POLICEtcetera

LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

La lutte contre le narcotrafic face à l’État de droit

Le 29 avril dernier, la loi « pour sortir la France du piège du narcotrafic » a été définitivement adoptée par l’Assemblée nationale. Une large majorité de députés, 396 sur 498, ont voté ce texte. Dans l’opposition (oups !), bon nombre se sont abstenus, seuls les élus LFI et quelques autres l’ont rejeté, estimant que certaines de ses dispositions sont attentatoires aux libertés publiques et aux principes constitutionnels de notre pays.

Ont-ils raison ?

Le Serpent d’Océan, de Huang Yong Ping, dont le squelette apparaît au rythme des marées.

Même si nombre de parlementaires votent les yeux fermés, la question est fondamentale : la montée en puissance du « commerce » de produits stupéfiants peut-elle justifier l’utilisation de méthodes qui, hier encore, n’auraient pas été envisageables ?

  Le dossier-coffre

Ainsi en est-il du dossier-coffre. Il cristallise toutes les interrogations. Rebaptisé « dossier distinct », puis « procès-verbal distinct », il s’agit en fait d’un dossier noir dont le contenu est inaccessible aux avocats des personnes mises en examen ou placées sous le régime de témoin assisté et, éventuellement, aux avocats représentant les victimes. Il découle d’une technique vieille comme le monde qui consiste pour un juge ou pour un flic à anonymiser certains actes en les plaçant dans un dossier « poubelle », c’est-à-dire un dossier destiné à être classé sans suite. Un dossier que personne n’ouvrira jamais. Une combine juridique qui, bien sûr, n’a jamais été appliquée en France. Mais aujourd’hui, alors que les techniques spéciales d’enquête ont pris le pas sur les enquêtes traditionnelles, la demande était forte de cacher aux avocats les moyens techniques utilisés, voire de ne pas faire état des personnes surveillées, dont le seul tort, parfois, est de faire partie de l’environnement d’un suspect.

Lorsque l’on parle de techniques spéciales d’enquête, il faut comprendre l’accès aux courriers et messages électroniques (mail, texto…), ainsi qu’au recueil des données techniques de connexion, l’interception en direct des correspondances, la sonorisation et la surveillance visuelle que ce soit dans un lieu public, privé ou dans un véhicule, ainsi que la captation de toutes les données informatiques. À cette panoplie, il faut ajouter la possibilité de déclencher à distance le micro et la caméra des portables et des ordinateurs à l’insu de leur utilisateur.

Des moyens de surveillance aujourd’hui largement connus des malfaiteurs, même si chacun se cache de les utiliser. En vrai, il s’agit surtout de dissimuler les acrobaties parfois nécessaires lors d’une installation technique – et d’anonymiser les services intervenants, surtout s’il est fait appel à des prestataires extérieurs.

Mais il n’empêche qu’en l’absence de possibilité de contrôle des parties au procès pénal, il est ainsi créé une présomption de légalité sur ces techniques d’investigation. On pourrait se dire qu’il n’est pas anormal de faire confiance à la police et à la justice, pourtant l’affaire Trident, à Marseille, montre qu’en matière de stups, l’espoir de faire un « gros coup », pousse parfois à la stupidité.

Il n’est donc pas interdit de s’interroger sur le professionnalisme des policiers et des magistrats en charge de la lutte antidrogue…

L’opération « Trident », un fiasco sans précédent
 des policiers marseillais...

Les renseignements obtenus lors de ces surveillances techniques n’apparaîtront pas dans la procédure « officielle », mais uniquement dans un dossier secret ouvert aux seuls magistrats. Parallèlement, l’OPJ rédigera une version édulcorée qui sera versée à la procédure pénale. Les éléments ainsi mentionnés sont destinés à orienter l’enquête et à justifier les actes de droit commun – mais ils ne peuvent tels quels justifier une incrimination directe. Sauf exception, bien sûr !

Lorsque les éléments recueillis par la technique spéciale d’enquête sont absolument nécessaires à la manifestation de la vérité́, mais que leur utilisation exigerait la révélation des informations figurant dans le dossier distinct, au risque d’exposer l’intégrité́ physique ou la vie d’une personne, le procureur de la République ou le magistrat instructeur peut demander au juge des libertés et de la détention d’autoriser leur utilisation pour fonder une condamnation sans les verser à la procédure.

Ces dernières années, notre droit a déjà pris quelques plis : dissimilation de la technique de géolocalisation par balise, anonymisation des enquêteurs, des agents infiltrés, des collaborateurs de justice ou de certains témoins, mais avec cette loi anti-narco, le législateur va plus loin : il crée un dispositif juridique qui permet de cacher des éléments de l’enquête aux avocats. Pour la première fois, en France, le principe du contradictoire est carrément mis à mal. Alors que ce principe, socle du procès pénal, trouve son fondement dans la Déclaration de 1789 et dans l’article 6 de la Convention européenne ; et qu’il est résumé dans l’article 427 du code de procédure pénale : « le juge ne peut fonder sa décision que sur des preuves qui lui sont apportées au cours des débats et contradictoirement discutées devant lui ».

Le Conseil d’État a approuvé du bout des lèvres. Je me trompe ou la statue de Marianne a vacillé sur son piédestal… Vous me direz, pour combattre le fléau du narcotrafic, seul le résultat compte. Euh !…

En Belgique, il existe depuis 2007 un « dossier confidentiel » qui fonctionne selon les mêmes principes. Le moins que l’on puisse dire c’est que les résultats ne sont pas au rendez-vous : Bruxelles est devenu la plaque tournante du trafic de stupéfiants en Europe et Anvers, le premier port pour la « blanche », devant Le Havre. Selon les chiffres de la police fédérale, l’an dernier, la capitale de la Belgique a connu 92 fusillades liées au trafic de drogue, pour un bilan de neuf morts et de 48 blessés.

Pfft ! Ces Belges ! Pourtant, je ne suis pas sûr que recréer les QHS, c’est-à-dire mettre en prison des trafiquants qui sont déjà en prison, pourra modifier le business de la drogue. Aucun pays n’y est parvenu : le fric, la corruption, le fric… Des milliards qui, aujourd’hui, sont dématérialisés grâce à le cryptomonnaie. Je ne suis pas un spécialiste, mais lorsqu’un ami m’a parlé de la « Blockchain », une technologie « peer-to-peer » qui permet de négocier le Bitcoin ou autres « cryptoactifs » sans passer par une banque centrale, je n’ai pas tout compris, mais mon imagination a pris le pas sur la raison, et je me suis dit qu’en prenant des lois liberticides, on se la jouait petite-main.

  Les surveillances algorithmiques

Ce sont les fameuses « boîtes noires » placées chez les opérateurs qui permettent d’engranger, de manière indistincte, toutes les connexions dans lesquelles apparaissent les mots clés déterminés par les services de sécurité. « Vous allez pouvoir sélectionner un mot, « cocaïne » par exemple, et on va vous ressortir tout ce qui a trait à ce mot », a dit Bruno Retailleau devant les députés.

Il s’agit en fait d’un traitement automatisé qui détecte les connexions qui émergent des paramètres définis par les services demandeurs et qui recueille les données techniques de ces connexions. À ce stade, pas d’identification. Comme l’a dit, pince-sans-rire notre ministre de l’Intérieur, « ce n’est pas du tout intrusif ». Mais quel est l’intérêt si l’on ne peut pas identifier les individus qui ont osé prononcer le mot cocaïne ? Rassurez-vous, le législateur y a pensé : le Premier ministre ou l’une des personnes déléguées par lui peut autoriser « l’identification de la ou des personnes concernées et le recueil des données y afférentes ».

Cette surveillance de masse, envisagée par George Orwell, était à ce jour réservée à la lutte contre le terrorisme. Une loi prise en réaction aux attentats de 2015. Elle s’appliquera désormais également aux actes relatifs « à la criminalité organisée et à la délinquance organisée portant sur des délits punis de dix ans d’emprisonnement en tant qu’elles concernent le trafic de stupéfiants, le trafic d’armes et de produits explosifs, la contrebande, l’importation et l’exportation de ces marchandises prohibées commises en bande organisée ainsi que le blanchiment des produits qui en sont issus. »

C’est ce que les juristes appellent « l’effet cliquet » : au fil du temps, les lois d’exception se banalisent et rentrent, non pas dans le droit chemin, mais dans le droit commun.

    Les « backdoors »

« Le principe de la mise en œuvre d’une « backdoor » ou porte dérobée, peut-on lire sur le site de la CNIL, correspond à prévoir un accès tenu secret vis-à-vis de l’utilisateur légitime aux données contenues dans un logiciel ou sur un matériel. » C’est une demande permanente de tous les services de sécurité : obliger les messageries cryptées, comme WhatsApp, Signal, Messenger…, à prévoir un accès qui leur permettrait de déchiffrer les messages. Introduite sous forme d’un amendement dans la loi narcotrafic, cette disposition a été vivement critiquée, son rejet quasi unanime. Même Gérald Darmanin, du bout des lèvres, a reconnu « un problème de libertés publiques » – ce qui ne l’a pas empêché de soutenir l’amendement. Le texte a finalement été écarté par les parlementaires, mais Bruno Retailleau va revenir à la charge, affirmant que « le crime organisé se réfugie derrière le chiffrement ». Pourtant, au vu du récent « Signalgate », aux États-Unis, les criminels ne sont pas les seuls à utiliser des messageries cryptées.

    Recours en cours

À ce jour, la loi narcotrafic n’a pas été promulguée. Des députés de gauche et des écologistes estiment qu’elle fait peser de graves menaces sur notre État de droit et que sur certains sujets, sa rédaction est par trop vague. Ils ont déposé un recours devant le Conseil constitutionnel contre de nombreux articles.

Il est vrai que bien des dispositions interpellent dans cette loi, mais si les Sages admettent la possibilité qu’une personne soit condamnée sur des preuves auxquelles son avocat n’a pas accès, alors, on pourra dire qu’en quelques années, pour les meilleures raisons du monde, la France a bien changé.

La rente monarchique des anciens Présidents et Premiers ministres

En 1976, tandis qu’il négocie l’achat d’un terrain de 3 000 m2 à Saint-Jean-Cap-Ferrat, au cœur de la presqu’île des milliardaires, Raymond Barre, Premier ministre sous Valéry Giscard-d’Estaing, appelle les Français à se serrer la ceinture. Il lance coup sur coup deux plans d’austérité pour lutter notamment contre l’inflation et le chômage : limitation des hausses de salaire, augmentation des impôts et appel à l’esprit « ruisselant » du patronat. Rien n’y fait, tandis que les Français s’appauvrissent, l’inflation et le chômage continuent leur progression.

Il est amusant de constater que cinquante ans plus tard, les mêmes recettes produisent les mêmes résultats et qu’au tournis des milliards qui s’envolent, on nous demande encore et encore de faire des efforts.

Amusant n’est peut-être pas le mot qui convient…

Raymond Barre est décédé en 2007 et une enquête pour blanchiment a entaché sa mémoire. Je ne sais pas quel était le montant du cumul de ses retraites, mais aujourd’hui, notre armada d’anciens Premiers ministres n’est pas à plaindre – pas plus que nos deux anciens présidents de la République.

C’est sans doute ce qui a poussé le député centriste Charles de Courson à déposer une proposition de loi « visant à encadrer les avantages des anciens présidents de la République et des anciens premiers ministres ».

Dans son « exposé des motifs », il attaque fort : « l’État ne saurait exiger des efforts des citoyens sans lui-même donner l’exemple et sans mettre fin aux excès de son train de vie. » Et il dénonce, en termes policés, les rentes quasi monarchiques attribuées à nos anciens dirigeants dans un pays où plus de dix millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté, principalement des chômeurs et des familles monoparentales, dont 350 000 personnes seraient à la rue.

Les avantages des anciens chefs de l’État ont été encadrés par un décret du 4 octobre 2016, à quelques mois de la fin du quinquennat de François Hollande. Ce décret prévoit la mise à disposition, pendant cinq ans, d’un cabinet de sept collaborateurs et deux agents de service, appartenant à la fonction publique ou sous contrat d’État. Au-delà de cinq ans, l’ancien élu dispose ad vitam de trois collaborateurs et d’un agent. L’État règle également le loyer de locaux de bureaux meublés, l’équipement, et le montant des frais de déplacement et de réception – les frais de bouche, comme pourrait dire Gérard Larcher. Alors qu’ils n’ont aucun rôle dans la gestion du pays, en 2023, nos deux anciens présidents nous ont ainsi coûté 1,32 million d’euros rien que pour faire leurs petites affaires. Ce montant semble d’ailleurs sous-estimé, puisqu’en 2019, le Premier ministre Édouard Philippe, répondant à une question écrite, avançait un chiffre nettement supérieur. À cette somme, il convient d’ajouter environ 1,3 million d’euros par président, pour assurer sa sécurité et prendre en charge ses déplacements. Ah, j’oubliais ! mais c’est peanuts, une rente à vie d’un montant annuel de 65 000 euros bruts. Une dotation à laquelle, il convient d’ajouter une somme de 180 000 euros pour chaque ex-président qui déciderait de siéger au Conseil constitutionnel – ce qui n’est pas le cas actuellement.

Sarkozy et Hollande nous coûtent donc aujourd’hui plus de 4 millions d’euros par an.

Je ne sais pas si un juge s’est penché sur la possibilité d’une peine confiscatoire dans le cas où l’un d’entre eux ferait l’objet d’une condamnation pénale…

En additionnant les carottes aux navets, les mauvaises langues disent que François Hollande, qui cumule son salaire de député et ses retraites, empocherait environ 18 000 € par mois de deniers publics. Ce dont il se défend. Mais une question taraude les plus de 60 ans : en 2027 l’ex-Président Macron demandera-t-il à bénéficier de la rente de 65 000 € qui lui est due – cela en ferait le plus jeune retraité de France.

Pour les anciens Premiers ministres, les sommes engagées sont plus modestes, mais ils sont plus nombreux. Sauf erreur, on en compte seize, mais trois ne sont pas concernés : Fabius, en tant qu’ancien président du Conseil constitutionnel, Jean Castex, aujourd’hui PDG de la RATP et Edouard Philippe, par choix personnel. Les trois derniers, Borne, Attal et Barnier, ne sont pas comptabilisés par Charles de Courson, la première nommée n’étant pas partie à la date de ses calculs, les deux autres n’étant pas arrivés.

Un décret du 20 septembre 2019 définit « le soutien matériel et en personnel des anciens Premiers ministres ». Ils peuvent disposer d’un agent pour leur secrétariat particulier sur une période de dix ans, et ce jusqu’à l’âge de 67 ans et d’un véhicule avec chauffeur pour le restant de leurs jours. Comme le décret remet les pendules à zéro, ceux qui étaient en fonction avant la date de sa publication repartent pour un nouveau délai de dix ans. C’est ainsi qu’Edith Cresson, Première ministre éphémère de François Mitterrand, pourra, si elle le souhaite, bénéficier d’un secrétariat et d’une voiture avec chauffeur jusqu’à l’âge de 95 ans.

Que Dieu lui prête vie !

Le coût des avantages accordés à ces ex est de 1,42 million d’euros pour 2023, auquel il faut ajouter 2,8 millions pour assurer leur sécurité. Soit 4,2 millions d’euros.

Si l’on joint à ses calculs Attal et Barnier (Borne bénéficie des avantages des ministres en exercice), on devrait approcher les dix millions d’euros par an.

Mouais, 10 000 000 € par an !

En début d’année, lorsque le Sénat a adopté le budget, le texte comprenait un amendement de la sénatrice centriste Nathalie Goulet visant déjà à mettre fin aux avantages des ex-présidents de la République et des ex-Premiers ministres. La ligne a été effacée lors de l’examen par la commission mixte paritaire (CMP). Selon Le Canard Enchaîné, cité par le JDD, François Bayrou se serait opposé en personne à cette modification des avantages et des rentes accordés à l’élite (?) du pays. « Il faut bien qu’il y ait dans l’État des choses stables… », aurait-il déclaré devant les députés du Modem.

Toujours ce fameux sens de l’humour…

La proposition de loi de Courson dont, il faut bien le dire la rédaction est un peu bâclée (un peu comme si il n’y croyait pas), a été enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 1er avril.

Tiens donc !

De Sulak à « Libre »

Le film de Mélanie Laurent, qui doit sortir début novembre sur Prime Vidéo, devait s’appeler Sulak ; ce sera finalement Libre. On peut voir dans cette modification la patte des juristes d’Amazon, frileux devant la rouspétance de Pauline, la sœur du truand défunt, qui a grondé fort pour s’opposer au tournage de ce biopic. Il faut dire qu’elle-même, après avoir écrit deux livres sur Bruno Sulak et participé pleinement à celui de Jaenada, a des projets filmographiques.

Mélanie Laurent tourne la séquence « cabine téléphonique » où Steve (Rasha Bukvic) appelle Bruno Sulak (Lucas Bravo) pour mettre au point leur voyage au Brésil

Dans l’impossibilité de me rendre à la projection à laquelle la prod m’avait gentiment invité, j’ai eu la possibilité, grâce à l’obligeance d’une journaliste, de visionner Libre, sur mon ordi, avant sa sortie officielle. Que voulez-vous, la vie n’est faite que de passe-droits… Ma curiosité était d’autant plus forte que j’étais allé sur la prise de vue de deux ou trois séquences. Rien de bandant ! Cela m’a rappelé les planques de PJ : on passe son temps à attendre. Les figurants, ceux qui ont de l’expérience, s’emménagent un petit espace à l’ombre ou au chaud, c’est selon ; certains lisent, d’autres font les mots fléchés, d’autres somnolent. Il y avait même une dame qui tricotait. Un instant, j’ai revu ma mère, partie depuis longtemps, je croyais que plus personne ne tricotait. Tu sais maman, j’ai toujours le tour de cou bleu marine que tu m’avais tricoté lorsque j’étais marin ! Il y a plus de soixante ans. Il est collector, comme on dit aujourd’hui.

Puisque l’on parle du temps qui passe, et pas nécessairement perdu, la sortie de Libre, correspond à quelques jours près à l’anniversaire de Bruno Sulak et à celui de son ami Radisa Jovanovic, dit Steve. L’un et l’autre auraient eu 69 ans. Steve est mort sous les balles d’un policier de la PJ de Bordeaux, en mars 1984 ; Bruno en tentant une nouvelle évasion, en mars 1985.

Le film de Mélanie est une belle histoire d’amour entre Bruno (Lucas Bravo) et Thalie (Léa Luce Busato), sa complice, mais pour le reste, c’est une fiction à temps plein. Seule la perruque d’Yvan Attal dans le rôle du commissaire (moi) peut rappeler ma tignasse de l’époque. L’aspect flic-truand est un rien décevant pour les enquêteurs « survivants » de l’Office du banditisme, service que j’avais l’honneur de diriger à l’époque.

Quant à la finale, l’évasion de Fleury-Mérogis, elle m’a laissé sur ma faim. D’autant qu’elle est inutilement de parti-pris. Elle ne correspond d’ailleurs pas au scénario original de Chris Deslandes.

Je vais donc tenter de rétablir la vérité – du moins celle que l’on connaît.

En mars 1983, après un hold-up à Thionville qui avait mal tourné, et qui aurait pu se terminer dans le sang, Bruno Sulak avait décidé d’arrêter. C’est du moins ce qu’il m’avait affirmé, car à l’époque, après chaque braquage, il prenait un malin plaisir à me passer un coup de fil, un peu pour me narguer, un peu pour me tester. Je lui avais rétorqué que je n’y croyais pas une seconde, qu’il était accro à son adrénaline de truand, comme moi je l’étais dans mon métier de poulaga. « Si, si, tu vas voir, encore un ou deux coups, et tu n’entendras plus jamais parler de moi… »

Pour les braquages, il tint parole. Au mois d’août, il « tape » la bijouterie Cartier de Cannes ; en décembre, la bijouterie « les Ambassadeurs » dans la galerie feutrée du Hilton de Genève – et il s’envole pour le Brésil.

Pour se préretraite, on ne saura jamais s’il aurait tenu parole… À son retour du Brésil, via le Portugal, un douanier stagiaire tique sur ses documents d’identité, au nom de Radisa Savik. Les CRS viennent en renfort. Sulak invente une fable : il voyage avec de faux papiers parce qu’il n’a pas payé la pension alimentaire de sa femme, etc.  Il donne sa « véritable » identité, tout aussi fausse que la précédente. Ce qu’il ne sait pas, c’est que la voiture qu’il a payée cash au Portugal est un véhicule volé. Direction la prison. Mais à l’OCRB, un fin limier voit passer le télégramme, il demande la photo et bingo ! Bruno Sulak est récupéré alors qu’il s’apprêtait à être relâché en attente de son jugement pour des délits mineurs.

« Je crois que je n’ai plus la baraka », m’avait-il dit quelques mois plus tôt. Il est écroué à la Santé, puis à Fleury-Mérogis. Fleury, la plus grande prison d’Europe, celle dont on ne s’évade pas, une monstrueuse bâtisse en forme d’étoile, proprette et morbidement anonyme. Un lieu où, pour chaque détenu à l’isolement, les jours et les nuits se succèdent au rythme de la pénombre diffusée par une fenêtre barreaudée qui n’ouvre sur rien. « Je persiste à croire que 22 heures sur 24, enfermé sans rien faire d’autre que tourner en rond ne peut que détruire… », écrivait à l’époque Bruno Sulak.

Lors de sa garde à vue, en janvier 1982, en parlant avec lui de choses et d’autres, j’avais compris combien l’idée d’être bloqué entre quatre murs lui était insupportable. « La prison, je n’accepterai jamais. La mort vaut mieux que la prison », m’avait-il confié, à l’époque. Dans l’exercice de mon métier, en police judiciaire, j’ai connu pas mal de truands, et si la plupart se font une raison et empruntent des biais pour supporter l’enfermement, d’autres ne peuvent pas vivre sans apercevoir l’horizon. Ils se révoltent, et pour eux, c’est la double peine, ils sont enfermés dans leur tête.

Bien que fiché DPS, Bruno Sulak est un détenu sans problème, plutôt bien vu de ses matons. Il se lie d’amitié avec Marc Metge, un stagiaire dont c’est le premier poste. Celui-ci n’est pas aguerri. Il tombe sous le charme de ce jeune homme que la presse présente comme un gentleman cambrioleur. Aussi, lorsqu’il lui demande de l’aider à s’évader, il ne dit pas non. D’autant que Sulak lui promet une grosse somme d’argent. Un virement sur un compte offshore. Il en parle à Thierry Sniter, un sous-directeur stagiaire qui n’a pas plus d’expérience que lui. Il ne reste plus qu’à peaufiner un plan. Sniter donne son numéro de téléphone personnel à Sulak, afin qu’il puisse le communiquer à ses amis, à l’extérieur.

Au début, Bruno Sulak se méfie. C’est trop facile. Et si c’était un « turbin » de la police pour identifier ses complices… Pour lui qui a toujours assumé ses actes sans jamais donner un ami, la décision n’est pas facile. Mais ses amis justement n’hésitent pas une seconde : il faut tenter le coup.

Le 18 mars, un peu après minuit, Metge vient chercher Sulak et le conduit jusqu’à la grille du couloir où l’attend Sniter. Celui-ci possède le sésame qui ouvre toutes les serrures. Il le guide dans le labyrinthe du bâtiment D2 : une porte, un couloir, un escalier et des portes, encore des portes, jusqu’à « la rotonde », le cœur de la prison, à deux pas de la sortie. Les deux hommes se séparent devant une grille. Sulak doit l’escalader pour rejoindre le bâtiment administratif, tandis que son complice détournera l’attention de ses collègues qui, depuis « l’aquarium », le centre de contrôle de la prison, assurent la sécurité des lieux. Sulak doit ensuite gagner le 1er étage pour s’enfuir par la fenêtre d’un bureau dont la porte n’est habituellement pas fermée à clé. Un saut de trois mètres et il atterrit dans le parking réservé au personnel. Ensuite, il se dissimule dans la voiture de Sniter et il l’attend. La liberté est toute proche !

Ça a failli marcher ! Sauf que la porte « habituellement pas fermée à clé » était fermée à clé.

Ce qui s’est passé après, personne ne le sait. Probablement à l’approche d’une ronde, Sulak s’est-il réfugié dans un bureau du deuxième, le seul à ne pas être fermé à clé, celui où se trouve la machine à café. Peut-être même a-t-il ouvert la fenêtre avec l’idée de sauter. La porte s’ouvre… Il a juste le temps de se glisser dans un placard avant que les surveillants ne pénètrent dans les lieux. C’est la pause-café. Plusieurs minutes s’écoulent.

Le fugitif retient son souffle – mais pas son talkie-walkie. Le contraire de la baraka, c’est quoi ? Il est découvert. Profitant de l’effet de surprise, il fonce vers la fenêtre. Les surveillants cherchent à le retenir. Ils l’agrippent par son blouson. Il leur reste dans les mains. Sulak tombe plutôt qu’il ne saute sept mètres plus bas, sur le bitume du parking.

 « Ne referme pas mon dossier, commissaire ! » m’avait-il en quittant les locaux du 127. Lorsque j’ai appris qu’il n’avait aucune chance de se remettre de ses blessures, que pour lui c’était la fin de l’aventure, franchement, j’ai eu un coup de blues.

Le trésor de Sulak

Criminalité organisée : changement de pied

Lors de la passation de pouvoir, Éric Dupond-Moretti, le ministre de la Justice sortant, a mis en garde son successeur sur une éventuelle mise au placard de « sa » loi sur la justice : « Une trahison de cette loi serait un signal dévastateur », a-t-il lâché avec sa modestie habituelle.

« Je vous ai entendu », a répondu, goguenard, Didier Migaud, le nouveau garde des Sceaux, avec l’air de dire cause toujours. Le seul ministre un peu de gauche de ce gouvernement très à droite a visiblement une conception différente de la justice, avec en première intention la volonté de « renforcer la confiance des citoyens dans l’institution judiciaire ». Y’a de la route à faire, car les citoyens que nous sommes ont perdu depuis longtemps leurs repères dans le dédale des palais de Justice. Même les pros, magistrats, flics, avocats… ne s’y retrouvent plus. Elle sera semée d’embûches, cette putain de route, dont on a pu discerner les premiers obstacles après le fritage avec le nouveau ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau : la cohabitation s’annonce canon !

Dupond-Moretti a également insisté sur un projet de projet de loi qui lui tient à cœur concernant une refonte de la lutte contre la criminalité organisée : « Vous trouverez le texte sur votre bureau », a-t-il dit à Didier Migaud, sans intention j’en suis sûr d’en faire un épigone.

Il faut dire que la maquette est ambitieuse. Elle résulte d’une consultation de l’ensemble des acteurs de la chaîne pénale – du moins ceux qui dépendent du ministère de la Justice. Au centre de cette approche se trouve la création d’un parquet national anticriminalité organisée, le PNACO, dont la première intention serait la lutte contre le narcotrafic et toute la criminalité que ce trafic traîne dans son sillage, notamment le blanchiment d’argent. Or, pour blanchir de l’argent sale, il faut se livrer à des manigances financières : la corruption, le trafic d’influence, la fraude fiscale en bande organisée, etc.  Autant d’infractions qui sont le pré carré du PNF, le parquet national financier, ce qui promet de belles bagarres si le préprojet va à son terme.

L’évasion du narcotrafiquant Mohamed Amra, au cours de laquelle deux agents de la pénitentiaire ont été tués, a probablement été un détonateur. Cette évasion à main armée, qui a été rendue possible en raison de l’absence de communication entre les magistrats, est apparue comme un constat d’échec : celui d’une justice éparpillée face à des gangs structurés et friqués. En aparté, à ce jour, le fugitif n’a pas été retrouvé – ou, dans l’hypothèse où il aurait été non pas libéré, mais kidnappé par un clan adverse, on ne sait pas s’il est encore en vie.

Dans les mesures qui sont proposées dans ce texte, il faut retenir la création d’un « véritable statut de repenti » inspiré du modèle italien, la législation actuelle « étant trop restrictive et donc peu efficace ». Leur protection étant assurée par un « changement d’état civil officiel et définitif ».

La justice secrète : indic, infiltré, repenti, collaborateur…

Ces mesures seraient financées par les confiscations d’avoir criminel, lesquelles sont facilitées par une loi adoptée en juin 2024. Eh oui, il faut de l’argent ! La Commission nationale de protection et de réinsertion (CNPR, dite commission des repentis, fonctionne aujourd’hui avec un budget inférieur à 800 000 €. Opérationnelle depuis une dizaine d’années, elle ne protégerait qu’une quarantaine de personnes, alors que l’Italie en compte plus de mille ainsi que les membres de leur famille.

Cette loi, nous dit l’AGRASC, élargit l’éventail des biens pouvant être saisis et étend leur affectation avant jugement à de nouveaux bénéficiaires : administration pénitentiaire, établissements publics sous tutelle de la Justice et victimes.  Autant de mesures qui doivent augmenter le montant financier des saisies, dont, au passage, une partie est reversée au budget de l’État (près de 176 millions d’euros en 2023). Continue reading

Flic story : Où sont les lingots d’or volés aux nazis par Max Dissar ?

Dans un petit bourg au sud du Tyrol, au fond d’une grotte recouverte de végétations dont l’entrée a été obstruée par un éboulement, deux caisses remplies de lingots d’or frappés du sceau hitlérien attendent l’aventurier qui saura les découvrir.

Je vais vous raconter l’histoire de cet or et de l’homme qui a enterré ce butin de guerre, tel que me l’a confiée mon ami, Charles Pellegrini, ancien commissaire de police, qui a participé à cette chasse au trésor.

Le Clown, peinture sur toile de Max Dissar, MutualArt.com

Cet homme est un artiste peintre connu sous le nom de Max Dissar – l’anagramme de son nom véritable, puisque, pour l’état civil, il se nomme Maximilien Alberto Sardi, né en mars 1908 à Nice.

Il a obtenu plusieurs prix, son œuvre essentielle tournant autour du monde du cirque. Il a notamment réalisé le portrait de nombreux clowns célèbres : Rastelli, Popoff, Cavallini, Fratellini, etc. On peut trouver certaines de ses toiles en salles de vente à des prix très raisonnables.

Sa carrière s’est arrêtée un peu avant la fin de la Deuxième Guerre mondiale, du moins pour plusieurs années.

1944 – 1945

En mai 1944, après avoir tenté d’inonder l’Europe de faux billets de banque britanniques (opération Bernhard), l’unité allemande chargée des contrefaçons reçoit pour instruction d’imprimer de faux dollars américains. C’est un challenge, car ces billets sont beaucoup plus difficiles à fabriquer ; il faut faire appel à de nouveaux spécialistes, et notamment des graveurs. C’est ainsi que Max Dissar devient faux-monnayeur.

On ne sait pas exactement dans quelles conditions il s’est retrouvé à travailler pour les Allemands, comme prisonnier, ou peut-être, comme beaucoup de Français, sous le régime du travail forcé. Le fait est qu’il a participé pour les nazis à la gravure de matrices destinées à fabriquer de faux dollars américains, dans un endroit tenu secret, en Autriche, près de la frontière italienne.

Tandis que l’Armée rouge marche sur Vienne et que les raids aériens américains et britanniques se multiplient sur l’Autriche annexée, et notamment sur Innsbruck, la capitale autrichienne du Tyrol, les Allemands comprennent que c’est la fin : de nombreux SS abandonnent l’uniforme. C’est le début de la déroute. Pour ceux qui sont proches de la frontière, leur ligne de vie passe par l’Italie, d’où ils pourront rejoindre des pays peu regardants sur leur passé. Max Dissar saisit l’opportunité. Accompagné de deux hommes dont on ne sait pas s’ils sont français, allemands ou italiens, il s’échappe de son camp de travail. Toutefois, les trois comparses ne partent pas les mains vides ; ils chargent deux caisses de lingots d’or sur une charrette tirée par un cheval. Rapidement, ils sont confrontés à la réalité : jamais ils n’arriveront à traverser cette région alpine avec cet attirail roulant. Alors, ils s’arrêtent dans une forêt proche de la petite commune d’Ortisei, en Italie, et décident – on imagine à regret – de se défaire de leur butin. À défaut d’outils, ils déposent les deux caisses au fond d’une grotte, dont ils obstruent l’entrée à l’aide d’explosifs. En ce temps de guerre, l’explosion passe inaperçue.

Puis les trois fugitifs se séparent. Ils ne se sont jamais revus. Continue reading

Au 1er juillet, la garde à vue s’aligne sur le droit européen

Lorsqu’il s’agit d’imposer des bouchons soudés aux bouteilles d’eau minérale qui en font rager plus d’un, la France s’exécute sans tarder, mais pour adapter notre droit à celui de l’U-E, elle traîne des pieds. C’est la raison d’être de la loi fourre-tout du 22 avril 2024 qui modifie certaines de nos règles « en matière d’économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole ».

Une loi qui vient en application d’une directive du Parlement européen remontant à plus de dix ans.

La procédure de garde à vue est concernée par ce texte qui renforce les droits des personnes placées sous main de police, notamment l’impossibilité de débuter une audition hors la présence d’un avocat, et supprime le délai de carence. Alors qu’elle s’applique ce lundi 1er juillet, sa pratique ne sera envisagée que le lendemain, lors d’une réunion, semble-t-il informelle, entre la Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG), les présidents de juridiction, les forces de l’ordre et le Conseil national des Barreaux.

Il y a une quinzaine de jours, Laureline Peyrefitte, la directrice de la DACG, s’est fendue d’une circulaire qui détaille les modalités de mise en œuvre de cette réforme, tentant, du moins dans sa présentation, de minimiser les effets contraignants de ces nouvelles règles pour les services en charge d’une mission de police judiciaire, c’est-à-dire la police, la gendarmerie et les douanes.

Je ne sais pas si, de son côté, la direction générale de la police nationale a donné les clés de fonctionnement à ses troupes. Il est vrai que ces jours-ci, Place Beauvau, il y d’autres sujets de préoccupation…

Quant au Conseil national des barreaux, sa circulaire date du 26 juin.

Cette réforme renforce le rôle de l’avocat, rend sa présence quasi obligatoire et accorde au gardé à vue un certain droit de communication avec « l’extérieur ».

La fin du délai de carence

Jusqu’alors, si l’avocat de la personne en garde à vue ne s’était pas présenté dans un délai de deux heures, l’OPJ pouvait commencer les auditions sans lui. Ce délai de carence est supprimé. Dorénavant, la règle générale veut que ni les auditions ni les confrontations ne puissent s’effectuer en l’absence de l’avocat. Si l’avocat désigné ne peut être présent dans le délai de deux heures, il appartient à l’OPJ de saisir le bâtonnier pour la désignation d’un commis d’office. Dans l’attente de sa venue, seul un procès-verbal d’identité peut être envisagé. L’avocat, lui, est tenu « de se présenter sans retard indu ». Un retard délibéré pourrait probablement être considéré comme une faute professionnelle ou une combine procédurale. (art. 63-3-1)

Il existe des exceptions, mais elles sont… exceptionnelles :

– La personne gardée à vue renonce expressément à la présence d’un avocat par une mention portée au procès-verbal et signée

– Sur autorisation du procureur de la République, par une décision écrite et motivée « soit pour éviter une situation susceptible de compromettre sérieusement une procédure pénale, soit pour prévenir une atteinte grave à la vie, à la liberté ou à l’intégrité physique d’une personne » (nouvel art. 63-4-2-1)

Droit d’accès aux procès-verbaux d’audition et de confrontation

L’avocat peut désormais consulter les procès-verbaux d’audition et de confrontation, même s’il n’était pas présent lors de ces actes. Il ne peut pas les photocopier, mais il peut prendre des notes. Malgré les demandes sans cesse réitérées de la profession, les avocats n’ont toujours pas accès à l’ensemble du dossier.

Droit de prévenir toute personne 

À ce jour, le gardé à vue pouvait seulement prévenir un proche parent ou son employeur. Dorénavant, il peut prévenir la personne de son choix quelle que soit sa qualité et communiquer avec elle s’il le souhaite. Il appartient à l’OPJ de déterminer si ce contact avec l’extérieur doit se faire par écrit, par téléphone ou en présentiel. Cet entretien ne peut dépasser trente minutes. L’enquêteur peut décider d’y assister.

Si cet avis à tiers risque d’entraver sérieusement l’enquête, le procureur peut, à la demande de l’OPJ, différer tout contact extérieur.

Alors que les relations se durcissent entre les avocats (de plus en plus procéduriers) et les magistrats (de plus en plus débordés), cette réforme de la garde à vue ne va pas faciliter les choses, car la loi votée en avril 2024 est a minima par rapport à la directive européenne. En l’état, des recours ne sont pas impossibles, d’autant que pour les instances européennes, les procureurs ne sont pas considérés comme des magistrats indépendants, tant en raison de leurs liens hiérarchiques avec le pouvoir politique que dans la mesure où ils sont parties prenantes au procès en tant que représentants de la société.

Réforme de la garde à vue : l’avocat maître des horloges

Flic story : Le gardien de but des JO était un julot

Délivrés de leur devoir de réserve, les anciens policiers, gendarmes, magistrats, etc., ont souvent en mémoire des enquêtes, des expériences, qui les ont marqués plus que d’autres, je leur ouvre ce blog.

Cette première histoire, racontée par un spécialiste de la répression de la traite des êtres humains, nous montre que des décennies avant #MeToo et le tamtam des réseaux sociaux, le sort des prostituées, objets de violences et de contraintes, était déjà une priorité tant pour les services de police que pour la justice.

Philippe Barbançon, 2024

Philippe Barbançon a effectué toute sa carrière à l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH), ce qui doit être un record. Il a quitté la police avec le grade de commandant à l’échelon fonctionnel « Je suis arrivé́ à l’OCRTEH le 1er juin 1978 et j’ai quitté́ l’Office le lundi 31 aout 2009 à 23 h, après avoir vidé́ la mémoire de l’ordi, enlevé́ mon nom sur la porte. » On l’imagine balayer d’un regard nostalgique ces lieux où il a passé une partie de sa vie… « J’ai éteint la lumière et remis la clef de mon bureau à l’accueil du 101 Fontanot à Nanterre. Le temps de parcours dans les transports en commun ce soir-là̀ a suffi pour faire de moi un retraité… Après 30 ans et 3 mois à chasser les maquereaux, je tente aujourd’hui de les pêcher. Une sorte de destinée… »

*

Nous sommes en 1987. Le week-end s’annonce tranquille, aucune affaire urgente à l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains. C’est alors que tombe l’appel du vendredi soir : une secrétaire de l’ambassade de Thaïlande, avec laquelle j’avais sympathisé lors d’un précédent dossier, m’informe que cinq jeunes Thaïlandaises, sans passeport et sans argent, viennent de trouver refuge dans les locaux de son ambassade. Elles ont été déposées par un taxi dont le chauffeur réclame avec insistance le prix de sa course. En panique, apeurées, elles racontent qu’elles étaient séquestrées au 5e étage d’un immeuble du boulevard Davout, à Paris, où elles étaient contraintes à se prostituer.

Elles se sont échappées par une fenêtre, en longeant le mur extérieur, pour atteindre le balcon du logement mitoyen, vide d’occupant et en travaux, dont les fenêtres avaient été laissées ouvertes.

Elles souhaitent dénoncer leurs proxénètes-geôliers et, surtout, elles désirent au plus vite rentrer dans leur pays.

J’en informe le commissaire Bernard Trenque, le chef de l’OCRTEH. Il contacte immédiatement le Parquet, puis il appelle Martine Monteil, alors Cheffe de la brigade des stupéfiants et du proxénétisme (l’ancienne mondaine) à la préfecture de police. « L’un de mes groupes travaille actuellement sur ce bordel asiatique…, de nombreuses surveillances ont déjà été exercées…, etc. » Mais la saisine de l’OCRTEH par le Parquet la contraint néanmoins à nous transmettre dès le dimanche matin, pour jonction, l’intégralité de son enquête préliminaire accompagnée d’un rapport de synthèse.

Nous mettons le cap sur l’ambassade du Royaume de Thaïlande pour y récupérer les victimes en même temps qu’un groupe de souriantes interprètes.

Début des auditions au siège du service, au 127 rue du Faubourg-Saint-Honoré. Les faits dénoncés sont rapidement confirmés. Je reste au service avec Jojo (Georges Bastien) pour enregistrer sur procès-verbal les déclarations des jeunes femmes tandis que Bernard Trenque récupère les troupes encore disponibles à cette heure et file bd Davout.

Ils reviennent avec 2 individus dont l’un a la pommette bien rougie : interpellé dans l’escalier, les mauvaises langues disent que sa tête aurait servi de « marteau de porte » pour solliciter l’ouverture de l’appartement.

Le soir même, transport rapide à Créteil où est domicilié l’un des protagonistes. Il faut arriver avant 21 heures, l’heure limite pour pénétrer dans un domicile. Il est… enfin, j’inscris 20 h 59 sur le PV. Un homme de type asiatique, chemise blanche, cravate, nous ouvre la porte. Il parle parfaitement le français. Alors que son épouse commence à crier, il la fait taire d’un ton autoritaire : « Ces messieurs agissent en flagrant délit sur des faits de proxénétisme aggravé, ils sont tout à fait dans leur droit ». Titulaire d’une carte de réfugié politique, il s’agit en fait de l’ancien procureur de Vientiane, la capitale du Laos. Il est désormais comptable. Visiblement étranger à l’affaire en cours, il admet avoir fourni une adresse de complaisance à l’un de ses compatriotes. Je le place en garde à vue tout en lui promettant de lever immédiatement la mesure si l’individu recherché vient se livrer au 127. Dans cette optique, je l’autorise à passer un appel. Communication très brève, en langue asiatique. Le ton est cassant et les paroles plus sifflées que prononcées.

Nous retournons au service, au rythme du gyrophare. Devant le 127, un Asiatique attend devant la grille, il baisse les yeux et s’incline respectueusement devant notre gardé à vue, lequel ne lui adresse ni un regard ni une parole. Je respecte le marché et libère l’ancien haut magistrat après trois lignes d’audition.

Le lendemain matin, Trenque retourne avec les fonctionnaires consignés à l’appartement du Bd Davout et récupère le reste des proxénètes-geôliers qui, revenus dans les lieux, attendaient tranquillement sur place, pensant que les filles avaient été déplacées seulement pour la nuit. Dans leur esprit, elles allaient nécessairement revenir, car leurs affaires étaient toujours sur place. Très mauvaise analyse.

Le résultat des investigations est sans appel : les jeunes Thaïlandaises étaient contraintes à la prostitution, jour et nuit, sur des matelas sans drap posés à même le sol, moyennant 500 francs la passe. L’intégralité du produit de leur activité était confisquée. La publicité de ce claque était faite via des cartes de visite distribuées exclusivement dans la communauté asiatique avec seulement l’adresse de l’appartement et une formule en chinois que l’on pouvait traduire par « Ici la soupe est bonne ».

L’enquête a duré plusieurs mois et a abouti à la mise sous écrou des auteurs et des complices, dont deux frères qui tenaient une échoppe en sous-sol, à la station de métro Strasbourg–Saint-Denis. Avec mon collègue Serge Guillon, nous sommes allés les cueillir sur place et nous les avons ramenés au 127, via la ligne 9, pincés à une barre du wagon, devant des usagers médusés : une interpellation économique avec une empreinte carbone quasi nulle.

Les « filles » passaient par l’Allemagne, avant d’arriver en France. Le passeur était un taxi parisien, lequel, très prudent, avait commis l’erreur de contacter durant dix secondes son épouse depuis la chambre d’un hôtel de Francfort où les jeunes femmes étaient en transit. Il ignorait que cet hôtel conservait la liste des appels téléphoniques pendant un an. On ne pense pas à tout…

Il nous restait à interpeller le chef du réseau, une légende à Bangkok, car il avait gardé la cage de l’équipe nationale de football thaïe aux JO de Mexico, en 1968. Il était adulé dans son pays, même s’il avait encaissé 19 buts pendant la compétition… Il devait venir à Paris, le… 25 décembre.

C’est ainsi que Bernard Trenque himself se sacrifia et passa le réveillon de Noël au 127, derrière une Olympia, en compagnie du « sélectionneur » des futures victimes du réseau dans les gogo bars de Bangkok.

Après prolongation (de garde à vue), il termina au ballon. Fin du match !

Bien plus tard, en 1989, royal, le chef nous désignera, Hervé Jaouen et moi, pour terminer le dossier en Thaïlande dans le cadre d’une commission rogatoire internationale.

Une mission à haut risque, comme le montre la photo…

Avril 1989 : Philippe Barbançon et Hervé Jaouen au Pink Panther, un gogo bar de Patpong, le quartier chaud de Bangkok

De cette mission, j’ai ramené un souvenir ce badge « clin d’œil » que j’avais fait confectionner par le patron du Pink-Panther à Bangkok, où chaque coco-girl porte un badge numéroté pour faciliter son identification par les clients et favoriser la comptabilité du tôlier. Il est à l’effigie du « 127 Saint-Honoré », l’adresse mythique de la PJ qui a longtemps réuni 3 Offices centraux : répression du trafic international de stupéfiants, répression du grand banditisme et répression de la traite des êtres humains.

Philippe Barbançon

Soupçons sur la Russie : le fantasme des ondes mystérieuses

Titititaaa, titititaaa, titititaaa…

Régulièrement, la presse (branchée) fait état de ces mystérieux messages incompréhensibles qui, occasionnellement ou de façon permanente, occupent certaines fréquences radioélectriques.

En se connectant sur les ondes courtes, notamment la nuit, alors que les liaisons sont meilleures, il n’est pas rare d’entendre des séries de cinq chiffres, soit en phonie, dans des langues dont certaines paraissent bien exotiques, soit en graphie, plus facilement saisissables pour qui connaît le morse. Parfois, on capte aussi des notes de musique ou des sons incongrus qui ressemblent à des parasites.

 

Schémas extraits du livre « Ondes électromagnétiques » de Mohamed Akbi, éditions Ellipses

Alors, signaux venus d’un autre monde ou des services secrets de tel ou tel pays ?

Que faut-il penser, par exemple, de ce son bizarroïde qui semble provenir d’un bâtiment militaire désaffecté situé dans une zone pas très éloignée de Moscou. Dans ces lieux, paraît-il, il y aurait un émetteur invisible qui fonctionnerait tout seul, gardé par un chien immortel (là j’en rajoute, mais cela ressemble tellement à un film de science-fiction), vestige oublié de la guerre froide, du temps de l’URSS. À moins, comme le pensent certains, que ce signal soit un indicateur : tant qu’il est émis, la capitale russe n’a pas été détruite par une bombe nucléaire – un peu comme la commande de « l’homme mort » dont les locomotives des trains sont équipées pour stopper la machine si le conducteur est victime d’une défaillance !

Il y a aussi ces flashes cosmiques, appelés « sursauts radio rapides », des impulsions radioélectriques très brèves dont la source se situerait au-delà de la Voie lactée, devant lesquelles les chercheurs seraient dans l’expectative : s’agit-il d’un phénomène naturel ou la démonstration de l’existence d’une intelligence supérieure à l’homme ! Ces chiffres, ces lettres, ces bruits forment le corps du message, peut-on lire dans un article du journal Le Monde,  À la radio, sur les ondes courtes, l’envoutant mystère des « stations de nombres. « Car il s’agit bien de messages, nous dit le journaliste Guillaume Origoni. Mais qui les envoie ? À qui sont-ils destinés ? »

Et aux effluves du mystère, déjà on se pourlèche les babines : des services secrets, des espions loin de leur base, des militaires qui préparent la prochaine ou de petits bonshommes verts qui chercheraient à établir un contact avec les habitants de la planète Terre, en se demandant s’ils sont très intelligents ou très cons.

Tous les scénarios sont sur la table. Il manque juste le mien. Je vous le livre pour ce qu’il vaut.

Titititaaa, titititaaa, titititaaa…

Cette suite de signaux morses répétant sans fin une série de « v », suivie d’un indicatif, était autrefois le signe d’une station fixe qui signalait sa présence sur une fréquence radio dans l’attente d’un appel ou de l’envoi de sa liste de diffusions. Ces « v », qui ne veulent rien dire, étaient également utilisés par les opérateurs des stations mobiles pour procéder aux réglages de leurs appareils. Puis, avec l’apparition de la BLU (bande latérale unique), la transmission de la parole devint possible, même à grande distance. De ce fait, le message « d’occupation » changea. À Saint-Lys-Radio, par exemple, il prit la forme d’un gimmick de quelques phrases, suivi d’une musiquette reprenant « Hardi les gars, vire au guindeau, good bye farewell, good bye farewell… ». Un appel sans cesse répété tant qu’aucun correspondant ne s’était pas manifesté. Le dernier message (ici) est de 1998, date à laquelle Saint-Lys-Radio, station mythique, a fermé boutique pour laisser la place aux liaisons satellitaires.

Si dans la marmar (marine marchande), les « officiers-radio » étaient transparents et se retrouvaient volontiers dans le boui-boui d’un port du bout du monde, il n’en était pas de même des militaires ni des services de renseignement et de contre-espionnage. Pour ceux-ci une fréquence radio devait être occupée en permanence pour éviter de se la faire piquer. Et, en cas d’urgence, elle devait être immédiatement utilisable.

L’auteur de ce blog dans le PC radio du M/T Pontigny, indicatif FNIQ

C’est ainsi que dans les années 1960, depuis le dernier étage du ministère des Armées, immeuble du boulevard Saint-Germain avec vue sur le jardin du ministre (c’était Messmer à l’époque), une poignée de personnels civils, dont beaucoup venaient de la marmar, et dont je faisais partie, transmettaient jour et nuit de longs textes codés complètement bidons, composés de groupe de cinq chiffres ou de cinq lettres, sur des fréquences radioélectriques jugées stratégiques. Le but était double : occuper la fréquence et former de jeunes recrues qui, du fin fond de leur caserne, étaient tenues de « prendre » ces messages, voire d’y répondre. Sans savoir évidemment qu’il s’agissait d’un jeu de rôle.

Pour corroborer la fantasmagorie des ondes, voici une anecdote. Je vous la garantis authentique. Une nuit, je suis dans mon pigeonnier du ministère des Armées à m’user les doigts sur mon « vibro » (rien de cochon, voire photo) lorsque l’officier de permanence me fait appeler. « Rejoignez-moi au sous-sol », me dit-il. Je me perds un peu dans les étages, avant de le trouver planté devant une porte d’un long couloir éclairé par les seules veilleuses. Il ouvre lentement ladite porte. Et là, surprise ! Ce sont les toilettes ! Un peu inquiet, mais poussé par la curiosité, j’entre… tout en ménageant mes arrières. Il porte un doigt à l’oreille pour me signifier d’écouter. Il a raison, le commandant, on perçoit des titititaaa, comme du morse, mais sans réelle signification. J’ouvre la porte d’un WC, d’un autre…, et je me retiens d’éclater de rire. Je lui désigne la chasse d’eau, une chasse d’eau à l’ancienne, hein ! en hauteur ! d’où provient le chuintement. Je ne sais pas s’il a fait un rapport, mais je peux vous dire que mes copains se sont bien marrés.

Après le GCR (Groupement des contrôles radioélectriques), j’ai rejoint les services techniques de la DST et plus précisément le centre d’écoutes de Noisy-le-Grand, en région parisienne. Là, nuit et jour, nous chassions les espions sur un terrain virtuel, entre le sol et l’ionosphère. Je peux donc affirmer qu’au début des années 1970, il suffisait de tourner le bouton d’un récepteur HF pour tomber sur une émission inconnue et chiffrée, que ce soit en graphie ou en phonie. Ces textes codés étaient indéchiffrables, et nous étions d’ailleurs persuadés qu’ils ne voulaient rien dire. Sauf lorsqu’ils s’arrêtaient. Alors, le temps d’un éclair, on pouvait entendre une sorte de grésillement : un message compressé. « Alerte flash ! » lançait l’opérateur qui l’avait capté.

Pour nous, à la DST, service de contre-espionnage, la centrale qui se situait souvent dans un pays de l’Union soviétique n’était pas notre priorité. C’est le correspondant qui nous intéressait. Lorsqu’il répondait à l’aide d’un message tout aussi bref, une alerte flash était lancée à la demi-douzaine de stations de radiogoniométrie réparties dans l’Hexagone. Chacun tentait alors de tirer une droite. Avec un peu de chance, il était alors possible d’effectuer une triangulation. Et, si la zone repérée n’était pas trop étendue, une opération rapprochée pouvait être envisagée, à l’aide d’une « valise apériodique », c’est-à-dire un récepteur capable de recevoir toutes les communications émises dans un rayon réduit sur une large bande de fréquence. L’ancêtre de l’IMSI-catcher utilisé pour surveiller nos téléphones portables.

Je ne sais pas si mon témoignage peut aider à percer « l’envoutant mystère des ondes courtes », mais il paraît évident que ces émissions radio qui ne veulent rien dire ne sont pas inutiles. Sans chercher à casser le jouet, il n’y a ni mystère ni messages venus d’ailleurs. Ils sont le fait de pays qui se préparent au pire : un tsunami nucléaire susceptible de détruire tous les systèmes de communication modernes. D’où la nécessité de conserver en état de vieilles fréquences OC et surtout de former un personnel à ces méthodes de transmission d’un autre âge.

Je ne sais pas si la France, puissance nucléaire qui a quasiment tout misé, tant pour la défense nationale que pour la sécurité, sur la technologie, fait partie de ces états prévoyants. J’espère que oui. Sinon, il reste les pigeons voyageurs.

L’officier de police judiciaire victime collatérale du flingage de la PJ ?

En tirant un trait sur la PJ de province, Gérald Darmanin a cédé aux doléances d’une poignée de godillâtes en mal d’une érection neuronique qui ne vient pas. Car on ne peut imaginer qu’un dirigeant politique de son envergure ait pris la décision de casser un outil qui ne marchait pas si mal uniquement pour avoir sous la main le personnel nécessaire à la sécurité des JO…

Esquisse du logo de la PJ par le peintre Raymond Moretti

Le ministre de l’Intérieur a d’ailleurs reconnu implicitement sa boulette, c’est du moins l’avis de l’Association nationale de police judiciaire (ANPJ), en admettant à demi-mot l’importance d’un travail de fonds pour lutter contre la narco-mafia ou la mocro-mafia, il a même utilisé des termes que je croyais obsolètes en parlant de « la lutte contre le grand banditisme ». Mais en prenant des bouts de phrases ici ou là, on fait dire n’importe quoi à n’importe qui. En fait, la priorité du ministre de l’Intérieur se tient dans l’action présente, celle qui se voit, comme le montrent d’ailleurs les opérations « place nette » de ces derniers jours. Il est pour une police de « voie publique ».

Le 10 avril 2024, au Sénat, devant la commission d’enquête sur l’impact du narcotrafic en France, il n’a pas dit autre chose : « On ne peut attendre d’avoir toutes les preuves… – C’est sûr que si l’on veut l’enquête absolument parfaite sur tout le réseau, les gens peuvent attendre extrêmement longtemps. – Moi mon travail, chacun son travail, moi mon travail, c’est qu’il n’y ait pas de points de deal. L’excuse de dire qu’il faut absolument des enquêtes parfaites pour ne pas faire de voie publique… c’est justement ça qui fait l’inefficacité publique que le Français moyen voit dans la rue… »

Tête du tigre qui a vraisemblablement servi de modèle pour le dessin du logo de la PJ

Lors de cette audition, lorsqu’il a été question des enquêtes au long cours, Darmanin a taclé la justice, qu’il considère comme trop rigide, faisant notamment allusion au commissaire divisionnaire Stéphane Lapeyre, ancien n° 2 de l’Office des stups, condamné en décembre dernier à 3 ans de prison avec sursis pour complicité de trafic de drogue dans le cadre d’une livraison de cocaïne surveillée. Le garde des Sceaux est resté coi. Éric Dupond-Moretti s’est-il une seule fois frotté au ministre de l’Intérieur ? S’il a obtenu des moyens supplémentaires pour la justice, on l’entend rarement défendre l’institution, alors qu’il est à la charnière de la séparation des pouvoirs. En fait, quand il parle, on a toujours l’impression qu’il est sur la défensive, comme s’il ne se sentait pas à sa place. Aussi, en l’absence de feuilles de route, désorientés par la disparition des services de police judiciaire provinciaux de la police nationale, les magistrats en charge d’enquêtes criminelles se tournent désormais vers les services de police judiciaire de la gendarmerie nationale, lesquels restent fortement structurés, même si la hiérarchie militaire ne présente pas toujours la souplesse nécessaire aux investigations criminelles. Souvent, l’enquête presse-bouton ne suffit pas, pas plus qu’une escouade de militaires.

Dans l’enquête sur la disparition de Delphine Jubillar, en décembre 2020, aucun service de police n’aurait pu mettre autant d’hommes sur le terrain. La semaine dernière encore, c’est une soixantaine de personnels militaires : actifs, réservistes, équipes cynophiles… qui ont repris des fouilles à proximité de la maison de la jeune femme. Y aurait-il des éléments nouveaux ? se sont demandé les journalistes. Ils ont du mal à obtenir une réponse, d’autant que le parquet général a changé de patron et son successeur, Nicolas Jacquet, a la réputation d’être prudent avec les médias, pour bien les connaître, puisqu’il est le doyen du pôle communication judiciaire de l’école nationale de la magistrature.

D’après La Dépêche, il s’agirait de refermer une porte en procédure après les affabulations d’une voyante qui, en 2022, « avait eu des visions de Delphine Jubillar séquestrée dans le vide sanitaire d’un corps de ferme ». Mais sacrebleu, qui a eu l’idée de recueillir sur procès-verbal les propos d’une illuminée en mal de pub !

Lorsqu’une enquête se fait au grand jour, les témoignages les plus farfelus sont pléthore. Pas facile de faire le tri. Les deux juges en charge du dossier en savent quelque chose, puisqu’ils ont été invités à revoir leur copie par la chambre d’instruction de la cour d’appel, alors qu’ils croyaient leur dossier bouclé. Oups !

Il semble donc que les dés soient jetés, les gendarmes sortent vainqueurs de la guéguerre police judiciaire – gendarmerie judiciaire. D’ailleurs, sur le site du ministère de l’Intérieur, les services de PJ ont disparu. Même le logo créé par le peintre Raymond Moretti est en train de s’effacer. De l’ancienne DCPJ, il ne reste que les services centraux, regroupés au sein d’une direction nationale – et non plus centrale – dont le seul rôle est d’animer la filière judiciaire et qui, de fait, n’a aucun pouvoir sur les policiers de province. Alors que les vieux péjistes quittent en masse une « maison » qui n’existe plus, même le recrutement lui échappe. Comment vont donc travailler les enquêteurs des offices centraux, s’ils ne peuvent s’appuyer sur des collègues implantés au-delà de l’Île-de-France ? En se coupant de la base, la PJ devient élitiste.

La vraie histoire du logo de la PJ

Pour l’ANPJ, ce nouvel organigramme favorise la criminalité organisée : « La focalisation de l’action publique sur la petite délinquance pousse à l’absorption des petits groupes criminels par de plus grosses organisations mieux structurées et plus résilientes… »

Alors, l’investigation sur la criminalité organisée va-t-elle rester en rade ? « On n’est pas totalement… dénué d’esprit », a répondu Gérald Darmanin, avec un sourire en coin, devant les sénateurs-enquêteurs. Il a décidé de charger la DGSI des enquêtes proactives sur le narcotrafic, sous le sceau du secret défense, à l’abri du regard inquisiteur des magistrats.

Tout cela est bien compliqué, d’autant que le terme « officier de police judiciaire » ne facilite pas les choses. Il n’est pas toujours aisé de faire la différence entre un service de police judiciaire et une activité de police judiciaire. D’ailleurs, pour ne pas utiliser le mot « police », les douanes ont opté pour le terme officier judiciaire des douanes (OJD) et le fisc pour officier fiscal judiciaire (OFJ). À quand l’OGJ ? Officier de gendarmerie judiciaire, ça sonne bien, non !

 

Extrait de la vidéo de l’audition de Gérald Darmanin par le Sénat (durée : 1 mn.)

Le blog de la fin du « Monde »

 

Je suis viré ! Ce billet sera l’un des derniers à paraître sur le site du journal Le Monde. En effet, pour des raisons techniques ou financières, je ne sais pas, le premier quotidien de France a décidé de supprimer ses derniers blogueurs, ceux qui ont survécu à la razzia de 2019.

À quelques mots près ce billet est une copie de celui publié sur le site du journal Le Monde avant qu'il ne ferme ses blogs.

Cette année-là, à la veille de l’été, les milliers d’abonnés qui avaient ouvert un blog lemonde.fr, ont eu la désagréable surprise d’apprendre que ceux-ci allaient être fermés et qu’ils avaient deux mois pour en sauver le contenu avant qu’il ne disparaisse du Web. Seule une poignée des « blogs invités » et ceux des journalistes ont survécu à cet autodafé virtuel. De nombreux abonnés ayant manifesté leur mécontentement, notamment sur Twitter (X aujourd’hui), la BNF, dans le cadre de sa mission de sauvegarde du patrimoine numérique, a alors proposé de collecter l’intégralité de la production des blogueurs. Un peu coincé dans un cadre juridique plutôt flou, et pour ne pas mécontenter une partie de ses lecteurs, le journal a alors consenti à fournir les informations nécessaires à la numérisation des textes, des images et des photos publiés sur son site. Pour éviter toute idée de censure, le tout a été collecté et enregistré sans tri ni sélection.

Ce blog, POLICEtcetera, qui faisait partie des rares blogs non professionnels sauvés du couperet en 2019, aura donc survécu cinq ans de plus.

Morituri te salutant

Après une collaboration d’environ 18 ans, cette séparation me rend triste, évidemment, mais il faut savoir rebondir, sauter l’obstacle et faire d’une épreuve une opportunité. Aussi, chères lectrices, chers lecteurs, vous retrouverez sur ce site, que je continuerai d’enrichir régulièrement, les 842 articles et vos commentaires qui constituent les archives et la mémoire de ce blog – notamment la petite histoire de la PJ, déroulée au fil des ans ; l’affaire du baron Empain, et l’improbable rencontre d’un businessman avec une « golden girl » ; l’incroyable parcours judiciaire de Maurice Agnelet, condamné pour le meurtre de sa maîtresse sur fond de guerre des casinos à Nice ; la véritable histoire du logo de la PJ, et la chasse au tigre d’un inspecteur de l’Office central pour la répression du banditisme – etcétéra.

Parmi les billets publiés sur POLICEtcetera, deux m’ont étonné par la réaction des lecteurs. En voici un aperçu :

L’affaire du petit Grégory 

Publié en décembre 2008, ce billet a fait l’objet de plus de 4000 commentaires, incapable de les vérifier tous, je me suis résigné à les supprimer.  

« Le 16 octobre 1984, Grégory Villemin, âgé de 4 ans ½, disparaît de la maison de ses parents, à Lépanges-sur-Vologne, dans les Vosges. Dans la soirée, on retrouve son corps dans les eaux de la Vologne, à Docelles, à six kilomètres de son domicile. Il a les jambes et les bras liés par une corde et il est mort noyé. Sur le petit corps, aucune trace de violences. À l’évidence, il a été jeté vivant dans la rivière – comme on noierait un chat. […] La PJ a été longtemps tenue à l’écart de cette affaire. Ses enquêteurs auraient-ils fait mieux que les gendarmes ? Le commissaire Jacques Corrazi, qui plus tard a repris le dossier, doit probablement en être persuadé. Il aurait peut-être réussi à juguler le délire d’un petit juge dont ses pairs ont dit qu’il était un « funambule de la pensée » … »

Lire la suite et voir les autres billets sur l’affaire Grégory

 Quelque part une petite école… 

Publié en mai 2010, dès sa parution, ce billet a eu plus de cent mille lecteurs par jour. 

« Oh, elle ne paie pas de mine l’école primaire de Sakabi, sur la nationale 10, au nord de Bobo-Dioulasso, au Burkina Faso ! Mais autrefois, elle était encore plus sinistre : ses classes étaient désertes.

« Éric, l’instituteur, était au désespoir : comment faire venir les enfants ? se demandait-il. Et un jour, il a eu une idée : il faut une cantine ! Car pour se remplir la tête, il ne faut pas que l’estomac soit vide. Et il a défendu son projet auprès de l’administration, et, surtout, il a su convaincre une poignée de gens, des Suisses et des Français, délégués sur place pour une mission sanitaire… »

Lire la suite de la petite école

Blogs-pro et blogs invités

En abandonnant ses blogueurs, Le Monde tourne une page. Dans les années 1990-2000, alors qu’il était en grande difficulté financière, le journal a su grimper dans le train du numérique : le Monde Interactif est en effet un exemple de réussite. Aujourd’hui, plus de 4 abonnés sur 5 sont des abonnés numériques. Ce résultat est dû en partie à l’expérience acquise par les journalistes-blogueurs et, me semble-t-il, mais je connais mal les arcanes du Monde, grâce à l’action d’Éric Fottorino, qui l’a mis sur les rails, considérant qu’il s’agissait là d’un test de management non conventionnel, dans la mesure où les journalistes pouvaient y trouver un moyen d’expression qui s’affranchissait des contraintes professionnelles. Plusieurs blogs-pro ont marqué cette époque. À mon avis, le plus innovant a été « Le Monde académie », créé en 2012 par Serge Michel et Florence Aubenas, dont l’ambition était d’ouvrir la porte de la rédaction du journal à des jeunes de tout horizon social. C’est celui dont le grand quotidien du soir devrait être le plus fier – même si certains journalistes, au souvenir de leur bac+5, voyaient d’un œil inquiet ces jeunes sans diplômes venir brouter leur pré carré. Continue reading

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