« C’est comme un coup poing dans la gueule ! » m’a dit un policier de PJ. Et je le comprends bien. Raison pour laquelle j’ai tant de mal à écrire ce billet. Michel Neyret fait sans doute partie du dernier quarteron de flics à l’ancienne. De ceux qui ont encore la connaissance du « milieu ». Qui sont capables, non pas de réciter l’état-civil d’un voyou en tapotant le clavier d’un ordinateur, mais de vous raconter sa vie, ses habitudes, ses relations, ses maîtresses, avec des anecdotes et des péripéties ; ce genre de détails qu’on trouve généralement dans les polars. Et cela nécessite de côtoyer les voyous.
Ce n’est pas sans risque. Pas mal de poulets y ont laissé des plumes. J’ai l’impression que lui, il vivait son métier comme un film. Soyons clair ! Pour être efficace, le flic doit non seulement mouiller sa chemise, mais se mouiller tout court. Je ne sais pas jusqu’où Michel Neyret est allé, mais il semble bien qu’il se soit trop approché de la flamme…
L’histoire se répète. Il existait, il y a quelques dizaines d’années, des « groupes de pénétration ». Des policiers qui laissaient leur plaque au vestiaire et menaient la vie d’un truand, pour mieux s’infiltrer dans le milieu. Un exercice dangereux à bien des égards qui nécessite à la fois des nerfs solides et un encadrement serré : des chefs capables de bien baliser le terrain. Vers le milieu des années 60, à la suite de plusieurs dérapages, la police parisienne décide de changer radicalement son fusil d’épaule : on ne pénètre plus le milieu, mais on le surveille de l’extérieur. C’est ainsi que le commissaire Le Mouel créé la brigade de recherche et d’intervention (BRI) : la première brigade antigang. Grosso modo, sa mission se résume en des écoutes téléphoniques, de la documentation, des planques et des filoches. Mais l’une des premières interventions en flag se termine par une fusillade sur la voie publique. On m’a même raconté que le landau d’un bébé avait été traversé par une balle perdue. Je ne sais pas si c’est vrai, en tout cas, pour éviter les bavures, François Le Mouel décide d’intervenir avant que les braqueurs ne passent à l’action. Cette fois, c’est la justice qui a du mal à suivre, ne retenant pas la tentative de vol qualifié et limitant la répression à des délits annexes. Ce qui conduit à une nouvelle méthode d’intervention : l’opération retour. Autrement dit, on laisse les braqueurs faire le coup et on les interpelle plus tard, lorsqu’ils ne sont plus sous pression. Avec le butin. Une technique efficace, mais un peu en forme de renoncement, car elle fait prendre des risques aux victimes de l’agression ou du braquage. Néanmoins, elle est encore utilisée de nos jours. Si vous lisez dans la presse que des policiers ont pris en chasse des truands dont l’allure ou la voiture leur a paru suspecte, il y a de fortes chances qu’il s’agisse d’une opération retour qui a foiré. Autrement dit, les flics se sont fait détroncher.
Donc, plus d’infiltration dans le milieu et plus d’indicateurs, en raison de l’impossibilité de leur promettre l’impunité ou de les rétribuer. Sauf en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants, où la monnaie d’échange est toute trouvée : on prélève une petite partie de la saisie. Pas très moral, on en convient. Un système qui a néanmoins fait ses preuves dans les services opérationnels de la douane. Il faut savoir qu’en général, sur instruction du procureur ou du juge d’instruction, la drogue saisie est incinérée. Mais, même si un procès-verbal de destruction est rédigé, il est assez facile de tricher. Et qu’on ne me dise pas que personne ne le sait, puisque ces dernières années, à petites touches, le législateur a tenté de régulariser la situation des indics. L’article 706-81 et 82 du nouveau code de procédure pénale a même remis à l’ordre du jour l’infiltration des policiers au sein des « bandes organisées ». Ils sont autorisés à se faire passer auprès des suspects pour des « coauteurs, complices ou receleurs ». Ils peuvent, sans être pénalement responsables « acquérir, détenir, transporter, livrer ou délivrer des substances, biens, produits, documents ou informations tirés de la commission des infractions ou servant à la commission des infractions ». Ils peuvent également mettre à la disposition des voyous des moyens de transport, d’hébergement, etc. Tout cela, bien sûr, en suivant un certain protocole. Mais, ces nouvelles dispositions légales ne sont-elles pas la porte ouverte aux abus ? Et si des policiers tombent sur des policiers infiltrés, comment ne pas penser qu’il s’agit de ripoux ?
Michel Neyret possède un tableau de chasse hors du commun. Aussi, lorsque j’entends qu’un haut responsable du ministère de l’Intérieur l’a traité de « pourri », je suppose que ce monsieur a eu accès à la procédure. Ce qui n’est pas mon cas. On me dit : on lui prêtait de belles voitures, on lui offrait des voyages, etc. Une erreur qu’on ne peut pardonner ni à un policier ni à un ministre. Mais je n’ai pas souvenir que l’ancienne garde des Sceaux ait fait l’objet de poursuites judiciaires… La vraie question est de savoir s’il s’est enrichi en vendant de la drogue ou s’il a accepté des pots-de-vin. Si c’est le cas, c’est un ripou. Il doit payer – et lourdement. Pourtant, pour ce que j’en sais, c’est un homme qui n’avait pas besoin d’argent. Comme on dit, son traitement de commissaire, c’était son argent de poche.
M. Bordenave, dans Le Monde de ce jour, dresse une liste des commissaires qui ont eu maille à partir avec la justice. Elle remonte jusqu’en 1993. Dommage. Quelques années de plus et il aurait pu ajouter le nom du commissaire Yves Jobic, lequel, englué dans un turbin monté par la pègre, s’est retrouvé derrière les barreaux. À l’issue de son procès, le président du tribunal a prononcé le verdict : non coupable.
Tout comme tel ministre ou tel procureur, Michel Neyret s’est sans doute laissé gagner par un sentiment d’impunité. Le pouvoir rend immature. Mais n’en faisons pas un chef de gang. Même s’il a entraîné dans son sillage d’autres policiers et quelques magistrats, il faut savoir si, à défaut d’avoir respecté la règle, il a agi dans l’esprit du nouveau code de procédure pénale ou pour en tirer des avantages personnels.
Des têtes vont tomber – et c’est normal. Au début des années 70, un scandale identique avait secoué la police lyonnaise. Le ministre de l’Intérieur de l’époque, Raymond Marcellin, avait alors complètement démantelé la police judiciaire lyonnaise. Avec une consigne : plus d’indics, plus de d’infiltration dans le milieu. Ce qui avait abouti à la création, quelques années plus tard de la première brigade antigang hors Paris. Brigade que Michel Neyret a dirigée pendant plus de vingt ans. Bien trop longtemps, sans doute. Et aujourd’hui, on inscrit l’infiltration des bandes organisées dans le Code de procédure pénale. C’est une erreur : trop de risques, trop de tentations.