LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Droit (Page 12 of 20)

Moi aussi, je veux être avocat !

C’est la seule profession où autant de gens peuvent entrer par la petite porte. Ce décret du 3 avril 2012 de François Fillon, qui donne aux politiques l’accès aux barreaux de France, ressemble fort à un sauve-qui-peut. Mais il ne fait que renforcer une évidence : n’importe qui, ou presque, peut devenir avocat. Le plus difficile, en fait, est de s’y retrouver dans l’emméli-mélo des textes qui donnent à chacun ou chacune le droit de porter la robe. Ainsi, en se penchant sur le décret du 27 novembre 1991, revisité ces derniers jours, on comprend bien que le 3° alinéa de l’article 93 devient le 6° ; le 4°, le 7° ; le 5°, le 8°. Et qu’au dernier alinéa, les mots « et 3° » sont remplacés par les mots « 3°, 4°, 5° et 6° ». Pour tout renseignement complémentaire, prière de cliquer sur Legifrance.gouv. Et si vous ne comprenez pas, vous ne pouvez pas devenir avocat.

Pour l’étudiant, rien de changé. Il faut au minimum une maîtrise en droit (Master 1), pour présenter l’examen d’entrée à une école d’avocats. Mais la plupart des candidats ont plus. La formation est de 18 mois. Ensuite, le postulant passe l’examen pour obtenir le CAPA (certificat d’aptitude à la profession d’avocat). S’il réussit, il prête serment*… Une fois son certificat de fin de stage en poche, il va pouvoir enfin exercer librement le métier qu’il a choisi. Cela lui aura pris entre 6 et 8 ans. Et coûté pas mal d’argent.

8 ans, c’est justement la durée de l’expérience professionnelle demandée aux ministres, aux députés, aux sénateurs, ou à leurs collaborateurs pour accéder directement à la profession. Tout en gagnant pas mal d’argent.

Mais il ne faut pas être de parti pris : les passerelles existent depuis longtemps. Simplement, on en rajoute une couche. En fait, pour en bénéficier, deux hypothèses : diplôme ou pas. Pour un certain nombre de personnes ayant exercé des fonctions en rapport avec le droit, la condition de diplôme n’est pas indispensable. Pour d’autres, le diplôme est nécessaire mais ils accèdent directement à la profession. Toutefois, c’est une nouveauté, le décret 2012 prévoit « un examen de contrôle des connaissances en déontologie et réglementation professionnelle ». Sans doute pour mieux faire passer la pilule.

Les fonctionnaires et anciens fonctionnaires de catégorie A qui ont exercé des activités juridiques pendant 8 ans au moins peuvent également demander à être avocat.

Cela m’a donné des idées ! En fait, c’est un article du Monde qui a été le déclencheur. Avec son talent habituel, Pascale Robert-Diard y dresse un portrait de Pierre Joxe, devenu avocat pour conseiller les jeunes en froid avec la justice. Ce qui a quand même plus de panache, pour un ancien ministre, que de défendre les intérêts d’une vieillissante héritière.

Donc, moi aussi, j’veux être avocat.

Coup de fil au barreau de Paris. Oui, me dit-on, mais il faut une maîtrise. Ce que je n’ai pas. Je n’ai même pas réussi à atteindre l’âge légal de la fin des études primaires, alors… Mais les magistrats, eux, n’ont pas besoin du diplôme ! Oui, mais les commissaires de police ne figurent pas parmi les professions super favorisées, même si, aujourd’hui, le concours d’accès à la profession est l’un des plus difficiles de l’administration. Bonne pâte, mon interlocuteur me tend une perche : Faites valoriser vos acquis professionnels. J’étudie la question. Je planche pendant des heures sur le site de plusieurs universités… Aïe aïe aïe ! C’est aussi difficile à comprendre que le nouveau décret de M. Fillon. Après 48 heures de flottement, j’opte pour la fac de Nanterre. J’attends la réponse.

Bon, je crois que je ne suis pas au bout de mes peines. C’est dommage, j’aurais bien ouvert un cabinet avec Bernard Squarcini. On aurait pu se partager les gardes à vue.

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* Voici la parcours d’un jeune avocat (après correction suite aux commentaires de Avo et de François | le 09 avril 2012 à 11 h 08 min) : Master 1 (le plus souvent Master 2) + IEJ + Examen d’entrée + 18 mois de formation théorique et pratique en 3 modules : stage étranger ou projet pédagogique, études théoriques, stage pratique en cabinet. Prestation de serment après avoir réussi au CAPA. Ce qui fait au minimum Bac+6.

Expulsions : petits arrangements policiers avec la loi

Aujourd’hui, les expulsions reprennent. Une fois sur dix, elles ont lieu avec le concours de la force publique. Pour les policiers, c’est un sale boulot. Et dans certains cas, c’est tout simplement insupportable…

Au mois d’octobre dernier, dans un commissariat de la banlieue parisienne, l’ambiance n’y est pas : il faut procéder à une expulsion. Dans cette commune ouvrière, comme on disait autrefois, du temps où il y avait du boulot, c’est monnaie courante. Et le plus souvent, ce sont les locataires des cités HLM qui sont visés. Mais là, ça ne passe pas. Cette femme que les policiers doivent jeter à la rue, ils la connaissent. Elle ne fait pas partie de ces fricoteurs qui utilisent toutes les ficelles pour ne pas payer leur loyer. Non, elle élève seule ses enfants et elle ne trouve que des emplois précaires et mal rémunérés. Au fil des mois, les quittances de son petit HLM se sont accumulées pour atteindre une somme qu’elle ne pourra jamais rembourser.

Tout a été fait selon les règles : commandement à payer, décision de justice, information au préfet (pour la demande de relogement : sans effet), commandement de quitter les lieux… Mais où voulez-vous qu’elle aille, cette femme ? Comme elle ne s’exécute pas, l’huissier demande l’assistance de la force publique. Certes, le préfet peut refuser, notamment pour assurer « la protection de la famille », mais il doit alors motiver sa décision et il engage fortement sa responsabilité, car le bailleur peut se retourner contre l’État.

Le commissaire a fait traîner au maximum, mais cette fois, c’est réglé. Le dossier est en ordre. Il faut exécuter la décision de justice.

Pourtant, il n’est pas satisfait. Et, près de lui, ses adjoints renâclent. Comme il entretient de bonnes relations avec le maire (de gauche), il décide une tactique que l’on n’apprend pas dans les écoles de police. L’air de rien, il va traîner ses guêtres dans les locaux de la mairie, et raconte, à qui veut l’entendre, l’histoire de cette femme qui va se retrouver dans la rue avec ses enfants, à la veille de l’hiver. Ses propos font boule de neige. À la mairie, personne n’est dupe, mais tous jouent le jeu.

Le lendemain matin, une douzaine de gaillards sont regroupés devant l’entrée de l’immeuble. Certains agitent des pancartes rédigées à la hâte : Non aux expulsions ! Des curieux s’agglutinent. Les voisins papotent. Lorsque l’huissier et les policiers débarquent, ce sont plusieurs dizaines de personnes qui sont rassemblées. La plupart sont des badauds et ne savent même pas de quoi il retourne, mais peu importe : il s’agit d’un attroupement. Dans ces conditions, il existe donc un risque de trouble à l’ordre public. Ce que le commissaire signifie à l’huissier qui, sans doute un peu complice, le mentionne dans son constat : l’expulsion est reportée sine die.

Il paraît que la pilule a été plus difficile à faire passer du côté de la préfecture. (Raison pour laquelle je ne donne pas le nom de cette ville.) En tout cas, cette mère de famille et ses enfants ont passé l’hiver sous un toit.

Bien sûr, le loueur doit encaisser ses loyers. Il n’est pas possible que certains paient et d’autres pas. Mais je me demande, dans la mesure où le « droit au logement opposable » s’applique aux personnes qui sont menacées d’expulsion sans proposition de relogement, s’il ne serait pas plus simple pour l’État (et peut-être pas plus cher), de prendre des arrangements financiers directement avec les organismes HLM. Ce serait autrement élégant. Je dis ça sans rien n’y connaître, d’autant que les textes sur le logement sont un véritable embrouillamini. En tout cas, la loi Boutin ne va pas dans ce sens puisque les départements ont abandonné la gestion des fichiers de demandeurs d’HLM au profit des seuls bailleurs.

Alors que le droit au logement a valeur constitutionnelle, l’État esquive.

Le printemps arrive. La trêve est finie. Je suppose que l’ordre de requérir la force publique pour expulser cette femme est déjà sur le bureau du commissaire, et les policiers vont devoir prêter main-forte à l’huissier de justice. C’est leur job. Mais je me dis qu’ils vont en avoir gros sur la patate.

Meurtre de Léa : un suspect est arrêté, il ne sera peut-être pas jugé

Il n’y a pas de haine dans les propos de Karine Bonhoure. L’assassin présumé de sa fille a été arrêté ; elle veut juste qu’il soit jugé. Ce qui semble la moindre des choses. Et pourtant, aujourd’hui, rien n’est sûr. Les avocats du suspect demandent l’annulation de la garde à vue. Pourtant, policiers et magistrats n’ont commis aucune erreur. Bien au contraire. Alors…

« Peut-on imaginer que l’assassin de ma fille soit libéré avant tout jugement et qu’on annule sa détention provisoire ? » me demande-t-elle au téléphone. Et elle me lit la requête des avocats, Me Amel Belloulou-Amara et Laurent Epailly : annulation des auditions faites par les policiers et des interrogatoires du juge, de la perquisition, des saisies, des constatations sur la scène de crime, du rapport médical, etc.

Le suspect, Gérald Seureau, a fait des aveux circonstanciés. Il existe de nombreuses preuves matérielles contre lui qui justifient sa mise en examen pour meurtre aggravé de viols. Et il pourrait être blanchi sans autre forme de procès !

Quel déni de justice.

En cette nuit de la Saint-Sylvestre 2011, une vingtaine de jeunes gens se sont réunis pour le réveillon. Léa et Gérald font connaissance. Elle a 17 ans, il en a 24. Un flirt d’une nuit de fête… A l’aube, ils quittent leurs amis. Tous deux se dirigent vers une propriété en partie buissonneuse où vivent les Sœurs de Saint-François d’Assise. Que s’est-il passé ensuite…

Dans la matinée, la mère de Léa s’inquiète de ne pas voir revenir sa fille. Elle appelle des amis et finit par joindre Seureau – qu’elle ne connaît pas. Il affirme qu’ils se sont séparés vers 6 ou 7 heures du matin. Elle prévient la gendarmerie. Le jeune homme fait la même réponse aux gendarmes. Finalement, vers 21 h, le père se rend au commissariat accompagné de Seureau, qui est le dernier à avoir vu la jeune fille. Il répète ce qu’il a déjà dit : il a quitté Léa vers 6 ou 7 heures. Mais son comportement est bizarre et, lorsqu’il retire l’un de ses gants, les policiers remarquent des traces de griffures sur le haut de sa main. Ils lui demandent des explications. Le jeune homme s’effondre en gémissant : « Je vais aller en prison… Je vais aller en prison… »

À 22 h 45, il est placé en garde à vue. L’OPJ du commissariat informe le barreau pour demander un avocat. Le suspect a craqué, mais lorsqu’il a abandonné Léa, elle était encore en vie. C’est du moins ce qu’il affirme. Et il est d’accord pour accompagner les enquêteurs sur place. Ceux-ci se précipitent. Ils font prévenir l’avocat que, vu l’urgence, ils se transportent sur les lieux de l’agression, du viol, du crime… Ils ne savent pas très bien. Lorsqu’ils arrivent, il est 00 h 35. Léa est morte depuis longtemps. Elle a sans doute agonisé de longues heures. Le procureur, tenu informé, décide de saisir la police judiciaire. Service qui reprend la garde à vue à 1 h 15. Seureau s’entretiendra avec l’avocat de permanence, comme il l’a demandé, durant environ 25 minutes. C’est seulement après qu’il sera interrogé sur le fond. Il passe des aveux complets, d’ailleurs en partie recoupés par ses premières déclarations et par les investigations effectuées durant la garde à vue. Il s’est acharné sur la jeune fille avec une rare violence et il l’a violée à plusieurs reprises. Elle s’est débattue, bien sûr, lui arrachant une gourmette à son nom qu’il porte ordinairement au poignet et qui est retrouvée près du corps. Des tortures qui ont duré longtemps. Un médecin constate les traces de coups et de griffures sur le suspect. Des témoins déclarent avoir vu le jeune homme alors qu’il portait des vêtements déchirés et tâchés de sang. Vêtements qui seront retrouvés lors de la perquisition à son domicile. Des traces de sperme seront même découvertes, plus tard, lors de l’examen clinique du corps de la victime.

Pour les policiers et les magistrats, c’est une affaire carrée : des aveux détaillés et recoupés, des éléments matériels, et même des prélèvements ADN.

Oui, mais…

Trois mois plus tard, sur la pression de la Cour européenne des droits de l’homme, les parlementaires votent en catastrophe une loi pour modifier les conditions de la garde à vue. Deux points essentiels : la présence de l’avocat durant l’audition d’un suspect et l’obligation de l’informer de son droit à garder le silence. Jusqu’à ce jour, cédant à des lobbys autistes et à la pression de certains syndicats de police, le gouvernement s’était refusé à toute modification. En 2009, Nicolas Sarkozy avait missionné un comité de réflexion sur la justice pénale qui est resté lettre morte. Cette même année, les juges de Bobigny, qui, eux, avaient senti la patate, avaient demandé aux OPJ de suivre les directives européennes en matière de garde à vue. Ils ont à l’époque été fustigés par de nombreux policiers et la chancellerie leur a tourné le dos. Et pourtant, dans au moins deux affaires distinctes, la Cour européenne a estimé que les enquêteurs « auraient dû anticiper l’évolution de la jurisprudence européenne ». Ensuite, mais un peu tard, la Cour de cassation a mis les choses au clair : « Les États sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme sans attendre une condamnation par celle-ci ou un changement dans leur législation » (Cass., ass. plén., 15 avr. 2011).

En ce qui concerne la présence de l’avocat, la clé de la jurisprudence européenne tient dans le célèbre arrêt Salduz : pour qu’un procès soit équitable, il faut que le suspect ait accès à un avocat dès le premier « interrogatoire » de police – « sauf à démontrer à la lumière des circonstances particulières de l’espèce, qu’il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit ».

Or, dans l’affaire du meurtre de Léa, la chambre d’instruction de la Cour d’appel de Montpellier a estimé que les policiers et les magistrats avaient respecté la procédure telle qu’elle existait au début de l’année 2011. Et que l’application rétroactive de la loi sur la garde à vue pouvait générer un trouble à l’ordre public. On parle dans ce cas de « sécurité juridique » : protéger les citoyens contre les effets non souhaités du droit.

Les avocats de Seureau ont alors porté l’affaire devant la Cour de cassation qui, le 17 janvier 2012, a cassé la décision de la Cour d’appel. Pour la juridiction suprême, les premières déclarations du suspect sont justifiées par la nécessité de rechercher une personne en péril, ce qui légitime à la fois l’absence de l’avocat et l’absence de notification du droit de se taire. En revanche, les auditions réalisées ensuite sont irrégulières. Une petite phrase qui vise expressément les aveux recueillis par la police judiciaire. En clair, il semblerait donc que la partie de la procédure qui précède la découverte du corps reste valable. Quant au reste…

C’est à présent à la chambre d’instruction de la cour d’appel de Toulouse de se prononcer*. L’audience qui devait se tenir le 8 mars a été repoussée au 26 avril 2012. Il lui appartiendra de déterminer précisément quels procès-verbaux doivent être annulés. Les aveux, c’est sûr, mais quid des autres actes concomitants effectués durant l’enquête en crime flagrant ? Et l’information judiciaire ! Pourrait-elle être invalidée ? C’est le flou juridique.

Il devrait toutefois subsister suffisamment de charges pour envoyer le suspect devant une Cour d’assises. Et il appartiendra au Président de celle-ci de boucher les trous de la procédure. Les policiers, les magistrats, les experts qui ont participé à l’enquête pourront être entendus comme témoins et rapporter ce qu’ils ont fait, ce qu’ils ont vu, ce qu’ils ont entendu. Leurs dépositions marqueront sans doute les jurés. Et si, comme dans l’affaire des enregistrements clandestins effectués au domicile de Mme Bettencourt, ces preuves obtenues « illégalement » étaient néanmoins recevables ?… Eh non ! La décision de la chambre criminelle ne vise que des preuves fournies par une personne privée : un OPJ, lui, est tenu de respecter la loi.

Ce gouvernement se targue de vouloir protéger les victimes. Alors comment admettre que son inertie ait mené la famille de Léa à la situation inverse ? En tardant à aligner la loi française sur les règles européennes, il a placé Karine Bonhoure face à l’absurde. Elle qui s’était tue depuis la mort de sa fille a lancé une pétition sur Facebook afin d’attirer l’attention sur cette situation invraisemblable : un suspect est arrêté, il ne sera peut-être pas jugé.

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* Le 7 juin 2012, la Cour d’appel de Toulouse a estimé la garde à vue illégale.

Un nouveau crime dans le code pénal : la disparition forcée

Il ne s’agit pas d’un acte typiquement crapuleux. C’est le fait d’agents de l’État ou du moins de personnages qui agissent en son nom. Des spécialistes des coups tordus que, chez nous, autrefois, du temps de la lutte contre l’OAS, on appelait des barbouzes. La disparition forcée est l’arrestation arbitraire, voire l’enlèvement, d’opposants politiques ou de militants des droits de l’homme, et leur maintien en détention dans un lieu tenu secret.

À ce jour, en France, de tels comportements sont assimilés à des crimes contre l’humanité et sont punis de la réclusion criminelle à perpétuité (art. 212-1, al. 9 du code pénal). Ce n’est pas seulement un article symbolique. Ainsi, actuellement, à la suite d’une plainte déposée par plusieurs associations ou ONG, un juge d’instruction du tribunal de Meaux est en charge d’une enquête sur des exactions commises au Congo. Les faits remontent à mai 1999. En pleine guerre civile, des réfugiés ont voulu profiter d’un couloir sécuritaire pour rejoindre Brazzaville. Des centaines de personnes ont alors été arrêtées pour interrogatoire. On ne les a jamais revues.

Et, en 2010, un procès historique s’est tenu devant la Cour d’assises de Paris pour juger certains des responsables des crimes commis sous la dictature chilienne.

Plus récemment, plusieurs organisations pour la défense des droits de l’homme ont attiré l’attention sur l’Algérie, signalant des arrestations qui pourraient bien ressembler à des disparitions forcées. Comme ce fut le cas en novembre 2011, pour Nouredine Belmouhoub, défenseur des droits de l’homme et porte-parole du Comité de défense des anciens internés des camps de sûreté, séquestré durant trois jours par de pseudo-policiers.

D’après les chiffres des Nations unies, dans 90 pays, sur les cinq continents, ce sont 40 à 50 000 personnes qui auraient disparu depuis 1980. Mais la monstruosité a été atteinte les décennies précédentes en Amérique latine, durant la « guerre sale », alors que les services secrets de plusieurs dictatures militaires coordonnaient leur action répressive. Avec, pour le moins, la complicité passive de la Maison Blanche. Certains pensent d’ailleurs que d’anciens membres de l’OAS réfugiés dans ce coin du monde ont coopéré à cette sauvagerie. Notamment pour mettre en place l’opération Condor, qui rappelait (en plus grand), les « Crevettes Bigeard » : des cadavres, les pieds coulés dans le béton, largués en mer depuis des hélicoptères. Ces faits, reconnus par certains, ont toutefois été démentis par le général Marcel Bigeard lui-même.

Plusieurs pays ont œuvré pour mettre en place une procédure qui viserait à protéger les populations et à réprimer ces actes. Une première résolution en ce sens a été signée en 1978. Finalisée en 2006 par une convention internationale adoptée à la fois par le Conseil des droits de l’homme et par l’Assemblée générale des nations Unies. La France a eu un rôle moteur dans l’histoire de cette convention.  Elle a donné une impulsion à la démarche et elle a présidé les négociations jusqu’à la signature du texte. Aujourd’hui, elle fait partie des dix membres du nouveau comité des Nations unies chargé de faire respecter la Convention et de traiter les plaintes individuelles. À ce jour, 91 États sont signataires.

« Où sont les centaines d’enfants nés en captivité ? » demandent ces femmes.

La première réunion de la « Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées » s’est tenue à New York en mai 2011 sous la présidence de l’Argentine. Elle était parrainée par la présidente de l’ONG des « Grands-mères de la place de Mai », Estella de Carlotto, toujours à la recherche de l’enfant que sa fille a mis au monde alors qu’elle se trouvait en détention, avant d’être assassinée.

La France a été le premier pays d’Europe à ratifier cette convention. Il était donc urgent qu’elle adapte son code pénal et sa procédure pénale. Ce qui, entre parenthèses, aurait dû être fait en 2011. Le mois dernier, au nom du gouvernement, Michel Mercier, le garde des Sceaux, a déposé un projet de loi en ce sens. Un peu noyé, il faut le dire, parmi d’autres modifications comme le jugement, l’exécution des peines ou l’extradition des étrangers dans le cadre d’une meilleure coopération judiciaire au sein de l’Europe. Mme Le Pen sera sans doute contente d’apprendre que les étrangers pourront exécuter leur peine en dehors de l’Hexagone. Sous certaines conditions, va sans dire. D’autre part, le fonctionnement d’EUROJUST sera repoli, principalement au niveau de l’information au sein de l’Union. Par exemple, une fois la loi adoptée, EUROJUST pourra consulter les principaux fichiers français.

Cette  nouvelle infraction criminelle sera inscrite dans le code pénal sous le titre « Des atteintes à la personne constituées par les disparitions forcées ». La peine encourue est la réclusion criminelle à perpétuité avec une période de sûreté qui pourra aller jusqu’à 22 ans.

La disparition forcée est nécessairement commise par des agents de l’État ou sous l’autorité de l’État et, que l’on soit en haut ou en bas de la hiérarchie, le simple fait d’être au courant et de n’avoir rien fait pour l’empêcher est considéré comme de la complicité. Il y a donc implicitement dans le texte, nécessité de désobéir, de s’opposer, ou du moins de dénoncer. Quel que soit le pays où les faits ont été commis, les juridictions françaises sont compétentes à partir du moment où les suspects se trouvent sur le territoire national.  Les personnes morales peuvent également être poursuivies.  La peine et l’action publique se prescrivent par 30 ans, comme en matière de terrorisme ou de trafic de stups. Alors qu’aujourd’hui, considérés comme des crimes contre l’humanité, ces agissements sont normalement imprescriptibles. Les disparitions forcées commises avant 1982 ne pourront donc plus faire l’objet de poursuites pénales si aucune procédure n’a été engagée.

Pour mieux matérialiser la portée de cette loi, si elle avait existé lors de l’enlèvement de Ben Barka, en 1965, devant la brasserie Lipp, à Paris, les deux policiers français mis en cause auraient risqué perpette. Ils ont pris 8 ans et 6 ans. Et les juges auraient pu remonter la hiérarchie… Jusqu’à quel niveau… ? Je ne sais pas. De toute façon, à un moment ou à un autre, ils se seraient heurtés au « secret défense ».

Quant aux crimes et délits commis durant la guerre d’Algérie, on oublie. Ils ont fait l’objet d’une loi d’amnistie votée le 31 juillet 1968. Le texte vise même expressément les infractions commises par les militaires.

Notre histoire est une leçon.

Fortune de mer pour le Costa Allegra

Le paquebot a-t-il lancé un appel de détresse (Mayday ! Mayday !…) ou un simple message d’urgence (Pan ! Pan !…), comme le font les marins pour demander une aide ponctuelle ou pour signaler une situation délicate ? À présent que les passagers, l’équipage et le navire sont à l’abri, la question pourrait bien se poser, car si aucune rémunération ne peut être demandée pour sauver des vies humaines, il en va différemment pour l’assistance aux biens. Le thonier français qui a remorqué le Costa Allegra doit donc percevoir une indemnité. Mais sur quelle base ? Le capitaine et l’équipage ont-ils réagi pour éviter un naufrage ou simplement pour dépanner un navire en difficulté ?

D’après L’Express, qui rapporte les propos du directeur général de la société de sauvetage « Les abeilles international » : « C’est le commandant qui lance l’alerte. Il envoie un mayday avec sa position (…) Tous les navires dans la zone de navigation reçoivent le SOS… »

A : Seychelles - B : La Réunion - C : Mayotte (Google)

Le Trévignon, un thonier senneur de 90 mètres de long, immatriculé dans le nouveau département de Mayotte (976), mais propriété d’un armateur breton, le capte sans doute comme les autres. Mais c’est lui qui est le plus rapide. Il faut dire qu’à son bord, il y a une équipe de protection de la marine nationale (les eaux sont dangereuses, là-bas), laquelle est probablement dotée de moyens de transmission performants. C’est d’ailleurs le Cross de La Réunion (Centre régional opérationnel de secours et de sauvetage) qui demande au capitaine s’il peut se dérouter. Pour ce bâtiment de pêche, construit pour traîner de lourds filets, le remorquage du paquebot ne pose pas de problèmes majeurs. Ses moteurs sont suffisamment puissants.

Si le « mayday » est considéré comme un appel au secours, ce n’est toutefois pas suffisant pour déterminer la gravité de la situation. Qui dit sauvetage, dit perdition. C’est du moins ce que l’on peut penser. Or, ce n’est pas tout à fait la position de la jurisprudence française. Ainsi, la Cour d’Appel de Montpellier a considéré qu’un yacht, incapable de tenir un cap, à la suite d’une simple avarie, était en péril, même si la météo se montrait clémente. Mais la proximité des terres était un élément déterminant. De toute façon, hors des eaux territoriales, c’est la Convention maritime internationale qui fixe les règles de l’assistance aux navires. Convention que la France a ratifiée en 2001.

Et ce n’est pas simple…

En mer, en cas de problème, il ne faut jamais saisir l’aussière que votre sauveteur vous lance, sinon, vous perdez la propriété de votre bateau… En revanche, si c’est le sauveteur qui la récupère… À moins que ce soit le contraire, je ne me souviens plus. En tout cas c’est l’histoire que m’avaient racontée de « vieux loups de mer » dans un bistrot de Puerto de Mogan, aux Canaries. Mais la bouteille de whisky avait déjà pris une sacrée claque… Allez, il faut tordre le cou à la légende : le sauveteur d’un bateau en détresse n’en devient pas automatiquement le propriétaire. Pour cela, il faudrait qu’il soit considéré comme une épave (le bateau s’entend).  Or, un navire, même abandonné par son équipage, n’est pas considéré comme une épave dès lors qu’il peut reprendre la mer après réparations. En France, c’est la loi du 3 juillet 1985 et un décret de 1987 qui fournit des éclaircissements sur le sujet. Et, en dernier recours, c’est le ministre en charge de la Marine marchande, aujourd’hui le ministre de l’Écologie, qui peut prononcer la déchéance des droits du propriétaire. Pour la petite histoire de la campagne présidentielle, en décembre dernier, François Hollande s’est déclaré favorable au retour d’un ministère de la Mer. Ce qui, pour un pays maritime comme la France, n’est quand même pas si bête.

Mais l’Allegra ne bat pas pavillon français et l’incident s’est produit en haute mer. Et il n’y avait pas de péril imminent. Alors ? En droit maritime, il n’y a assistance maritime que si un navire se trouve confronté « au péril de la mer ». Le danger peut être immédiat ou non et il n’implique pas obligatoirement la perdition. En fait, sauvetage ou assistance, on s’en fiche un peu. Une simple menace pour les personnes ou les biens est suffisante pour justifier l’intervention. On peut donc penser, dans le cas présent, que le remorquage du paquebot constitue bien une assistance maritime et non un simple dépannage. À ce titre, le thonier devrait donc recevoir une indemnité pour avoir aidé à préserver le bateau et le matériel de bord. Et non pour avoir sauvé les passagers. Car l’assistance aux personnes est un devoir qui ne peut donner lieu à une rétribution ni même au remboursement des frais engagés.

Quel pourra être le montant de cette rémunération d’assistance ? D’après les textes, elle doit être équitable. Dans un litige opposant deux plaisanciers, 2 % de la valeur des biens sauvés ont été estimés raisonnables par les juridictions françaises. Mais ici, il ne s’agit pas d’un petit voilier… Il est d’ailleurs vraisemblable que le montant des frais de remorquage ait déjà été négocié par l’armateur. Raison pour laquelle, les autres bâtiments ont escorté le convoi sans se saisir de l’aussière.

En tout cas, outre la fierté d’avoir respecté la règle de la solidarité des gens de mer, on peut espérer que les marins-pêcheurs du thonier breton n’auront rien perdu à interrompre leur campagne de pêche. Et, comme Madame Kosciusko-Morizet a d’autres chats à fouetter, par intérim, je m’autorise un coup de chapeau.

Le discours de la haine

La Cour européenne des droits de l’homme vient de nous faire un vaccin de rappel sur les limites entre la liberté d’expression et la propagation d’idées fondées sur l’intolérance qui incitent à la haine. Et, pour que l’on comprenne bien, elle énumère les différents cas : haine raciale, haine sur l’orientation sexuelle, haine religieuse, discours négationniste, etc. Enfonçant le clou avec des exemples.

Lorsqu’elle s’arrête sur le discours politique, la Cour cite deux cas. L’un en Turquie, où le président d’un parti avait dénoncé l’intervention des États-Unis en Irak et l’emprisonnement du dirigeant d’une organisation terroriste. Et l’autre en Espagne, où des parlementaires avaient protesté contre des mauvais traitements infligés à des membres de l’ETA lors d’une opération policière, mettant en cause la responsabilité du roi d’Espagne. Il s’agit en fait de contre-exemples, puisque dans ces deux cas, elle a donné tort aux juridictions nationales qui avaient prononcé une sanction (en violation de l’article 10 de la Convention européenne sur la liberté d’expression).

La Cour européenne se montre donc très circonspecte dès qu’il s’agit de l’intervention d’un homme politique. Au point de s’entortiller un peu les pinceaux. Ainsi, dès les premières lignes de sa fiche thématique, elle attire l’attention du lecteur sur la conclusion – ce qui est quand même assez original. Si elle rappelle que les sociétés démocratiques doivent sanctionner ou prévenir toutes les formes d’expression fondées sur l’intolérance qui propagent, promeuvent, justifient ou incitent à la haine, elles doivent aussi préserver le droit pour les personnes de s’exprimer librement – notamment les journalistes et les hommes politiques. Si j’ai bien lu entre les lignes ces derniers peuvent, par leur discours ou leurs écrits, chercher « à heurter, choquer ou inquiéter », sans pour cela avoir de sombres arrière-pensées.

Extrait de la fiche thématique de la CEDH (février 2012)

On comprend bien que ce petit rappel à l’ordre n’a rien à voir avec les Présidentielles françaises. Il ne faut pas être nombriliste…

Pourtant, ces derniers jours, dans l’arène politique, l’animosité est palpable. Au point que parfois, on a l’impression qu’il y a de la haine. Et nous sommes sans doute beaucoup à avoir noté la violence du meeting de Marseille, tant dans les propos et l’attitude du président de la République que dans la mise en scène. Aussi, tout comme François Chérèque, le number one de la CFDT, on peut se poser la question : « Pourquoi autant de violence ? » Une élection présidentielle, ce n’est pas un match de foot. Et, au moment de glisser notre bulletin dans l’urne, on ne doit pas se demander ce à quoi l’on échappe en ne votant pas pour tel autre candidat, mais plutôt ce qui nous attend dans les cinq ans à venir.

Du petit cadeau à la corruption

« Il n’y a aucune preuve contre moi… », a dit M. Éric Woerth, à la suite de sa mise en examen pour deux délits qui visent des faits liés à sa carrière politique. Il a peut-être raison, car les infractions qui consistent à user de son influence pour obtenir un service, un avantage, voire de l’argent, sont parmi les plus difficiles à réprimer. Qu’il s’agisse de corruption ou de ces délits dits d’atteinte à la probité, comme le trafic d’influence, le favoritisme, le détournement de fonds publics, etc. D’autant que dans ces affaires, les protagonistes sont d’accord entre eux et chacun y trouve son compte. Non seulement il n’y a pas de victime « physique », mais, le plus souvent, tous les participants tombent sous le coup de la loi. Donc, aucun n’a intérêt à dévoiler le pot aux roses.

Si, la plupart du temps, ces dossiers sont mis à jour par des journalistes, ils ne peuvent aboutir que par la pugnacité de certains juges d’instruction. En d’autres temps, Mme Eva Joly disait d’ailleurs que ces enquêtes (je crois qu’elle parlait de l’affaire Elf) ne pourraient pas sortir dans un système judiciaire du type accusatoire. Et même l’avocat général Philippe Bilger, qui voulait « achever le juge d’instruction », a fait machine arrière, déclarant dans Marianne2 : « Je n’ose imaginer ce qu’aurait été la justice actuellement si nous n’avions pas des juges d’instruction… »

Ces infractions sont liées au pouvoir. Elles ne concernent pas que les élus ou les membres du gouvernement, mais tous les gens qui détiennent une parcelle de pouvoir – comme les fonctionnaires. À noter qu’une loi de juillet 2005 a introduit la corruption privée dans le Code pénal.

L’agent public est soumis à une obligation de moralité qui lui interdit d’accepter un cadeau susceptible de mettre en doute son impartialité ou sa probité. S’il passe outre, il peut tomber sous le coup de la loi. Pourtant, tout est dans la mesure. Il ne viendrait à l’idée de personne de chercher des poux dans la tête au facteur qui sonne à notre porte, en fin d’année, pour « vendre » ses calendriers ? Certains pays, notamment en Afrique, interdisent aux fonctionnaires d’accepter le moindre cadeau, alors que d’autres, comme la Suisse, admettent le « cadeau de peu de valeur offert par courtoisie » (canton de Berne). Le code de déontologie américain donne, lui, toute une liste de petits cadeaux que le fonctionnaire peut accepter. Alors que pour le voisin canadien, tout présent doit être retourné au donateur ou à l’État.
« Par essence, si le cadeau est banalisé, voire systématisé, cela signifie que le système en lui-même est corrompu », dit Frédéric Colin, Maître de conférences à l’Université Paul-Cézanne à Aix-en-Provence (Actualité juridique – Fonctions publiques, chez Dalloz).

Pour le policier français, la bonne règle voudrait qu’il n’accepte aucun cadeau ni aucune récompense. Il n’est pourtant pas inhabituel que la victime d’un vol, par exemple, tienne à montrer sa reconnaissance aux enquêteurs qui ont retrouvé ses bijoux, ses tableaux… C’est ainsi que l’ancien Orphelinat de la police (aujourd’hui Orpheopolis) a reçu parfois des donations d’une valeur assez inhabituelle. Je me souviens d’une anecdote… Le producteur de la série télévisée du Commissaire Moulin avait obtenu l’autorisation (rare) de tourner quelques séquences dans la cour mythique du 36. Et, pour remercier, il avait pris l’initiative de faire parvenir au directeur de la PJ une caisse de champagne. Celle-ci lui avait été retournée avec un mot sec, du genre : Un policier n’accepte pas de cadeau. Tout le monde n’a pas forcément le charisme de M. Jean-Pierre Sanguy, puisque c’est de lui dont il s’agit. Pour la petite histoire, c’est ce même personnage qui, quelques années auparavant, dans une affaire dramatique qui avait sérieusement perturbé la brigade antigang de Nice, et qui s’était traduite par la mort d’un jeune gardien de la paix, avait écrit au magistrat pour lui demander d’être inculpé au même titre que ses hommes. Alors que l’information judiciaire avait été ouverte pour assassinat.

Et, lorsqu’on se tourne vers la presse, le quatrième pouvoir, les choses ne sont pas plus évidentes. Si la plupart des rédactions mettent en commun les cadeaux que les journalistes reçoivent, c’est à l’initiative de chacun. Je crois savoir que cela se passe ainsi au Monde, notamment pour les livres envoyés par les éditeurs. Dans un autre journal, en fin d’année, une amie a reçu une caisse de bons vins. Situation embarrassante, lorsqu’on a le code de déontologie comme livre de chevet… Difficile de retourner le présent sans froisser le donateur. Discrètement, elle a fait suivre la caisse au comité d’entreprise. J’espère qu’ils en ont fait bon usage… Mais quid de ces voyages de presse offerts par des annonceurs publicitaires ! Ou de ces journalistes ou pseudo-journalistes qui chaque année figurent sur la liste de la promotion à la Légion d’honneur ! Il n’y a pas de honte, disent certains, à accepter une médaille. Et pourtant, M. Woerth est bien soupçonné d’avoir utilisé ce stratagème pour faire embaucher son épouse par Patrice de Maistres, le gestionnaire de la fortune de Liliane Bettencourt. Heureusement, certaines journalistes ont une autre opinion de leur métier. Comme Françoise Fressoz et Marie-Ève Malouines qui en janvier 2009 ont refusé cette distinction.

Pour les fonctionnaires, les limites entre le pénal et l’administratif sont parfois bien floues. Ainsi, lorsque l’on nous dit que le commissaire Michel Neyret s’est fait offrir un voyage au Maroc, que faut-il en penser ? Eh bien, s’il a accepté ce cadeau en échange ou en remerciement d’un service, c’est de la corruption passive (corruption active pour le corrupteur). Mais s’il n’existait aucune contrepartie à ce cadeau, alors, cela ne regarde pas le juge. Il s’agit d’une faute qui entraine une sanction administrative.

Pas facile de démêler l’écheveau. Et il faut bien reconnaître que la France est un peu à la traîne pour lutter contre la corruption. D’autant que la prolifération du « Secret défense » a encore compliqué les choses. Le FBI, par exemple, n’hésite pas à utiliser tous les moyens pour parvenir au flagrant délit. La preuve absolue en la matière. Chez nous, il n’y a guère d’exemple. L’affaire Schuller, peut-être, en 1995. Dans laquelle, une information recueillie par le juge Éric Halphen a permis aux enquêteurs de surprendre une remise de fonds de la main à la main. Il s’agissait, on s’en souvient, de l’affaire des HLM de la Ville de Paris (résumé sur Wikipédia). La création de la brigade centrale de lutte contre la corruption (BCLC) date seulement de 2004. Mais, à ce jour, on ne lui a jamais donné les moyens suffisants pour être véritablement performante. Elle compterait cinq fois moins d’enquêteurs que son équivalent en Belgique. Pire, ces dernières années, la sous-direction des affaires économiques et financières a plus ou moins été démantelée. Bien sûr, il y a Tracfin. Mais ce service ne brille pas par sa transparence. D’ailleurs n’est-il pas assimilé à un service secret ? Je pose seulement la question… Transparence International France remarque que seulement deux condamnations mineures ont été prononcées à ce jour au titre de la Convention sur la corruption entrée en vigueur il y a dix ans. Alors que dans le même temps, l’Allemagne a prononcé 42 condamnations et les États-Unis, 88.

Alors, soit nous sommes un pays particulièrement vertueux, soit, malgré les effets de manche et les mouvements d’épaule, la volonté politique n’y est pas.

Les hackers sont-ils des terroristes ?

Il y a quelques jours, Anonymous piratait le site d’un syndicat de police. L’action des « cyber-activistes » se serait traduite par la publication pendant quelques heures des coordonnées personnelles de 541 policiers.

Publier des informations permettant d’identifier quelqu’un dans l’intention de lui nuire est un délit, mais il n’est pas sûr que le texte soit bien adapté. L’année dernière, pour des événements sensiblement similaires, le ministre de l’Intérieur avait préféré déposer plainte pour diffamation publique. En revanche, le fait de s’introduire dans « tout ou partie d’un système de traitement automatisé de données » entraîne une kyrielle de sanctions prévues dans les articles 323-1 et suivants du code pénal. Et la volonté d’entraver le fonctionnement d’un système informatique, par exemple en le saturant, est considéré comme un déni de service (5 ans de prison).

Tout cela ne fait pas des Anonymous de dangereux terroristes. Sauf, évidemment, si les autorités du pays estimaient que par leur action, ils portent atteinte aux « intérêts fondamentaux de la Nation ». Dans ce cas, peut-être, l’article 411-9 pourrait s’appliquer (15 ans de détention criminelle)…

Mais alors, pourquoi la DCRI est-elle chargée de ce type d’enquête ? C’est tout simplement que cette direction de la police nationale a hérité des services techniques de la DST. Qui, il n’y a pas si longtemps, étaient chargés entre autres de la « police des communications radioélectriques » (PCR). Et même – un peu plus avant – de la surveillance des pigeons voyageurs. Si, si ! Il y avait un groupe « colombophilie » composé, il est vrai, d’un seul enquêteur. L’ami Raymond. Les anciens de la PCR (comme moi) se souviennent des « nuits gonio » passées dans l’ancien centre d’écoutes de « la Grenouillère », à Noisy-le-Grand ; ou de la chasse aux fanas de la « citizen band », les gentils rebelles des années 60. Bon, d’accord, ce sont les mêmes poulagas qui ont tenté de « bidouiller » les locaux du Canard Enchaîné… Personne n’est parfait.

Heureusement, ces « techniciens » d’aujourd’hui ne semblent pas plus méchants que ceux des décennies précédentes. Du moins si l’on se rapporte au récit que fait Pierrick Goujon de son arrestation, à OWNI, ou sur une page personnelle : « Je ne crache pas sur des mecs qui font leur métier, ceux à qui j’ai eu affaire étaient vraiment sympas (…) Merci pour ce que vous avez fait pour moi. Et de m’avoir laissé fumer 20 clopes en 60 heures, je sais que beaucoup ne l’auraient pas fait. »

C’est vrai qu’ils sont plutôt sympas, à la DCRI. Ils auraient pu verbaliser pour « tabagisme dans un lieu à usage collectif »…

 « Nous traversons le présent les yeux bandés… », dit Soph’, dans un commentaire du billet précédent, citant Milan Kundera.

Il y a 25 ans, le 9 juillet 1986, une bombe explosait dans les locaux de la brigade de répression du banditisme (BRB) de Paris : un mort, l’inspecteur divisionnaire Basdevant, et vingt blessés. L’attentat était revendiqué par un groupuscule inconnu qui aurait voulu venger un jeune homme tué par les CRS. Toutefois, à l’époque, l’enquête s’est plutôt orientée vers l’artificier de l’Organisation de l’armée secrète (OAS) – aujourd’hui en règle avec la société. Jacques Chirac, alors tout nouveau Premier ministre de François Mitterrand, s’était déplacé Quai de Gesvres : « La police est de nouveau en deuil, une fois encore, etc. ». Bon, sur le petit film de l’Ina, on voit bien qu’il a d’autres soucis en tête que la mort d’un poulet. « Notre nouvelle frontière, ce doit être l’emploi », avait-il déclaré quelques semaines plus tôt, lors de son discours de politique générale prononcé devant l’Assemblée nationale. La même volonté farouche de lutter contre le chômage que dimanche dernier, sur le petit écran…

Tout ça pour dire qu’il n’est pas mauvais de se tourner vers son passé et de vivre le présent avec discernement.

 

Les Anonymous peuvent-ils manifester masqués ?

Ils appellent à la manifestation aujourd’hui 28 janvier 2012. Les Anonymous se présentent comme des « hacktivistes » et ambitionnent de protéger l’Internet de toute censure, qu’elle soit politique ou commerciale. Mais là, ils veulent lever la tête de leur écran pour descendre dans la rue.

Ils peuvent le faire, mais à condition de tomber le masque.

En effet, à la suite des manifestations de Strasbourg, en avril 2009, en marge du sommet de l’OTAN, le gouvernement a décidé de poursuivre les manifestants masqués. Pas de loi, mais un décret en date du 19 juin 2009, plaisamment baptisé « décret anti-cagoules ». Le Code pénal a donc été enjolivé de l’article R-645-14. Il prévoit une amende de 1 500 € pour toute personne qui, dans une manif ou à proximité immédiate, dissimule volontairement son visage afin de ne pas être identifiée « dans des circonstances faisant craindre des atteintes à l’ordre public ». La peine est doublée en cas de récidive. Et si le manifestant commettait un délit (violences, casse, etc.), cela aggraverait sérieusement son cas.
Mais le texte est ambigu. Il semble bien que le simple fait de dissimuler son visage ne soit pas suffisant pour constituer l’infraction. Il faut le faire avec l’intention d’échapper à toute identification et en agissant de telle manière que les autorités puissent craindre un trouble à l’ordre public. Deux éléments subjectifs qui rendent les poursuites délicates…

S’emmitoufler pour lutter contre le froid, se protéger des gaz lacrymogènes, etc. peut très bien justifier qu’on dissimule son visage. Autrement dit, il peut exister un motif légitime.

On peut également se demander ce que signifie la dérogation qui vise des « usages locaux »… Des médecins et des infirmiers, par exemple, qui manifesteraient devant leur hôpital avec leur masque médical tomberaient-ils sous le coup de la loi ?

La question se pose de la même manière pour les Anonymous. Si, dans une manif, seulement quelques dizaines de personnes sont masquées, elles ont de fortes chances d’être interpellées. Mais si, dans un rassemblement pacifique, sans casse, sans violence…, tout le monde porte le masque de Guy Fawkes, doit-on considérer que les manifestants cherchent à cacher leur identité ou simplement qu’ils affichent le symbole de leur mouvement ?

Intellectuellement, on peut se poser la question, mais sur le terrain, ce sont les responsables du maintien de l’ordre qui prendront la décision. Ce qui ne sera pas, on s’en doute, à l’avantage des manifestants. Toutefois, devant le juge, il pourrait bien en être autrement. Et ce texte, volontairement évasif, pris pour faciliter le travail des forces de sécurité, jouerait alors en faveur du justiciable.

Le blogueur et le secret des sources

Le site d’informations Huffington Post, version française, ouvre largement ses pages aux blogueurs et, dans le même temps, la juge parisienne Sylvia Zimmermann vient de rappeler aux puissants de ce monde qu’on ne rigole pas avec le secret des sources des journalistes. Peut-on rapprocher ces deux éléments ? En deux mots, les blogueurs peuvent-ils profiter eux aussi de la loi qui consacre la protection des sources?

Sur le plan intellectuel, la question est amusante, mais elle n’est pas complètement gratuite. Alors que l’on potinait pas mal sur l’affaire visant le commissaire Michel Neyret, un ami lyonnais m’a demandé : « Tu tiens un blog sur le site du Monde, mais est-ce-que tu bénéficies du secret des sources? » Sourcils au ras du front, je lui ai répondu que je ne n’en savais rien – probablement pas.

Pourtant, aujourd’hui, les blogueurs « d’information » tiennent une place de plus en plus présente sur le Net. Sans que l’on sache d’ailleurs très bien s’il s’agit de professionnels ou non. En effet, beaucoup de journalistes tiennent un blog et animent des réseaux sociaux. Faut dire que l’employeur met souvent la pression. « Incontournable, Coco, il faut créer un lien avec les lecteurs ». Mais ces mêmes journaux, comme LeMonde.fr, ouvrent également leurs colonnes à leurs abonnés, parfois en mixant leurs billets aux articles des journalistes de leur rédaction.

Que dit le législateur ?

Cette loi du 4 janvier 2010, prise sous la pression de la CEDH, a modifié l’article 2 de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881.

Source Dalloz

Par parenthèse, et pour coller un peu à l’actu, on voit qu’elle prévoit des exceptions. Mais comme celles-ci sont basées sur une appréciation subjective des événements, tout cela n’est pas très clair. Une loi tellement évasive, que même les magistrats s’emmêlent les pinceaux… Pour les fadettes des journalistes du Monde qui enquêtaient sur l’affaire Woerth/Bettencourt, la Cour de cassation a estimé que ces faits ne constituaient pas un « impératif prépondérant d’intérêt public ». En revanche, les choses sont moins évidentes pour le procureur de Marseille qui, lui aussi, a demandé les fadettes de journalistes de ce journal, à la suite d’un article sur le banditisme corse, mais en argumentant sur « la gravité du crime ».

Mais pour en revenir au blogueur, à la première lecture, on se dit qu’il n’est pas concerné – sauf s’il est journaliste. Il faut donc, pour y voir clair, tenter de définir le blogueur et le journaliste.

J’ai trouvé cette définition du blog dans le répertoire Dalloz : « C’est en fait un outil de communication au public en ligne par lequel l’internaute exprime ses avis et opinions, promeut des produits et services, ou encore réagit dans le cadre de sa vie personnelle ou professionnelle. »

Et la loi de 2010 donne une définition « légale » du journaliste (voir l’encadré). En deux mots, et juste pour ce qui nous intéresse, c’est quelqu’un qui exerce la profession de communicant en ligne. Sous-entendu : il faut gagner sa vie sur Internet. Je ne sais pas s’il y a des journaux qui rémunèrent leurs blogueurs. Sur le site du Monde, pour les « blogueurs invités », il n’y a pas de salaire, mais une répartition des recettes publicitaires qui sont reversées sous forme de droits d’auteur. Et je ne pense pas que l’on puisse en vivre. (Ou alors, il faut avoir de petits besoins.) Pour le site Huffington Post, j’ai cru comprendre que les blogueurs seraient des bénévoles. Pourtant, il y a des pointures. Et même Anne Sinclair, ne sera pas payée. Et c’est là où ça fait tilt : Peut-on exercer une profession sans être rétribué ? La loi ne l’interdit pas (au passage, je me permets de recommander, sur HuffPo (?), ce billet du professeur Guy Carcassonne : Il est désormais recommandé d’interdire). La question est de savoir si la loi de 2010 peut s’appliquer à un journaliste qui n’est pas rétribué ? Je n’ai pas la réponse, mais si c’est non, on arriverait à cette situation drolatique où la directrice éditoriale d’un organe de presse ne serait pas protégée, tandis que ses journalistes, eux, le seraient. Amusant, non ! D’autant que cette loi donne également des protections juridiques en cas de perquisition tant dans les locaux professionnels qu’au domicile des journalistes.

Mais, à l’inverse, si l’on estime que Mme Sinclair est protégée, alors, je ne vois pas pourquoi « les blogueurs professionnels non rémunérés » ne le seraient pas. D’autant, qu’en toute logique, on s’acheminera peu à peu vers des blogueurs normalement rétribués pour leur travail. Aujourd’hui, sur le site américain de Huffington Post, ce serait le cas pour environ 450 d’entre eux (sur 9 000).

Dans une décision de décembre 2011, la Cour de cassation a quant à elle estimé que le journaliste professionnel est celui qui apporte à une entreprise de presse une collaboration constante et régulière et qui en tire l’essentiel de ses ressources. Si l’on comprend bien, et contrairement à l’article L.7111-3 du Code du travail, il ne serait pas obligatoire qu’il s’agisse d’une « activité principale ».

En matière pénale, le blogueur est souvent considéré comme directeur de publication. Et, à ce titre, il est tenu de respecter toutes les règles issues de la loi sur la presse (diffamation, injure, provocation, incitation, etc.), ainsi que les lois qui protègent la propriété intellectuelle ou celles qui concernent le respect de la vie privée.

Alors la fameuse loi de 1881 serait à géométrie variable…

On peut en sourire. Et se dire que les blogueurs comptent pour peu de choses dans l’information. Et pourtant, aux États-Unis, c’est en partie grâce à leur mobilisation que le Congrès fait actellement du rétropédalage dans la loi qui durcit la répression en matière de chargement illégal. « Les geeks libertaires et les blogueurs de l’Amérique profonde ont remporté une victoire politique mémorable sur la « vieille économie » d’Hollywood et des médias classiques… », peut-on lire dans Le Monde de ce jour. Avec cette prophétie de Chris Dodd, le nouveau patron de l’industrie du cinéma : « C’est une ère nouvelle. Attendez-vous à tout. »

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 – 26 janvier : Un problème technique bloque les commentaires sur ce billet. Désolé.

– 27 janvier : Problème réglé.

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