PARTIE 10 – Dans les années 70, le fonctionnaire chargé de tenir à jour le fichier du grand banditisme n’en finit pas de rayer des noms. Les morts violentes se succèdent, avec un pic important en 1973, l’année des records, une hécatombe chez les voyous, avec aussi, hélas ! quelques dégâts collatéraux. La PJ compte les coups. C’est pourtant une action de police qui va freiner l’ardeur des belligérants, même si ce ne fut pas de la manière escomptée.

Ce 28 février 1975, les hommes de la BRI n’ont pas le moral. Ils viennent de « foirer » une affaire. Un braquage qui a mal tourné. Bilan : le caissier de la banque a été tué, et les deux malfaiteurs, bloqués à l’intérieur, renversent la situation à leur avantage. Ils ont des otages. Ils exigent une rançon, un avion, etc. Ils repartent avec un million de francs, mais sans l’avion – ce qui n’est déjà pas si mal. C’est dans cet état d’esprit que le commissaire Marcel Leclerc reçoit un coup de fil de son collègue, Marcel Morin, fossoyeur de la French-connection à Marseille, et à présent patron de la 1e brigade territoriale. L’un de ses hommes, l’inspecteur Antona, a obtenu un tuyau : le clan des Zemour et la bande à Vella, autrement dit le clan des Siciliens, désirent discuter d’un armistice. Ils doivent se rencontrer dans le café, J’ai du bon tabac, boulevard de Saint-germain, à Paris. Dispositif en place, deux « clients » sont repérés dans le bar situé en face, Le Thélème. Leclerc et Broussard se concertent. Ils décident de se partager les objectifs. C’est Broussard qui récupère Le Thélème. L’inspecteur divisionnaire Chaix, accompagné de deux collègues, pénètre dans l’établissement par la porte principale, tandis qu’une autre équipe se présente à l’autre porte. « Police ! Que personne ne bouge ! … » crie Chaix. Instantanément, Joseph Elbaz ouvre le feu. Chaix, encaisse la balle dans l’épaule gauche, au-dessus du cœur. Il dégaine et riposte. Dans le bistroquet, les armes aboient. Puis c’est la mêlée générale, l’empoignade au corps-à-corps. Lorsque la fumée se dissipe, on monte au résultat. Du côté de la brigade antigang, les inspecteurs Chaix et Guitard, sont blessés. Chez les truands, c’est pire. Elbaz est mort sur le coup. Le chef de bande, William Zemour ne vaut guère mieux. Son frère Edgar a ramassé sept balles. Il s’en sortira – pour cette fois. Edmond Zemour, lui, est touché au genou gauche. Seul Roland Attali est indemne. Il n’en revient pas. Quant à l’autre bande, celle de Vella, Leclerc apprend par l’OCRB que toute l’équipe est réunie à des kilomètres de là, dans un pavillon de Paray-Vieille-Poste, dans l’Essonne. Les policiers les trouveront en train de sabler le champagne. On se demande ce qu’ils pouvaient arroser ? On comprend un peu tard que l’antigang s’est fait manipuler pour éliminer le clan Zemour. Ce n’était pas un bon jour pour la BRI, car un client, présent sur les lieux, qui s’est ramassé au passage, il faut le dire, une petite correction, est un avocat marocain, du nom de Benachenchou. Dénué du moindre fair-play, le ci-devant dépose plainte pour tentative de meurtre. La gauche monte au créneau contre les cow-boys de l’antigang, la police raciste, etc. Tandis que les syndicats déplorent le manque de formation, de moyens, etc. La routine. Tandis que nos poulagas sont poursuivis pour tentative de meurtre, les truands chevronnés de la bande à Zemour, du moins les rescapés, se voient reprochés des violences à agents de la force publique. Les arcanes de la justice… ! Poniatowski, empêtré dans les remugles de l’affaire des micros du Canard Enchaîné, a dumal à faire front. D’ailleurs, Benachenchou est intraitable. Il refuse ses excuses. Néanmoins, des années plus tard, en catimini, il acceptera un substantiel dédommagement pour retirer sa plainte.

Cette année-là, Franco est mort, et, à l’insu de tous, quelques personnages douteux posent les premiers jalons de la plus grande escroquerie que la France ait connu. Pourspaggiari-photo-affaires-criminelles.1173691884.jpg la société Elf Aquitaine, il s’agit du projet « Aix ». Pour la presse, cela va devenir « l’affaire des avions renifleurs ».

En juillet 1976, en un seul week-end, les coffres de la société générale, en plein centre de Nice, sont vidés de toutes leurs richesses. Pour commettre ce vol, que les journaux baptisent « le casse du siècle », les malfaiteurs ont réalisé un travail titanesque. À l’aide d’un véhicule tout-terrain, ils sont passés par le lit du Paillon, un torrent souterrain (à sec à cette époque) qui traverse la ville, et ils ont rejoint les égouts pour finalement déboucher derrière la salle des coffres de la banque. Une préparation qui a dû s’étaler sur des semaines. Avant de repartir, avec un butin estimé par la suite à quarante-cinq millions de francs, ils laissent, comme un pied de nez, l’inscription : « Ni armes, ni violence, et sans haine ». C’est grâce à un banal contrôle d’identité, effectué un mois plus tôt, sur deux petits malfrats marseillais qui trimballent du matériel et des outils de terrassement (ce qui est rare pour des voyous, généralement peu enclins aux travaux manuels), que les policiers vont remonter la piste. Elle les conduira à une équipe de Marseillais. On murmure que Gaétan Zampa… Mais on ne prête qu’aux riches. C’est alors qu’un informateur anonyme « souffle » aux oreilles des policiers le nom d’Albert Spaggiari. Fabulateur et mégalomane, submergé par une gloire médiatique qui lui monte à la tête, celui-ci revendique l’entière paternité de ce casse rocambolesque. Certains restent dubitatifs. C’est le cas du journaliste Roger-Louis Bianchini, dans son livre 13 mystères de la Côte, aux éditions Fayard. Dix jours après ce vol spectaculaire, qui ridiculise nos institutions, un peu comme l’aurait fait Arsène Lupin, Giscard d’Estaing se croit sans doute obligé de faire preuve de fermeté. Il refuse la grâce de Christian Ranucci. Celui-ci est guillotiné le 28 juillet 1976.

ranucci-photo-scene-de-crime.1173692049.jpgEn mars 1977, Michel Poniatowski, durement secoué par les révélations qui ont suivi le meurtre de Jean de Broglie, quitte le ministère de l’intérieur. Sa carrière politique virera nettement à droite. Il est remplacé par Christian Bonnet, homme discret, sans couronne, dont le principal mérite aura été d’épingler une médaille sur mon veston. Pendant ce temps, Mitterrand demande un référendum sur la force de dissuasion, et, à Téhéran, après les émeutes sanglantes du 8 septembre 1978, la révolution est en marche. Quelques mois plus tard, le Shah boucle ses valises dans l’urgence et abandonne son pays. L’année suivante, commence la guerre Iran-Irak. Le prix du pétrole s’envole (100 dollars actuels) et la politique sociale de Giscard d’Estaing est reportée à la saint-glinglin.

À Nice, il se passe toujours quelque chose. Cette fois, c’est Agnès Leroux, la fille de la patronne du casino Le palais de la Méditerranée, qui disparaît. C’est le début d’une saga à la Dallas, dont le dernier épisode n’est pas encore tourné.

1978, est l’année des trois papes. À la mort de Paul VI, en un temps record, le conclave désigne comme successeur le cardinal Luciani. Celui-ci prend le nom de Jean-Paul 1er. Son pontificat dure 33 jours. Le 29 septembre 1978, Jean-Paul 1er se meurt – en bonne santé. Beaucoup s’étonnent que le saint homme soit décédé si soudainement. D’autres s’interrogent. Aurait-il découvert des choses qu’il ne voulait pas cautionner ? On pense à la curie, on murmure le nom de sectes mystérieuses, la loge P2, l’Opus Dei… Douze heures après son décès, le corps est embaumé. Pas d’autopsie, pas d’enquête. C’est le cardinal Wotjyla qui va lui succéder.ma-mere.1173692216.jpg

Ma mère est morte, aussi, cette année-là.

L’enlèvement de la fille du roi de l’étain – Lorsque nous avons débarqué de l’avion, à l’aéroport de Genève, l’inspecteur divisionnaire Hubert Fadda et moi, un policier suisse nous attendait. Nous étions porteurs d’une commission rogatoire internationale pour le meurtre d’un certain Rumi Giovanni. On avait retrouvé son corps, criblé de balles, sur les bords de l’autoroute, près d’Auxerre. Ça sentait le règlement de comptes à plein nez, aussi, j’avais réussi à conserver l’affaire au sein du GRB, au grand dam de mon ami, Alain Tourre, chef du groupe criminel du SRPJ de Versailles. Fadda est un flic hors du commun. Il marche à l’instinct. D’ailleurs, au poker, lors des nuits de permanence, c’est souvent lui qui part avec la cagnotte. En dehors du fait qu’il était mort d’une overdose de plomb, ce Giovanni présentait deux particularités. D’abord, il était probablement un élément dormant de la mafia italienne. Et ensuite, on avait trouvé, en perquisitionnant sa chambre, une mallette pleine de billets de cent dollars. Le genre de plan qu’on voit dans les films – et qui fait totalement bidon. L’enquête avait permis de déterminer que notre client avait résidé à Lausanne. « Vous savez, Lausanne, c’est un autre canton… », nous dit le policier genevois, avec son accent nonchalant. Ils ne sont pas chauds, les poulets suisses, pour nous servir de cicérones. Fadda n’y prête pas attention. Il explique l’affaire, et il sort la liste des billets de cent dollars. D’un seul coup, ils se réveillent à la sûreté de Genève. Quelques semaines auparavant, Graziella, la fille du plus gros industriel de la région a été enlevée. Les ravisseurs exigent une importante rançon qui doit être remise par George Ortiz, le père de la fillette. Celui-ci doit prendre l’autoroute et s’arrêter cinq minutes sur chacune des aires de stationnement, pour attendre de nouvelles instructions. Le jeu de piste traditionnel, dans ce genre d’entreprise. Tous les flics du coin sont mobilisés. Ortiz s’arrête sur le premier parking. Là, un homme lui demande de jeter la rançon par-dessus le grillage qui sépare l’autoroute d’une voie de dégagement. L’homme récupère l’argent et démarre tranquillement. Les collègues suisses n’ont rien vu. Alors, évidemment, ils sont à cran. Et les numéros sur la liste qu’on vient de leur remettre correspondent aux billets de la rançon. Ce qu’on savait déjà. C’est pas parce qu’on fait le même métier qu’on est obligés de tout se dire… On a aussi une liste de suspects. Moi, pragmatique, je propose qu’on ramasse tout le monde. Mais les Suisses hésitent. Trop. Le lendemain, il y a une fuite dans la presse. Les opérations démarrent en catastrophe. Je n’y prends pas part. Après une petite altercation avec mes collègues, à deux doigts de l’incident diplomatique, j’ai préféré claquer la porte. J’ai toujours adoré claquer les portes. Mon histoire s’arrête donc là. Le côté positif de cette enquête, c’est que la gamine a été retrouvée saine et sauve. Quant à suisse-france-match-nul.1173692838.jpgl’argent… Des années plus tard, cité pour témoigner au procès des kidnappeurs, j’ai retrouvé Fadda et son équipe dans le train pour Genève. Les passagers du TGV on dû se demander quels étaient ces énergumènes, mal fagotés et bruyants, qui tapaient le carton dans un wagon de 1ère classe. Cette bourrique m’a encore plumé au poker.

Ah oui ! Avant de quitter Lausanne, j’ai croisé deux yeux noirs. Les yeux noirs m’ont souvent joué des tours. Ceux-là avaient 25 ans et s’appelaient RoseMarie. Quelques mois plus tard, on grimpait la Cordillère des Andes, la mano dans la mano, à la recherche de la ville sacrée des Incas, le Machu picchu. Rien de tel pour se laver la tête.

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