LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Agnelet en cass'

Le 17 septembre 2008, la Cour de cassation doit se prononcer sur l’affaire Agnelet. Dans son émission du 5 septembre, sur Europe 1, «café crimes», Jacques Pradel est revenu sur ce feuilleton judiciaire qui trouve son origine dans la disparition d’une jeune femme, Agnès Le Roux, héritière avec son frère et sa mère, du Palais de la Méditerranée, à Nice.

Les faits remontent à 1977.

renee-le-roux-et-maitre-kiejman.jpgDans ces années-là, Nice est au centre d’une guerre des gangs : la mafia italienne tente de s’accaparer le monopole du jeu sur la Côte d’Azur. Une enquête délicate où s’entremêlent le fric, la politique, la franc-maçonnerie, etc. Et puis l’absence de cadavre… On pense d’abord à une fugue ou à un suicide, puis on s’achemine vers un suicide « assisté » pour finalement arriver à un assassinat.

Maurice Agnelet, l’amant d’Agnès Le Roux, est soupçonné. On découvre qu’il a servi d’intermédiaire entre sa maîtresse et Dominique Fratoni, le patron du casino concurrent, qui roule pour la mafia.

En 1985, Agnelet est condamné pour avoir fait main basse sur l’argent que sa compagne avait déposé sur un compte, en Suisse. Mais il est dédouané de l’inculpation de meurtre. Renée Le Roux, la mère d’Agnès, tente de faire annuler le non-lieu, mais la Cour de cassation lui donne tort. Dossier clos ?

C’est sans compter sur la pugnacité de la vieille dame. Celle-ci est persuadée que Maurice Agnelet a tué sa fille. Elle veut une nouvelle enquête. Le procureur refuse, faute d’éléments nouveaux… Finalement, son avocat, Maître Kiejman, ancien garde des Sceaux, déterre une botte secrète : recel de cadavre. On est en 1994, mais le recel n’est pas prescriptible. C’est un délit continu. Cette fois, le procureur suit.

Six ans plus tard, Agnelet abandonne sa femme. Il a tort, car elle détient la clé de son alibi. Elle revient sur ses déclarations faites dans les années 70, et du coup la procédure criminelle est réouverte. Nous sommes en l’an 2000. C’est ainsi que le 23 novembre 2006, Maurice Agnelet se retrouve devant la cour d’assises des Alpes-Maritimes. Et il est acquitté.

Mais le procureur ne veut pas en démordre. Il fait appel de cette décision du jury populaire. Une possibilité que lui donne la loi de l’an 2000, mais qui à ma connaissance n’a jamais été utilisée dans de telles circonstances.

L’année suivante, 30 ans après les faits, Agnelet est condamné à 20 ans de réclusion criminelle.

Est-ce l’épilogue ? Pas tout à fait : le condamné se pourvoit en cassation. Un pourvoi en dix points, dont je n’ai pas le détail. Cependant, on peut imaginer que l’un d’eux concerne la prescription, car si elle était acquise, Maurice Agnelet n’aurait jamais dû passer devant une Cour d’assises.jean-dominique-fratoni_lecrapouillot1190618046.1220702161.jpg

Il n’appartient pas à la Cour de cass’ de se prononcer sur les faits, mais uniquement sur le droit. Aussi, lorsqu’elle casse un jugement, les parties se retrouvent devant une nouvelle juridiction, pour un nouveau jugement.

Mais dans le cas présent, supposons qu’elle décide que les magistrats sont effectivement passés outre au délai de prescription… Maurice Agnelet pourrait-il être rejugé ? Ou serait-il définitivement blanchi ?

Certes, le personnage n’est pas sympathique, mais nous sommes dans un État de droit. Et l’on peut dire ici que le droit a été pas mal tournicoté. Si Agnelet avait gain de cause, il pourrait légitimement exiger de l’État un dédommagement conséquent. Allez, le chèque serait moins gros que celui de Bernard Tapie !

 

Quelques remarques juridiques formulées sous toute réserve :

Dans sa version originale la loi du 15 juin 2000 n’autorisait pas le ministère public à faire appel d’une décision d’acquittement.

C’est la loi du 4 mars 2002 qui a donné cette possibilité – mais seulement au procureur général. Le législateur a ainsi voulu souligner le caractère exceptionnel de cet appel.

Il est vraisemblable que la Cour de cassation s’interroge sur ces trois points :

– Entre le non-lieu obtenu par Agnelet en 1985/1986 et la réouverture du dossier criminel, 15 ans se sont écoulés. Or la prescription criminelle est de 10 ans après le dernier acte de procédure. Quel acte a-t-on pris en compte pour interrompre la prescription ? S’il s’agit de la procédure pour recel de cadavre, un délit peut-il interrompre la prescription criminelle ?

– On a appliqué à Maurice Agnelet une loi de 2002 pour des faits qui se sont déroulés en 1977 et pour lesquels une information judiciaire a été ouverte en 2000. Il subit donc les conséquences d’un mauvais fonctionnement de la justice en se voyant appliquer une procédure qui lui est défavorable. Cela n’est-il pas contraire au principe de non-rétroactivité des lois ?

– Dans les deux procès d’assises, c’est le même avocat général, Monsieur René Cortès, qui a représenté le ministère public. Or, une circulaire du 11 décembre 2000 prévoyait que… « dans les hypothèses d’appel principal du ministère public contre une condamnation jugée insuffisamment sévère, l’accusation soit a priori représentée en appel par un autre magistrat. » Peut-on parler de harcèlement judiciaire ?

Je n’ai pas les réponses.

PS – Madame Annie Audoye, qui a suivi de près cette enquête, pense que c’est probablement Me Boitel, le premier avocat de Madame Renée Le Roux, qui est l’origine de la plainte pour recel de cadavre. Me Kiejman a pris le relais. Et c’est finalement Me Temine qui a obtenu la condamnation de Maurice Agnelet. Dont acte.

3 Comments

  1. unionsbuerger

    Le fichier EDVIGE ressemble bigrement au fichier de la STASI.
    Vu d’ Allemagne, on se demande ou va la France ?

  2. titi

    Mr Moreas
    Bien avant que les lois que vous citez ne soient promulguées, le problème technique du droit à la prescription s’est posé pour juger E Louis
    en 2001 c’est ,je crois ,un courrier rédigé en 1993 par Bernard Daillie substitut du procureur d’Auxere , qui s’est enquis du sort de 4 jeunes femmes disparues auprès des services sociaux du conseil général d’Auxere, qui a été considéré par la Cour de Cassation comme un acte d’enquête interruptif de la prescription
    Ce délai de 10 ans est considéré comme droit à l’oubli
    Il l’est certainement pour les coupables, pas pour les victimes et leurs familles qui ne peuvent oublier, et c’est une facilité pour ceux dont « la carrière » de prédateur s’étant tout le long de leurs vies …
    Depuis cette loi, napoléonienne, nos lois ont évolué dans d’innombrable domaines ,nos durées de vies se sont fortement allongées, les techniques et les outils scientifiques ont évolué de manière très importante ,nos habitudes de vie ont changé elles aussi ,une des seules choses qui n’a pas bougé ,c’est la durée de l’oubli de la vie d’un homme..
    Pourtant des affaires financières ou artistiques ont des durées de prescription beaucoup plus longues ,elles peuvent n’ avoir aucune limite , pour moi la plus belle œuvre d’art ,c’est l’homme …la chose la plus précieuse ,c’est la vie …toutes les vies…
    Au pays des droits de l’homme on se souvient plus longtemps de la disparition de l’argent que celle d’une personne…
    L’argent vaut il mieux qu’une vie????

  3. titi

    Est ce que la Cour d’assises ou d’Appel ont vocation de se prononcer sur la validité d’une prescription ??? à un jury populaire???
    Cela me semble un peu technique…
    Il me semble ,que c’est à la réouverture de l’enquête que la question a du se poser…Non ?

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