LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

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Marseille : vous avez dit guerre des gangs ?

Marseille est-elle à feu et à sang ? Non, a répondu le préfet délégué Alain Gardère sur l’antenne de RTL, c’est plutôt « une ville paisible ». Les habitants de l’agglomération ne seront sans doute pas tous d’accord, mais il est vrai que ce focus permanent sur la cité phocéenne donne une vision tronquée de la réalité.

Coupure de presse du 1er septembre 1989

En fait, on pourrait dire « rien de nouveau » : cela fait plus de 30 ans que Marseille est au hit-parade des règlements de comptes. Ainsi, en 1982, 67 affaires de ce type ont été recensées sur l’ensemble du territoire, dont plus du tiers sur le seul ressort du service de police judiciaire de Marseille (15 homicides et 15 tentatives d’homicide). En décembre 1985, Le Figaro, qui a fait deux pages sur le sujet hier, me citait : « L’explosion de la violence dans les rangs du grand banditisme est un phénomène indéniable ». Une remarque sans aucun intérêt, que je reprends uniquement pour montrer que l’histoire du banditisme bégaie. Et moi aussi. Mais je ne suis pas le seul : on retrouve à peu près les mêmes mots dans la presse de ces derniers jours.

Alors, pour Marseille, l’année 2012 sera-t-elle pire que 1982 ? On s’en approche. Mais on n’est pas dans un match de foot, et il est un peu ridicule de compter les morts. Il est plus positif de tenter de comprendre.

Il y a trente ans, les truands étaient plus âgés, plus structurés qu’aujourd’hui. La plupart étaient issus des milieux pauvres, mais dès qu’ils le pouvaient, ils s’en échappaient pour les beaux quartiers. Ils avaient alors pignon sur rue : bars, salles de jeux, sociétés en tous genres… Il était donc plus facile de les surveiller. C’était un milieu que la police pouvait pénétrer, même si quelques poulets s’y sont brûlé les ailes. Comme aujourd’hui, les clans éliminaient la concurrence ou ceux qui leur « avaient manqué », ou les jeunots qui venaient marcher sur leurs plates-bandes. Une bonne partie de ces meurtres ne rentraient d’ailleurs pas dans les statistiques pour la bonne raison que l’on ne retrouvait pas toujours les corps.

À l’époque, les voyous ne se servaient pas de la mythique Kalachnikov. Non, les truands préféraient le pistolet 11,43 ou encore le fusil à pompe, sans doute impressionnés par la puissance de feu (exagérée) de Steve Mac Queen dans le film Guet-apens. À la question d’un sénateur qui interpellait le ministre de l’Intérieur sur l’augmentation du nombre de saisies de kalaches (+113% en un an), Manuel Valls a répondu (JO du 30 août 2012) que le nombre d’armes de guerre récupérées par les services de police et de gendarmerie, toutes catégories confondues, était passé de 90 en 2010 à 165 en 2011. Il ne donnait pas de chiffres pour l’AK 47, mais estimait que « cet armement reste difficile à acquérir et peu répandu ». A-t-il raison ? Oui, car si l’on s’en tient au département des Bouches-du-Rhône, sur 265 armes d’épaule saisies en 2011, il n’y avait que 22 Kalachnikov (8 en 2010). Sur un total de 534 armes récupérées durant l’année (près de 4000 au plan national). Pour la petite histoire, on estime à environ cent millions le nombre de kalaches qui circulent sur la planète. Comme quoi, il faut se méfier des pourcentages – et surtout de l’effet loupe des médias.

Lors de sa réponse au sénateur, le ministre de l’Intérieur a également rappelé que « les travaux réglementaires de mise en application de la loi [du 6 mars 2012] sur le contrôle des armes font l’objet de la plus grande attention ». C’est le moins que l’on puisse dire, car, de mémoire, la proposition de loi remonte au mois d’avril 2010. En réalité, cela n’a guère d’importance : les voyous se soucient peu de la loi. Et même la justice réagit parfois bizarrement dans son application. Ainsi, il n’y a pas longtemps, un homme a été trouvé en possession d’un AK 47, d’un fusil à pompe et d’un pistolet 9 mm : les enquêteurs ont dû insister lourdement pour que le délinquant soit présenté à un juge. Il n’a d’ailleurs pas été incarcéré, mais placé sous contrôle judiciaire. Cette mansuétude, même si elle s’appuie sur de bonnes raisons juridiques, n’est certainement pas un bon message. C’est même peut-être un mauvais service rendu à l’intéressé.

Une quinzaine de règlements de comptes depuis le début de l’année, cela vaut-il la peine d’envoyer l’armée ? La sénatrice socialiste Samia Ghali a sans doute cédé à son exaspération, car la réponse se trouve dans notre constitution. Pour que l’armée dispose de pouvoirs de police, il faut que le Conseil des ministres et le Président de la République décrètent l’état de siège. Ce qui n’a jamais été fait sous la Ve République. La réponse de Manuel Valls a été d’une grande limpidité : « Il n’y a pas d’ennemi intérieur ». Autrement dit, les policiers ne font pas la guerre aux délinquants. Un langage que l’on n’avait pas entendu depuis longtemps.

Steve Mac Queen dans le film Guet-apens (capture d'écran)

Alors, si on n’envoie pas l’armée, on fait quoi ? Il faut d’abord s’interroger sur l’enjeu de ces règlements de comptes entre voyous : la concurrence pour le trafic de stups, l’exemplarité et l’argent. Tout cet argent liquide qu’il faut sortir de sa planque pour le blanchir. Ce qui entraîne, on s’en doute, pas mal de tentations. Et dans ce drôle de monde, les arnaques se paient cash. Le petit blanchissage, via des restos, des cafés, des pizzas…, c’est sans doute là le talon d’Achille de ces truands qui savent faire parler la poudre mais qui ne l’ont pas inventée. Il semble de bon augure que Pierre Moscovici participe au comité interministériel « sur Marseille » qui doit se réunir le 6 septembre autour du Premier ministre. Le ministre des Finances a sans doute un rôle important à jouer. Mais il ne sera pas facile d’inciter les agents du fisc à repérer ceux qui paient trop d’impôts. C’est contre-nature.

Et puisque l’on sait que les produits stupéfiants sont en grande partie responsables de ces règlements de comptes, quitte à passer aux yeux de Mme Ghali pour un « pseudo-gaucho-intello-bobo », je reste persuadé qu’il faut sécher le problème à la base. Et je ne vois pas le mal que l’on se fait à y réfléchir. D’autant que nous sommes nombreux, sans doute, à nous demander comment on peut installer des « salles de consommation à moindre risque » pour les drogues injectables (d’une certaine manière, on dépénalise) et refuser systématiquement toute avancée pour la drogue la plus consommée en France : le cannabis.

L’histoire sans fin de la sécurité

La gauche peut-elle innover en matière de sécurité ? En tout cas, elle reste divisée. Mais la droite serait mal venue de critiquer, car le bilan de cette dernière décennie n’est pas des plus brillants. Si on aligne les différentes décisions les unes derrière les autres, c’est comme une litanie. Les mêmes mots, les mêmes ficelles que l’on nous ressort à chaque changement de gouvernement, voire de ministre de l’Intérieur.

Et pour quel résultat…

 « La France a peur ! » C’est par cette phrase que le 18 février 1976 Roger Gicquel ouvre le journal de la première chaîne de télévision. Il parle de l’assassinat de Philippe Bertrand, un garçon de huit ans, enlevé à la sortie de l’école et tué par son ravisseur, Patrick Henry. Une affaire sordide comme il s’en produit hélas de temps à autre. Mais cette phrase va bien au-delà. Elle joue comme un déclencheur. C’est peut-être ce qui amène le premier ministre, Raymond Barre, à désigner un Comité d’études pour trouver des solutions à la criminalité violente.

L’ilotage ! C’est l’une des mesures phares du rapport pondu par ce comité (présidé par Alain Peyrefitte) intitulé pompeusement « Réponses à la violence ». Et, parmi les autres mesures préconisées, on trouve le redéploiement des forces de sécurité dans « les zones nouvelles d’urbanisation » et l’amélioration des relations entre la police et les citoyens.

Comme le début d’une rengaine.

Les maires montent au créneau – En 1983, la gauche est au pouvoir depuis deux ans et la police n’a pas encore retrouvé son régime de croisière. Les maires remettent à Pierre Mauroy, alors Premier ministre, un rapport intitulé « Face à la délinquance : prévention, répression, solidarité ». Ils réclament des mesures pour lutter contre l’insécurité. C’est ainsi que prend forme le Conseil national de prévention de la délinquance. Mulhouse est choisie comme ville test pour mettre en place un plan de prévention. Dix ans plus tard, le président de ce Conseil, Gilbert Bonnemaison, déplorera que la France se soit engagée « dans des démarches complètement sécuritaires ». La prévention n’a jamais eu sa chance. C’est pourtant l’une des trois branches de la police de proximité. Les deux autres étant la répression et l’information.

La régionalisation des services de police – C’est l’une des premières annonces du nouveau tandem de la place Beauvau, Charles Pasqua et Robert Pandraud. On est en 1986, c’est la première cohabitation.

L’ilotage : le retour – La mesure est dans le panier de Pierre Joxe, lorsqu’il rejoint l’Intérieur pour la seconde fois, après la réélection de François Mitterrand, en 1988. Il crée également l’Institut des hautes études de la sécurité. Dans les années qui suivent, les ministres se succèdent, le dernier avant la deuxième cohabitation est Paul Quilès. Il propose un plan d’action immédiate pour la sécurité. Mais, pas le temps. C’est la deuxième cohabitation. Charles Pasqua reprend les rênes avec dans sa besace un plan pluriannuel de modernisation de la police et une volonté de remobiliser les forces de l’ordre.

Les brigades anticriminalitées – La première a vu le jour à Paris, en 1993. Environ deux cents policiers qui tournaient la nuit dans la capitale et qui pouvaient à tout moment être regroupés pour faire face à un événement imprévu. En 1996, les BAC de jour sont mises en place sur l’ensemble du territoire. C’est un peu le fer de lance de la Sécurité publique.

Un juge place Beauvau – En 1995, après 14 ans de règne, Mitterrand s’efface et laisse la place à Jacques Chirac. Jean-Louis Debré, ancien juge d’instruction, devient ministre de l’Intérieur. Il installe le Haut Conseil de la déontologie de la police nationale et met en place les premières sûretés départementales.

L’époque des « petits sauvageons » – Acte manqué pour Chirac qui, deux ans après son élection, dissout l’Assemblée nationale. Jean-Pierre Chevènement devient ministre de l’Intérieur dans le gouvernement de Lionel Jospin. Il prêche pour « des villes sûres pour des citoyens libres ». Avec la mise en place, en 1997, des premiers contrats locaux de sécurité. Parallèlement, un Conseil de sécurité intérieure est créé, placé sous la houlette du Premier ministre, pour mieux assurer l’impulsion de la politique de sécurité intérieure. À compter de 2002, il sera présidé par le Chef de l’État.

L’année suivante, Jean-Pierre Chevènement veut mettre un terme aux violences urbaines. Il fustige ces « petits sauvageons qui vivent dans le virtuel » et annonce le redéploiement de 3000 policiers et gendarmes dans 26 départements sensibles en vue de supprimer les « zones de non-droit ». Il se prononce pour la suspension des prestations familiales afin de responsabiliser les parents de mineurs délinquants. Aussitôt contredit par le Premier ministre. Cette année-là, on discutaille pour l’installation d’une police de proximité afin d’assurer une présence effective et rassurante dans les quartiers sensibles. Et, d’une seule voix, le gouvernement parle d’une politique de prévention « rénovée ».

La police de proximité – Le 26 avril 1999, le ministère de l’Intérieur publie la liste de 59 sites expérimentaux de police de proximité. En décembre, Lionel Jospin qualifie l’insécurité « d’inégalité sociale » et annonce un recrutement exceptionnel de 1000 policiers supplémentaires.

Pas de sheriffs dans la police – Au mois d’août 2000, Jean-Pierre Chevènement rend son tablier et laisse la place à Daniel Vaillant. Alors que le Premier ministre s’est déclaré hostile à la « municipalisation » de la police, des personnalités de droite proposent de placer le maire au centre du dispositif de sécurité de proximité. Daniel Vaillant refuse de voir se développer les polices municipales. L’année suivante, le Premier ministre enfonce le clou : « Sheriffiser la police, ce n’est pas la tradition républicaine de l’État en France ».

Chirac savonne la planche – Dans son allocution télévisée du 14 juillet 2001, Jacques Chirac insiste sur les problèmes de sécurité. On sent bien que c’est sur ce terrain qu’il va croiser le fer en vue de sa réélection. Plus tard, assumant sa défaite, Lionel Jospin dira : « Sur la question de l’insécurité, j’ai péché par naïveté… ».

Les policiers manifestent – Le 16 octobre 2001, deux policiers sont tués par un multirécidiviste, dans le Val-de-Marne. Quelques jours plus tard, plusieurs milliers d’entre eux manifestent dans toute la France. Le Premier ministre évoque la dramatique erreur d’appréciation des juges… Les policiers mettent en cause la loi sur la présomption d’innocence. Le député Julien Dray est chargé d’évaluer le texte.

 « L’impunité zéro » – Tandis que Lionel Jospin déplore une « récupération politique » de l’insécurité, Jacques Chirac prône l’impunité zéro. En vieux routier de la politique, il a enfourché le bon cheval : un sondage montre que l’insécurité est la préoccupation majeure des Français. Il est réélu le 5 mai 2002. Nicolas Sarkozy devient ministre de l’Intérieur. À l’ordre du jour, renforcement des moyens pour la justice et les forces de l’ordre, renforcement de la sécurité dans les transports d’Île-de-France et création du Conseil de sécurité qui a pour tâche d’assurer l’impulsion de la sécurité intérieure, de la coordonner et de l’évaluer.

Les Groupes d’intervention régionaux – Dans les jours qui suivent, une circulaire interministérielle donne naissance aux GIR. Il s’agit en fait d’entités, pourvues d’une cellule de permanents, rattachées à la PJ ou à la gendarmerie. Les GIR regroupent l’action de policiers, de gendarmes, de douaniers, d’agents des impôts et même d’agents de l’URSSAF. Leur objectif premier vise à lutter contre l’économie souterraine générée par le trafic de drogue au niveau d’une cité ou d’un quartier. Ces bandes de petits trafiquants étant souvent les premiers à mettre le feu aux poudres.

Le Flash-Ball – Alors que Daniel Vaillant, lorsqu’il était ministre de l’Intérieur, avait répondu au mécontentement des policiers en les dotant de gilets pare-balles, Nicolas Sarkozy arme les policiers de « proximité » de Flash-Ball. Un peu comme Don Quichotte, il est parti en guerre contre la délinquance. Pour « la France des oubliés », comme il dit.

La sécurité, première des libertés – En juin, le premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, promet les moyens nécessaires pour lutter contre l’insécurité et, place Beauvau, on parle de la culture du résultat et de la nécessité d’alléger la loi sur la présomption d’innocence. Le programme sécuritaire du nouveau gouvernement est contenu dans la LOPSI du 29 août 2002. (En 2011, il y aura un deuxième P, pour « performance ». On sent tout de suite la différence.) Celle de 2002 porte un beau titre : « La sécurité, première des libertés » : création de 13 500 emplois dans la police et la gendarmerie, renforcement des pouvoirs des forces de l’ordre, création de nouveaux délits, comme le racolage passif, l’occupation de terrain par des gens du voyage, les attroupements dans les halls d’immeuble, la mendicité, etc.

La notation des préfets – Nicolas Sarkozy annonce qu’il publiera chaque mois la liste des 5 meilleurs et 5 plus mauvais départements sur le plan de la sécurité. Et, pour donner du baume au cœur aux préfets, il promet que 3500 CRS et gendarmes seront affectés à la sécurité publique.

On barricade les écoles – Xavier Darcos, ministre délégué à l’enseignement, souhaite équiper les établissements scolaires placés dans des zones sensibles de clôtures, portails, vidéo, etc. Il veut également permettre l’intervention des forces de l’ordre.

Vers la fin de la police de proximité – En février 2003, à Toulouse, Nicolas Sarkozy estime que la police de proximité est inutile si elle privilégie la prévention. Toutefois, quelques jours plus tard, rétropédalage. Pas question de la supprimer. Il est vrai qu’il faut d’abord trouver une solution de remplacement.

Le plan Vigipirate – En mai 2003, la tension monte d’un cran. Jean-Pierre Raffarin décide de porter le plan Vigipirate au niveau d’alerte orange.  Sauf erreur, il est aujourd’hui au niveau rouge. Il a même été écarlate en région Midi-Pyrénées, en Aude et en Lot-et-Garonne, le temps de l’affaire Merah.

Les chantiers prioritaires – Ils sont au nombre de six. C’est le plan de bataille du nouveau ministre de l’Intérieur, Dominique de Villepin. Mais Jacques Chirac le pousse aux fesses. En novembre, il appelle le gouvernement à aller plus loin. Il souhaite par exemple la création d’établissements pour « accueillir » les auteurs de crimes les plus graves, après leur sortie de prison. Et il veut également renforcer la lutte contre l’immigration irrégulière. Dominique de Villepin fixe la barre à 20 000 expulsions pour 2005. Mais cette année-là, il rejoint l’Hôtel Matignon et Nicolas Sarkozy retrouve ses pantoufles place Beauvau.

Les émeutes de 2005 – Alors qu’au mois de mars, d’après un sondage, la sécurité ne venait plus qu’au 9° rang de la préoccupation des Français, patatras ! en novembre les banlieues explosent. Signe évident d’un affolement des autorités, le président Chirac décrète l’état d’urgence. Une mesure jusqu’alors appliquée uniquement lors de la guerre d’Algérie. Ces désordres favoriseront sans doute Nicolas Sarkozy dans sa course à la présidence.

Les UTEQ – En 2008, Michèle Alliot-Marie annonce l’expérimentation de nouvelles unités destinées aux quartiers sensibles, les UTEQ. Avec pour objectif la lutte contre le trafic de stups et le rétablissement d’un lien de confiance entre la police et la population.

Les compagnies de sécurisation – Une vieille idée parisienne qui revient à la surface : en septembre 2008 la première sécu est installée à Bobigny. Elle a pour mission de lutter contre la petite et la moyenne délinquance et contre les violences urbaines.

Une pause pour réfléchir…  En octobre, la ministre annonce la création d’un Conseil économique et scientifique de sécurité, chargé de réfléchir aux « enjeux globaux » de la sécurité et de définir « quel niveau de sécurité mettre en place et dans quelles conditions économiques et techniques ».

La Place Vendôme en effervescence – Rachida Dati est sur tous les fronts. Les lois répressives pleuvent. Concernant les jeunes délinquants, elle annonce son intention de diminuer l’âge de la responsabilité pénale avec la possibilité d’une condamnation à la prison dès l’âge de 12 ans. François Fillon s’y oppose.

Protéger les Français – C’est le discours répété du président de la République. À Orléans, il annonce qu’en 2009, toute l’action du gouvernement « sera tendue vers cet objectif ». Il débloque cent millions d’euros pour la police et la gendarmerie.

Les référents – MAM veut consolider les liens entre la police et la population pour mieux lutter contre les vols à main armée dont le nombre ne cesse de croître. Outre la vidéosurveillance, elle préconise des contrôles fixes et itinérants dans les quartiers les plus touchés et une « coopération de terrain » via la mise en place de policiers et de gendarmes référents.

Les violences en bandes – C’est le nouveau cheval de bataille du président Sarkozy. En mars 2009, il annonce 16 mesures nouvelles pour combattre ce phénomène. Et quelques mois plus tard, en réaction à des faits divers, il tance ses ministres en leur rappelant les objectifs essentiels de la politique de sécurité : « La lutte contre les bandes et les violences urbaines, la lutte contre les violences à l’école, la répression des trafics criminels, en particulier le trafic de drogue ». Dans le même temps, Martine Aubry sort un « livre noir » qui dresse un bilan des « atteintes aux libertés publiques ».

Les brigades spéciales de terrain – C’est Brice Hortefeux qui lance le projet, en 2010. Il s’agit de créer des unités dont la mission est de mettre fin à la délinquance tout en rétablissant un lien avec la population. La première BST est installée en Seine-Saint-Denis.

Les patrouilleurs – En 2011, Claude Guéant préfère les patrouilleurs. Pour faire simple, il s’agit de policiers dont la mission est de déambuler dans une rue, dans un quartier.  Il s’agit par leur présence de rassurer les gens et de nouer le contact (avec la population). En 1976, on appelait ça l’ilotage.

La LOPPSI de 2011 – La loi d’orientation et de programmation pour la performance sur la sécurité prévoit de nouvelles mesures pour permettre aux forces de l’ordre de « s’adapter avec le maximum de réactivité possible aux évolutions de la délinquance ». Malgré la promesse d’une enveloppe financière cinq fois plus élevée qu’en 2009, l’ouverture sur la sécurité privée et sur les polices municipales est presque un aveu d’échec.

Le sentiment d’insécurité – Après des années de pression, les Français sont redescendus sur terre. Dans un sondage du mois de mars, 8% seulement déclaraient que la question pèserait dans leur vote à l’élection présidentielle. Contre 14% pour les impôts et les taxes. Et 36% pour le pouvoir d’achat et le chômage.

Et maintenant ? Les têtes ont changé mais les problèmes demeurent. Après les événements d’Amiens, François Hollande a promis de mettre en œuvre tous les moyens de l’État pour lutter contre les violences. Quant à Manuel Valls, il planche sur la mise en place de nouvelles « zones de sécurité prioritaire ». Mais il a dit aussi, lors d’une interview, qu’il fallait avant tout s’attaquer aux causes. Or les violences urbaines sont souvent liées au trafic de drogue. Et, partout de par le monde, la lutte contre ce fléau a échoué. « C’est un peu comme si on était sur un vélo d’appartement ; on pédale, on pédale, mais le problème demeure », a dit Juan Manuel Santos, le chef d’État colombien. Il y a peut-être là un véritable sujet de réflexion…

Il est également intéressant de savoir que François Lamy, le ministre délégué à la Ville, a porte ouverte place Beauvau, car la police ne peut pas tout. Elle agit un peu comme un antalgique, elle calme le mal mais elle ne le supprime pas.

Plus de biscuits en garde à vue

Le nombre de gardes à vue a diminué, mais le respect de la dignité humaine n’est toujours pas au rendez-vous. Loin s’en faut. Non pas du fait des policiers ou des gendarmes, mais en raison des conditions matérielles réservées aux suspects. Autrement dit, les caisses du ministère de l’Intérieur sont vides.

Et, sans argent, la nouvelle politique de sécurité voulue par Manuel Valls a-t-elle une chance de réussir ?

Dans les commissariats parisiens, par exemple, depuis plusieurs semaines, il n’y a plus de biscuits pour le petit déjeuner. Vous me direz, des biscuits… Pourquoi pas des croissants pendant qu’on y est ! Sauf que les deux biscuits du matin constituaient l’unique pitance des gardés à vue. Même pas un café. Il leur reste la briquette de jus d’orange, du genre de celle que l’on donne aux enfants, en moins bon. Et avec ça, les gaillards doivent tenir jusqu’au repas du midi : une barquette à choisir entre deux plats. Il paraît que le poulet-riz a la faveur du public. Comme quoi ils ne sont pas rancuniers les taulards d’un jour, puisqu’ils aiment le poulet. Si on ne pratique pas en France la torture infamante, avec ce régime hypocalorique, on n’est pas loin de « la tortore affamante ».

Mouais, je sais… Et pour me faire hara-kiri, je pourrais ajouter qu’il ne reste plus aux suspects qu’à manger le morceau.

Et la nuit, ils peuvent rêvasser dans leur couverture cradoque. Le plus souvent allongés par terre, car les matelas sont bizarrement d’une taille qui correspond rarement aux bancs de GAV. Quant à la douche, il ne faut guère y compter. Si elle existe, la plupart du temps, il n’y a pas de serviettes de toilette. Comme disait un commissaire : z’on qu’à prendre du PQ. Sauf qu’il n’y en pas toujours. Il suffit que le livreur passe en l’absence du préposé au ménage, pour que la semaine se déroule sans. Et chaque fonctionnaire de planquer son petit rouleau perso dans son caisson. De toute façon, même s’il y a des douches, même s’il y avait des serviettes, il n’y aurait pas assez de personnel pour accompagner les gardés à vue aux sanitaires.

Donc, tout est pour le mieux.

Un autre exemple de la paupérisation de la police : on manque de cartouches pour les Taser ! Cela se passe dans le Haut-Rhin. C’est un syndicat qui a tiré la sonnette d’alarme : le directeur de la sécurité publique serait prêt à retirer les Taser X26 de la circulation. Heureusement, le préfet pour l’administration de la police a finalement entrouvert son escarcelle : 10 cartouches auraient été livrées.

D’ici qu’on ressorte les bâtons blancs !

Je ne dis pas ça pour me moquer, mais en lisant les instructions du ministre de l’Intérieur sur la mise en place des quinze premières ZSP (zones de sécurité prioritaires), je ne pouvais m’empêcher de me demander où diable il allait trouver les moyens de sa politique… J’ai cru comprendre qu’une partie du Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) serait mobilisée. Plus de 50 millions d’euros pour 2012. Rappelons que ce fonds sert à financer en priorité la prévention de la délinquance des jeunes, et, pour plus de la moitié de l’enveloppe, la vidéoprotection. Le plan-caméra si cher au gouvernement Sarkozy-Fillon (et si cher aux contribuables), vivrait-il ses derniers jours ?

La zone de sécurité prioritaire, c’est un peu le contre-pied de la police de proximité du gouvernement Jospin. Dans sa récente circulaire aux préfets, le ministre de l’Intérieur explique qu’il s’agit de s’attaquer « aux causes » et de « lutter en profondeur contre les formes les plus ancrées de la délinquance ».

Donc, pas question de jouer au foot avec les jeunes. Mais au contraire d’unir les forces de plusieurs ministères pour être le plus opérationnel possible en se concentrant sur certains objectifs : l’économie souterraine, le trafic de stupéfiants et d’armes, les violences, les cambriolages, les regroupements dans les parties communes d’immeubles, les nuisances sur la voie publique, les incivilités, etc. Et pour être encore plus pointu, il faudra sélectionner au maxi quatre cibles par zone. Tandis que les collectivités territoriales s’intéresseraient plutôt à la prévention et à la « proximité ». Probablement des missions dévolues aux polices municipales.

Pour cette première année d’activité, il n’y aura ni effectif supplémentaire ni nouvelle implantation immobilière. On peut donc s’attendre à un certain remue-ménage dans les services. Peut-être même un remodelage des structures existantes, « l’occasion d’une redéfinition de certaines unités, notamment celles affectées à la recherche du renseignement ou à la lutte contre la criminalité de voie publique », déclare M. Valls. Entre les lignes, on pourrait penser à un retour des RG et peut-être à la fin des BAC.

Comme l’écrit dans son blog Émilie Thérouin (adjointe au maire, chargée de la sécurité à Amiens), désormais, le préfet reprend la main. Et cela semble une bonne chose. Des services comme la DCRI ont montré les limites d’une centralisation à outrance. On serait donc sur le bon chemin. À condition toutefois que la justice soit au diapason. Ce qui pour l’instant reste à démontrer. Car s’il est question du procureur de la République dans la lettre du ministre aux préfets, c’est au conditionnel. Ce magistrat pourra « s’il le souhaite » assurer la codirection de la cellule opérationnelle. Y aurait-il mésentente entre la place Beauvau et la place Vendôme ?

Réussir une telle réforme sans y mettre un sou, c’est un véritable challenge. Croisons les doigts. Pourtant, il y a une chose qui n’aurait rien coûté. Un vocabulaire plus tolérant.  Je trouve que « zone » cela fait zonard, donc marginal. J’aurais préféré que l’on parle d’espaces de sécurité prioritaire. Mais ce ne sont que des mots.

La police tunisienne en miettes

La Tunisie va mal et la police aussi. C’est du moins ce que me dit un policier tunisien dans un mail envoyé récemment. Depuis le départ de Ben Ali, le pays semble partagé entre l’idéalisme démocratique, né de la Révolution, et claironné par le président provisoire Moncef Marzouki, et une aspiration profonde à l’islam. Et cette ambigüité pèse lourdement dans la musette des policiers.

A priori, dans la rue, ce sont bien les lois islamiques qui prennent le pas sur les lois républicaines. Ainsi, en cette période de ramadan, les forces de sécurité sont souvent à l’œuvre pour fermer les bars et les restaurants, ces endroits ouverts aux « non-jeûneurs ». Mais certains s’interrogent sur la base légale de ces interventions. Et, en l’absence de loi, il semble bien que le ministre de l’Intérieur cède à la pression des « religieux » et notamment à une sorte de congrégation qui il n’y a pas si longtemps, s’appelait encore « Association de la promotion de la vertu et de la prévention du vice ». Il y a quelques jours, lors d’une opération destinée à fermer ces lieux de… perdition situés dans le centre commercial Carrefour, en périphérie de Tunis, mal à l’aise, les policiers ont justifié leur action en invoquant le principe de précaution : éviter que les salafistes ne viennent tout casser. On pourrait donc penser que la police plie devant la milice des extrémistes. Mais en fait, ils ne peuvent guère dire autre chose, les policiers, car en obéissant à un ordre sans base légale, ils se placent eux-mêmes dans l’illégalité. Cette ambigüité dans les instructions de la hiérarchie flirte avec la sensibilité de chacun. Et cela se traduit par des dissonances : une répression violente, le 9 avril, lors des manifestations pour la Fête des martyrs (commémoration de l’année 1938, lorsque les forces coloniales françaises ont tiré sur la foule), alors que quelques semaines plus tôt ces mêmes policiers offraient des fleurs aux manifestants.

Au mois de juin, des heurts violents ont eu lieu entre les forces de l’ordre et des groupes islamistes radicaux qui dénonçaient une exposition de tableaux jugée offensante pour l’islam. L’un d’eux, « Femme au couscous à l’agneau », représentait une femme nue avec en arrière-plan des bonshommes barbus. Bilan : un tribunal incendié, plusieurs postes de police attaqués et des dizaines de policiers blessés. Mais ils n’ont pas tiré à balles réelles contre les manifestants, malgré la déclaration du ministre de l’Intérieur rappelant à ses troupes qu’une loi de 1969 leur en donne le droit en « état d’urgence ». L’état d’urgence perdure en Tunisie. Il a déjà été prolongé cinq fois depuis qu’il a été prononcé, en janvier 2011. En principe, il doit prendre fin dans 48 heures – à moins qu’il ne soit à nouveau prorogé.

La  plupart des syndicats de police se sont montrés satisfaits de cette déclaration de leur ministre. Cependant, jeudi dernier, alors que des manifestants s’en prenaient à la préfecture de Sidi Bouzid, sur le terrain, les forces de l’ordre se sont limitées à des tirs de sommation et à l’utilisation de gaz lacrymogène. Que se serait-il passé dans le cas contraire ? On se souvient en effet que c’est devant cette même préfecture qu’un jeune vendeur de fruits et légumes, Mohamed Bouhazizi, s’était immolé par le feu, marquant symboliquement le point de départ de la Révolution tunisienne et par extension du Printemps arabe. Une place de Paris, dans le 14° arrondissement, porte désormais son nom.

Vu de France, il est bien difficile d’y voir clair dans cet embrouillamini politico-policier. Mais il semble bien que la liberté syndicale des policiers soit en train d’en prendre un sacré coup. Les délégués sont sérieusement mis à mal depuis qu’ils ont osé revendiquer une meilleure protection juridique et une amélioration de leurs moyens d’action afin de pouvoir exercer leur métier « dans les meilleures conditions et dans le respect des valeurs des droits de l’homme dans la Tunisie postrévolutionnaire ». Le Syndicat national des forces de sûreté intérieures exige une rupture nette avec le passé. Il faut que le ministre de tutelle arrête de recycler les symboles de l’ancien régime. Mais, pour l’instant, j’ai l’impression que la seule réforme concerne le changement des uniformes… Il y a quelques jours, ils étaient nombreux à manifester suite à l’arrestation (on ne sait pour quel motif) de leur collègue, Issam Dardouri, secrétaire général de la cellule de l’aéroport international de Tunis-Carthage (il aurait été libéré mardi dernier). Pour les syndicalistes, qui prennent d’énormes risques, la société civile doit aussi se mobiliser et les soutenir dans l’approche d’une police républicaine. « Dans le cas contraire, a déclaré un responsable national, je donne six mois à la police pour revenir à sa qualité d’outil de répression ».

En attendant, les sanctions pleuvent : mutations, révocations, arrestations administratives et judiciaires… Et, à l’opposé, pour les plus souples, promotions surprises. Il y a indéniablement une volonté de contrôler les organisations syndicales pour les empêcher de se pencher sur les dysfonctionnements mis en exergue par la Révolution et sur les errements des fonctionnaires « qui ont contribué à la dictature de l’ancien régime ».

A ma connaissance, il n’y a pas eu de véritable épuration après les répressions sanglantes. Seuls quelques dizaines de cadres auraient été renvoyés.

Et tandis que les forces de l’ordre sont déstabilisées et souvent occupées à des missions de maintien de l’ordre, la criminalité prolifère, l’insécurité s’installe et les touristes fuient le pays. La Tunisie pourra-t-elle attendre les élections prévues pour mars 2013 sans verser dans le chaos ? Et demain, quel sera son profil ? Pour Nicolas Clinchamps, maître de conférences de droit public à Paris 13, le pays est « toujours écartelé entre les deux extrêmes de l’islamisme et du nationalisme ». D’autres vont beaucoup plus loin, comme ce cheikh, al-Khatib al-Idrissi, une référence spirituelle pour les salafistes tunisiens. Lui ne se limite pas à une Tunisie sous charia mais envisage carrément une « nation musulmane » mondiale : l’oumma. Pour lui, ce sont les occidentaux qui ont dressé des frontières entre les musulmans, « mais déjà les dictatures chutent : Tunisie, Égypte, bientôt la Syrie… En même temps, d’autres pays s’affaiblissent, tout comme les États-Unis. Ils vont vers l’effondrement et l’islam en profitera ».

On ne peut être plus clair.

Usage des armes dans la police : vers un meilleur encadrement

Il n’y aura pas de présomption de légitime défense pour les policiers mais probablement un codicille aux textes en vigueur afin de mieux encadrer les situations dans lesquelles ils peuvent faire usage de leur arme. Un peu comme cela a été fait l’année dernière dans l’hypothèse où un attroupement devrait être dispersé par la force.

C’est du moins ce que l’on peut déduire des propositions de la « mission indépendante de réflexion sur la protection fonctionnelle des policiers et gendarmes » dont la mise en place avait été annoncée par Manuel Valls lors de l’un de ses premiers déplacements en tant que ministre de l’Intérieur. Il s’agissait alors d’étouffer la colère des policiers après la mise en examen de l’un d’eux pour homicide volontaire dans l’affaire de Noisy-le-Sec.

« En encadrant l’usage des armes, on en consacre l’existence et on répond d’une certaine manière – autrement que par les propositions que nous avons écartées [Note : la présomption de légitime défense] – à une attente », estime le conseiller d’État Mattias Guyomar dans son rapport remis vendredi dernier au ministre.

Je dois avouer que je trouve l’idée d’encadrer l’usage des armes pour en consacrer l’existence assez sibylline. Le rapporteur parle de « codifier la jurisprudence du code pénal »… Mais comment prévoir à l’avance les circonstances d’une intervention de police alors que celles qui posent problème sont justement les plus imprévues… S’agit-il d’énumérer les cas dans lesquels le policier peut faire usage de son arme ? Attention à ne pas ouvrir la boîte de(s) Pandore(s) ! Et puis, ce serait oublier une chose qui ne peut s’expliquer : la peur, tout simplement. La peur d’être tué et la peur de tuer. Dans le drame de Noisy-le-Sec, le gardien de la paix a-t-il cédé à un tir panique ? Cette peur, souvent non avouée, c’est le fossé qui sépare le juge du policier.

Définir les conditions d’utilisation des armes lors d’une interpellation, serait d’autant plus curieux, qu’en flagrant délit, le policier ne possède aucun pouvoir particulier. Il agit comme pourrait le faire tout citoyen, dans le cadre de l’art. 73 du CPP.

Je trouve le Conseiller plus intéressant lorsqu’il outrepasse sa mission pour réfléchir à l’utilisation des armes dites à létalité réduite, celles que l’on classe dans la catégorie des moyens intermédiaires de défense. Il est vrai, par exemple, qu’entre le premier Flash-Ball, arme essentiellement dissuasive, presque de contact, et le lanceur de balles suisse à visée électronique actuellement en dotation, il y a tout un monde. Et il ne serait pas idiot de mieux adapter leur utilisation aux missions, plutôt que de faire la surenchère à la puissance.

Pas question dans ce rapport d’aligner les policiers sur les gendarmes – ou le contraire. Statu quo. Les gendarmes continueront donc à bénéficier – dans certaines circonstances – de la possibilité de tirer après sommations. Pour justifier cette possibilité de tuer, on met en avant leur statut militaire. Ce qui n’a évidemment pas beaucoup de sens, puisque la plupart des missions de la gendarmerie sont identiques à celles de la police nationale. Là, je crois qu’on est plutôt dans le ni-ni. Rappelons pour les auteurs de polars qui candidatent au Prix du Quai des Orfèvres, que le policier ne fait pas de sommations. Il ne peut par exemple tirer sur un délinquant qui s’enfuit, qu’il soit à pied ou en voiture. Tout au plus pourrait-on tolérer un tir d’avertissement…

Mais parmi les 27 propositions de ce rapport, il y en a une qui est très appréciée : l’extension de la protection fonctionnelle. D’après l’agence d’informations spécialisées aef-info, en 2011, elle aurait été actionnée 20 289 fois pour les policiers (j’ai du mal à croire ce chiffre) et 500 fois pour les gendarmes. Mais en l’état, elle est loin de donner satisfaction. Si cette recommandation était suivie d’effet, le policier ou le gendarme mis en cause par la justice dans l’exercice de ses fonctions devrait bénéficier d’une protection juridique plus étendue et, surtout,  il devrait se voir garantie la continuité de ses ressources. Éventuellement en faisant l’objet d’un reclassement provisoire dans une autre administration. Alors qu’aujourd’hui, un policier mis en cause par la justice peut du jour au lendemain être interdit d’exercer son métier par le juge d’instruction ou suspendu par l’autorité administrative. Et si le plus souvent il continue à percevoir son traitement (du moins dans un premier temps), celui-ci est sérieusement amputé. Grosso modo réduit de moitié. De plus, en tant que fonctionnaire, il n‘est pas autorisé à avoir une autre activité salariée. De nombreux policiers ont très mal vécu cette expérience où ils tournent en rond, désœuvrés, à tirer le diable par la queue, et souvent seuls, car coupés de leurs collègues, de leurs amis. Comme soutien psychologique, peut mieux faire.

Cette évolution très importante dans la protection matérielle nécessiterait de modifier le statut de la fonction publique (de la défense, pour les gendarmes), et devrait donc profiter à l’ensemble des fonctionnaires. On ne voit pas en effet comment, sous un quinquennat placé sous le signe de la justice pour tous, on pourrait faire une différence entre les agents publics, selon qu’ils seraient rattachés à tel ou tel ministère.

L’enquête imaginaire sur les enregistrements de Merah

« Agissant en enquête préliminaire pour des faits de violation du secret de l’instruction et recel, conformément aux instructions de Monsieur le procureur de la République de Paris, nous présentons ce jour au siège de l’entreprise Éléphant et Cie… »

J’ai eu beau râler, le chef m’a dit qu’il fallait foncer et récupérer dare-dare les enregistrements des négociations entre la DCRI et Mohamed Merah, dont une partie avait été diffusée sur TF1. Une enquête sur des œufs. Avant de me lancer dans l’aventure, j’ai évidemment compulsé mon code de procédure pénale…

La perquisition – Quasi impossible. D’abord, en préli, il faut un accord écrit du « maître des lieux ». Ensuite, la perquisition dans une entreprise de presse est réglementée par la loi de 2010. Question : la maison de production Éléphant et Cie est-elle un organe de presse ? Petit tour sur l’Internet. Oui, il est indiqué qu’il s’agit d’une société de production audiovisuelle qui possède ce statut. Mais c’est quoi une agence de presse. Pour Wikipédia, plus facile à lire que le Dalloz, « une agence de presse est une organisation qui vend de l’information aux médias à la manière d’un grossiste fournissant des détaillants ». La définition juridique est fournie par l’ordonnance n° 45-2646 du 2 novembre 1945 (modifiée par la loi du 22 mars 2010 et consolidée en mars 2012). Pour remplir les conditions, il faut que l’entreprise effectue au moins la moitié de son chiffre d’affaires dans la fourniture à des publications de presse. Là, je n’ai pas le temps de vérifier. Après tout, qui dit perquise chez des journalistes, dit décision écrite d’un magistrat. Il est où le proc ? D’autant que Mister Chain me fait les gros yeux. Je sors ma réquise article 77-1-1 et je lui demande du bout des lèvres s’il veut bien me remettre les enregistrements susvisés. Il me dit non. Je m’en vais.

De toute façon, l’acte aurait été frappé de nullité, puisqu’il violait l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Et puis, j’ai bien compris, plus tard, en lisant les propos d’Emmanuel Chain dans Le Point, que la justice n’y avait rien perdu : « Vous imaginez bien que nous nous y attendions et que nous avons pris toutes les précautions pour protéger nos sources », qu’il a dit.

Le secret professionnel – Il est l’apanage de certaines professions : médecins, avocats, ministres du culte… et même les flics qui ne sont pas tenus d’indiquer l’identité de leurs informateurs.  Enfin, ça, je demande à voir, hein ! Pour les journalistes, la première tentative vers un secret professionnel date de 1925. Cette idée avait été balayée sous le prétexte que le journaliste n’est pas dépositaire d’un secret confié par un particulier, comme c’est le cas d’un avocat, par exemple. Depuis, l’eau a coulé. Aujourd’hui, la France s’est alignée sur la jurisprudence de la Cour européenne. La loi du 4 janvier 2010 pose le principe de la protection du secret des sources des journalistes « dans leur mission d’information du public ». Ce principe interdit que les enquêteurs tentent de les identifier, même de façon indirecte. D’où l’histoire des fadettes du Monde. Si le nom d’un honorable correspondant d’un journaliste apparaît inopinément sur une écoute téléphonique, le policier peut l’entendre, mais ne peut pas l’écrire.

Parfois, je me dis que c’est un métier pour autiste…

Le secret de l’instruction –  Il est amusant de noter que le juge et le journaliste ont quelque chose en commun : la recherche de la vérité. Mais ils ne disposent évidemment ni des mêmes pouvoirs ni des mêmes méthodes. Toutefois, tous deux sont protégés dans leurs actes par la notion de secret : secret de l’instruction pour l’un, secret des sources de l’information pour l’autre. À ceci près que pour les juges, c’est peine perdue : le temps médiatique n’est pas le même que celui de la justice.  Et le « parasitage » est trop fort. À tel point que l’on a pris l’habitude de suivre le travail du juge dans nos journaux – parfois d’ailleurs par un jeu de fuites savamment orchestré, comme dans l’affaire Neyret. Une carotte que l’on agite sous notre nez pour satisfaire notre goût des faits divers et masquer des événements plus enquiquinants pour le pouvoir. Raison pour laquelle bon nombre de magistrats ont pris en main leur communication. Et, tandis qu’un député de l’ancienne majorité (pas encore vacciné) réclame le durcissement de la loi sur la violation du secret de l’instruction, des voix plus autorisées se font entendre pour sa suppression, ou du moins son adaptation aux méthodes modernes de communication. Pour mémoire, d’ailleurs, le rapport Léger, enterré (sans doute contre son gré) par le précédent locataire de l’Élysée, proposait la suppression du secret de l’enquête et de l’instruction – tout en conservant le secret professionnel.  Finalement, c’est un peu comme la consommation de cannabis : si l’on ne peut pas faire respecter la loi, autant la supprimer.

Je prenais sur moi, en sortant de la maison de prod, mais j’en avais gros sur la patate. Puisqu’il n’est pas possible d’enquêter sur les journalistes, je me suis dit que la seule solution, c’était de prendre l’enquête par l’autre bout. Et pour cela, il fallait déterminer entre quelles mains étaient passés ces enregistrements ! Pas facile, d’autant qu’avec le numérique, la piste se perd rapidement dans les méandres des ordinateurs : policiers, magistrats, techniciens… Ces enregistrements ont-ils été placés sous scellés ? Dans quel délai ? Et comment déterminer combien il y a eu de copies avant… Ce qui n’a d’ailleurs aucune importance s’il s’agit, non pas de scellés fermés, mais de scellés ouverts, qui sont justement faits pour pouvoir en lire le contenu.

Soyons réaliste, mon enquête n’est pas prête d’aboutir. Mais comme je ne suis pas sûr que là-haut on souhaite un résultat, ça ne m’inquiète pas trop.

Cela dit, le journaliste ne bénéficie d’aucune immunité. S’il enfreint la loi d’une manière ou d’une autre dans l’exercice de son métier, il peut très bien se retrouver en prison. Par exemple s’il est receleur de la violation du secret d’instruction.

Le recel de violation du secret de l’instruction – Celui qui obtient les confidences d’une personne concernée par le secret de l’instruction devient receleur. Mais celui qui obtient l’information du receleur peut-il être lui-même receleur ? Il semble bien que non. On ne peut être receleur du délit de recel. Donc, en masquant leurs sources, les journalistes ne risquent pas grand-chose, même s’ils sont hors la loi. Et pour les enquêteurs, c’est mission impossible.

Dans ces conditions, alors que la police manque de bras, je me demande s’il est bien utile de faire un travail au résultat si incertain. Un coup de tampon « vaines recherches », et hop ! Et là-dessus, le procureur de Paris a ouvert une information judiciaire. Donc, changement de patron. Maintenant, c’est le juge d’instruction qui décide. Franchement, on aurait peut-être pu commencer par là, même si j’ai l’impression que cela ne changera pas grand-chose.

Vacances, animaux et bonne conscience

Il y a quelques jours, la voiture de Mme Bernadette Chirac a heurté un chevreuil sur l’autoroute A20, à une cinquantaine de kilomètres de son château de Bity, à Sarran, en Corrèze. On ne va pas lui en tenir rigueur, d’autant que ce n’est pas elle qui conduisait, mais son « officier de sécurité ». Ce petit fait divers attire l’attention sur l’incidence de nos transhumances estivales sur les animaux sauvages, désorientés par ce va-et-vient incessant, et aussi, hélas ! sur les animaux de compagnie, qui deviennent parfois encombrants.

Photo de Didier Weemaels, prise forêt de Soignes (site Flickr)

Au volant, si vous heurtez un animal en liberté, votre responsabilité n’est évidemment pas engagée. S’il s’agit d’un animal sauvage, vous pouvez même prétendre à une indemnisation du « fonds de garantie ». Pour cela, il faut prendre soin de préserver, à l’attention de l’expert, les traces laissées par le choc (sang, poils…). Mais s’il s’agit d’un animal dont le propriétaire est identifié, c’est vers lui que la compagnie d’assurance ou la justice se tournera.

« Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisé », dit le Renard au Petit Prince. C’est un peu ce que nous rappelle l’art. 1385 du code civil (créé par une loi de 1804) : « Le propriétaire d’un animal (…) est responsable du dommage que l’animal a causé, soit que l’animal fût sous sa garde, soit qu’il fût égaré ou échappé. »

Cette responsabilité peut d’ailleurs être pénale. Mais, ce que l’on sait moins, c’est que les animaux possèdent eux aussi des droits. La loi les protège des humains.

Ce qui ne va pas sans poser problème, car il n’est pas raisonnable de donner aux bêtes, comme pour les hommes, une véritable identité juridique. Et si la tendance actuelle va vers la personnification de l’animal, il faut se garder de tout anthropomorphisme. Chacun doit rester dans sa peau.

Il existe, depuis 1987, une Convention européenne pour la protection des animaux de compagnie. La France l’a ratifiée en 2004, avec toutefois une restriction sur un alinéa : la coupe de la queue, qui porte le nom savant de caudectomie. Une intervention chirurgicale qui – chez nous – se pratique encore sur les porcelets et parfois aussi sur les chiens. Pour ces derniers, il y a quelques années, un député avait même proposé que l’on en revienne à la pratique de la coupe des oreilles…

Voyou (photo perso) - Des fois, je lui taillerais bien les oreilles en pointe...

Il faut dire que de la zoolâtrie à la diabolisation, l’histoire nous montre que nos relations à l’animal ne sont pas simples. C’est un domaine où la raison marque souvent le pas. Ainsi, au Moyen Âge, les animaux pouvaient être cités en justice. On dit même qu’au début du siècle précédent, en Suisse, un chien a été jugé coupable de complicité de meurtre et exécuté. Plus près de nous, la Cour de cassation a estimé que les mauvais traitements infligés à un animal étaient en partie de sa faute, en raison de son comportement. Or, il est évident que si l’on donne une responsabilité pénale à une bête, il faut en contrepartie lui donner des droits juridiques. On frôle les fables de La Fontaine… Et, à force de « bons sentiments », on en arrive à des absurdités. En fait, si l’on appliquait le code pénal, cela ne serait déjà pas si mal. Comme l’article 521-1 qui punit de 2 ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende le fait d’exercer des sévices graves, ou de nature sexuelle, ou  de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique ou apprivoisé – ou simplement tenu en captivité. Alors que bizarrement, la mise à mort, sans nécessité, n’est punie que de l’amende prévue pour la contravention de 5° classe.

En fait, les infractions qui visent les violences aux animaux n’encombrent pas les tribunaux. Mais les choses évoluent vite. On se souvient qu’en 2009 une jeune femme a été condamnée à 6 mois de prison ferme pour avoir aspergé un chien d’essence avant qu’un gamin y mette le feu. (L’animal, brûlé à 50 % a néanmoins survécu.) Et, en 2007, la Cour de cassation a confirmé que les actes de sodomie effectués par un homme sur son poney étaient des sévices sexuels, entérinant ainsi la condamnation à un an de prison avec sursis. Et comme cette déviance va souvent de pair avec des réseaux zoophiles, en 2010, une proposition de loi a été déposée pour lutter contre la diffusion d’images mettant en scène des animaux.

Volontairement, le code pénal ne parle pas  d’animaux de compagnie. Il va au-delà. Dans la pratique, on peut retenir trois catégories :

L’animal de compagnie – C’est celui qui est détenu ou destiné à être détenu par l’homme pour son agrément (art. 214-6 du code rural).

L’animal domestique – Un arrêté de 2006 fixe la liste « des espèces, races ou variétés domestiques », du moins au sens du code de l’environnement. La définition qu’il en donne est quasi incompréhensible. Pour simplifier on peut dire qu’il s’agit des animaux qui ont fait l’objet d’une sélection par l’homme. On y trouve des mammifères, des oiseaux, des poissons et même des insectes, comme le ver à soie. L’animal de compagnie figure donc dans la liste des animaux domestiques.

Le cheval aussi, tout comme le bœuf, le porc, etc. En 2010, des députés ont déposé une proposition de loi pour que cet équidé soit considéré comme un animal de compagnie. Comme argumentaire, ils défendaient l’idée que de nos jours rien ne différencie un cheval d’un chien, animal qui peut être un outil de travail tout comme un compagnon de loisir. Sauf que les chiens ne finissent pas à l’abattoir… Sur le site de la Fondation Brigitte Bardot, on peut lire que 850 équidés seraient tués chaque jour en France. Mais le Canada reste notre principal fournisseur de viande de cheval. À ma connaissance, cette proposition de loi est restée lettre-morte…

L’animal non domestique – Ce sont toutes les autres espèces. Elles ne font donc l’objet d’aucune protection juridique lorsqu’elles vivent à l’état sauvage (sauf espèces protégées). Pour le code de l’environnement, sont considérées comme espèces animales non domestiques celles qui n’ont pas subi de modifications par sélection de la part de l’homme. La liste est établie par arrêté après avis du Conseil national de la protection de la nature (R-411-1).

Pour revenir à des choses sérieuses, c’est-à-dire l’accident de Mme Chirac, elle n’a heureusement pas été blessée. La préfecture de Corrèze a aussitôt envoyé un véhicule de remplacement et elle a pu poursuivre sa route. Oui, je sais bien, à l’heure de la rigueur, certains vont se poser des questions… Mais dans ce billet dédié aux bêtes et à leurs amis, je me contenterai d’une pensée pour le chevreuil.

Police : le retour de la pucelle ?

Parmi les ballons d’essai lâchés par M. Valls pour rapprocher la police de la population figurent le « contrôle » des contrôles d’identité, le bannissement du tutoiement et la réapparition du matricule sur l’uniforme. Le matricule, c’est le numéro d’identification attribué à chaque fonctionnaire de police et qui le suit sa carrière durant. Autrefois, les gardiens de la paix le portaient sur un écusson accroché à la boutonnière : la pucelle.

Pucelle de la Préfecture de police (site Amicale Police Patrimoine)

Il y a plusieurs origines possibles à ce nom, toutes militaires. Ma préférée : les jeunes recrues devaient ouvrir la boutonnière pour y glisser l’attache. Il fallait donc la dépuceler. Lors de la création de la police nationale, en 1966 (les mots « police nationale » ont été utilisés une première fois sous Vichy), la pucelle a survécu. Pour la police parisienne, elle a seulement changé de côté, elle est passée de gauche à droite (mais on peut intervertir, hein !).

L’air de rien, un matricule visible pourrait être considéré comme un premier pas vers un rapprochement des policiers et de la population. Soudain, derrière l’uniforme, il y a quelqu’un. Alors que depuis près de 30 ans, la tendance est inverse. On s’est efforcé de « déshumaniser » la fonction et de la couper du reste de la société. Peut-être le relent d’une vieille crainte : voir les forces de sécurité se ranger du côté du peuple !

En 1984, dans le cadre du plan de modernisation de la police voulu par Pierre Joxe, il a été décidé de changer les uniformes. Le traditionnel képi a disparu, remplacé par la casquette plate. Et la pucelle aussi, remplacée par rien du tout. Je ne sais pas s’il s’agissait d’un caprice du couturier Balmain (qui a créé la tenue) ou d’une décision politique. Pourtant, on peut dire que si M. Joxe a laissé son empreinte Place Beauvau, il a également été le premier ministre de l’Intérieur à fermer la police au monde extérieur, interdisant, par exemple, toute communication avec la presse. Un élagage peut-être nécessaire : trop de têtes dépassaient.

En 1995, Jean-Louis Debré remplace Charles Pasqua à l’Intérieur et les inspecteurs de police deviennent des officiers. Et la police nationale devient la « petite muette ».

En 2004, Nicolas Sarkozy, décide de changer la tenue pour la rendre plus fonctionnelle. Disons que le policier devient plus martial (et à mon avis moins élégant). Cette fois, les uniformes sont griffés Balenciaga. Mais toujours pas de retour de la pucelle : elle semble définitivement condamnée puisque le nouvel habit ne comporte pas de poche sur la poitrine, donc pas de boutonnière.

Et pourtant, aujourd’hui, l’idée est de nouveau dans l’air. Et pas seulement en France.

Ainsi, l’année dernière, en Belgique, à la suite de violences infligées à une jeune « indignée », un collectif d’avocats a demandé au ministre de l’Intérieur que tout agent en uniforme ou en civil soit rendu identifiable par la présence d’un numéro matricule. Et, récemment, le sénateur Gérard Deprez a déposé une proposition de loi en ce sens (dans ce pays, il existe déjà un texte, mais il n’est pas appliqué). En résumé, il souhaite que les policiers en tenue portent de manière visible leur numéro matricule personnel et que ceux qui agissent en civil le portent sur leur brassard. Il base d’ailleurs son argumentaire sur un arrêt du 11 octobre 2011, rendu par la CEDH (M. Deprez a été député européen durant 25 ans). La Cour s’est penchée sur le cas d’un citoyen bulgare qui a été victime de coups et blessures infligés par des policiers cagoulés. Elle a condamné la Bulgarie pour violation de l’article 3 de la Convention. En deux mots, il aurait fallu que les policiers portent un signe distinctif qui, tout en préservant leur anonymat, permette de les identifier.

Policier masqué (Revue Police Pro)

Au Québec, le Code de déontologie oblige les forces de l’ordre à porter un moyen d’identification. Or, ces derniers jours, des photos ont fait le buzz sur le Net. Elles montraient des policiers qui avaient collé des rubans adhésifs sur leur casque antiémeute, dont l’un cachait le numéro d’identification. Le Service de police de la ville de Montréal (SVPM) a diligenté une enquête, tout en faisant preuve de circonspection. Il semblerait, d’après le SVPM, que les manifestants étudiants prennent un malin plaisir à submerger le service des enquêtes internes de plaintes pas toujours justifiées. Une crainte exprimée par les policiers français si les contrôles d’identité devaient donner lieu à un récépissé.

Chez nous, le code de déontologie ne parle pas de l’identification des policiers. Et, à ma connaissance, rien ne les oblige à communiquer leur matricule – si ce n’est sur un P-V. Mais les syndicats ne semblent pas opposés à la réapparition de la pucelle.

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Sur le même sujet, un « lien contextuel » sur Le Monde : Manuel Valls sceptique sur les récépissés. Et, sur ce blog, Contrôles d’identité : Est-ce l’angélisme qui sonne ?


Cette affaire bizarre des douaniers de Roissy

Sept douaniers ont été mis en examen pour vol en bande organisée, blanchiment et association de malfaiteurs. Ils ont été pris la main dans le sac alors qu’ils subtilisaient de l’argent liquide dans des bagages qu’ils étaient censés contrôler. « Grâce à leurs techniques professionnelles, nous dit Mme Sylvie Moisson, procureur à Bobigny, ils repéraient des valises susceptibles d’appartenir à des trafiquants et de contenir de grosses sommes d’argent… ». À ce jour, 5,5 millions d’euros auraient déjà été saisis par les enquêteurs de l’Office des stups (OCRTIS).

Euh !…

Je dois avouer que l’on a du mal à comprendre. Ainsi, grâce à leur flair, nos douaniers seraient capables de repérer les valises contenant la recette des narcotrafiquants ! On se demande alors comment il peut y avoir encore de la drogue qui passe nos frontières… Ce n’est pas très sérieux. Et même s’il est classe de protéger la réputation de la douane, il ne faut quand même pas nous prendre pour des imbéciles.  Derrière ces arrestations, quasiment en flag, on ne peut s’empêcher d’imaginer l’existence d’une véritable organisation criminelle. Et nous, simples spectateurs de l’actualité, on se demande si cet argent n’était pas plutôt une rétribution pour services rendus. Car il y a une sacrée différence entre subtiliser de l’argent dans des bagages et participer activement à un trafic international de stupéfiants.

Le directeur général des douanes, M. Jérôme Fournel, a bien senti la patate en mettant immédiatement en branle l’Inspection des services et en tenant des propos, dans Le Figaro, qu’on aimerait parfois entendre dans la police : « Si les soupçons se confirment (…) il s’agira ensuite de faire un retour d’expérience pour comprendre d’où sont venues les éventuelles failles… »

Les « ripouseries » sont rares chez les douaniers : 27 révocations ces huit dernières années, la plupart pour de petites choses. La douane est d’ailleurs reconnue pour être à la pointe de la lutte contre le trafic de stupéfiants. C’est l’une de ses priorités. Grâce à sa position clé aux points névralgiques du territoire et à son réseau d’informateurs, elle est à l’origine de deux tiers des saisies effectuées en France. Car si en 2004 la loi a permis de rémunérer officiellement les indics de police, pour la douane, ce système existe depuis longtemps. Il est bien difficile de connaître la part des « aviseurs » dans les affaires de douane (au-delà de 3 100 €, il faut l’accord du DG), mais, dans un rapport du Sénat qui date de 2003, il était dit que le montant annuel qui leur était versé était « probablement de plusieurs millions d’euros par an ».

On compte environ 18 000 douaniers. Ils dépendent du ministre du budget. Dans le temps, des policiers étaient détachés auprès d’eux pour assurer certaines missions, mais aujourd’hui, il existe des « officiers de douane judiciaire ». Ils disposent des mêmes pouvoirs que les OPJ de la police ou de la gendarmerie mais uniquement dans certains domaines (art. 28-1 du CPP). Pas en matière de trafic de stupéfiants, sauf exceptions (al. 8). Lorsque les douaniers découvrent une plaquette de shit dans une valise, c’est la police qui dresse la procédure pénale, alors qu’eux vont gérer l’aspect financier.

Entre celui qui ferme les yeux sur la bouteille de Scotch et l’autre qui pinaille à la cigarette près, on a tous une histoire à raconter sur le gabelou de service, mais là, l’image risque d’en prendre un sérieux coup. Il y a encore une dizaine d’années, le produit des amendes et confiscations obtenu par les douanes était plus opaque qu’aujourd’hui. Le trésor public n’en récupérait que 40 %, le reste servait au fonctionnement de l’institution. À l’époque, il n’était pas inhabituel pour les policiers d’appeler la douane lors d’une saisie de drogue, d’armes, ou autres. Et nous nous partagions la prime. Comme dans cette affaire où nous avions récupéré un semi-remorque plein de flacons de parfums en provenance d’une boutique hors-taxe d’un aéroport. Leur propriétaire cherchait à les revendre en douce. Les douaniers ont saisi la marchandise et nous, la semaine suivante, nous croulions sous les parfums… Ce n’était pas illégal, mais c’était quand même limite.

Que voulez-vous, il y a des métiers où il est bien difficile de rester vertueux.

Saisies pénales : pour que le crime ne paie pas

Hier, François-Marie Banier a demandé la mainlevée sur des contrats d’assurance-vie saisis par la justice, contrats souscrits à son profit par Mme Bettencourt. Pfft ! 75 millions d’euros. 5.500 années de travail pour un smicard. Une requête juridiquement intéressante. D’autant que le juge Gentil vient juste de finir l’inventaire de ses œuvres d’art entassées dans son immeuble du VI° arrondissement. Comme une épée de Damoclès qu’il agiterait au-dessus de la cache au trésor ! Dans un autre dossier politiquement sensible, le juge Van Ruymbeke a ordonné la vente du yacht de l’homme d’affaires Ziad Takieddine, mis en examen dans l’affaire de Karachi.

Qu’est-ce qui leur prend à ces magistrats ! En deux mots, ils utilisent les moyens exceptionnels mis à leur disposition par la loi du 9 juillet 2010, qui a créé un nouveau droit des saisies pénales. L’objectif de ce texte est de priver les délinquants de leur patrimoine dès lors que celui-ci semble provenir d’une activité criminelle en gelant leurs biens dès le début de l’enquête. Brice Hortefeux, alors ministre de l’Intérieur, a soutenu cette loi pour lutter contre la criminalité organisée, notamment le trafic de drogue. Je me demande ce qu’il en pense aujourd’hui, alors que les juges l’utilisent – aussi – pour des affaires politico-judiciaires…

Tous les biens confiscables selon l’article 131-21 du code pénal peuvent être saisis. Mais, alors que cet article vise une peine complémentaire prononcée en plus d’une condamnation, il s’agit ici de mesures préventives. Elles concernent un simple suspect, autrement dit un « présumé innocent ». Avec un principe fort : tout ce qui est confiscable est saisissable. Pierre Dac aurait dit, « et son contraire ». Pour faire simple, tous les crimes et la plupart des délits punis d’une peine d’emprisonnement peuvent être concernés (pas les délits de presse). Et cela, soit sur décision du juge des libertés et de la détention, sur requête du procureur (flag, préli) ; soit par la seule volonté du juge d’instruction lorsqu’une information judiciaire est ouverte. Que ces biens appartiennent à une personne physique ou morale, qu’ils soient corporels (argent, actions, immeubles…) ou incorporels, comme une créance sur un droit futur (assurance vie, droits d’auteurs, brevets…). À noter que la loi de 2010 permet également à l’OPJ de saisir directement les biens lorsqu’ils sont liés à l’infraction.

Cet argent, ces voitures, ces immeubles, etc., peuvent n’avoir qu’un rapport indirect avec le crime ou le délit. Il suffit de démontrer qu’ils ont été acquis grâce à l’infraction. Dans plusieurs cas, la loi va même plus loin. Elle le présume. Il appartient alors au suspect de prouver le contraire. Si les poursuites engagées concernent le délit de non-justification de ressources, c’est l’ensemble du patrimoine qui peut ainsi être confisqué.

Pour cela, la justice et les enquêteurs disposent de deux outils la PIAC et l’AGRASC. (Oui, pas terrible comme sigles, mais dans l’administration, surtout à l’Intérieur, on a appris à se méfier des acronymes trop facilement mémorisables.)

La PIAC, c’est la Plate-forme d’identification des avoirs criminels. Cette unité a été créée en 2007 au sein de la DCPJ. Elle est rattachée à l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) dirigé par le commissaire divisionnaire Jean-Marc Souvira. (Également auteur de romans policiers. Son dernier livre : Le vent t’emportera, au Fleuve Noir.) La PIAC comprend à parité des policiers et des gendarmes, ainsi que des fonctionnaires d’autres administrations (douanes, impôts…). Elle est dirigée par un commandant de police. Sa mission première est d’effectuer des enquêtes patrimoniales soit à la demande des magistrats ou d’autres services de police ou de gendarmerie, soit d’initiative. Elle recoupe également les informations relatives aux avoirs criminels saisis. Ces chiffres alimentent une base de données nationale et permettent l’élaboration du TACA (Total des avoirs criminels appréhendés). Conçu initialement pour lutter contre le blanchiment, ce service est de plus en plus sollicité. En gros, toutes les infractions dont l’objectif est le profit – ce qui doit être souvent le cas. La PIAC est également chargée de l’entraide internationale en complément de la coopération classique via EUROPOL ou INTERPOL. À la suite de la décision européenne de créer des unités de dépistage et d’identification des avoirs criminels au sein de chaque État membre, elle a été désignée comme « Bureau des avoirs pour la France ».

La gendarmerie nationale n’est pas en reste. Dès les années 1980, elle a formé des militaires aux arcanes de la finance souterraine pour les affecter dans les sections et brigades de recherche départementales. Aujourd’hui, il existe une formation à trois niveaux : un stage « enquêteur patrimonial », une licence professionnelle et un master II (lutte contre la criminalité organisée dans ses dimensions économiques et financières à l’échelle européenne), proposé par l’université de Strasbourg. Elle revendique 1000 spécialistes. Depuis 2006, la gendarmerie a saisi des biens « criminels » pour environ 340 millions d’euros. Une partie de ces fonds sert à alimenter le « fonds concours drogues » géré par la MILDT (Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie). La gendarmerie en récupère chaque année environ 25 % pour renforcer son action dans ce domaine. Des véhicules et du matériel saisis peuvent également être « empruntés » pour assurer certaines missions.

Mais pour gérer tous ces biens, il fallait un autre outil. La loi de 2010 a donc mis sur pied l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC), dont l’activité a démarré en février 2011. Il s’agit d’un établissement public placé sous la tutelle des ministères de la Justice et du Budget avec à sa tête une magistrate de l’ordre judiciaire, Mme Élisabeth Pelsez. L’agence gère l’ensemble des biens confisqués (argent, comptes bancaires, immeubles…)  et, une fois le jugement rendu, en assure la vente, la destruction ou la restitution. Le produit de la vente sert si besoin à indemniser les victimes et à payer les créances et les amendes. Le solde est reversé au budget de l’État, sauf en matière de stupéfiants où, là encore, il alimente la MILDT. J’ai cru comprendre qu’une partie de la recette servait à couvrir les frais de fonctionnement de l’agence, mais je n’en suis pas sûr.

Cet organisme procède également à la vente – avant jugement – des biens saisis, suivant la décision des magistrats. Si le propriétaire est acquitté ou bénéficie d’une relaxe ou d’un non-lieu, l’argent tiré de la transaction lui est alors restitué. C’est donc l’AGRASC qui devrait vendre le bateau de M. Takieddine. À quel prix, doit-il se demander ?

Dans son premier bilan, l’AGRASC fait état de 8 000 affaires traitées avec un encours sur son compte de la Caisse des dépôts de 204 millions d’euros. Une somme placée à 1 %. Un bilan encourageant selon certains, mitigé selon d’autres. En fait, pour être rentable (car là on ne parle plus justice mais business) l’agence devrait se limiter aux grosses affaires. Or, il semble bien qu’elle croule sous les petites. 66 % des sommes confisquées sont inférieures à 1.000 €. Et les 714 véhicules saisis durant la période concernée représentaient une valeur insuffisante pour couvrir les frais d’immobilisation. Il a fallu payer un prestataire pour les détruire. Dans ce souci de rentabilité, on réfléchit à simplifier encore la procédure et à sensibiliser les magistrats et les OPJ pour qu’ils placent la barre plus haut. Les infractions les plus lucratives sont le blanchiment, l’escroquerie et l’abus de confiance. Alors que les stupéfiants, qui représentent 63 % des affaires n’ont rapporté que 13% du budget. M. Hortefeux doit se retourner dans son placard.

Le gros succès de cette loi de 2010 est la facilité qu’elle apporte dans la saisie d’immeubles. Ainsi, depuis le début de cette année, un immeuble est saisi chaque jour en France.

Il est amusant de constater que l’on applique aujourd’hui l’une des recommandations de Cesar Beccaria, considéré comme le fondateur du droit pénal moderne, qui, dans Des délits et des peines, écrivait : « La perte des biens est une peine plus grande que celle du bannissement ». C’était en 1763. Il est vrai qu’il trouvait également barbare la peine de mort et la torture et recommandait de prévenir le crime plutôt que de le réprimer.

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Sources : documentation officielle, documentation personnelle, presse et dossier Les nouvelles saisies pénales dans la revue Dalloz (AJ Pénal mars 2012).

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