Il y a trois jours, dans son émission Crimewatch, la BBC a tenté de reconstituer l’enquête sur la disparition de la petite Madeleine McCann. On s’en souvient, c’était le 3 mai 2007, dans une station balnéaire, au sud du Portugal. Coïncidence, la diffusion était programmée en plein milieu du procès qui oppose les parents de la fillette à Gonçalo Amaral, le policier qui a mené les investigations. L’émission a fait exploser l’audimat. Il faut dire que le lancement avait été mitonné. Il fallait s’attendre à des révélations fracassantes de la part des enquêteurs de Scotland yard, peut-être même à des arrestations en direct d’après certains tabloïds… Interviewé par une télévision espagnole au lendemain de cette diffusion, Amaral, a résumé l’avis de pas mal de Portugais : « Zéro nouvelle ! ». Continue reading
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Au troisième jour du procès des agresseurs de Karim Achoui, le commissaire divisionnaire Stéphane Lapeyre s’est défendu bec et ongles des accusations portées contre lui. Il a nié toute implication dans la tentative d’assassinat dont a été victime l’ancien avocat, en 2007. Par sa carrière, ce commissaire a gagné qu’on l’écoute. Et il faut avouer que l’idée d’un complot fomenté par la police judiciaire pour éliminer un avocat au talent trop dérangeant ne tient guère la route. Même si le scénario ne manque pas d’originalité…
Stéphane Lapeyre a permis l’identification et l’arrestation des accusés qui doivent répondre de tentative d’assassinat ou de complicité, en désignant, comme tireur présumé, l’un de ses anciens indics, Ruddy Terranova. Continue reading
Le jeune homme qui a avoué avoir violé et tué Léa, à Montpellier, une nuit de la Saint-Sylvestre, sera-t-il un jour jugé ? En tout cas, si, malgré les arguties juridiques, il doit rendre compte de ses actes devant un jury d’assises, son procès sera bardé d’incertitudes. Mais pas sûr qu’il ait lieu. On le saura le 18 mai prochain.
Pourtant, pour Thomas Meindl, le juge qui a instruit l’enquête, les faits ne font guère de doutes. Rarement une affaire criminelle n’aura été aussi carrée. Du moins dans les actes – car sur le plan juridique, on patauge dans la semoule. Aussi, il y a une quinzaine de jours, il a refermé son dossier en ordonnant la mise en accusation du dénommé Seureau Gérald, 26 ans, pour avoir dans la nuit du 31 décembre 2010 donné volontairement la mort à Léa. Crime accompagné de plusieurs viols caractérisés.
Mais l’avocat du (futur ?) accusé ne l’entend pas de cette oreille. Il a fait appel de cette décision et demande à la chambre d’instruction de constater l’insuffisance de charges, en tenant compte du fait que les aveux de son client ne sont pas conformes au droit : absence d’avocat lors des auditions et droit de garder le silence. Pour lui, avec ce qu’il reste dans le dossier, il pourrait tout au plus être poursuivi pour des violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner.
On imagine la consternation de la famille de la victime. Et ce sentiment de révolte, cet écœurement, contre une justice qui ne ferait pas justice.
Et pourtant, dans cette affaire, les enquêteurs, les magistrats, tout le monde a fait son job. Aucune erreur.
Enfin si. On peut quand même reprocher aux policiers de ne pas avoir prévu que quelques mois après ce crime, les députés allaient adopter une loi pour réformer la garde à vue. Un truc qu’on n’apprend pas encore dans les écoles de police : prévoir le futur.
Donc, en ce 1er janvier 2011, Gérald Seureau a reconnu ses crimes, après avoir – comme c’était la règle à l’époque – simplement consulté son avocat. Et, 3 mois plus tard, nos élus pondent un texte plus conforme au droit européen applicable en principe au 1er juin 2011. Toutefois, pour éviter l’annulation des procédures en cours, on déroge et l’on applique les grandes lignes dans l’urgence. Et urgence il y a, puisqu’au lendemain de cette loi, la Cour de cassation estime en deux mots que toutes les gardes à vue antérieures sont entachées de nullité. Une tempête judiciaire. Heureusement, il y a dans le code de procédure pénale un petit article, le 173-1, qui fixe la durée de l’appel à 6 mois après la mise en examen. Ouf ! On limite la casse.
Mais pour le meurtre de Léa, on est en plein dedans.
Durant sa garde à vue, Gérald Seureau fait des aveux circonstanciés. Et comme c’était à craindre, en juin 2012, la Cour d’appel de Toulouse annule tous les procès-verbaux d’auditions ainsi que les enregistrements audiovisuels afférents et certaines investigations connexes.
Néanmoins, le dossier n’est pas vide. Il existe contre lui de nombreux témoignages et des éléments matériels : sa gourmette retrouvée sur les lieux du crime, ses vêtements tâchés du sang de la victime, saisis à son domicile, et surtout des traces de sperme, identifié comme étant le sien, prélevées en plusieurs endroits sur le corps de la jeune fille.
Mais aujourd’hui, Gérald Seureau, ne se souvient plus de rien. Tout au plus reconnaît-il un flirt avec Léa et quelques coups sans conséquences qu’il lui aurait administrés.
Alors, peut-il s’en sortir comme ça ?
On peut résumer les premières heures de l’enquête de la manière suivante :
Vers 21 heures, le père de Léa vient signaler au commissariat la disparition de sa fille. Il est accompagné de Seureau, la dernière personne à lui avoir parlé. Les policiers enregistrent son témoignage, mais, lorsqu’il retire un gant pour signer son P-V, ils constatent l’existence d’ecchymoses sur sa main. On peut penser qu’ils le pressent de questions. Il y a peut-être quelque part une jeune fille à sauver ! Dans le même temps, un témoin déclare que, lorsqu’il a aperçu le jeune homme vers 14 heures, il a remarqué qu’il avait des griffures sur les avant-bras, que son tee-shirt était déchiré et que son pantalon portait une large tache de sang.
Spontanément, Gérald Seureau avoue alors qu’il a abandonné Léa dans un parc, sans trop savoir dans quel état elle se trouvait. Et il accepte de conduire les enquêteurs sur place. Sur ses indications, ceux-ci découvrent le corps dénudé et sans vie de la jeune fille. Lors de l’autopsie, les médecins légistes noteront de nombreuses blessures et des lésions en plusieurs endroits consécutives à des pénétrations sexuelles.
Entre ces événements et les éléments matériels subsistants après l’écrémage de la Cour d’appel, il reste probablement suffisamment d’éléments pour convaincre les jurés d’une Cour d’assises. Mais qu’en dit le droit, ou plutôt la jurisprudence ?
« Quand bien même des aveux auraient été recueillis au cours d’une garde à vue s’étant déroulée dans des conditions irrégulières, il reste possible à la juridiction de jugement de prononcer une déclaration de culpabilité dès lors que cette déclaration se fonde sur des éléments autres que ces aveux » (Xavier Salvat, avocat général à la Cour de cassation – Revue de science criminelle 2013). Mais encore faut-il que ces « éléments autres » n’aient aucun lien avec les aveux obtenus hors de la présence de l’avocat, a décrété la Cour de Strasbourg en 2012. En fait, pour résumer, en cas de jugement et de condamnation, il appartiendrait probablement à la plus haute juridiction pénale, voire à la Cour de Strasbourg, de vérifier que cette condamnation a été faite sans tenir compte des zones de l’enquête invalidées.
Un long parcours judiciaire.
Karine Bonhoure, la maman de Léa, crie son indignation : « Le procès, initialement prévu au début de l’année 2012, n’a toujours pas eu lieu. Je me trouve aujourd’hui confrontée, pour la quatrième fois, à un recours de la défense… » Face aux techniciens du droit, elle n’a que sa douleur. Seuls les élus locaux l’appuient. Dans la mairie de Mauguio, près de Montpellier, un livre de soutien a été ouvert. Et, le 15 mai à 18 heures 30, une réunion silencieuse est prévue à Montpellier, Toulouse et Paris.
À qui devons nous ce pataquès ? Je vous laisse juge. En tout cas, si Gérald Seureau évitait le procès, ou s’il devait être acquitté aux seuls bénéfices de règles de procédure pénale, je me demande si la famille de Léa ne pourrait pas attaquer la France devant la Cour européenne pour déni de justice.
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Sur son blog, Maître Éolas voit les choses de façon différente : De l’absurde jusqu’au droit.
La mère de la petite Typhaine et son compagnon viennent d’être respectivement condamnés à 30 ans de réclusion. Au cours du procès, des propos terribles ont été tenus : l’enfant ne parvenait pas à dormir, sa mère, Anne-Sophie Faucheur, lui assène alors une série de coups. Puis elle enfile des baskets avant de la frapper de nouveau, cette fois, au ventre. Pendant ce temps, Nicolas Willot, son compagnon, maintient Typhaine. Elle n’a que 5 ans. Pourtant, au mois de juin 2012, devant les caméras, ce couple faisait pitié en implorant qu’on leur rende leur enfant. Aussi, devant la Cour d’assises, lorsque l’expert psychiatrique affirme qu’il n’existait pas chez la mère « une volonté consciente, claire, affirmée » de tuer sa fille, on comprend bien que les jurés soient restés dubitatifs.
Il y a quelques jours, en Seine-et-Marne, ce sont les parents d’une fillette de deux ans, disparue en 2011, qui ont été mis en examen pour homicide volontaire. Elle était enterrée (son corps n’a pas été formellement identifié à ce jour) à 500 mètres de leur domicile.
Ces affaires, et bien d’autres, attirent l’attention sur les difficultés que rencontrent les policiers ou les gendarmes lorsqu’ils sont confrontés à la disparition d’un enfant. Il n’est pas facile de rester de marbre devant des parents qui sont au désespoir. Et pourtant, pas question de céder à l’empathie ou au moindre sentiment qui pourrait brouiller le jugement. Entre les pleurs de parents coupables et ceux de parents accablés de douleur, comment faire la différence ? Et souvent, au sein même du groupe des enquêteurs, les avis sont partagés.
Il n’y a pas de formule miracle. Pas de profileur magique, comme dans les séries télé. Ici, même la police scientifique marque le pas et doit laisser la place aux vieilles méthodes : le flair ou la technique en apparence éculée du bon et du méchant flic. Ainsi, après la disparition de Typhaine, les policiers du SRPJ de Lille ont placé le couple en garde à vue durant quelques heures, puis l’ont relâché. Car la pratique montre que ce n’est pas le moment opportun pour obtenir des aveux. Dans ces affaires où l’on se rapproche de l’infanticide, le déni est trop important. Une enquête qui démarre sur des certitudes finit souvent en déconfiture.
Et il ne faut pas se tromper de priorité : d’abord, retrouver l’enfant. Mais, le temps de l’urgence révolu, les investigations traditionnelles reprennent leurs droits : vérifications, témoignages, recoupements, reconstitution, planques, filatures, surveillances techniques, etc. C’est qui s’est passé pour Typhaine. Et les comptes-rendus de surveillance sont accablants. « Faire des blagues salaces sur la juge d’instruction, se masturber le soir en webcam sur des sites porno, aller sur des sites de rencontre, danser à un baptême, à un mariage, faire la fête, faire des dîners, faire des projets de mariage… Tout ce qu’on voyait en sous-marin était loin, très loin de l’image du couple dévasté qu’ils avaient voulu donner en conférence de presse », déclare un policier à la barre de la Cour d’assises.
Les policiers savent, mais ils n’interviennent pas. À défaut de preuves, ils accumulent des éléments. Et, sans doute pour mieux mettre Anne-Sophie Faucheur et Nicolas Willot en confiance, le juge d’instruction les convoque pour les entendre en tant que partie civile. « Ça veut dire qu’on reconnaît leur qualité de victimes », dira alors leur avocat.
Le piège se referme. Devant un jeune policier, un nouveau visage, la maman laisse échapper qu’elle a vu sa fille mourir. Elle parle d’un accident. Un premier aveu, ou plutôt une confidence. Il ne reste plus qu’à tirer doucement sur le fil. Du grand art.
Dans ce type d’enquête, on marche sur des œufs. La hantise, c’est de se tromper et de passer à côté de la moindre chance de sauver l’enfant. Car l’expérience ne joue pas vraiment tant chaque situation est différente. Ainsi, lors de la disparition du petit Antoine, le 11 septembre 2008, les enquêteurs ont d’abord pensé à une fugue. Trois jours plus tard, le procureur déclare : « Plus le temps passe, plus l’hypothèse de la fugue perd de la consistance… » Une douzaine de jours après les faits, la mère de l’enfant, Alexandrine Brugerolle de Fraissinette, et plusieurs personnes de son entourage, sont placées en garde à vue. L’appartement de la jeune femme est investi par les techniciens de l’identité judiciaire. Les murs sont sondés, des lamelles de parquet soulevées, les lieux passés à la lumière fluorescente. Deux petites gouttes de sang, minuscules, d’un millimètre de circonférence, sont finalement détectées près de l’interrupteur, dans la chambre d’Antoine. Et c’est tout. Autrement dit, rien ! « Il faut tout reprendre à zéro » , déclare l’un des responsables de l’enquête. Aujourd’hui, le dossier n’est pas classé, bien sûr ! D’ailleurs, récemment, la mère a été de nouveau placée en garde à vue. Mais on ne sait toujours pas ce qui est arrivé au petit Antoine. Il avait 6 ans et ½.
Dans l’affaire de la petite Maddie, disparue le 3 mai 2007, au Portugal, on touche aux limites de l’absurde. Un flic y a laissé sa carrière : le commissaire Gonçalo Amaral. Dès le début de l’enquête, il relève des contradictions dans les déclarations des parents, les McCann, des britanniques en vacances, qui tout de suite cherchent à se protéger en prenant contact avec les autorités de leur pays. Le policier pense à une mort accidentelle de la petite fille que les parents auraient dissimulée en laissant croire à un enlèvement. Mais il n’est pas suivi par sa hiérarchie. Viré de la police note pour avoir fait part de ses doutes à des journalistes, il a écrit un livre pour expliquer sa thèse. Aujourd’hui, ruiné, il doit se battre contre les avocats des McCann qui lui réclament 1.2 million de livres de réparations civiles. À noter que le procès qui devait avoir lieu prochainement a été ajourné. Y aurait-il de nouveaux éléments dans cette enquête qui a fait la Une des journaux du monde entier ?
En France, les policiers et les gendarmes possèdent toutes les armes juridiques pour enquêter sur la disparition d’un enfant (ou d’un majeur protégé). Avec un principe : tout signalement doit être considéré comme une disparition inquiétante et doit donner lieu à une enquête. S’il existe un désaccord entre eux et les déclarants, il appartient au procureur de trancher. Et dès qu’apparaît le moindre indice qui laisserait supposer une infraction, ce dernier actionne la procédure de flagrant délit. Avec les pouvoirs qui vont avec. Si au bout de quelques jours, l’enfant n’est toujours pas retrouvé, il peut ouvrir une information judiciaire ou décider de poursuivre les recherches en préliminaire.
Devant la disparition d’un enfant, plus que dans toute autre affaire, le procureur est l’élément clé. Il décide à chaud. C’est d’ailleurs lui qui détermine s’il faut déclencher l’alerte enlèvement. Souvent, le résultat de l’enquête dépendra de la justesse de ses décisions, de la symbiose entre lui et les policiers ou les gendarmes et aussi… de son aptitude à résister à la pression des médias.
La publication par Le Monde d’éléments provenant des constatations effectuées sur la scène de crime a semé un malaise au sein de la gendarmerie nationale. Au point, d’après Le Figaro, que le lieutenant-colonel qui dirige l’enquête s’est fendu d’un communiqué à l’AFP qui met indirectement en doute l’authenticité du reportage.
Comme il n’est pas dans les habitudes du Monde de « bidonner », on peut penser que cette fuite va nécessairement donner lieu à une enquête interne.
Pour être franc, le plan de com’ de la gendarmerie nationale et du parquet d’Annecy, surtout au début de l’affaire, en a surpris plus d’un. Mais ce flot d’informations était sans doute destiné à éviter tout clash avec nos voisins d’Outre-manche, comme cela avait été le cas pour les Portugais, lors de la disparition de la petite Maddie. Les deux juges d’instruction sont beaucoup plus discrets.
En tout cas, dans de récentes déclarations, le procureur Éric Maillaud souligne « l’absence de conviction personnelle » des enquêteurs français et britanniques. Ce qui laisse peu de doutes sur l’avancée de l’enquête : on est dans le fog.
Et même le formidable travail « technique » qui a permis de reconstituer en partie la scène de crime ne fait guère avancer les choses. On ne sait même pas quelle a été la première cible du tueur.
En fait, il semble bien que les seuls éléments concrets sur lesquels les enquêteurs peuvent s’appuyer sont les balles extraites du corps des victimes, les balles perdues et les douilles.
Après étude de ces pièces à conviction, les spécialistes seraient arrivés à la conclusion que l’arme utilisée est un pistolet automatique Parabellum Luger de calibre 7,65. Une arme qui a été en dotation dans l’armée suisse – et qui a une histoire…
À la fin du XIXe siècle, l’Autrichien Georg Luger développe une nouvelle arme de poing : le pistolet automatique Parabellum (du latin : prépare la guerre – dans l’expression Si tu veux la paix, prépare la guerre). Une arme à la forme caractéristique par sa culasse « à genouillère » et qui est devenue une sorte de mythe de l’arme de poing. Au point que le mot Parabellum est rapidement devenu synonyme de pistolet automatique. Chambré pour des munitions de 7,65 x 21 mm Para, il est adopté par l’armée allemande en 1908, mais au calibre 9 mm, sous le sigle P08 (pour Pistole 1908, l’année de l’homologation par l’armée). Tandis que l’armée suisse préférait conserver le calibre initial. Je suppose, mais je n’en suis pas sûr, que cette arme a été enregistrée en Allemagne en 1906, d’où P06. Toutefois, la commande effectuée par la Suisse est bien antérieure à cette date. Elle a d’ailleurs été la première nation à adopter le Parabellum 7,65 comme arme de poing réglementaire.
À partir de 1929, ce PA a été fabriqué à Berne. Il y en a eu 27 941 exemplaires pour les besoins de l’armée helvétique et 1 916 pour des civils. Ces derniers portent la lettre P devant le numéro de série (d’après Les armes à feu modernes, aux éditions Denoël, 1975). Il existe un marché restreint parmi les collectionneurs. On peut voir ici une vidéo d’une annonce concernant une arme de ce type (photo) vendue avec deux chargeurs au prix de 1 400 euros.
Ce pistolet a une capacité de huit cartouches. Comme les enquêteurs ont récupéré 25 étuis (ou douilles) on peut donc en déduire que le tireur possédait trois chargeurs et qu’il avait en plus une balle engagée dans le canon. Auquel cas il y a eu trois salves lors de la tuerie de Chevaline, chacune espacée de plusieurs secondes.
Toutefois, sauf dans les films, il est peu courant de se balader avec un pistolet et trois chargeurs. Si l’on retient l’hypothèse que le tueur n’en possédait que deux, cela signifie qu’il a dû réapprovisionner. Pour garnir un chargeur il faut d’abord l’éjecter, puis poser son arme pour libérer sa deuxième main, et, enfin, récupérer des cartouches pour les glisser dedans. Une opération délicate (il faut comprimer le ressort du chargeur) qui peut prendre plusieurs dizaines de secondes… Ensuite, on met le chargeur à poste et on actionne la culasse. Cela suppose que durant cette manipulation, à Chevaline, toutes les victimes étaient mortes, blessées ou tétanisées. En tout cas, incapables de prendre la fuite. Une fois son arme rechargée, on peut alors imaginer que l’assassin a fait le tour de « sa » scène de crime pour administrer à chacun le coup de grâce.
Ce qui conforte cette hypothèse, ce sont les fragments du pistolet retrouvés près du corps du cycliste. Probablement des morceaux d’une plaquette de crosse, la partie la plus fragile. Car pour regarnir son chargeur, lorsque l’on ne possède pas d’étui, il est presque naturel de glisser son arme sous son coude en la plaquant contre son corps. Un bon moyen de la faire tomber. Surtout dans une situation de stress, où il est parfois difficile de contrôler ses gestes.
Mais il y avait peut-être trois chargeurs… En tout cas, cela ne permet pas de déterminer l’ordre dans lequel les personnes ont été abattues. Est-ce le cycliste, Sylvain Mollier qui a été la première victime ? Et alors pourquoi ? Pour rien, si l’on retient l’éventualité d’un tueur fou. Et il en est peut-être de même pour Saad al-Hilli et sa famille. Mais il faut reconnaître que la piste Saddam Hussein est plus exaltante. L’argent du compte en Suisse, avait laissé entendre un avocat de la famille, au début de l’enquête, ne provient pas de Saddam Hussein mais trouverait son origine dans les commissions liées à l’affaire Pétrole contre nourriture. Une information relayée aujourd’hui par un journal allemand. Cette affaire date de l’époque où l’embargo contre l’Irak avait été adouci par souci humanitaire – et aussi pour récupérer quelques barils de pétrole. Mais pour obtenir le feu vert de l’ONU, les entreprises qui voulaient faire du business avec l’Irak devaient d’abord obtenir l’accord de leur gouvernement. D’où un lobbying qui aurait donné lieu à de substantielles commissions occultes allégrement empochées par des hommes politiques malhonnêtes. Et un système de surfacturation qui aurait engraissé pas mal d’entreprises. Dans ce dossier, la France et la Suisse sont aux premières loges. Une affaire qui, pour le volet français, devrait bientôt recevoir une réponse judiciaire.
C’est un beau roman. Mais dans une enquête criminelle, il faut garder les pieds sur terre… Et le plus concret, sans doute, concerne les recherches sur l’arme et les cartouches utilisées. Les 7.65 Para sont devenues des munitions assez rares. Elles doivent se vendre au compte-gouttes. En France, sauf cas particuliers, seuls les chasseurs, les tireurs sportifs et les collectionneurs (avec la nouvelle loi) peuvent acheter et/ou détenir des armes et des munitions.
Une affaire où tout est possible, a dit le procureur Maillaud, un rien défaitiste, en rappelant l’échec de l’enquête sur la disparition du docteur Godard et de sa famille. On espère plutôt que les enquêteurs gardent des atouts dans leur manche, comme des fragments d’empreintes digitales ou des traces ADN qu’ils auraient pu récupérer sur les douilles. Des traces qui, par comparaison, pourraient au moins servir à confondre un suspect. Encore faut-il trouver un suspect !
Il y a quelques jours, l’avocat de Yoni Palmier a déposé une plainte contre X pour violation du secret de l’instruction. Yoni Palmier, c’est l’individu soupçonné d’être l’auteur des quatre meurtres commis dans l’Essonne, entre novembre 2011 et avril 2012. Or en juillet dernier, il a reçu une lettre de l’une de ses connaissances qui s’accuse de deux de ces meurtres et affirme avoir commandité les deux autres. L’information avait été tenue secrète. Mais récemment, elle est parue dans la presse, ajoutant encore un peu de mystère à une enquête criminelle particulièrement tortueuse. Une enquête où chaque nouvel élément semble vouloir contredire le précédent.
Le 27 novembre 2011, Nathalie Davids, une jeune femme de 35 ans, laborantine à l’hôpital de La Pitié-Salpêtrière, est retrouvée agonisante dans le parking de son immeuble, à Juvisy-sur-Orge, dans l’Essonne. Elle a reçu sept balles de calibre 7.65 mm, dont une dans la tête. L’assassin a probablement vidé son chargeur. On peut donc penser à un tir de panique ou d’acharnement. La victime décède à l’hôpital sans avoir repris connaissance. L’enquête menée par la police judiciaire de Versailles (service compétent sur la grande couronne parisienne) progresse rapidement. Dans la semaine qui suit, un homme est arrêté. Il s’agit de Michel Courtois. Amoureux éconduit, il harcelait Nathalie au téléphone. Lors de sa garde à vue, il reconnaît les faits. «J’ai fait tout ça par amour », dira-t-il lors de son audition. Après avoir emprunté une moto à des copains de bar, il aurait suivi une voiture pour s’introduire dans le parking, en prenant soin de placer un bout de scotch sur la cellule électrique de la porte pour assurer sa retraite. Ensuite, il se serait dissimulé, attendant le retour de sa maîtresse. Un véritable guet-apens. Donc, un assassinat. D’une manière plus ambigüe, d’après Le Monde, il aurait déclaré : « Je pense que c’est moi qui ai tué Nathalie, parce que tous les éléments qui sont à charge contre moi tendent à prouver que je suis l’auteur de l’assassinat ». Une phrase que l’on sent bien dans la bouche d’un policier mais qu’il est difficile d’envisager dans celle d’un suspect… Le seul élément matériel contre lui provient de l’analyse de vêtements et d’un sac sur lesquels des traces de poudre auraient été découvertes. Une contre-analyse n’a cependant pas permis de trancher quant à l’origine de ces traces.
La presse a présenté Michel Courtois, âgé de 46 ans, comme un homme un peu « simplet ». Pourtant, sur cette vidéo de TF 1, il est bien loin de l’image que l’on a donnée de lui. Il dit qu’il ne comprend pas ce qui lui arrive… De fait, rapidement, il s’est rétracté, disant avoir subi des pressions policières. Son avocat, Me Yassine Bouzrou, va plus loin. Il estime que les aveux lui ont été « extorqués ». Ce qui n’est pas l’avis de sa consœur, Me Sarah Valduriez, qui assistait Michel Courtois durant la garde à vue. Elle a déclaré au JDD : « J’étais avec lui lors de toutes les auditions. Les policiers ont toujours été très respectueux (…) Il a avoué en ma présence, je lui ai même demandé s’il savait ce qu’il faisait. De toute façon, tout a été filmé. » Voilà de quoi convaincre les OPJ encore récalcitrants de l’utilité de l’avocat durant la garde à vue…
En tout cas, pour le meurtre suivant, le 22 février 2012, Michel Courtois a un alibi : il est derrière les barreaux. Cette fois, c’est le voisin de Nathalie Davids qui est visé, Jean-Yves Bonnerue, un cadre technique de 52 ans. Il est abattu dans ce même parking alors qu’il est penché sur le coffre de sa voiture. Une balle dans la tête. Même calibre. C’est lui le premier qui avait découvert Nathalie baignant dans son sang et qui avait appelé les secours. C’est d’ailleurs lors de son audition que les enquêteurs ont appris l’existence de Michel Courtois. D’une certaine manière, il les a mis sur la piste.
De toute évidence, ces deux meurtres sont liés. D’autant, on l’apprendra par la suite, qu’ils ont été perpétrés avec la même arme : un pistolet automatique de calibre 7.65.
Un mois plus tard, le 17 mars, à Ris-Orangis, c’est un retraité de 80 ans qui est tué d’une balle dans la nuque dans le hall de son immeuble. Puis, le 5 avril, à Grigny, c’est le tour d’une mère de famille de 48 ans. Elle n’est pas agressée, juste trois balles dans la tête, alors qu’elle pénètre, elle aussi, dans le hall de son immeuble.
Rien ne relie ces deux crimes aux précédents, si ce n’est le rayon d’action et l’arme utilisée.
La PJ de Versailles met le turbo, d’autant que l’affaire Merah a traumatisé la France entière. Une centaine d’enquêteurs sont sur le coup. Le 6 avril, les policiers lancent un appel à témoins pour retrouver une moto de marque Suzuki de couleur bleue et blanche sur laquelle le meurtrier aurait pris la fuite, après avoir tiré sur cette femme, à Grigny. Ce sont des jeunes de la cité qui ont rapporté la chose aux policiers. Et les motos, ils connaissent suffisamment pour fournir des détails précis. Les magasins spécialisés du département sont visités un à un, le fichier des cartes grises est passé au crible… Le propriétaire de l’engin est finalement retrouvé. Il est inconnu des services de police. Mais, à l’adresse indiquée sur le document, vit Yoni Palmier. Et son profil colle bien à l’enquête. Les planques commencent. Il s’agit de ne pas lui donner l’alerte et d’éviter le scénario de Toulouse.
Huit jours plus tard, il est cueilli en douceur alors qu’il sort du domicile de ses parents. Dans son box, on retrouve la moto. C’est un homme de bientôt 34 ans, né dans le Val-d’Oise, de parents antillais. Il a déjà été condamné pour violences et plusieurs fois pour le délit de port d’arme de 6° catégorie. Officiellement, il subsiste grâce à « diverses allocations », comme dit la procureure d’Évry, mais son train de vie ne correspond pas. C’est en recoupant ses déclarations que les policiers sont amenés à perquisitionner dans un lieu où il a autrefois vécu, et dans lequel ils vont découvrir, dans une poubelle, une douille percutée qui provient de l’arme des crimes. Devant cet élément probant, Yoni Palmier accepte de mener les enquêteurs dans un second box, à Draveil, où sont dissimulées plusieurs armes, dont le fameux PA 7.65. Il déclare que la moto et les armes appartiendraient à un homme dont il ne connaît pas l’identité, probablement celui qui aujourd’hui revendique les meurtres. Mais existe-t-il ?
Yoni Palmier nie donc les faits. Il aurait été manipulé par ce mystérieux personnage. Mais pourquoi ces meurtres ? Quel pourrait être le mobile ? On parle d’actes « d’opportunité ». Ainsi, dans l’hypothèse où Yoni Palmier serait bien le coupable, le meurtre de Jean-Yves Bonnerue aurait été fortuit. Il serait venu sur les lieux, là où Nathalie Davids a été tuée, simplement parce qu’il connaissait l’endroit pour y avoir loué autrefois des emplacements de parking. Et il aurait tiré sur cet homme qui déchargeait ses courses, sans aucune raison. Cela ne tient pas la route. Quant aux deux autres crimes, cela pourrait être une sorte de plagiat de l’affaire Merah.
Autant d’extrapolations qui laissent dubitatif… Ce qui surprend, c’est le modus operandi du premier meurtre par rapport aux suivants. Nathalie Davids est tombée sous les balles d’un tueur compulsif tandis que les autres victimes ont été froidement exécutées.
À ce jour, les enquêteurs n’ont pas trouvé de liens entre Yoni Palmier et Michel Courtois. Lorsque l’avocat de ce dernier a demandé sa remise en liberté, en faisant valoir que deux assassins pour le même meurtre, c’était un de trop, le procureur s’y est opposé ; et la Cour d’appel de Paris lui a donné raison. Mais, bizarrement, quinze jours plus tard, le 11 juin, les deux juges d’instruction en charge de l’affaire ont accédé à sa demande. Comme si le dossier s’était enrichi d’un élément nouveau.
On l’espère. En attendant, quatre personnes ont été tuées avec la même arme. Apparemment, il n’existe aucun mobile, aucune raison, et pour le premier meurtre, deux suspects sont mis en examen. L’un est en prison, l’autre en liberté. Deux hommes qui ne se connaissent pas. Et, quelque part dans la nature, un autre individu a revendiqué ces crimes.
Manuel Valls a admis qu’il y avait eu des erreurs au niveau de la DCRI. Pour lui, Merah aurait dû être surveillé au vu de son profil et de ses nombreux déplacements au Moyen-Orient et en Afghanistan. Et les conclusions de l’enquête interne entraîneront à coup sûr des réformes sérieuses de la DCRI. Bien au-delà d’un changement de chef. C’est peut-être même l’ensemble de nos services de renseignements (12 à 15 000 personnes ?) qui pourrait être visé. La récente nomination d’un diplomate à la tête de la Direction du renseignement (DR) de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) donne une idée de la nouvelle ligne.
En Norvège, après les massacres perpétrés par Anders Behring Breivik, une commission gouvernementale a reconnu les erreurs de la police et des services de sécurité, estimant qu’ils auraient pu empêcher ou du moins limiter l’action du meurtrier. Chez nous, on n’en est pas là. Et si les propos du ministre de l’Intérieur laissent augurer une remise en cause des services de renseignements, il ne faut pas fermer les yeux sur les erreurs qui ont suivi, en aval du premier meurtre.
Car pour le moins, il n’y a pas eu symbiose entre la PJ et la DCRI. Il a fallu attendre l’assassinat des deux militaires, à Toulouse, pour que le contact s’établisse entre les deux services. Soit 5 jours après le premier assassinat. C’est seulement alors que l’adresse IP de la mère de Merah est repérée parmi les mails reçus par la première victime. Trop tard. Le massacre à l’école juive a lieu le lendemain. Ce délai de 5 jours est incompréhensible, alors que Mohamed Merah était considéré comme une « menace directe », selon M. Valls. Et qu’un rapport les présentait, lui et son frère, comme des proches d’islamistes radicaux qui avaient développé une filière de recrutement de candidats au djihad.
Ensuite, il y a eu la double saisine. De mémoire de flic, un truc qui n’a jamais fonctionné. Lorsque Mohamed Merah est identifié de façon quasi certaine comme l’auteur des crimes, la Brigade de recherche et d’intervention de Toulouse débarque en catastrophe près de son domicile. Avec des instructions simples : on planque sur toutes les issues et on le serre à la première occasion. Dans ce genre d’opération, en général, on attend que l’individu soit dans sa voiture. C’est là où les risques sont les moindres. Une opération classique pour des flics de l’antigang. J’imagine la tête du commandant qui dirigeait le groupe lorsqu’il s’est fait éconduire par les pontes de la DCRI sous prétexte que le poisson était trop gros pour lui. Il ne pouvait pas savoir que, lors d’une réunion qui s’était tenue un peu avant, les autorités avaient décidé de faire intervenir le RAID. Pourtant, le RAID, comme le GIGN, n’est pas là pour faire le boulot des autres mais pour prendre en charge les situations extrêmes. Lorsque les méthodes traditionnelles ne suffisent pas. Et pendant que les uns parlaient et que les autres fourbissaient leurs armes, il semble bien que personne ne surveillait le domicile de Merah. Du moins pas sérieusement, puisqu’il serait sorti de chez lui, peut-être même par deux fois. Sans que personne ne s’en aperçoive.
L’intention des hommes du RAID est de le surprendre dans son « premier » sommeil. En l’absence de toute surveillance physique ou technique, ils ne savent pas que leur client ne dort pas, puisqu’il vient de rentrer chez lui. Les policiers d’élite, équipés légers, s’approchent à pas de loup de la porte. On les imagine en chaussettes, sur la pointe des pieds… C’est une image, évidemment. Alors qu’ils s’apprêtent à faire exploser la porte, celle-ci s’entrouvre et Merah ouvre le feu. Un policier est sauvé par son gilet pare-balles et l’autre par son bouclier de protection. Les hommes du RAID ripostent à travers la porte avant de se replier.
Machine arrière. Ça doit râler pas mal dans les rangs. Y avait-il une autre méthode ? N’étant pas préfet, je ne me permettrais pas de critiquer. Je me souviens pourtant de cette affaire des environs de Nice, où le chef du GIPN avait refusé de donner l’assaut pour déloger un forcené retranché chez lui avec un fusil de chasse. Trop dangereux, avait-il dit. Pas d’otage, on peut attendre. C’était la sagesse. Mais pas l’avis des autorités. On a fait venir un autre patron. Bilan : deux policiers sérieusement blessés et l’individu est abattu, alors qu’il a tiré ses deux cartouches et que son arme est vide.
Pas simple, d’être flic !
C’est alors qu’à Toulouse, commencent des négociations invraisemblables : une véritable vitrine médiatique pour Merah. Au point qu’il pourra dire, plus tard (via le procureur de la République) « Je suis fier d’avoir mis la France à genoux ». Et cela dure, dure…, au point que cela devient ridicule. Il y a bien quelqu’un qui a dû lâcher : On passe pour des charlots ! Donc, rebelote pour le RAID. En respectant un impératif présidentiel : le capturer vivant. Il faut savoir que les policiers de ce service s’entraînent régulièrement à des tirs de neutralisation dans des parties non-vitales. Pour eux, tuer un suspect, c’est presque un échec. Il s’agissait donc d’une consigne parfaitement inutile et qui, d’une certaine manière, les a déstabilisés. Et les voilà repartis à l’assaut avec un armement léger. Et de nouveau, ils sont accueillis par un feu nourri. Merah tire depuis sa salle de bain, réfugié dans sa baignoire et protégé par un frigo. Les premières balles ont fait péter les canalisations d’eau. Les fuites rendent la porte de la salle de bain étanche aux gaz. Il faudrait donc creuser un trou pour enfumer la pièce. Pas le temps. Merah jaillit de la salle de bain en tirant tous azimuts. C’est le deuxième groupe, celui de couverture, qui riposte, avec des armes en l’occurrence inadaptées dans un local si minuscule. Mais toujours en visant les jambes. Touché plusieurs fois par des munitions puissantes, mais à faible pouvoir d’arrêt, le forcené claudique vers la fenêtre en visant les hommes situés derrière et ceux qui sont en position, un peu plus loin. L’un d’eux tombe du balcon alors qu’il tente de se dégager et qu’une balle lui a éraflé la carotide. Merah arrose dans tous les sens. Un autre policier est blessé au pied. Finalement, un tireur d’élite enfreint la consigne et lui colle une balle dans la tête. Dans son rapport, en termes diplomatiques, le chef du RAID fait remarquer qu’en « s’interdisant l’utilisation de certaines techniques et de certaines armes alors même que les circonstances l’auraient justifiée », on a mis en danger la vie de ses hommes.
Donc, une affaire loupée de A à Z. Pourquoi ce désastre ? Il faut surtout se poser la question de savoir s’il est normal que le ministre de l’Intérieur dirige une opération de police judiciaire. Avec dans son ombre un procureur qui tente de sauver la face. Les policiers et les magistrats ont donc baissé la tête. Aucun n’a eu le courage de dire non.
« Agissant en enquête préliminaire pour des faits de violation du secret de l’instruction et recel, conformément aux instructions de Monsieur le procureur de la République de Paris, nous présentons ce jour au siège de l’entreprise Éléphant et Cie… »
J’ai eu beau râler, le chef m’a dit qu’il fallait foncer et récupérer dare-dare les enregistrements des négociations entre la DCRI et Mohamed Merah, dont une partie avait été diffusée sur TF1. Une enquête sur des œufs. Avant de me lancer dans l’aventure, j’ai évidemment compulsé mon code de procédure pénale…
La perquisition – Quasi impossible. D’abord, en préli, il faut un accord écrit du « maître des lieux ». Ensuite, la perquisition dans une entreprise de presse est réglementée par la loi de 2010. Question : la maison de production Éléphant et Cie est-elle un organe de presse ? Petit tour sur l’Internet. Oui, il est indiqué qu’il s’agit d’une société de production audiovisuelle qui possède ce statut. Mais c’est quoi une agence de presse. Pour Wikipédia, plus facile à lire que le Dalloz, « une agence de presse est une organisation qui vend de l’information aux médias à la manière d’un grossiste fournissant des détaillants ». La définition juridique est fournie par l’ordonnance n° 45-2646 du 2 novembre 1945 (modifiée par la loi du 22 mars 2010 et consolidée en mars 2012). Pour remplir les conditions, il faut que l’entreprise effectue au moins la moitié de son chiffre d’affaires dans la fourniture à des publications de presse. Là, je n’ai pas le temps de vérifier. Après tout, qui dit perquise chez des journalistes, dit décision écrite d’un magistrat. Il est où le proc ? D’autant que Mister Chain me fait les gros yeux. Je sors ma réquise article 77-1-1 et je lui demande du bout des lèvres s’il veut bien me remettre les enregistrements susvisés. Il me dit non. Je m’en vais.
De toute façon, l’acte aurait été frappé de nullité, puisqu’il violait l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Et puis, j’ai bien compris, plus tard, en lisant les propos d’Emmanuel Chain dans Le Point, que la justice n’y avait rien perdu : « Vous imaginez bien que nous nous y attendions et que nous avons pris toutes les précautions pour protéger nos sources », qu’il a dit.
Le secret professionnel – Il est l’apanage de certaines professions : médecins, avocats, ministres du culte… et même les flics qui ne sont pas tenus d’indiquer l’identité de leurs informateurs. Enfin, ça, je demande à voir, hein ! Pour les journalistes, la première tentative vers un secret professionnel date de 1925. Cette idée avait été balayée sous le prétexte que le journaliste n’est pas dépositaire d’un secret confié par un particulier, comme c’est le cas d’un avocat, par exemple. Depuis, l’eau a coulé. Aujourd’hui, la France s’est alignée sur la jurisprudence de la Cour européenne. La loi du 4 janvier 2010 pose le principe de la protection du secret des sources des journalistes « dans leur mission d’information du public ». Ce principe interdit que les enquêteurs tentent de les identifier, même de façon indirecte. D’où l’histoire des fadettes du Monde. Si le nom d’un honorable correspondant d’un journaliste apparaît inopinément sur une écoute téléphonique, le policier peut l’entendre, mais ne peut pas l’écrire.
Parfois, je me dis que c’est un métier pour autiste…
Le secret de l’instruction – Il est amusant de noter que le juge et le journaliste ont quelque chose en commun : la recherche de la vérité. Mais ils ne disposent évidemment ni des mêmes pouvoirs ni des mêmes méthodes. Toutefois, tous deux sont protégés dans leurs actes par la notion de secret : secret de l’instruction pour l’un, secret des sources de l’information pour l’autre. À ceci près que pour les juges, c’est peine perdue : le temps médiatique n’est pas le même que celui de la justice. Et le « parasitage » est trop fort. À tel point que l’on a pris l’habitude de suivre le travail du juge dans nos journaux – parfois d’ailleurs par un jeu de fuites savamment orchestré, comme dans l’affaire Neyret. Une carotte que l’on agite sous notre nez pour satisfaire notre goût des faits divers et masquer des événements plus enquiquinants pour le pouvoir. Raison pour laquelle bon nombre de magistrats ont pris en main leur communication. Et, tandis qu’un député de l’ancienne majorité (pas encore vacciné) réclame le durcissement de la loi sur la violation du secret de l’instruction, des voix plus autorisées se font entendre pour sa suppression, ou du moins son adaptation aux méthodes modernes de communication. Pour mémoire, d’ailleurs, le rapport Léger, enterré (sans doute contre son gré) par le précédent locataire de l’Élysée, proposait la suppression du secret de l’enquête et de l’instruction – tout en conservant le secret professionnel. Finalement, c’est un peu comme la consommation de cannabis : si l’on ne peut pas faire respecter la loi, autant la supprimer.
Je prenais sur moi, en sortant de la maison de prod, mais j’en avais gros sur la patate. Puisqu’il n’est pas possible d’enquêter sur les journalistes, je me suis dit que la seule solution, c’était de prendre l’enquête par l’autre bout. Et pour cela, il fallait déterminer entre quelles mains étaient passés ces enregistrements ! Pas facile, d’autant qu’avec le numérique, la piste se perd rapidement dans les méandres des ordinateurs : policiers, magistrats, techniciens… Ces enregistrements ont-ils été placés sous scellés ? Dans quel délai ? Et comment déterminer combien il y a eu de copies avant… Ce qui n’a d’ailleurs aucune importance s’il s’agit, non pas de scellés fermés, mais de scellés ouverts, qui sont justement faits pour pouvoir en lire le contenu.
Soyons réaliste, mon enquête n’est pas prête d’aboutir. Mais comme je ne suis pas sûr que là-haut on souhaite un résultat, ça ne m’inquiète pas trop.
Cela dit, le journaliste ne bénéficie d’aucune immunité. S’il enfreint la loi d’une manière ou d’une autre dans l’exercice de son métier, il peut très bien se retrouver en prison. Par exemple s’il est receleur de la violation du secret d’instruction.
Le recel de violation du secret de l’instruction – Celui qui obtient les confidences d’une personne concernée par le secret de l’instruction devient receleur. Mais celui qui obtient l’information du receleur peut-il être lui-même receleur ? Il semble bien que non. On ne peut être receleur du délit de recel. Donc, en masquant leurs sources, les journalistes ne risquent pas grand-chose, même s’ils sont hors la loi. Et pour les enquêteurs, c’est mission impossible.
Dans ces conditions, alors que la police manque de bras, je me demande s’il est bien utile de faire un travail au résultat si incertain. Un coup de tampon « vaines recherches », et hop ! Et là-dessus, le procureur de Paris a ouvert une information judiciaire. Donc, changement de patron. Maintenant, c’est le juge d’instruction qui décide. Franchement, on aurait peut-être pu commencer par là, même si j’ai l’impression que cela ne changera pas grand-chose.
Le 30 octobre 1979, au petit matin, dans un brouillard à couper au couteau, plusieurs véhicules de la PJ de Versailles brinqueballent sur un chemin de la forêt de Rambouillet. Une quinzaine d’enquêteurs de la Criminelle et de l’Identité judiciaire, dirigés par les commissaires Alain Tourre et Gilles Leclair, sont à la recherche d’une Peugeot 305 de couleur bleue : la voiture d’une haute personnalité qui aurait manifesté l’intention de mettre fin à ses jours. Ils ne savent pas encore qu’il s’agit de Robert Boulin. Ils ne savent pas encore qu’il est mort.
Ils ne sont pas seuls. De nombreux gendarmes quadrillent déjà la forêt. C’est le préfet qui a donné l’alerte. À 8 h 35, des motards de la gendarmerie repèrent le véhicule stationné à proximité d’un petit lac. Tout le monde fait route vers l’endroit indiqué : la Peugeot se trouve près de l’étang Rompu, dans lequel, à 7 mètres de la berge, un corps dont seul le dos est apparent flotte entre deux eaux.
C’est ainsi, pour la PJ, que commence l’affaire Boulin.
Danielle Thiéry et Alain Tourre, deux anciens commissaires de police ont rassemblé leurs souvenirs pour écrire un livre, Police judiciaire, 100 ans avec la Crim’ de Versailles, aux éditions Jacob-Duvernet. Apportent-t-ils des éléments nouveaux ? Pas vraiment, mais en tout cas, ils donnent le fil précis de l’enquête de police.
Robert Boulin a 59 ans. Il est maire de Libourne, en Gironde, et ministre du Travail dans le gouvernement de Raymond Barre. Il est marié, deux enfants, et mène une vie sans histoire – si ce n’est cette affaire « des terrains de Ramatuelle » qui le mine, une escroquerie dans laquelle il s’est laissé embarquer et qui fait l’objet d’une information judiciaire.
Alain Tourre, lui, est bien loin de ce monde. Il est le chef du groupe criminel (on ne disait pas brigade, pour ne pas fâcher la PP) du Service régional de police judiciaire de Versailles.
« Je sais ce que j’ai à faire ! » – C’est ce que répond le colonel de gendarmerie Jean Pépin au commissaire qui lui demande de ne toucher à rien avant l’arrivée des magistrats. Et l’officier supérieur ordonne de sortir le corps de l’eau. Ce que font deux pompiers. Non sans difficultés, ils le prennent chacun par un bras et le tirent jusqu’à la terre ferme, face contre terre. Les gendarmes retournent le cadavre, et, après un bref examen, ils lui font les poches. Il est 9 h 09. Ils en retirent notamment une petite boîte en plastique, genre boîte à pilules et deux stylos. « Du côté de la voiture, l’agitation est tout aussi intense. » Un officier de gendarmerie grimpe sur le toit et passe la main par le toit ouvrant pour récupérer un bristol posé sur le tableau de bord. Puis, toujours par le toit, l’une des portières est débloquée. Les clés du véhicule seront retrouvées par terre, près du coffre, un peu plus tard. La Peugeot est fouillée de fond en comble. C’est alors que tombe le message radio : le parquet saisit la PJ.
« Gendarmes, trois pas en arrière, la police judiciaire est saisie ! » – Non sans ressentiment, les gendarmes plient bagage, laissant tout en plan. Une scène de crime en piteux état. On comprend bien à la lecture de ce livre-document la guéguerre que se livrent policiers et gendarmes. Il faut dire qu’à l’époque, notamment dans les Yvelines, ces derniers étaient sérieusement marqués à la culotte par la PJ qui voyait d’un sale œil leur influence grandissante en Ile-de-France. Et, pour avoir traîné mes guêtres dans ce service dans ces années-là, je peux témoigner qu’il s’agissait d’une politique maison : pas un os à ronger aux gendarmes. D’où l’ambiance. Aujourd’hui, même si la rivalité demeure, les choses ont changé. Et, en tout cas, chacun sait que dans une enquête, la priorité, c’est de préserver la scène de crime aussi pure que possible.
La carte de visite grand format récupérée sur le tableau de bord est à l’en-tête du Ministère du travail avec la mention « Le Ministre ». Elle est écrite des deux côtés. Au recto, d’une écriture soignée, à l’encre bleue, « Les clefs de la voiture sont dans la poche de mon pantalon ». Sous ces mots, à l’encre noire, est indiqué « TSVP ». Au verso, également à l’encre noire, mais cette fois d’une écriture irrégulière, « Embrassez éperdument ma femme, le seul grand amour de ma vie. Courage pour les enfants », suivi d’une signature illisible.
Au premier examen du corps, des traces d’érosion sont relevées sur le visage ; et quatre petites coupures, deux sur le nez, une en dessous et une autre sur la lèvre supérieure. Un médecin local constate le décès et la dépouille est transportée par hélicoptère à l’hôpital de la Pitié. Plus tard, vers l’Institut médico-légal de Paris. Beaucoup de monde pour l’autopsie : les deux légistes, le substitut de procureur, cinq péjistes, dont le commissaire Tourre, et le chef de cabinet de feu le ministre, Marcel Cats. Celui-ci intervient à plusieurs reprises, au nom de la famille, dit-il, pour tenter d’éviter au mieux la mutilation du corps. Il insiste tant que les médecins finissent par se fâcher et le mettent à la porte. Ils concluent sans ambiguïté à la mort par noyade (asphyxie par submersion). Des prélèvements sont effectués. Le suicide ne faisant aucun doute, le magistrat présent sur place, le substitut Leimbacher, prend l’initiative de ne pas faire pratiquer l’examen de la boîte crânienne. Une opération qui consiste à « décalotter » le haut du crâne et qui laisse des marques sur le visage du défunt.
C’était sans doute une première erreur. La seconde est plus grave. L’eau dans les poumons et dans l’estomac était une preuve suffisante pour conclure à la noyade et, du coup, aucune analyse ultérieure n’a été effectuée. Pourtant, elles auraient permis de confirmer la mort par noyade, mais surtout de démontrer que l’immersion avait bien eu lieu dans l’étang Rompu. Donc, que le corps n’avait pas été transporté après coup dans la forêt de Rambouillet.
En 1983, lorsque la famille a réclamé cet examen, il était trop tard : les prélèvements avaient été détruits. Ce qui était l’usage à l’époque. Lors de la deuxième autopsie, les experts ont opté pour un traumatisme facial « appuyé » avant la mort. Pour ceux qui pensent que Boulin a été assassiné, c’est la preuve qu’il a reçu des coups. Pour les enquêteurs, cela signifie seulement qu’il a chuté. Ils pensent que Boulin est descendu de sa voiture. Il l’a fermée, puis, la clé toujours à la main, bourré de Valium, il tombe et perd son trousseau. Il n’a donc pu le mettre dans sa poche comme il l’avait écrit. Il se dirige vers l’étang. Il marche dans l’eau. Il tombe de nouveau et il se noie.
Quant aux lividités cadavériques, situées dans le dos, alors qu’elles auraient dû se trouver côté ventre, elles s’expliqueraient par un séjour de plusieurs heures du corps dans une eau à environ 10°. Il est probable que dans ces conditions particulières, les lividités, non encore fixées, ont pu migrer lors de la manipulation du cadavre. Personnellement, je pensais que le mort avait été déshabillé sur place… Il semble que non. Sans doute en raison de la personnalité du défunt. Il est donc probable que le premier examen clinique complet ait été effectué à l’hôpital de la Pitié. Donc, trop tard : le sang étant alors figé dans les parties basses, c’est-à-dire dans le dos.
Ensuite, les deux commissaires retracent avec minutie l’emploi du temps des derniers jours de vie de Robert Boulin. Parmi les documents retrouvés, il y a un brouillon d’une lettre adressée au directeur du Monde, Jacques Fauvet, suite à un article de James Sarrazin sur l’affaire de Ramatuelle, ainsi qu’une autre pour le juge Renaud Van Ruymbeke, en charge de ce dossier. Dans un courrier reçu plus tard par l’AFP, le ministre fustige ce magistrat « aveuglé par sa passion de faire un carton sur un ministre » et il termine en disant : « Un ministre en exercice ne peut être soupçonné, encore moins un ancien ministre du général de Gaulle. Je préfère la mort à la suspicion… » – Une autre époque.
Dans le livre, j’ai choisi cette affaire car elle a fait couler de l’encre, et, lorsque j’en ai parlé sur ce blog, j’ai pu constater que beaucoup de gens considèrent la mort de Robert Boulin comme un assassinat politique. L’éditeur a d’ailleurs fait la couverture sur son cadavre. Mais le livre contient bien d’autres choses. Ainsi, il est longuement question de l’affaire Stevan Markovic, l’homme à tout faire d’Alain Delon, exécuté d’une balle dans la tête. Mais il aura fallu deux autopsies pour le révéler. Le dossier de police a longtemps été tenu secret. C’est je crois la première fois qu’il est ouvert (entrouvert ?) au public. En fait, ce livre est une mine d’informations sur de nombreuses affaires criminelles : l’assassinat du général Audran, la disparition d’Estelle Mouzin, etc. Ou la première arrestation de Jacques Mesrine, avant qu’il ne devienne l’ennemi public n°1 ; ou encore celle de son émule, Jacques Hyver, que tout le monde recherche et que les policiers de l’Office du banditisme voient passer devant eux alors qu’ils sont en train de décompresser à la terrasse d’un café.
Pour être sincère, je trouve le texte un peu fouillis, comme souvent chez cet éditeur, et, sans doute parce qu’il est écrit à quatre mains, on est un peu gêné pour Alain Tourre lorsqu’il parle de lui à la troisième personne. Cependant, ceux qui s’intéressent aux affaires criminelles ne seront pas déçus. Il y a matière. Et puis, ça nous change du 36.
Christian Prouteau, le créateur du GIGN, critique l’opération du RAID. Robert Broussard, créateur de la Brigade anti-commando et initiateur du RAID, critique Prouteau. Tandis que l’ancien patron de l’Unité d’intervention de la police israélienne, Alik Ron, déclare sans ambages : « Toute l’opération ressemble à une démonstration de stupidité ».
Alors qui faut-il croire ?
Prouteau a raison sur un point : Il fallait tendre une souricière. Autrement dit organiser une planque et « sauter » Mohamed Merah au moment où il sortait de chez lui. Les risques n’étaient pas nuls, mais les chances de succès étaient importantes. Broussard, d’ailleurs, ne le reprend pas sur ce point. Il serait bien en peine, puisque c’est la technique que lui-même avait privilégiée pour arrêter Mesrine. Vous me direz, le résultat est le même dans les deux cas. Oui, mais pour Mesrine, aucun policier n’a été blessé.
Donc, c’est une première erreur. Ce n’est pas celle du RAID mais des autorités de l’État qui drivaient l’opération. Le problème, évidemment, c’est que cela pouvait prendre du temps. Mais probablement moins de 30 heures.
Donc, on a préféré la grosse artillerie. Avec ordre d’intervention en pleine nuit, après accord du juge des libertés et de la détention (Art.706-89 du CPP). Eva Joly n’a pas tort de dire qu’on agissait dans le cadre d’une opération de police judiciaire. L’autorité opérationnelle du ministre de l’Intérieur devait donc s’effacer devant celle des magistrats.
Mais ne chicanons pas.
Les hommes du RAID donnent l’assaut. Peut-être à ce moment-là ont-ils un peu sous-estimé Mohamed Merah. Après tout, un jeune de 23 ans, seul dans un appartement, ils en ont vu d’autres… Ils se font cueillir sèchement. C’est là où survient, me semble-t-il, la plus grosse erreur : on leur enjoint de battre en retraite.
Or, ce qui différencie une opération militaire d’une opération de police, c’est que pour la police (ou la gendarmerie), il ne peut y avoir ni retraite ni reddition. C’est un principe républicain : force doit rester à la loi. On imagine la rage de ces policiers d’élite d’avoir à se replier alors que deux des leurs sont blessés…
On est donc à présent dans la situation où Merah sait qu’il est découvert et cerné. Si l’on se glisse dans sa peau, il a deux possibilités : se rendre ou mourir. Et l’on commence à négocier. Jusqu’à présent, j’avais cru comprendre que la négociation visait à sauver la vie des otages. Mais ici, pas d’otage. En fait, on négocie la vie de l’assassin présumé (fortement) de sept personnes. Normalement, une fois l’opération commencée, on la termine. Certes on fait tout pour éviter de tuer le suspect, mais si on se fait canarder, on riposte. Ça, ce n’est ni de gauche ni de droite, c’est dans la loi.
« Qui attend 30 heures quand il n’y a pas d’otage ? » interroge le policier israélien. Durant ces longues heures de siège, non seulement Merah roule les autorités dans la farine, en leur disant un coup noir un coup blanc, mais il s’organise, il se barricade. Et surtout, il tient la vedette dans tous les médias. Plus grave encore, s’il a des complices, il leur donne le temps de prendre le large et éventuellement de détruire les preuves.
Lorsque le nouvel ordre de donner l’assaut intervient, en haut lieu, on insiste de nouveau : Il faut le capturer vivant. C’est presque une insulte. Les policiers du RAID ne sont pas des tueurs. Au contraire, ils sont formés pour neutraliser les suspects. Et s’ils doivent tirer, ils ont suffisamment d’entraînement et de sang-froid pour viser des parties non vitales. Or, le chef du RAID a, d’après ses dires, doté ses hommes d’armes non létales. Ce qui a dû leur compliquer sérieusement la tâche lorsqu’ils se sont trouvés sous un feu nourri. Ordre ou pas, la réplique a été sévère. Je n’ai pas le souvenir d’une intervention où autant de cartouches aient été tirées dans un si petit espace !
Alors, cette opération est-elle une réussite ? Difficile de dire cela alors que le suspect a été criblé de balles et que cinq policiers ont été blessés. Dans la lettre que le chef du GIGN, le général Thierry Orosco, adresse au chef du RAID, le contrôleur général Amaury de Hautecloque, il conclut en disant : « Je compte sur toi pour nous faire part, au cours d’un débriefing, des enseignements que vous tirerez de cette opération. »
Je voudrais bien être une petite souris…
Mais le plus désastreux, dans cette histoire, c’est la vitrine médiatique que l’on a fournie à Mohamed Merah. Et lorsque l’on entend dire qu’il est mort comme il le souhaitait, les armes à la main, on frissonne. Pour certains extrémistes, ne pourrait-il pas devenir un symbole ?