme n’a été officiellement déposée qu’en 1947 (son nom officiel est Avtomat Kalachnikova 1947 ou AK-47).

L’AK-47 est conçu pour durer. Et du coup, quelles que soient les conditions (marécages, sable…), il ne s’enraye jamais. C’est cette simplicité et sa robustesse légendaire qui en ont fait l’arme des pauvres. Et sa beauté vient de son succès. Mais rien ne laissait supposer que la kalache deviendrait une star mondiale…

C’est le fusil préféré des guérilleros. « Je suis très fier qu’il soit devenu pour beaucoup symbole de liberté », dit Mikhaïl Kalachnikov. Pas une révolution, pas une rébellion sans des images de combattants agitant leur kalache. Elle était aux premières loges de la révolution libyenne, comme c’est le cas aujourd’hui en Syrie ou au sein des Forces armées révolutionnaires de Colombie. On dit, après le deuxième conflit irakien, que les Américains ont négligé (volontairement ou non) de détruire les importants stocks de kalachnikovs constitués par Saddam Hussein. Ce sont des millions de kalaches qui se seraient évaporées dans la nature. Cette arme est chargée de symbole même pour les grands de ce monde. Ainsi, Salvador Allende se serait suicidé avec l’AK-47 que lui avait offert Fidel Castro et qui portait la dédicace : « À mon ami Allende, de la part de Fidel, qui essaye par des moyens différents d’atteindre les mêmes buts ».

Le modèle actuel de ce fusil d’assaut est l’AK-74. Il est toujours fabriqué dans la même usine, laquelle est sous contrat avec le gouvernement russe. Mais les choses pourraient évoluer, car, si l’AK s’est illustré dans de nombreux conflits, il a fait son temps. Ce que personne n’ose trop dire à son inventeur de crainte de lui faire de la peine. Il est vaguement question d’un nouveau modèle, l’AK-12 (pour 2012), mais l’usine Ismash, à Ijevsk, dans l’Oural, qui fabrique cette arme depuis toujours, serait au bord du dépôt de bilan (son sort semble lié au succès de la nouvelle voiture « low cost », la Lada Granta, dont elle assure la production). D’autant que l’armée russe, d’après un expert, possède un stock d’armes légères « suffisant pour mener plusieurs guerres mondiales ».

Alors que l’inventeur du fusil américain M16 percevait un dollar sur chaque arme qui sortait de l’usine, Mikhaïl Kalachnikov dit, non sans malice, qu’il n’a jamais touché un kopeck de royaltie sur son invention. En revanche, il a été comblé d’honneurs. C’est l’homme le plus décoré de Russie. Il a été fait général en 1994. Et il est devenu une légende.

Monsieur Kalachnikov aime à se raconter, ce qu’il a d’ailleurs fait dans un livre, Ma vie en rafales, sorti au Seuil en 2003. Et même si l’on peut hésiter à montrer de l’admiration pour l’inventeur d’une arme de guerre, on a du mal à ne pas trouver le personnage sympathique. Surtout lorsqu’il confesse : « J’aurais préféré inventer une chose plus utile, par exemple une tondeuse à gazon… »

Le Quai des Orfèvres sous l’Occupation

Ce 16 juillet 1942, au petit matin, des milliers d’hommes, de femmes, d’enfants, de vieillards furent arrêtés à leur domicile et regroupés dans les commissariats avant d’être parqués au Vel’ d’Hiv’. Aujourd’hui, alors que le Président Hollande commémore le 70° anniversaire de cette rafle funeste, il est légitime de s’interroger sur le comportement des policiers et des gendarmes qui ont – sagement – obéi aux ordres. Et notamment à la préfecture de police de Paris qui vient d’ouvrir ses archives sur ce sujet sensible. Il faudra attendre fin 1943, alors que la politique du maréchal Pétain se fait de plus en plus répressive, pour qu’un véritable mouvement de résistance apparaisse enfin dans la police parisienne.

Pour certains policiers, c’était leur deuxième intervention au Vel’ d’Hiv’. En effet, en mai 1940, donc avant le régime de Vichy, cinq mille femmes réfugiées en France pour fuir le nazisme des années 30 avaient été enfermées dans ledit vélodrome. La plupart seront transférées au camp de concentration français de Gurs et beaucoup y mourront. Il semble que parmi les survivantes, certaines ont même joué un rôle actif dans la résistance, mais leur souvenir s’est perdu. Lilo Petersen, qui a été victime de cet internement alors qu’elle était enfant, a écrit un livre Les oubliées, chez Jacob-Duvernet, dont on peut trouver une courte analyse ici.

Si les policiers d’aujourd’hui n’ont rien à voir avec ce fragment de notre histoire (ils n’étaient même pas nés), il est étonnant que les nombreux ouvrages consacrés au Quai des orfèvres n’y fassent pratiquement pas allusion ; alors qu’il est souvent question de la résistance, d’abord passive, puis plus active, menée par certains fonctionnaires de la préfecture de police, comme dans la remarquable trilogie De la Résistance à la Libération que l’on peut télécharger gratuitement sur le site de la PP.

Mais j’ai déniché l’exception : le livre de Clovis Bienvenu qui, sous un titre rebattu « Le 36, quai des Orfèvres » (Éditions PUF), met carrément les pieds dans le plat. « Force est de constater, dit-il, qu’au titre de la collaboration d’État la police judiciaire du quai des Orfèvres a activement participé à la lutte contre le communiste et à la chasse aux Juifs. »

Pourtant, nulle part, poursuit-il, il n’y a trace « des compromissions, des trahisons, des enquêtes diligentées à la demande des autorités allemandes ». Comme de cette enquête menée par les policiers de la brigade spéciale de la PJ pour interpeller Pierre Georges. Ce jeune homme de 22 ans, auteur du meurtre d’un militaire allemand, le 21 août 1941, au métro Barbès, a sans doute, avec deux balles de calibre 6.35, modifié le cours de l’histoire, marquant le début de la révolte armée contre l’Occupant. Arrêté l’année suivante, il fut sérieusement passé à tabac avant d’être livré aux Allemands. Bizarrerie de l’histoire, lors de la libération de Paris, alors que les policiers tirent sur les Allemands, lui se trouve à la tête d’un commando FFI. Il établit la jonction avec la 2° DB et l’aide à reprendre à l’ennemi les quartiers proches de la préfecture de police. Une station de métro porte son nom de guerre : Colonel Fabien.

À cette époque-là, la brigade spéciale dépend du 36 et la « brigade des attentats » lui est rattachée. Pour la direction de la PJ, il est question d’une brigade antiterroriste. Les terroristes des uns étant les résistants des autres. En tout cas, la chasse est ouverte. D’autant que les Allemands récompensent toute arrestation de « terroriste » par des espèces sonnantes et trébuchantes. Mais la PJ et les RG se livrent une rude concurrence. On flagorne les Fridolins. Finalement, ce sont les renseignements généraux qui emportent les faveurs de l’Occupant. En janvier 1942, une deuxième brigade spéciale est alors créée, mais cette fois au sein de ce service. (C’est la seule dont on parle aujourd’hui.) Le patron de la PJ, Guillaume Tanguy, a perdu et les affaires « patriotiques » deviennent le monopole des RG. Trois ans plus tard, les gens du 36 vont tirer profit de cette déconvenue en forgeant la légende d’une police judiciaire exempte de tout acte de collaboration.

C’est l’époque des promotions extravagantes et nombreux sont ceux qui sont sensibles à la carotte. Quelques-uns résistent et œuvrent en douce, comme ce jeune policier, Jacques Beuguin, affecté au « service des répressions raciales », qui utilise mille stratagèmes pour réduire le nombre de Juifs déférés aux Allemands, sans éveiller les soupçons de sa hiérarchie.

Et tandis que la police parisienne sert la soupe aux occupants et que le Tout-Paris flirte au One-Two-Two avec les officiers allemands, les truands s’en donnent à cœur joie. Souvent en cheville avec des barbouzes collabos, ils dépouillent les familles fortunées en se faisant passer pour des policiers allemands.

Pourtant, on est encore loin de la fronde au sein de la PJ. Ainsi, en juin 1943, lors de la création de la sous-direction des affaires juives (ex-service Tulard), le commissaire divisionnaire Charles Permilleux motive ses troupes par des instructions précises : « Il appartient désormais à la préfecture de police d’assurer l’exécution des mesures de police ordonnées par les autorités d’occupation. La police française n’a pas à se faire juge, elle exécute les ordres donnés ».

À la Libération, on parle d’épuration dans la police. Une brigade anti-Gestapo est créée. Installée quai de Gesvres, elle est chargée d’enquêter sur la Gestapo française, la Carlingue, pour les intimes. Voici ce qu’écrit son fondateur, le commissaire Georges Clot : « La Gestapo française fut, à cette pénible époque, un dangereux poison qui atteignit tous les organes du corps français. C’est triste à dire, mais c’est la vérité… Quelquefois, nous étions saturés de dégoût, nous ne savions plus où se trouvaient les limites du mal. : un cancer généralisé. » Et puis, un jour de septembre 1945, on leur a dit d’arrêter. La brigade anti-Gestapo a été dissoute. Pour les autorités, il était temps d’oublier.

Je ne connais pas Clovis Bienvenu. Il est présenté comme officier de police judiciaire. J’ai tenté de le joindre, via son attachée de presse, mais sans succès. Son livre comprend d’autres volets : les années grises, le conflit algérien, etc. On peut lire la table des matières sur le site des Presses Universitaires de France. C’est un livre rare, et même si l’on a parfois du mal à suivre le fil, c’est passionnant.

Le livre des armes dans la police

Même s’ils préfèrent ne pas en parler, les policiers entretiennent souvent une relation particulière avec leur arme. Pour Dominique Noël, commandant de police, la question ne se pose pas : c’est un passionné, un collectionneur, un technicien et… un fin tireur qui a gagné par deux fois le prestigieux challenge national de la PJ en équipe. Cet instructeur de tir vient de sortir un livre bourré de photos et d’illustrations qui nous retrace la petite histoire des armes dans la police.

On y découvre ainsi qu’à leur création, les brigades mobiles de Clemenceau, comptent une seule arme pour sept hommes, le fameux revolver d’ordonnance modèle 1892, qui avait la particularité de ne pas faire de fumée. Un revolver écolo, en quelque sorte. Il faudra attendre les exploits criminels de la bande à Bonnot, en 1911, pour que chaque « mobilard » soit doté d’une arme individuelle. Du moins sur le papier, car les finances ne suivent pas. Ainsi, en 1921, il est mentionné dans un rapport que « la situation budgétaire actuelle ne peut malheureusement permettre de couvrir les dépenses très élevées qu’entraînerait l’acquisition des revolvers et des cartouches nécessaires pour armer l’effectif total des brigades… » En fait, les crédits permettent tout au plus l’achat de 2 ou 3 revolvers par brigade. D’où cette idée de génie du ministre de l’Intérieur (qu’en ces temps de disette revenue, je permets de souffler à M. Valls), il propose aux policiers d’acheter leur arme et leurs munitions. Et beaucoup sont d’accord. Ainsi, sur les 22 policiers que compte la brigade de Montpellier, 14 se portent acquéreurs d’un revolver et de 600 cartouches. Ce manque de moyens n’a d’ailleurs pas empêché les brigades du Tigre d’avoir des succès retentissants. Et Paris n’est guère mieux loti.  En 1912, seulement 250 inspecteurs sont équipés de pistolets automatiques. Le fameux Browning 1900, de calibre 7,65, que le catalogue Manu décrit comme « élégant, d’une bonne prise en main avec un pointage naturel, son chien automatiquement réarmé à chaque coup lui valant des départs très doux… Il permet un tir très rapide et soutenu grâce à son alimentation par chargeurs… ». L’ancêtre des pistolets d’aujourd’hui. Une invention de l’américain John Moses Browning. Pourra-t-on  l’acquérir librement en application de la loi du 6 mars 2012 qui va faciliter la vie aux collectionneurs ? Deux conditions pour qu’une arme soit considérée comme une arme de collection : une fabrication avant 1900 et un calibre déclassé – ce qui n’est pas le cas du 7,65. Mais de toutes façons, sauf erreur de ma part, le décret d’application n’est pas paru.

Dans ce livre, Les armes de la police nationale de l’Ancien Régime à nos jours (Histoire et Collections), on découvre l’évolution de l’armement en fonction des problèmes de sécurité liés aux différentes périodes. Rien de nouveau. La plus grande partie de l’ouvrage est néanmoins consacrée aux armes modernes, létales ou non. Et, bien sûr, le fameux pistolet SIG SP 2022 (2022, c’est sa date de péremption, un peu comme les yaourts), y tient la vedette. Mais à la lecture, en s’approchant de notre époque, on voit que les choses s’accélèrent et qu’il existe aujourd’hui une véritable prospection dans ce domaine, comme une quête impossible : l’arme capable de sauver une vie sans en prendre une.

Dominique Noël est aujourd’hui réserviste. Il est directeur technique d’un club de tir privé et instructeur-chef du Centre de tir de Paris et de la police nationale, le stand Foch, comme on l’appelle, dirigé depuis très longtemps par Raymond Sasia. Lequel a préfacé son livre. Pour mémoire, cet ancien gorille du général de Gaulle a profondément modifié l’entraînement des policiers, notamment avec sa méthode (parfois controversée) du tir rapide. Des milliers de flics ont été marqués par la répétition à plus soif des séances de « sortie d’arme », la fameuse « prière », sur le pas de tir.

En tout cas, je partage son opinion : « Ce livre, outre l’aspect technique agrémenté d’une impressionnante iconographie, aborde l’histoire de la police à travers les siècles et apporte ainsi une richesse insoupçonnée qui devrait connaître un réel succès auprès des policiers, collectionneurs et historiens.  »

Je dois dire que ce qui m’a le plus étonné, lorsque j’ai rencontré Dominique Noël, ce n’est pas sa connaissance des armes ou des méthodes d’intervention, mais son émotion contenue lorsqu’il parle du Budukan de Deuil-la-Barre, dans le Val-d’Oise. Cela fait bientôt 30 ans qu’il y enseigne le jiu-jitsu, essentiellement à des ados, et leur comportement, lorsqu’ils montent sur le tatami, est bien loin des clichés habituels. « Un club hyper sympa, dit-il avec une petite flamme dans les yeux, où les pratiquants respectent les principes énoncés dans le code des arts martiaux (salut, respect, etc.). Un vrai bonheur ! »

Le jiu-jitsu comme arme non létale, ce n’est pas mal non plus.

Le chef de la Crim’ raconte l’affaire Boulin dans un livre

Le 30 octobre 1979, au petit matin, dans un brouillard à couper au couteau, plusieurs véhicules de la PJ de Versailles brinqueballent sur un chemin de la forêt de Rambouillet. Une quinzaine d’enquêteurs de la Criminelle et de l’Identité judiciaire, dirigés par les commissaires Alain Tourre et Gilles Leclair, sont à la recherche d’une Peugeot 305 de couleur bleue : la voiture d’une haute personnalité qui aurait manifesté l’intention de mettre fin à ses jours. Ils ne savent pas encore qu’il s’agit de Robert Boulin. Ils ne savent pas encore qu’il est mort.

Le siège de la PJ de Versailles (Google Maps)

Ils ne sont pas seuls. De nombreux gendarmes quadrillent déjà la forêt. C’est le préfet qui a donné l’alerte. À 8 h 35, des motards de la gendarmerie repèrent le véhicule stationné à proximité d’un petit lac. Tout le monde fait route vers l’endroit indiqué : la Peugeot se trouve près de l’étang Rompu, dans lequel, à 7 mètres de la berge, un corps dont seul le dos est apparent flotte entre deux eaux.

C’est ainsi, pour la PJ, que commence l’affaire Boulin.

Danielle Thiéry et Alain Tourre, deux anciens commissaires de police ont rassemblé leurs souvenirs pour écrire un livre, Police judiciaire, 100 ans avec la Crim’ de Versailles, aux éditions Jacob-Duvernet. Apportent-t-ils des éléments nouveaux ? Pas vraiment, mais en tout cas, ils donnent le fil précis de l’enquête de police.

Robert Boulin a 59 ans. Il est maire de Libourne, en Gironde, et ministre du Travail dans le gouvernement de Raymond Barre. Il est marié, deux enfants, et mène une vie sans histoire – si ce n’est cette affaire « des terrains de Ramatuelle » qui le mine, une escroquerie dans laquelle il s’est laissé embarquer et qui fait l’objet d’une information judiciaire.

Alain Tourre, lui, est bien loin de ce monde. Il est le chef du groupe criminel (on ne disait pas brigade, pour ne pas fâcher la PP) du Service régional de police judiciaire de Versailles.

« Je sais ce que j’ai à faire ! » –  C’est ce que répond le colonel de gendarmerie Jean Pépin au commissaire qui lui demande de ne toucher à rien avant l’arrivée des magistrats. Et l’officier supérieur ordonne de sortir le corps de l’eau. Ce que font deux pompiers. Non sans difficultés, ils le prennent chacun par un bras et le tirent jusqu’à la terre ferme, face contre terre. Les gendarmes retournent le cadavre, et, après un bref examen, ils lui font les poches. Il est 9 h 09. Ils en retirent notamment une petite boîte en plastique, genre boîte à pilules et deux stylos. « Du côté de la voiture, l’agitation est tout aussi intense. » Un officier de gendarmerie grimpe sur le toit et passe la main par le toit ouvrant pour récupérer un bristol posé sur le tableau de bord. Puis, toujours par le toit, l’une des portières est débloquée. Les clés du véhicule seront retrouvées par terre, près du coffre, un peu plus tard. La Peugeot est fouillée de fond en comble. C’est alors que tombe le message radio : le parquet saisit la PJ.

« Gendarmes, trois pas en arrière, la police judiciaire est saisie ! » – Non sans ressentiment, les gendarmes plient bagage, laissant tout en plan. Une scène de crime en piteux état. On comprend bien à la lecture de ce livre-document la guéguerre que se livrent policiers et gendarmes. Il faut dire qu’à l’époque, notamment dans les Yvelines, ces derniers étaient sérieusement marqués à la culotte par la PJ qui voyait d’un sale œil leur influence grandissante en Ile-de-France. Et, pour avoir traîné mes guêtres dans ce service dans ces années-là, je peux témoigner qu’il s’agissait d’une politique maison : pas un os à ronger aux gendarmes. D’où l’ambiance. Aujourd’hui, même si la rivalité demeure, les choses ont changé. Et, en tout cas, chacun sait que dans une enquête, la priorité, c’est de préserver la scène de crime aussi pure que possible.

La carte de visite grand format récupérée sur le tableau de bord est à l’en-tête du Ministère du travail avec la mention « Le Ministre ». Elle est écrite des deux côtés. Au recto, d’une écriture soignée, à l’encre bleue, « Les clefs de la voiture sont dans la poche de mon pantalon ». Sous ces mots, à l’encre noire, est indiqué « TSVP ». Au verso, également à l’encre noire, mais cette fois d’une écriture irrégulière, « Embrassez éperdument ma femme, le seul grand amour de ma vie. Courage pour les enfants », suivi d’une signature illisible.

Au premier examen du corps, des traces d’érosion sont relevées sur le visage ; et quatre petites coupures, deux sur le nez, une en dessous et une autre sur la lèvre supérieure. Un médecin local constate le décès et la dépouille est transportée par hélicoptère à l’hôpital de la Pitié. Plus tard, vers l’Institut médico-légal de Paris. Beaucoup de monde pour l’autopsie : les deux légistes, le substitut de procureur, cinq péjistes, dont le commissaire Tourre, et le chef de cabinet de feu le ministre, Marcel Cats. Celui-ci intervient à plusieurs reprises, au nom de la famille, dit-il, pour tenter d’éviter au mieux la mutilation du corps. Il insiste tant que les médecins finissent par se fâcher et le mettent à la porte. Ils concluent sans ambiguïté à la mort par noyade (asphyxie par submersion). Des prélèvements sont effectués. Le suicide ne faisant aucun doute, le magistrat présent sur place, le substitut Leimbacher, prend l’initiative de ne pas faire pratiquer l’examen de la boîte crânienne. Une opération qui consiste à « décalotter » le haut du crâne et qui laisse des marques sur le visage du défunt.

C’était sans doute une première erreur. La seconde est plus grave. L’eau dans les poumons et dans l’estomac était une preuve suffisante pour conclure à la noyade et, du coup, aucune analyse ultérieure n’a été effectuée. Pourtant, elles auraient permis de confirmer la mort par noyade, mais surtout de démontrer que l’immersion avait bien eu lieu dans l’étang Rompu. Donc, que le corps n’avait pas été transporté après coup dans la forêt de Rambouillet.

En 1983, lorsque la famille a réclamé cet examen, il était trop tard : les prélèvements avaient été détruits. Ce qui était l’usage à l’époque. Lors de la deuxième autopsie, les experts ont opté pour un traumatisme facial « appuyé » avant la mort. Pour ceux qui pensent que Boulin a été assassiné, c’est la preuve qu’il a reçu des coups. Pour les enquêteurs, cela signifie seulement qu’il a chuté. Ils pensent que Boulin est descendu de sa voiture. Il l’a fermée, puis, la clé toujours à la main, bourré de Valium, il tombe et perd son trousseau. Il n’a donc pu le mettre dans sa poche comme il l’avait écrit. Il se dirige vers l’étang. Il marche dans l’eau. Il tombe de nouveau et il se noie.

Quant aux lividités cadavériques, situées dans le dos, alors qu’elles auraient dû se trouver côté ventre, elles s’expliqueraient par un séjour de plusieurs heures du corps dans une eau à environ 10°. Il est probable que dans ces conditions particulières, les lividités, non encore fixées, ont pu migrer lors de la manipulation du cadavre. Personnellement, je pensais que le mort avait été déshabillé sur place… Il semble que non. Sans doute en raison de la personnalité du défunt. Il est donc probable que le premier examen clinique complet ait été effectué à l’hôpital de la Pitié. Donc, trop tard : le sang étant alors figé dans les parties basses, c’est-à-dire dans le dos.

Ensuite, les deux commissaires retracent avec minutie l’emploi du temps des derniers jours de vie de Robert Boulin. Parmi les documents retrouvés, il y a un brouillon d’une lettre adressée au directeur du Monde, Jacques Fauvet, suite à un article de James Sarrazin sur l’affaire de Ramatuelle, ainsi qu’une autre pour le juge Renaud Van Ruymbeke, en charge de ce dossier. Dans un courrier reçu plus tard par l’AFP, le ministre fustige ce magistrat « aveuglé par sa passion de faire un carton sur un ministre » et il termine en disant : « Un ministre en exercice ne peut être soupçonné, encore moins un ancien ministre du général de Gaulle. Je préfère la mort à la suspicion… » – Une autre époque.

Dans le livre, j’ai choisi cette affaire car elle a fait couler de l’encre, et, lorsque j’en ai parlé sur ce blog, j’ai pu constater que beaucoup de gens considèrent la mort de Robert Boulin comme un assassinat politique. L’éditeur a d’ailleurs fait la couverture sur son cadavre. Mais le livre contient bien d’autres choses. Ainsi, il est longuement question de l’affaire Stevan Markovic, l’homme à tout faire d’Alain Delon, exécuté d’une balle dans la tête. Mais il aura fallu deux autopsies pour le révéler. Le dossier de police a longtemps été tenu secret. C’est je crois la première fois qu’il est ouvert (entrouvert ?) au public. En fait, ce livre est une mine d’informations sur de nombreuses affaires criminelles : l’assassinat du général Audran, la disparition d’Estelle Mouzin, etc. Ou la première arrestation de Jacques Mesrine, avant qu’il ne devienne l’ennemi public n°1 ; ou encore celle de son émule, Jacques Hyver, que tout le monde recherche et que les policiers de l’Office du banditisme voient passer devant eux alors qu’ils sont en train de décompresser à la terrasse d’un café.

Pour être sincère, je trouve le texte un peu fouillis, comme souvent chez cet éditeur, et, sans doute parce qu’il est écrit à quatre mains, on est un peu gêné pour Alain Tourre lorsqu’il parle de lui à la troisième personne. Cependant, ceux qui s’intéressent aux affaires criminelles ne seront pas déçus. Il y a matière. Et puis, ça nous change du 36.

La disparition de la petite Maddie devient un roman

Le 3 mai 2007, Madeleine McCann a disparu. Elle était supposée dormir dans la chambre de l’appartement de vacances que ses parents louaient dans le complexe touristique l’Ocean Club, au sud du Portugal. Elle allait avoir 4 ans.

Vers 22 heures, ce soir-là, sa maman s’est éclipsée du restaurant où elle dînait avec son mari et des amis pour s’assurer que tout allait bien dans le petit deux-pièces. Elle ouvre la porte… Les jumeaux, âgés de deux ans, dorment à poings fermés, mais sa fille n’est pas dans son lit. La fenêtre est ouverte, le volet est levé. Elle donne l’alerte.

Une affaire qui va faire couler beaucoup d’encre. Très vite, elle prend une dimension internationale. Le 9 mai, Interpol diffuse une fiche de recherche. La presse britannique se déchaîne et remet en cause le travail des policiers portugais. Le Premier ministre Gordon Brown intervient. Des enquêteurs de Scotland Yard débarquent. Un fonds de soutien est créé, le milliardaire Brian Kennedy le cautionne, le patron de Virgin aussi. Le site internet reçoit 5 millions de visiteurs en 24 heures. Les parents engagent un directeur de communication. Plusieurs millions d’euros de dons, peut-être dix. Les chiens renifleurs détectent des traces suspectes. Gonçalo Amaral, le policier de la PJ responsable de l’enquête, met la pression sur les parents. Il pense qu’ils ont dissimulé la mort accidentelle de leur enfant. Le pape reçoit les McCann. Un ancien pédophile est arrêté. Amaral est viré… Il écrit un livre. La mère aussi… On ne sait toujours pas ce qu’est devenue la petite Maddie.

« Jamais auparavant dans l’histoire, autant de monde s’est intéressé au sort d’une petite fille », écrit Duarte Levy dans le bandeau du blog consacré à cette affaire.

Pour son roman Belle famille, paru chez Gallimard, Arthur Dreyfus, lors d’une interview sur France Culture, dit avoir fait un rapprochement entre cette affaire et Le Rouge et le Noir. Pour le personnage de Julien Sorel, Stendhal se serait inspiré des mésaventures d’un criminel, Antoine Berthet, qui a été guillotiné en 1828. (Je crois que ce n’est qu’une hypothèse.) Dreyfus a été captivé par le côté magique de cette histoire. Les parents couchent leurs enfants, ils vont au restaurant, puis… « Quelques heures plus tard, ils reviennent, elle a disparu, il n’y a pas une trace d’ADN dans l’appartement, il n’y a pas une trace d’effraction, les frères n’ont pas été réveillés. C’est comme si l’enfant s’était évaporée. Donc, il y a quelque chose d’assez magique dans cette disparition. »

Son livre, c’est l’histoire d’un petit garçon. Il a 9 ans, il s’appelle Madec Macand. Et il n’est pas anglais, mais français. Durant la première partie, c’est le personnage central. Un enfant à l’esprit vif, qui découvre la vie et qui s’interroge sur la mort. C’est d’ailleurs la dernière phrase de l’épilogue : « Madec aime bien mourir ».

Puis il disparaît. Il n’y a pas de mystère, on sait ce qui lui arrive. L’intrigue est basée sur le comportement de sa mère. L’auteur n’a pas cherché à se rapprocher de la réalité, mais de l’aspect humain, psychologique. Un enchaînement de gestes non réfléchis qui enferment la femme dans ses mensonges. Au point qu’elle ne parvient plus à faire la part du vrai du faux. Il ne soutient aucune hypothèse. Il ne cherche pas à démontrer la vérité, il en invente une. Il la rêve. « L’écrivain ne fait rien d’autre que cela : rêver la vérité ».

Arthur Dreyfus a 26 ans. C’est son deuxième roman. Dans cette interview, il raconte qu’une lectrice l’a interpellé pour lui demander si le fait de partir d’un fait divers pour écrire un livre, ce n’était pas un peu comme regarder dans un caniveau… Et il lui a répondu que la seule chose qui l’excitait, en tant qu’écrivain, c’était justement de regarder dans les caniveaux…

Ce n’est pas une très bonne réplique, mais son livre est remarquable à bien des égards. Je n’ai aucune compétence pour juger un écrivain, mais en tant que simple lecteur, je dois dire que ce monsieur a du talent. Il farfouille dans les âmes.

Dans la vraie vie, la famille McCann a systématiquement attaqué tous ceux qui parlaient de « leur » affaire d’une manière estimée déplaisante. On dit d’ailleurs qu’ils ont récupéré une petite fortune en dommages et intérêts. Je ne sais pas s’ils attaqueront Gallimard en justice. Leur dernier exploit juridique remonte à quelques mois. Ils s’en sont pris à trois personnalités du petit écran portugais, un présentateur-vedette, un psychologue et un journaliste.

Quant à Gonçalo Amaral, qui avait été condamné en première instance pour son livre L’enquête interdite (Bourin Éditeur), la Cour d’appel lui a finalement donné raison. Les McCann ont bien tenté un recours devant la Cour suprême de justice, mais celle-ci a rejeté leur demande. L’ancien policier va donc pouvoir récupérer une partie de ses biens qui avaient été placés sous séquestre et remettre son livre en vente. Sa vie privée en a pris un sérieux coup, mais c’est le bout du tunnel, comme il dit. Pourtant, je crois qu’il n’en a pas fini avec les McCann.

Je ne sais pas si un jour on saura ce qui est arrivé à la petite Maddie. Les disparitions d’enfants restent souvent inexpliquées. Mais cette affaire marquera son époque par sa médiatisation mondiale, via l’Internet, et par l’argent qui a été fait autour.

Et puis, il restera ce roman.

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