LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Justice (Page 14 of 25)

Proxénétisme à Lille : des policiers de nouveau sur la sellette

Après les événements qui ont mis KO la PJ de Lyon, les policiers se seraient bien passés de ce coup de projecteur sur les petits arrangements lillois. Une drôle d’affaire que cette histoire de proxénétisme hôtelier, avec des ingrédients qui nous rappellent l’affaire DSK et celle qui vise le commissaire Neyret : le sexe, le fric, les mystères des grands hôtels, les indics… et des policiers qui ont perdu leur marque.

Mais quel intérêt pour le ou les responsables d’un établissement de grand luxe de fricoter avec des proxénètes et des prostituées ? Juste pour satisfaire le client… au risque de se faire prendre la main dans le sac ? Pour gagner de l’argent ? Peut-être un peu les deux, mais le plus important, sans doute, c’est l’impression d’être au centre d’un réseau occulte dans lequel se côtoient des personnalités de la finance, de la politique, etc. Avec aussi cette petite décharge d’adrénaline qui met du piment dans la vie. Car tout le monde sait bien que l’on est de plain-pied dans l’illégalité. Un business certes illégal en France, mais plus ou moins toléré en Belgique. Comme le dit Dominique Alderweireld, alias « Dodo la Saumure », dans Le Courrier de Mouscron, il existe entre 1500 et 2500 maisons closes sur le territoire belge. Ce monsieur sait de quoi il parle, puisqu’il détiendrait plusieurs « bordels ». Il a été arrêté par la police de Courtrai (Belgique) dans une affaire distincte, mais probablement liée à celle du Carlton de Lille. Et pour ceux qui s’interrogent sur l’origine de son surnom, on peut imaginer certains poissons immergés dans un bain saumâtre, comme le hareng ou le maquereau – ce n’est qu’un avis. Cette affaire n’aurait pas pu avoir lieu en Espagne, où les « proxénètes » sont des hommes d’affaires. Ils ont pignon sur rue. Ainsi, dans la région de Barcelone, un ressortissant français détient même plusieurs établissements de ce genre. « Chacun de ces établissements, écrit-il à un député, est titulaire d’une licence administrative me permettant l’accueil de prostituées et de leurs clients dans les meilleures conditions possibles ».

Mais nous sommes en France, et l’addition risque d’être salée.

Le délit de proxénétisme – Le proxénétisme est le fait d’aider, d’assister ou de protéger la prostitution d’autrui. C’est un délit intentionnel : l’auteur doit avoir connaissance de la finalité de la chose, mais il n’est pas indispensable qu’il en tire un profit. Le simple fait, par exemple, de communiquer les coordonnées d’une prostituée ou celles d’un lieu de prostitution peut être considéré comme une aide à la prostitution. En exagérant à peine, on pourrait même dire que si vous aidez une prostituée à changer la roue de sa voiture, du moins s’il s’agit de son instrument de travail, vous risquez bien des ennuis.

Dans l’ancien code pénal, il suffisait de vivre, même occasionnellement, avec une personne se livrant à la prostitution pour être considéré comme son protecteur. Ce que les flics de la Mondaine appelaient « le julot casse-croûte ». En effet, pour chaque affaire, ils touchaient une prime, et là, c’étaient des dossiers rondement menés… Mais cette disposition pénale revenait à interdire aux prostituées toute vie privée, ce qui était contraire à la Convention européenne qui garantit aux ressortissants des États membre le droit au mariage. Aujourd’hui, la cohabitation est possible à condition que le conjoint ne bénéficie pas du fruit de la prostitution. Autrement dit, il faut qu’il puisse justifier de ressources propres. On peut s’interroger sur la situation de deux prostitué(e)s qui partageraient le même toit…

Hôtelier : un métier à risques – Mais la loi est encore plus sévère en ce qui concerne le proxénétisme, dit hôtelier, puisqu’elle réprime le simple fait de tolérer la prostitution dans un lieu public. Les hôtels, bien sûr, mais aussi les bars, restaurants, lieux de spectacle, camping, etc. Il suffit pour le responsable de simplement fermer les yeux sur ces agissements, même sans en tirer un profit direct, et le délit est constitué (dix ans de prison). Et, outre les personnes physiques, l’entreprise peut également être condamnée (une amende qui peut atteindre plusieurs millions d’euros). Les tenanciers doivent donc être particulièrement vigilants, puisqu’ils sont à la fois responsables du comportement de leurs salariés mais aussi de celui de leurs clients… quels qu’ils soient. Ce qui n’est pas facile, car la loi interdit de refuser un client sous prétexte qu’il s’agit d’un prostitué notoire. Cela s’appellerait de la discrimination. Attitude réprimée par cinq ans de prison, comme le souligne l’art. 225-1 du code pénal .

À noter que le proxénétisme contre des mineurs de quinze ans, ou commis en bande organisée, ou en recourant à la torture ou à des actes de barbarie, transforme le délit en infraction criminelle. Et une dizaine de circonstances particulières en font un délit aggravé punissable de dix ans de prison.

Une police déboussolée – Mais que viennent faire des policiers dans cette soupe lilloise ? On entre là dans le petit jeu du donnant-donnant. Les hôteliers, surtout dans les établissements prestigieux, sont une précieuse source de renseignements pour les services de police. Pas tellement pour la PJ, mais plutôt pour les policiers chargés de « l’information générale ». Autrefois, cette mission était confiée aux RG, sous la houlette du préfet de département. Mais depuis la création de la DCRI, en 2008, c’est la sécurité publique qui est en charge, via les services départementaux de l’information générale (SDIG), lesquels sont rattachés aux directions départementales de sécurité publique. Or, même si ces services ont des comptes à rendre aux préfets, ils sont en prise directe avec la place Beauvau (la suppression des RG est une image forte de la centralisation). Et là comme ailleurs, la pression se fait sentir : il faut des résultats. Les policiers doivent donc se démener pour obtenir des infos, et pour cela, il leur faut des informateurs. Car ici, il ne s’agit pas d’indics, du truand qui balance, mais de gens de tous milieux dont la motivation correspond parfois à un simple geste civique.

À la différence de l’affaire de Lyon, cette fois, c’est la PJ qui mène l’enquête, avec le concours de l’inspection générale de la police nationale (IGPN), puisque des policiers semblent impliqués. Et si ceux-ci ont participé d’une manière ou d’une autre à des comédies sexuelles, ils risquent fort d’être pris dans l’engrenage de la justice. Même s’ils ont agi dans l’intérêt du service. Même s’ils n’ont pas mis un sou dans leur poche. Ils sont dans la même situation que s’ils avaient prélevé un kilo de cocaïne pour en saisir cent. C’est du kif, si j’ose dire.

Et, puisqu’on en parle… Si le débat est ouvert pour la dépénalisation du cannabis, il n’en est pas de même en matière de prostitution. À gauche comme à droite, les positions se rejoignent. Jusqu’à la pénalisation du client. Chantier mis en œuvre par le gouvernement actuel. D’après le site de Terra Nova Débats 2012, Martine Aubry, lorsqu’elle était ministre de l’Emploi et de la Solidarité, avait même dénoncé une réglementation qui différenciait la prostitution exercée librement de la prostitution forcée.

Mais la controverse entre les abolitionnistes et les réglementaristes semble aujourd’hui derrière nous : on s’achemine vers une interdiction totale. Je n’ai pas d’opinion, je ne suis pas client.

La PJ de Lyon face à des juges tout-puissants

L’arrestation du commissaire Michel Neyret et de plusieurs de ses collaborateurs attire l’attention sur les juridictions interrégionales spécialisées (JIRS). Ces magistrats, chargés de lutter contre la criminalité organisée, bénéficient de pouvoirs hors du commun. Ce que l’on appelle les procédures dérogatoires. Aussi, aujourd’hui, beaucoup de policiers s’interrogent : pourquoi de tels moyens pour enquêter sur leurs collègues ? Pourquoi des Parisiens pour enquêter sur des Lyonnais ? Et que se serait-il passé, si des pontes du quai des Orfèvres avaient été arrêtés par des policiers de province sur des faits qui se seraient déroulés en région parisienne ?

La guerre des polices serait-elle rouverte ? Non ! Mais il y a quelques jours, le représentant d’un syndicat de la magistrature, interviewé sur une radio, a dit que, désormais, les magistrats se doivent de prendre leurs distances avec les policiers : la confiance, c’est fini. Presque une déclaration de guerre. Au minimum une reprise en main nettement affichée, avec peut-être en toile de fond l’idée sans cesse remâchée de rattacher la police judiciaire à la justice.

Les JIRS ont été mises en place en octobre 2004. Il en existe huit (Paris, Lyon, Marseille, Lille, Rennes, Bordeaux, Nancy et Fort-de-France). Elles sont compétentes pour traiter les enquêtes concernant la criminalité organisée (art. 706-73 du CPP) et la délinquance financière (art. 704 du CPP) ou celles qui présentent une complexité particulière. Ces juridictions regroupent des magistrats du parquet et de l’instruction spécialement habilités et font appel à des assistants spécialisés (douanes, impôts, santé…). Ces magistrats peuvent autoriser des policiers ou des gendarmes à commettre des actes qui, sans leur accord formel, seraient considérés comme tombant sous le coup de la loi. Le fait de pénétrer en douce à l’intérieur d’un domicile, sur un lieu de travail ou dans une voiture pour y installer un mouchard, par exemple. Ou d’autoriser l’infiltration d’un milieu délinquant, quitte à commettre, si nécessaire, des actions « ordinairement » délictueuses. Ces juridictions utilisent les nouvelles technologies. Elles sont dotées de logiciels spécifiques et disposent de moyens de vidéoconférences pour effectuer des auditions à distance ou procéder à des prolongations de garde à vue. À la pointe de la technologie, leurs procédés sont à l’opposé de la pêche aux renseignements telle qu’elle est pratiquée de manière ancestrale en PJ : le PV qu’on fait sauter, le pastaga au bar du coin, etc. D’après Pascal Guichard, vice-président chargé de l’instruction à la JIRS de Marseille : « La JIRS n’a pas vocation à être connue du grand public puisqu’elle s’intéresse quand même à un secteur d’activité très spécialisé qui est la criminalité organisée ».

Avec l’affaire Neyret, c’est loupé.

On nous dit que le commissaire a été balancé par des voyous à l’issue d’une affaire de trafic de cocaïne. Il appartenait donc au procureur de la JIRS, au vu des confidences qui visaient un policier en activité, de décider de la suite à donner. Puisque tous les faits se déroulaient hors de sa zone territoriale, la marche normale aurait été de saisir l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), qui a compétence nationale, ou de transmettre le dossier à son homologue lyonnais. Il ne l’a pas fait.

L’enquête a été effectuée par l’Inspection générale des services (IGS), compétente sur le ressort de la préfecture de police de Paris. Il s’agit probablement d’une première. Michel Neyret a donc été mis en examen par des juges parisiens pour association de malfaiteurs, trafic de stupéfiants, corruption, trafic d’influence, détournement de biens et violation du secret professionnel. Autant ratisser large !

Au fait, qu’est-ce qui justifie « l’association de malfaiteurs » ? Le commissaire est-il un redoutable chef de bande ou a-t-on voulu lui appliquer à tout prix une procédure exceptionnelle ?

L’association de malfaiteurs est un délit en soi. Mais elle ramène à la bande organisée qui, elle, est une circonstance aggravante justifiant les procédures d’exception. Il faut bien dire que, insidieusement, ces procédures dérogatoires prennent de plus en plus le pas sur le droit commun, donnant aux enquêteurs des pouvoirs qui, dans un passé récent, étaient réservés à la lutte contre le terrorisme. Au détriment des libertés individuelles .

Toutefois, le Conseil constitutionnel n’a pas censuré le législateur français sur ce point. Dans une décision de mars 2004, il a quand même remis les pendules à l’heure. Précisant que les procédures dérogatoires ne peuvent se justifier que s’il existe « des éléments de gravité suffisants », et que, dans le cas contraire, il s’agirait d’une « rigueur non nécessaire au sens de l’article 9 de la Déclaration de 1789 ». Des notions bien subjectives ! Le Conseil a finalement conclu, tel Ponce Pilate, qu’il appartient à l’autorité judiciaire d’apprécier. Ce qui n’a pas empêché, en novembre 2007, le vote d’un nouveau texte qui vise la lutte contre la corruption et le trafic d’influence, et qui donne aux juges pratiquement les mêmes pouvoirs que pour lutter contre la grande criminalité ; infiltration, écoutes, sonorisation…

Qu’est-ce qui attend Michel Neyret ? Personne ne le sait. Pourtant, même si aucune affaire n’est semblable, on peut rappeler l’histoire du brigadier Gilles Ganzenmuller. En avril 2005, il est arrêté par l’IGPN (les JIRS n’étaient pas encore tout à fait opérationnelles). On lui reproche d’être un ripou et d’avoir monnayé des informations. À l’époque, il est affecté à l’OCRB (office central pour la répression du banditisme) où il est chargé d’infiltrer le milieu du 93. Il dispose d’une grande autonomie : voiture de fonction, ordinateur et téléphone portables professionnels. Et peu à peu, grâce à un indic, il est parvenu à gagner la confiance des frères Hornec, alias les « H » – comme on parlait autrefois des « Z », pour désigner les frères Zemour. Le genre de clients que tous les policiers rêvent « de se faire en flag ». Il est mis en examen pour association de malfaiteurs, corruption, escroquerie en bande organisée (un délit tout neuf en 2005 : dix ans de prison). Il se défend comme un beau diable. S’il a fourni des renseignements, c’est pour mieux en obtenir. Et toujours avec l’accord de sa hiérarchie. Rien n’y fait. Les écoutes téléphoniques semblent l’accabler, alors que, comme c’est souvent le cas, leur transcription sur le papier donne lieu à interprétation. Lorsque, par exemple, son indic lui propose un cadeau et qu’il répond : « Ce n’est pas ça que je veux… » Le rédacteur mentionne entre parenthèses, « Il veut de l’argent », sans penser que le flic attend autre chose : des tuyaux. Quatre mois de préventive. À sa sortie de prison, il est révoqué. Il se retrouve sans le sou, avec sa femme et ses deux enfants. Et interdiction de parler à ses anciens collègues. Un commissaire fait même afficher sa photo à l’entrée du service, pour ne pas qu’on le laisse entrer. De quoi se flinguer ! Il fait appel de sa révocation devant le tribunal administratif qui ordonne sa réintégration. Mais deux ans plus tard, la Cour d’appel annule cette décision. Et aujourd’hui, l’administration lui demande de rembourser ses deux années de salaires… Normal, me direz-vous, s’il est coupable. Mais en février 2011, il a enfin été jugé – c’est-à-dire six ans après les faits. Le procureur a émis des réserves sur l’enquête, et le tribunal a suivi, ne retenant aucun des éléments de l’instruction. Il a toutefois estimé que Gilles Ganzenmuller avait violé le secret professionnel : trois mois de prison avec sursis.

Tout ça pour ça.

Le commissaire Neyret sur un fil

« C’est comme un coup poing dans la gueule ! » m’a dit un policier de PJ. Et je le comprends bien. Raison pour laquelle j’ai tant de mal à écrire ce billet. Michel Neyret fait sans doute partie du dernier quarteron de flics à l’ancienne. De ceux qui ont encore la connaissance du « milieu ». Qui sont capables, non pas de réciter l’état-civil d’un voyou en tapotant le clavier d’un ordinateur, mais de vous raconter sa vie, ses habitudes, ses relations, ses maîtresses, avec des anecdotes et des péripéties ; ce genre de détails qu’on trouve généralement dans les polars. Et cela nécessite de côtoyer les voyous.

Ce n’est pas sans risque. Pas mal de poulets y ont laissé des plumes. J’ai l’impression que lui, il vivait son métier comme un film. Soyons clair ! Pour être efficace, le flic doit non seulement mouiller sa chemise, mais se mouiller tout court. Je ne sais pas jusqu’où Michel Neyret est allé, mais il semble bien qu’il se soit trop approché de la flamme…

L’histoire se répète. Il existait, il y a quelques dizaines d’années, des « groupes de pénétration ». Des policiers qui laissaient leur plaque au vestiaire et menaient la vie d’un truand, pour mieux s’infiltrer dans le milieu. Un exercice dangereux à bien des égards qui nécessite à la fois des nerfs solides et un encadrement serré : des chefs capables de bien baliser le terrain. Vers le milieu des années 60, à la suite de plusieurs dérapages, la police parisienne décide de changer radicalement son fusil d’épaule : on ne pénètre plus le milieu, mais on le surveille de l’extérieur. C’est ainsi que le commissaire Le Mouel créé la brigade de recherche et d’intervention (BRI) : la première brigade antigang. Grosso modo, sa mission se résume en des écoutes téléphoniques, de la documentation, des planques et des filoches. Mais l’une des premières interventions en flag se termine par une fusillade sur la voie publique. On m’a même raconté que le landau d’un bébé avait été traversé par une balle perdue. Je ne sais pas si c’est vrai, en tout cas, pour éviter les bavures, François Le Mouel décide d’intervenir avant que les braqueurs ne passent à l’action. Cette fois, c’est la justice qui a du mal à suivre, ne retenant pas la tentative de vol qualifié et limitant la répression à des délits annexes. Ce qui conduit à une nouvelle méthode d’intervention : l’opération retour. Autrement dit, on laisse les braqueurs faire le coup et on les interpelle plus tard, lorsqu’ils ne sont plus sous pression. Avec le butin. Une technique efficace, mais un peu en forme de renoncement, car elle fait prendre des risques aux victimes de l’agression ou du braquage. Néanmoins, elle est encore utilisée de nos jours. Si vous lisez dans la presse que des policiers ont pris en chasse des truands dont l’allure ou la voiture leur a paru suspecte, il y a de fortes chances qu’il s’agisse d’une opération retour qui a foiré. Autrement dit, les flics se sont fait détroncher.

Donc, plus d’infiltration dans le milieu et plus d’indicateurs, en raison de l’impossibilité de leur promettre l’impunité ou de les rétribuer. Sauf en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants, où la monnaie d’échange est toute trouvée : on prélève une petite partie de la saisie. Pas très moral, on en convient. Un système qui a néanmoins fait ses preuves dans les services opérationnels de la douane. Il faut savoir qu’en général, sur instruction du procureur ou du juge d’instruction, la drogue saisie est incinérée. Mais, même si un procès-verbal de destruction est rédigé, il est assez facile de tricher. Et qu’on ne me dise pas que personne ne le sait, puisque ces dernières années, à petites touches, le législateur a tenté de régulariser la situation des indics. L’article 706-81 et 82 du nouveau code de procédure pénale a même remis à l’ordre du jour l’infiltration des policiers au sein des « bandes organisées ». Ils sont autorisés à se faire passer auprès des suspects pour des « coauteurs, complices ou receleurs ». Ils peuvent, sans être pénalement responsables « acquérir, détenir, transporter, livrer ou délivrer des substances, biens, produits, documents ou informations tirés de la commission des infractions ou servant à la commission des infractions ». Ils peuvent également mettre à la disposition des voyous des moyens de transport, d’hébergement, etc. Tout cela, bien sûr, en suivant un certain protocole. Mais, ces nouvelles dispositions légales ne sont-elles pas la porte ouverte aux abus ? Et si des policiers tombent sur des policiers infiltrés, comment ne pas penser qu’il s’agit de ripoux ?

Michel Neyret possède un tableau de chasse hors du commun. Aussi, lorsque j’entends qu’un haut responsable du ministère de l’Intérieur l’a traité de « pourri », je suppose que ce monsieur a eu accès à la procédure. Ce qui n’est pas mon cas. On me dit : on lui prêtait de belles voitures, on lui offrait des voyages, etc. Une erreur qu’on ne peut pardonner ni à un policier ni à un ministre. Mais je n’ai pas souvenir que l’ancienne garde des Sceaux ait fait l’objet de poursuites judiciaires… La vraie question est de savoir s’il s’est enrichi en vendant de la drogue ou s’il a accepté des pots-de-vin. Si c’est le cas, c’est un ripou. Il doit payer – et lourdement. Pourtant, pour ce que j’en sais, c’est un homme qui n’avait pas besoin d’argent. Comme on dit, son traitement de commissaire, c’était son argent de poche.

M. Bordenave, dans Le Monde de ce jour, dresse une liste des commissaires qui ont eu maille à partir avec la justice. Elle remonte jusqu’en 1993. Dommage. Quelques années de plus et il aurait pu ajouter le nom du commissaire Yves Jobic, lequel, englué dans un turbin monté par la pègre, s’est retrouvé derrière les barreaux. À l’issue de son procès, le président du tribunal a prononcé le verdict : non coupable.

Tout comme tel ministre ou tel procureur, Michel Neyret s’est sans doute laissé gagner par un sentiment d’impunité. Le pouvoir rend immature. Mais n’en faisons pas un chef de gang. Même s’il a entraîné dans son sillage d’autres policiers et quelques magistrats, il faut savoir si, à défaut d’avoir respecté la règle, il a agi dans l’esprit du nouveau code de procédure pénale ou pour en tirer des avantages personnels.

Des têtes vont tomber – et c’est normal. Au début des années 70, un scandale identique avait secoué la police lyonnaise. Le ministre de l’Intérieur de l’époque, Raymond Marcellin, avait alors complètement démantelé la police judiciaire lyonnaise. Avec une consigne : plus d’indics, plus de d’infiltration dans le milieu. Ce qui avait abouti à la création, quelques années plus tard de la première brigade antigang hors Paris. Brigade que Michel Neyret a dirigée pendant plus de vingt ans. Bien trop longtemps, sans doute. Et aujourd’hui, on inscrit l’infiltration des bandes organisées dans le Code de procédure pénale. C’est une erreur : trop de risques, trop de tentations.

Tristane Banon dans les méandres du droit

Lorsque Mlle Banon accuse M. Strauss-Kahn de tentative de viol pour des faits qui se seraient déroulés en tête à tête il y a de cela huit ans, on comprend bien que les enquêteurs éprouvent des difficultés à faire le tri entre les déclarations forcément contradictoires de l’un et de l’autre. Et la confrontation qui a eu lieu aujourd’hui n’y a probablement rien changé. Dans une affaire de viol ou d’agression sexuelle, s’il n’existe aucun témoin et aucune preuve matérielle, la première difficulté consiste à déterminer l’existence du crime ou du délit. En fait, l’un des moyens les plus parlants consiste souvent à effectuer une reconstitution. Une sorte de pièce de théâtre où l’on replace les deux antagonistes dans la même situation, dans les mêmes conditions et au même endroit, pour mieux faire ressortir les invraisemblances.

Je ne sais pas si c’est envisagé… Comme il s’agit d’une enquête préliminaire, c’est le procureur qui décide. Et, au final, c’est à lui qu’il appartiendra de trancher. Les faits sont-ils exacts ? S’il estime que oui, il lui reste à déterminer la nature de l’infraction. S’agit-il d’une tentative de viol ? Le viol étant caractérisé par un acte de pénétration sexuelle, il faut donc qu’il y ait au minimum un commencement d’exécution dans l’intention d’une pénétration sexuelle, comme le fait d’arracher les vêtements de la victime. Si c’est ce qui ressort de l’enquête, le procureur va saisir un juge d’instruction. Mais s’il apparaît qu’au pire les faits pourraient être assimilés à une agression sexuelle, il ne peut que constater la prescription et abandonner les poursuites. À noter que même s’il le souhaitait (?), DSK lui-même ne pourrait renoncer au bénéfice de la prescription. Enfin, le procureur peut jeter l’éponge ; constater qu’il est impossible à la justice de démontrer l’existence d’un crime ou d’un délit. Et dans ce cas, il va classer le dossier.

Le classement sans suite – A la différence de l’ordonnance de non-lieu prise par un juge d’instruction, il s’agit là d’une décision « d’administration judiciaire » qui n’a pas valeur de chose jugée et n’est pas susceptible d’appel. Une loi de 2004 a cependant admis la possibilité d’un recours devant le supérieur hiérarchique du procureur. Une sorte de recours administratif. Le procureur général peut alors enjoindre à son procureur d’engager des poursuites.

Plainte avec constitution de partie civile – J’ai lu ici ou là que dans le cas où le parquet n’engagerait pas de poursuites, Tristane Banon déposerait une plainte avec constitution de partie civile, ce qui entraînerait de facto l’ouverture d’une information judiciaire. La jurisprudence estime en effet que la recevabilité de la plainte n’est subordonnée ni à la preuve de l’existence de l’infraction ni à celle de l’existence du préjudice allégué. La partie civile n’est donc pas tenue d’avancer une qualification juridique (sauf délit de presse). Cependant, cette plainte suit un long parcours et passe notamment entre les mains du procureur de la République. Lequel doit prendre des réquisitions. Et dans deux cas (pour ce qui nous intéresse), il peut décider qu’il n’y a pas lieu d’ouvrir une information judiciaire : si les faits ne constituent pas une infraction pénale ou en raison d’un élément qui touche à l’action publique – comme la prescription. On tourne en rond.

Une plainte non recevable – Donc la plainte avec constitution de partie civile ne serait pas recevable si la prescription a été soulevée (le juge peut toutefois passer outre par une ordonnance motivée). Il resterait donc à la jeune femme la possibilité de se tourner vers le juge civil. Aujourd’hui, depuis la loi du 17 juin 2008, l’action en responsabilité civile engagée par la victime d’un « dommage corporel » peut s’effectuer dans un délai de dix ans (vingt ans en cas de tortures ou d’actes de barbarie, ou à la suite de violences ou d’agressions sexuelles contre un mineur). DSK se retrouverait alors dans une situation similaire par bien des points à celle qui est la sienne aux États-Unis : suspect d’être responsable des conséquences d’un acte qu’il n’aurait pas « légalement » commis.

Nous sommes là dans les méandres du droit.

Écolos : la police en vert

À l’automne, Europe Écologie les Verts (EELV) devrait sortir un programme de gouvernement dans lequel – c’est une première – la sécurité tiendra une place marquante. En attendant, histoire de se mettre en bouche, un petit recueil des « meilleures idées » vient de paraître : La sécurité urbaine en questions. Un projet coordonné par le Cédis, le centre de formation agréé pour les élus locaux, rédigé par des chercheurs et des élus, sous la direction d’Anne Wyvekens, directrice de recherche au CNRS.

Il s’agit d’une boîte à outils pour les écologistes, lesquels ont parfois un peu de mal à faire coïncider leur idéologie avec les contraintes liées à la sécurité, comme restreindre certaines libertés, voire tout simplement réprimer : « Difficile de mettre fin à la violence tout en s’affirmant non violent », peut-on lire dans ce document. Pourtant, le temps de l’angélisme est bien passé. La nouvelle génération des Verts a les pieds sur terre, comme Émilie Thérouin, adjointe au Maire d’Amiens, chargée de la sécurité et de la prévention des risques urbains. La seule élue écologiste responsable de la sécurité dans une ville de gauche.

Même s’il n’existe pas de structures, comme au PS, c’est un peu la Madame Sécurité des écolos, où elle œuvre la main dans la main avec Pierre Januel, coresponsable de la Commission Justice d’EELV. Pour elle, le maire doit être au centre de la sécurité sur le plan local, ce qu’on peut appeler la police au quotidien, sans toutefois que le premier magistrat de la commune ne s’implique dans la chaîne pénale. Une différence notable avec le Monsieur Sécurité du PS, Jean-Jacques Urvoas. Les Comités de liaisons police(s)/population pourraient être la base de cette gouvernance locale de la sécurité que les écologistes appellent de leurs vœux. Le premier s’est tenu à Amiens-nord à la suite des violences urbaines du printemps 2009. Il s’agit de rapprocher les habitants des quartiers « chauds » des services de police. Et de les faire participer à leur propre sécurité en instaurant une confiance à tous les niveaux. C’est le contre-pied de la politique actuelle basée sur la tolérance zéro et la confrontation permanente, comme s’il s’agissait de savoir qui a la plus grosse. Aujourd’hui, regrette Christian Mouhanna (CESDIP-CNRS) : « Il n’est plus question de médiation ou de prévention par les gardiens de la paix, il faut de la répression chiffrée ». La volonté actuelle est d’ailleurs d’entraîner les polices municipales dans ce scénario, d’où la décision d’attribuer la qualité d’OPJ à certains de ses membres. Un projet retoqué par le Conseil constitutionnel.

Extrait du document « Orientation du projet Europe Écologie - Les Verts 2012 »

Si en 2012 il y a alternance politique, les policiers municipaux devront se faire une raison, ils reviendront à leurs missions de base, réputées moins dangereuses, et se contenteront sans doute d’un armement de 6° catégorie. Donc, pas d’armes à feu, ni Flash-ball ni Taser, mais en revanche des moyens de protection adéquats.

Pour résumer la doctrine écologiste, du moins telle que je l’ai comprise, le maintien de l’ordre et la police répressive doivent rester du domaine exclusif de l’État, car lui seul a le « monopole de la coercition légitime ». Raison pour laquelle, les policiers et les gendarmes sont armés. Il en va différemment pour les policiers municipaux. Ils ne doivent pas être les duplicatas de leurs collègues de la Nationale mais au contraire montrer leur originalité et leur différence, en fonction de la commune où ils exercent. EELV est très proche du PS sur ce sujet, que l’on parle de police de proximité (même si le mot est tabou), de police du quotidien ou de tranquillité publique. Un directeur de la tranquillité publique, comme à Nantes, ça a de la gueule, non !

Quant aux préfets, ils devraient dépendre du Premier ministre et non du ministre de l’Intérieur, nous dit le pré-projet écolo. Car ils sont les représentants de l’État dans le département et non d’un seul ministre, et pourtant, ils consacrent le plus clair de leur activité aux problèmes de sécurité, au détriment des autres services de l’État. De nos jours, que ce soit dans la justice, la police ou la gendarmerie, plus personne n’agit, tout le monde réagit. La pression écrase. Les préfets de département, assis sur des sièges éjectables, sont devenus des chefs de police – d’ailleurs certains sont d’anciens chefs de police.

Le programme sécurité d’EELV devrait finalement être très proche de celui du PS. D’ailleurs, la semaine dernière, une première réunion de travail s’est tenue entre les deux mouvements politiques « sur l’établissement du volet « sécurité » d’une éventuelle plate-forme gouvernementale pour la prochaine législature », écrit Jean-Jacques Urvoas sur son blog. Il existe quelques différences, m’a dit Émilie Thérouin, comme par exemple la création d’un grand ministère de la Règle et du Droit qui regrouperait justice et police, projet cher au député du Finistère qui ne semble pas faire école chez les Verts. Peut-être que la candidate Éva Joly a des idées plus personnelles sur le sujet…

Touche pas à ma PP !

À la veille des élections présidentielles, la préfecture de police de Paris tremblerait-elle sur ses bases ? Déjà qu’elle doit déménager… Pour l’heure, le préfet de police, Michel Gaudin, met les pieds dans le plat et se permet de juger les juges. À ses yeux, ils feraient preuve d’une trop grande mansuétude, notamment vis-à-vis des récidivistes. « Je communiquerai régulièrement sur le cas de ces délinquants, souvent mineurs, que la police arrête avec plus de cinquante délits à leur passif », dit-il. Je suppose qu’il voulait dire « à leur actif ». Et pour mieux faire passer l’idée que les magistrats ne font pas leur travail, il prend les médias à témoin en diffusant des flashes hebdomadaires d’information. « Ici sur un cambrioleur « qui pourra fêter sa 50e arrestation en prison », là sur un receleur « connu pour 72 rôles », ailleurs sur un « voleur de voitures interpellé pour la 97e fois » », écrit Jean-Marc Leclerc dans Le Figaro du 8 septembre 2011.

Pour cela, le préfet a mis en place un système de triage pour identifier ces délinquants d’habitudes, suspectés, pour faire simple… de ne pas avoir modifié leurs habitudes. Et il a donné des instructions au directeur de la PJ afin de les retrouver et de les suivre à la trace. Une mission paraît-il prioritaire. Cette volonté du préfet s’appuierait sur le rapport du député Éric Ciotti, le monsieur sécurité de l’UMP.

Dans le genre embrouillamini, on ne peut guère faire mieux. En exagérant à peine, on peut dire que le représentant du gouvernement (pouvoir exécutif) fustige les juges (pouvoir judiciaire) en tenant compte du rapport d’un député (pouvoir législatif) qui agit au nom d’un parti politique. Allô ! Montesquieu…

La préfecture de police est une institution unique en Europe qui prive le maire de Paris de ses pouvoirs de police et le préfet de Paris (et non de police) de ses pouvoirs de représentant de l’État dans le département. Elle fait de la PP un État dans l’État, et le préfet de police est certainement l’un des hommes les plus puissants de France. Il est à la fois responsable de la sécurité des personnes et des biens, de la sécurité civile et de la police administrative. Et il est en outre préfet de défense de l’Île-de-France.

On comprend mieux pourquoi Jean-Jacques Urvoas, le monsieur sécurité du PS, estime qu’il faut démembrer la PP. Une idée qui provoque bien des grincements de dents, comme un hourvari au sein du sérail. C’est l’ancien préfet de police Philippe Massoni (1993-2001) qui est monté au créneau. Il faut reconnaître qu’il le fait avec circonspection. « L’organisation de la police française est certainement perfectible mais il n’est pas certain que la suppression de l’institution qui en est la clef de voûte depuis plus de deux siècles apparaisse comme une piste à suivre », peut-on lire dans une dépêche AFP qui rapporte ses propos.

La pucelle change de bord – Résurgence du passé, la PP a officiellement vu le jour sous le premier consul Bonaparte, et depuis, elle a résisté à toutes les attaques. Ainsi, lors de la dernière guerre, même si de nombreux policiers ont œuvré dans l’ombre pour combattre l’ennemi, il n’en demeure pas moins vrai que la police parisienne a arrêté environ 40 % des 70 000 Juifs déportés de France. Ces policiers-là n’ont pas su « braver les interdits » ni « contrevenir aux ordres inacceptables », comme le dit si justement le préfet Gaudin dans la préface d’un document « Au cœur de la préfecture de police : de la Résistance à la Libération » (Luc Rudolph – Éd. LBM). Un choc qui aurait dû être fatal à la Grande Maison. Alors que sous Pétain, déjà, elle avait résisté aux velléités de réformes du ministre de l’Intérieur Pierre Pucheu, l’inventeur des « Brigades spéciales ». En 1966, à la suite de l’affaire Ben Barka, sous la pression du président De Gaulle, le ministre de l’Intérieur Roger Frey étatise l’ensemble des forces de police. C’est la création de la police nationale qui réunit à la fois la sûreté nationale et la préfecture de police. Enfin une vraie réforme ! À l’arrivée, une même tenue, la même carte tricolore, la même formation – et la pucelle, cette plaque avec le numéro de l’agent, qui change de côté. Dorénavant, tout le monde la portera à gauche, ou à droite, je ne sais plus. C’est peut-être la seule conséquence visible de cette réforme. Je plaisante, mais, police d’État ou pas, la toute puissance de la PP reste intacte. Et, ces dernières années, sous la pression du président Sarkozy, sa compétence s’est même étendue aux départements qui entourent la capitale.

La PP, indissociable d’un État centralisé – Pour le député socialiste J.J. Urvoas, elle a été instituée pour protéger l’État plus que pour protéger la population. Et dans un sens, on comprend bien que la ville où siègent les principales institutions du pays doive faire l’objet de toutes les attentions. Mais cela est moins vrai en matière de police judiciaire. Comment expliquer, par exemple, qu’un préfet soit averti, parfois avant les magistrats, d’une enquête politiquement sensible ? Qu’est-ce qui justifie que la brillante brigade criminelle du 36 soit sous la houlette du représentant du pouvoir exécutif ? Situation tellement gênante, que dans les années 70, de jeunes magistrats sont partis en guerre contre ce système qui les prive d’une partie de leurs prérogatives. Combat perdu.

Et l’on se souvient de l’affaire Tibéri, en 1996. Olivier Foll, alors patron de la PJ, refuse que ses fonctionnaires assistent le juge Halphen lors d’une perquisition au domicile des époux Tibéri. Même s’il assume, tout le monde sait bien qu’il n’a fait qu’obéir aux incitations pressantes de sa hiérarchie, en l’occurrence le ministre de l’Intérieur Jean-Louis Debré, et le secrétaire général de l’Élysée, Dominique de Villepin. Un véritable scandale pour les syndicats de la magistrature. Le symbole d’une police judiciaire à la botte du pouvoir, etc. Et ils réclament à grands cris le rattachement de la PJ à la Chancellerie. L’année suivante, le gouvernement change de bord, comme la pucelle, il passe de la droite à la gauche, et M. Jospin remplace M. Juppé. On va voir ce qu’on va voir ! Olivier Foll est débarqué et rejoint le cimetière aux éléphants. Fin de la séquence.

Le rattachement de la PJ à la justice est certainement une belle aventure intellectuelle, mais elle le restera. Je crois d’ailleurs que les policiers en n’ont pas envie. Certes, ils ont une double casquette, et dans leur travail quotidien beaucoup sont amenés à rendre compte aux magistrats, mais, dans les faits, ils n’ont qu’un chef, et il n’est pas place Vendôme. Et la PP restera monolithique. Nos prochains dirigeants auront d’ailleurs bien d’autres chats à fouetter que de s’occuper d’une institution à l’autarcie un peu agaçante, mais dont personne ne peut nier l’efficacité.

Finalement, je suis assez d’accord avec le préfet Massoni, la PP est une boutique qui tourne bien, mais elle est perfectible. On peut même dire qu’après tant d’années, la vieille dame n’aurait pas volé un bon lifting.

La baraka de Bernard Barresi, le rentier du banditisme

« Je trouve inacceptable qu’on me traite comme un moins que rien », a-t-il déclaré, hier, après que la présidente de la Cour d’assises de Colmar ait ajourné son procès. Et, bien qu’il soit tenu de repasser par la case prison, il doit se dire que sa baraka ne l’a pas complètement abandonné. Ça fait plus de vingt ans que ça dure…

Le 1er mars 1990, sur une bretelle d’accès à l’autoroute, près de Mulhouse, des véhicules bloquent un fourgon de transport de fonds, des hommes cagoulés en jaillissent et, sous la menace de leurs armes, ils font main basse sur 300 kg de billets de banque. Un butin estimé à plus de cinq millions d’euros. Pas un coup de feu. Ni vu ni connu. Du travail d’artiste.

Mais, à défaut de la moindre piste, la PJ de Marseille subodore que les truands ne sont pas forcément originaires de l’est de la France. Les policiers grattent un peu et parviennent à mettre un nom sur une partie des malfaiteurs. Il s’agit de « l’équipe de l’Opéra », dont Bernard Barresi est le maillon central. Mais celui-ci, bien informé, parvient à prendre la poudre d’escampette. En 1994, il est jugé par contumace et condamné à vingt ans de réclusion criminelle.

On pourrait penser qu’il s’est réfugié dans un pays paradisiaque avec sa part du gâteau, mais il n’en est rien. Le truand s’est métamorphosé en homme d’affaires. Et pour cela, comme le font tous ceux qui ne peuvent se montrer en plein jour, il utilise des prête-noms. Outre sa présence dans le monde interlope de la nuit, il apparaît (masqué) dans différentes entreprises, comme la construction d’une maison de retraite sur le site des anciens chantiers navals de La Ciotat. Opération qui nécessite, on le suppose, certaines relations dans l’administration, voire la politique. On dit aussi qu’il aurait des intérêts dans des entreprises étrangères, en Amérique du Sud, en Asie, au Maroc et même à Dubaï. Comme on ne prête qu’aux riches, il y a sans doute une part de légende dans tout ça, mais le fait est que dans la cité phocéenne, on parle (à mots couverts) des Barresi comme d’une famille régnante, avec porte ouverte chez bon nombre de notables.

En tout cas, en 2010, en dehors de quelques policiers proches de la retraite, personne ne s’intéresse plus à Bernard Barresi. En fait, les enquêteurs sont sur la piste d’une équipe de Corses et de Marseillais dirigée par les frères Campanella, lesquels sont fortement soupçonnés d’être les rois des jeux clandestins dans le sud de la France. Mais, sur les écoutes téléphoniques, apparaît souvent un personnage non identifié, un certain « Jean Bon ». On raconte qu’un jour, peut-être comme Archimède jaillissant tout nu de son bain, un policier hurle eurêka ! Du serrano au jambon, il venait de franchir le pas : la compagne de Barresi se nomme Carole Serrano. Le couple est arrêté en juin 2010 alors qu’il embarque sur un yacht de 27 mètres appartenant à l’armateur Alexandre Rodriguez. Une croisière de grand luxe à laquelle devaient participer les frères Campanella et leurs dames.

Les enquêteurs ressortent alors le dossier sur ce braquage vieux de vingt ans et effectuent des comparaisons d’ADN entre M. Barresi et les scellés de l’époque, miraculeusement conservés. La réponse est négative. Un certain Roland Talmon, alias « Le Gros », a moins de chance. En partant d’un mégot de cigarette retrouvé dans le cendrier de l’une des voitures utilisées lors du hold-up, ils sortent son nom du fichier des empreintes génétiques. Heureusement pour lui, les faits sont prescrits. Il est quand même sous la menace de poursuites pour recel et blanchiment, et, surtout, il est cité devant la Cour d’assises qui doit rejuger Bernard Barresi. Il sera donc simple témoin. Va-t-il enfoncer son complice présumé ? On ne le saura pas, puisque les avocats de l’accusé, Mes Eric Dupont-Moretti, Jean-Yves Liénard, Pierre Bruno, etc., ont soulevé un lièvre en déclarant que le mandat d’arrêt des années 90 n’avait pas été notifié régulièrement. D’où un pourvoi devant la Cour de cassation. Et la présidente de la Cour d’assises, Mme Anne Gailly, a dû refermer ses dossiers : « Le pourvoi en cassation d’un arrêt de la chambre d’accusation est suspensif », a-t-elle déclaré.

Le jugement est reporté à décembre 2011 – s’il a lieu.

En décortiquant l’imbroglio des sociétés créées par Bernard Barresi, les enquêteurs de la financière ont eu des surprises. Ainsi, l’un des cafés les plus renommés d’Aix-en-Provence lui appartiendrait. Sa compagne, Carole Serrano, était la gérante d’Alba Sécurité, une société de 143 salariés basée à Gardanne, laquelle, selon le site Bakchich, aurait été sous contrat avec le conseil général des Bouches-du-Rhône et aurait fourni des centaines de « stadiers » lors des matchs de l’OM. « Selon nos informations, dit Le Point, les policiers auraient trouvé lors des perquisitions des contrats entre Alba Sécurité, la municipalité de Marseille, le conseil général et l’OM. » Pour La Provence, en moins de dix ans, Alba s’est taillée une place de choix dans le bizness de la sécurité privée. On présume que la société ne faisait pas les transferts de fonds…

Certains murmurent que si cette affaire ressort aujourd’hui, c’est que Bernard Barresi a perdu ses protecteurs. Et déjà, quelques policiers véreux en ont fait les frais. Il faut dire qu’à l’approche des élections présidentielles, Marseille devient peu à peu l’épicentre d’un enjeu politique : la sécurité.

J’espère que les candidats auront quand même le temps de parler d’autres choses.

Un cabinet noir à l’Elysée !?

C’est ce que semble penser François Hollande : « Il y aurait à l’Élysée, au côté même du président de la République, une cellule qui, avec la police, avec la justice, ferait pression pour que des affaires soient lancées et d’autres étouffées » Et l’édito du Monde du 2 septembre parle même d’un « cabinet noir ».

Une « bad brigad » dans les murs du Palais présidentiel, voilà de quoi mettre l’imagination en branle !

L’histoire bégaie – Ce ne serait pas la première fois. Au début de son mandat, François Mitterrand créait à ses côtés un service parallèle officiellement destiné à lutter contre le terrorisme (déjà !). En fait, il était surtout là pour protéger sa vie privée, masquer ses incartades et éloigner ses « ennemis ». Car le bonhomme était un rien parano. Le nom de cette fameuse cellule élyséenne est lié à jamais aux écoutes téléphoniques illégales.

Une condamnation pour bons et loyaux services – Placée sous les ordres du commandant Christian Prouteau, la cellule était composée essentiellement de gendarmes. Il faut dire que, depuis l’affaire de l’Observatoire, Mitterrand avait une dent contre la police. Les écoutes qu’elle a effectuées tant sur certaines personnalités que sur des journalistes n’avaient évidemment rien à voir avec le terrorisme. Elles avaient beau avoir été ordonnées par la plus haute autorité de l’État, elles étaient illégales. Le président Mitterrand a défendu ses hommes jusqu’au bout et le parquet a freiné des quatre fers pour éviter des poursuites pénales, mais les plaignants ont eu finalement gain de cause au civil. Dans son arrêt, la Cour d’appel a insisté sur le fait que les cinq personnes citées (de mémoire : deux hauts fonctionnaires, deux militaires et un policier) avaient bel et bien commis des délits et qu’il s’agissait de fautes personnelles détachables du service.

L’histoire nous montre donc qu’un fonctionnaire ou un militaire qui exécute un ordre illégal engage sa propre responsabilité.

Si donc, comme nous le dit aujourd’hui M. Guéant, les fonctionnaires de la DCRI ont effectué des réquisitions auprès d’un opérateur téléphonique en dépit de la loi, ils risquent fort de connaître les foudres de la justice. Toutefois, d’après ses dernières déclarations, lui aussi semble prêt à défendre ses hommes, en l’occurrence MM. Péchenard et Squarcini. Des propos qui l’engagent.

Écoutes ou simples repérages ? – Pourtant, ces réquisitions ne sont probablement que la partie émergée de l’iceberg. Car les policiers de la DCRI n’ont nul besoin d’Orange pour effectuer des écoutes. Ils peuvent avoir recours à d’autres procédés, ou aux écoutes dites administratives (ou de sécurité) qui, elles, sont protégées par le secret-défense. Et celles-là, même la juge Sylvia Zimmermann ne peut en avoir connaissance.

Les bidouilleurs de la DCRI – Mais ces enquêteurs triés sur le volet sont-ils obligés de passer par l’opérateur pour connaître le « passé téléphonique » d’un suspect, que ce soit un terroriste, un informateur ou… un journaliste ? La question vaut la peine d’être posée, car, par définition, un service secret agit en secret – et non pas sous couvert d’une réquisition plus ou moins judiciaire. On pourrait donc en conclure soit que notre DCRI, qu’on nous a présentée comme un service de pointe, ne serait pas si en pointe que ça… Soit que ses agents, sûrs de leur impunité, ont cédé à la facilité… Soit que ces investigations ont été faites par un noyau d’affidés, dans le dos de la hiérarchie. Des bidouilleurs, quoi ! Car il est bien difficile d’admettre que les deux vieux routiers cités plus haut n’aient pas senti la patate… Même s’ils acceptent de porter le chapeau. Quand on est près du Bon Dieu, on imagine assez mal le purgatoire.

Celà irait dans le sens de la rumeur concernant un possible cabinet noir, ou du moins une cellule occulte. Et pour colporter moi aussi une rumeur, on dit que, lorsque des infos crapoteuses ont circulé sur Mme Aubry, celle-ci a décroché son téléphone pour signaler à l’Élysée le nom des personnes « bien en place » susceptibles d’être à l’origine de cette intox. Qui a cessé aussitôt.

François Mitterrand voulait camoufler ses frasques et, maintenant, Nicolas Sarkozy chercherait à dissimuler ses casseroles… Vrai ou faux ? Peu importe, car, comme disait Pablo Picasso « Tout ce qui peut être imaginé est réel ».

PS : la police en rose

« L’intérêt d’une démocratie commande toujours d’élever le niveau de la police et non de l’abaisser », nous dit le député Jean-Jacques Urvoas. Dans son livre, 11 propositions chocs pour rétablir la sécurité, il appuie là où ça fait mal : « La lutte doit être menée contre la délinquance, mais avec les citoyens ». D’après un sondage récent, 58 % des Français seraient satisfaits de leur police, alors qu’ils étaient 77 % il y a cinq ans. Et pourtant, dans ce même sondage, ceux qui ont eu affaire à la police sont contents du « service rendu » à 73 %. « Ces chiffres traduisent la relation complexe que les Français ont nouée avec ceux qui sont en charge de les protéger… » Ce que l’on constate fréquemment en lisant les commentaires sur ce blog.

Au fil des pages de son livre, derrière des propositions audacieuses, certains diront utopistes, M. Urvoas démolit la politique de la droite en matière de sécurité, fer de lance de la campagne présidentielle de 2007.

On feuillette ensemble…

Rapprochement police-justice – Il ne s’agit pas de rattacher la police à la justice, comme viennent de le faire les Pays-Bas, et comme le souhaitent de nombreux magistrats, mais de les raccrocher à une même structure : un « Grand ministère de la Règle et du droit » regroupant les compétences relatives à la justice et à la sécurité… ». Pas si simple. Le policier dépend du ministre de l’Intérieur, mais, lorsqu’il rédige un procès-verbal, en théorie, il rend des comptes au procureur ou au juge d’instruction, donc au ministre de la Justice. Toutefois, dans un commissariat, il existe bien d’autres tâches. En réalité, la question d’un rapprochement police-justice se pose depuis longtemps pour les services qui ne font « que » de la police judiciaire, comme les brigades du quai des Orfèvres ou, en province, les directions régionales.

Les flics dans la rue ! – Il faut « décharger les policiers et les gendarmes des tâches administratives ». Et pour cela, il faut recruter des « petites mains ». Aujourd’hui, les personnels administratifs représentent environ 10 % de l’ensemble des effectifs, alors que chez nos voisins européens, ils sont plus proches des 30 %. En Seine-Saint-Denis, les personnels de soutien ne seraient même que 5 %. Conclusion, 25 % du travail administratif serait effectué par des policiers. Mathématiquement, cela voudrait dire qu’un policier sur quatre n’est pas sur le terrain, et que la volonté du préfet Christian Lambert de mettre les « flics dans la rue » n’est qu’un vœu pieux. D’ici qu’il devienne socialiste…

Alors qu’aujourd’hui, on ne parle que d’argent, l’intérêt est évident : un personnel administratif coûte deux à trois fois moins cher et il ne faut que quelques semaines pour le former. Je suggère une autre piste pour mettre les flics sur le terrain : simplifier la procédure pénale qui date d’une époque où l’on tapait à deux doigts sur le clavier d’une « batteuse » et où l’avocat était gentiment prié d’aller voir ailleurs.

Alain Bauer va-t-il prendre sa retraite ? – Neuf millions d’euros de frais de fonctionnement, 81 personnes… À quoi peut bien servir l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ), s’interroge le député socialiste ? Et l’observatoire de la délinquance (ONDRP) n’est-il pas un instrument destiné à rendre crédible les politiques de sécurité du gouvernement… « Depuis sa création, il n’a été capable de proposer que des analyses secondaires sur les statistiques de police et de gendarmerie ». C’est donc l’INSEE qui pourrait prendre la relève, avec notamment des enquêtes de victimisation. Et une idée originale : la création d’une fondation, rattachée à l’École Nationale supérieure de police, dont la vocation première serait de penser la sécurité de demain. Ce qui, il faut bien le dire, nous changerait de ces réactions à fleur de peau, prises sous le coup de l’émotion d’un fait divers tragique.

La fin de la préfecture de police de Paris – « État dans l’État, « république de Lutèce », la PP a une histoire faite de sédimentations (…) Une hérésie juridique qu’il est urgent d’abolir ». Là, c’est le prof de droit qui refait surface. Il prend le contrepied de la politique actuelle, puisque, depuis la signature du décret présidentiel de 2009 qui étend sa compétence aux départements limitrophes à la capitale, le préfet de police de Paris (également préfet de la zone de défense d’Île-de-France) n’a jamais été aussi puissant. Et de relancer une idée, qui va plaire aux inspecteurs de sécurité de la Ville : donner au maire de Paris les mêmes pouvoirs de police que les autres maires.

Des maires « sherifs » – « Pourquoi faudrait-il que la police des villes relève de l’État ? » s’interroge M. Urvoas. Pour lui, les maires doivent être « les véritables coordonnateurs des actions locales de sécurité, répression comprise »… Les seuls services sur lesquels il est légitime que l’État exerce une compétence exclusive sont la police de l’Air et des Frontières (DCPAF), les CRS et la direction centrale du renseignement. La DCRI sauvée par les socialistes, je n’y aurais pas crû.

Et les polices municipales ? – « Le rôle de la police municipale n’est pas de se substituer à la police nationale mais de tisser un lien de confiance avec la population, conformément à une approche préventive clairement établie ». Sa mission première est donc d’assurer la tranquillité publique, celle qui contribue à la qualité de vie dans la ville (exécution des arrêtés du maire, nuisances sonores, voies de faits dans une cage d’escalier ou les parties communes d’un immeuble, etc.), et non pas de faire le boulot de la police nationale. Et, pour éviter tout amalgame, leur uniforme doit être différent. Bien entendu, contrairement à la position de Manuel Valls, ils n’ont pas à être armés, sauf, éventuellement, avec des armes de défense de 6° catégorie (bâtons, bombes lacrymo….)

CRS… PS ! – Environ 27 000 policiers et gendarmes sont chargés du maintien de l’ordre, mais, en fait, cela représenterait moins de 20 % de leur activité. Ce qui en période de disette ne semble pas très rationnel. L’idée serait de doter les escadrons de gendarmes mobiles de moyens plus importants, notamment héliportés et aéroportés, et de les réserver pour le maintien de l’ordre. Tandis que les CRS se spécialiseraient dans la lutte contre les violences urbaines au niveau de la région. Ils seraient convertis en « FRS (forces régionales de sécurité) placées sous la responsabilité des directeurs régionaux de la police nationale… »

Les gendarmes resteront à l’Intérieur – M. Urvoas sait que de nombreux gendarmes souhaitent se détacher de la place Beauvau. Il prend des gants pour dire que cela ne sera pas le cas : « Rien ne serait plus irresponsable à cet égard que de les jeter à nouveau au cœur d’un cyclone de changements qui, loin d’apporter une quelconque plus-value opérationnelle, pourrait bien se traduire, au contraire, par une véritable régression dont l’unique effet serait de renforcer leur amertume et le sentiment qui les assaille trop souvent d’être incompris du pouvoir politique ». Ils conserveront donc leur statut militaire, au sein du ministère de l’Intérieur, qui, si j’ai bien suivi, pourrait devenir un Grand ministère de la Règle et du droit. La gendarmerie devrait être mieux représentée au sein des hautes instances politiques mais c’est une autorité civile qui en assurerait la direction : « Une voix forte pour défendre leur intérêts et restaurer leurs capacités d’action ».

Jean-Jacques Urvoas ne veut plus d’une « grande muette », mais au contraire d’une police ouverte, dont l’image ne dépend pas seulement d’un représentant syndical interviewé sur un coin de trottoir. L’enjeu est de passer « d’une police crainte et dénigrée à une police respectée et valorisée. » Comment ne pas être d’accord ? Mais les anciens, comme moi, resteront dubitatifs. Ils se souviennent encore des belles promesses, des belles déclarations des années 80, pour arriver, en quelques années, à déstabiliser profondément cette vieille maison, qui pensait pourtant en avoir vu d’autres. Espérons que le prochain président de la République comprendra que la police ne doit être ni un pouvoir ni servir un pouvoir.

« Cold Case » à la française

Rouvrir de vieux dossiers : ce n’était pas prévu dans les missions dévolues aux réservistes de la police, mais certains retraités ont trouvé là un créneau particulièrement valorisant. Ils ne sont que quelques-uns à ce jour, mais l’idée semble faire son chemin, et leur nombre pourrait bien augmenter rapidement. Les « vieux » ont le profil pour ces recherches : ils ont des souvenirs réels (et non informatiques) d’affaires anciennes ; ils sont hors de la pression quotidienne, du flux tendu que connaissent les services de police ; et enfin, ils ne coûtent pas très cher.

L’initiative en revient, me semble-t-il, au patron de la Brigade de protection des mineurs. En effet, peu après qu’il ait pris la direction de ce service, en 2008, le commissaire divisionnaire Thierry Boulouque a recruté une policière retraitée, une ancienne de l’Antigang, pour piocher dans les archives.

En trois ans, notre Lilly Rush a passé plus de 700 dossiers au peigne fin, nous dit la journaliste Danielle Rouquié, dans son livre Brigade de protection des mineurs, aux éditions Jacob-Duvernet. Pour en conserver une trentaine qui font l’objet d’une nouvelle enquête. C’est ainsi qu’à mi-mai, l’auteur d’un viol et d’une agression sexuelle sur un mineur a été arrêté, plus de dix ans après les faits. Confondu par des traces ADN qui n’avaient pu être exploitées à l’époque.

Il faut dire que l’allongement de la durée de prescription, concernant les crimes et les délits contre les enfants, peut rendre les recherches anciennes particulièrement fructueuses. Alors que l’activité des policiers est sans cesse évaluée, et chronométrée, c’est important. On peut ainsi remonter trente ans en arrière, voire plus (sauf faits prescrits avant la loi), suivant l’âge de la victime. Et si les témoignages anciens sont à prendre avec prudence, la police scientifique a fait tant de progrès que tous les espoirs sont permis. En fait, les enquêteurs qui remontent ainsi le temps se heurtent au problème de la conservation des scellés, et notamment des prélèvements biologiques. Il y a quelques dizaines d’années, il n’était pas question d’un fichier génétique, néanmoins, le moindre élément : sang, sperme, cheveu…, était soigneusement conservé, car susceptible d’être utilisé pour une comparaison. On ne pouvait pas désigner un coupable, mais il était possible de confirmer ou d’infirmer la responsabilité d’un suspect.

Aussi, je suppose que nos parlementaires n’ont pas demandé l’avis des policiers et des gendarmes lorsqu’ils ont voté la loi sur les autopsies judiciaires. En effet, ce texte, applicable depuis le mois de mai, prévoit que, « lorsque les prélèvements biologiques réalisés au cours d’une autopsie judiciaire ne sont plus nécessaires à la manifestation de la vérité, l’autorité judiciaire compétente peut ordonner leur destruction. » Bizarrement, cette loi fait suite à la destruction intempestive d’éléments dans l’affaire dite des « disparus de l’Isère », ces neuf enfants probablement assassinés. Mais voilà, la conservation de ces « scellés humains » coûte cher, car les hôpitaux se font payer pour les garder.
En prenant cette décision de détruire des prélèvements biologiques, on ferme donc la porte à toute nouvelle recherche, sans se soucier de savoir si des techniques plus sophistiquées pourraient demain voir le jour.

Et qu’en est-il des autres scellés ? Toutes les précautions sont-elles prises pour les conserver ? On se souvient de l’affolement lorsqu’on s’est aperçu que certaines pièces du dossier de l’affaire Boulin avaient disparu ! Il aura fallu un mois pour les retrouver – au Palais de justice de Paris, alors que l’enquête concernait le tribunal de Versailles. Sans commentaire.

Une chose me semble évidente : au fil des ans la société acceptera de moins en moins qu’une action criminelle reste impunie. Et il est vraisemblable que les délais de prescription, qui se sont déjà bien rallongés dans plusieurs domaines (terrorisme, trafic de stupéfiants…), seront appelés à disparaître, comme c’est déjà le cas en matière de crime contre l’humanité. Un projet de loi circule d’ailleurs pour rendre les crimes sexuels commis sur des mineurs imprescriptibles. Un dossier non résolu ne sera donc plus jamais fermé.

Et il reste à la justice française à franchir un pas de plus : accepter de remettre en cause un jugement définitif. Ce qui n’est pas évident. Le rejet de la révision du procès de Dany Leprince, condamné pour les meurtres de son frère, de sa belle-sœur et de deux de ses nièces, en est un exemple. Les juges ont estimé que de nouvelles traces ADN et de nouveaux témoignages n’étaient pas des éléments nouveaux « de nature à faire naître un doute sur la culpabilité du condamné. » Alors qu’aux États-Unis, 266 condamnés (certains à mort) auraient été innocentés grâce à un test génétique. Existerait-il plus d’erreurs judiciaires de l’autre côté de l’Atlantique ?

Les juges ne sont pas des oracles. Lorsque deux cours d’assises rendent des décisions opposées, comme dans l’affaire contre Patrick Dils (condamné puis acquitté) ou Maurice Agnelet (acquitté puis condamné), c’est que l’une des deux s’est trompée.

Allez, un petit espoir… Il y a quelques années, le propriétaire d’un chien a été condamné car celui-ci n’était pas stérilisé, comme le prévoit la loi pour les chiens de 1ère catégorie. Il s’agit d’un délit. Le propriétaire décide alors de faire « expertiser » son animal de compagnie. Le vétérinaire conclut que celui-ci est morphologiquement proche du labrador et qu’il n’entre nullement dans la catégorie  des chiens dits dangereux. Avis confirmé par l’expert désigné par la Commission de révision. Ce nouvel élément, inconnu des juges lors du procès, était donc de nature à faire naître un doute sur la culpabilité du condamné. Et le jugement – pourtant définitif – a été annulé.

Comme quoi la justice peut reconnaître ses erreurs. Et si l’on se penche sur un vieux dossier, il faut accepter de le lire dans les deux sens.

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