Il y a quelques jours, Toni Musulin était interpellé à Londres alors qu’il changeait plusieurs dizaines de milliers de livres sterling. Interrogé sur l’origine de ces espèces, il a affirmé qu’il s’agissait du produit de la vente d’une voiture de luxe. Why not ! Mais quand même, le personnage est trop sulfureux pour ne pas envisager que cet argent provienne du vol pour lequel il a été condamné !

On se souvient, c’était en 2009, à Lyon. Ce jour de novembre, Musulin est au volant du fourgon de l’entreprise de transports de fonds Lommis, où il travaille depuis dix ans. C’est le milieu de la matinée, mais le véhicule est déjà bien chargé. Alors que ses deux collègues descendent pour procéder à un nouveau ramassage de liquidités, il disparaît avec le fourgon.

 

La suite est rocambolesque. Il aurait transféré, tout seul, 47 sacs de billets dans une camionnette, qu’il remise ensuite dans un box loué sous un nom d’emprunt, dans lequel il a aménagé une cache derrière un double mur, comportant une fente pour y glisser les billets, comme dans une tirelire. Mais, pris d’une soudaine fringale, il va s’acheter un pan-bagnat et, lorsqu’il revient, les flics sont là. Il prend la fuite. Après une dizaine de jours d’une mystérieuse cavale, il se constitue prisonnier à Monaco. Fin de l’histoire, à 2,5 millions d’euros près, que l’on n’a jamais retrouvés.

Pour Michel Neyret, l’ancien sous-chef de la PJ de Lyon, il ne fait aucun doute que Musulin a conservé cette partie du butin. Pour preuve, dit-il, on a retrouvé une empreinte à l’intérieur de l’un des emballages de billets retrouvés vides.

Toni Musulin a-t-il bâti un plan machiavélique ? Peut-on envisager qu’il ait anticipé son arrestation et accepté le principe d’un passage par la case prison, dans l’espoir de profiter ensuite en toute impunité des 20 % prélevés sur le butin ?

Tout cela au nom d’un principe vieux comme le droit, « Non bis in idem » : le voleur ne peut être receleur de son propre vol !

La cour de cassation parle d’ailleurs plus volontiers de « concours idéal d’infractions » : un même fait ne peut entraîner une double déclaration de culpabilité. Avec cependant de légers bémols : la nécessité d’une seule intention coupable et une imbrication entre les délits, l’un ne pouvant exister sans l’autre.

C’est typiquement le cas du recel. Mais pas celui du blanchiment…

Le blanchiment consiste à réinjecter dans le circuit économique des profits tirés d’actes illicites, pour les utiliser à des fins licites. Comme n’importe quel lave-linge, l’action se déroule en 3 phases :

  • Le prélavage, qui consiste à introduire des billets dans un business où les liquidités sont habituelles (casino, bar, restaurant, épicerie…)
  • Le lavage ou empilage, c’est-à-dire la répétition de ce type d’opération, pour mieux effacer les traces
  • L’essorage, qui lisse l’argent blanchi en l’investissant dans des opérations parfaitement légales

Même pas besoin de monter au paradis fiscal !

L’article 324-1 du code pénal définit le blanchiment comme étant le fait de faciliter la justification mensongère de l’origine des biens ou des revenus provenant d’un crime ou d’un délit, ou tout bonnement d’apporter son concours à cette régularisation de façade. La peine est de cinq ans d’emprisonnement et 375 000 euros d’amende.

Des peines qui peuvent être doublées lorsque les faits sont commis de façon habituelle ou en utilisant les facilités que procure l’exercice d’une activité professionnelle (banquier, agent de change, avocat…).

Pour que les conditions de la répression soient réunies, il faut donc une infraction principale, qualifiée crime ou délit d’où proviennent les fonds à blanchir (que l’auteur des faits ait été condamné ou non) ; qu’il existe au moins l’un des deux éléments matériels évoqués ci-dessus et que le fautif agisse en connaissance de cause.

Il existe une certaine rivalité entre le délit de blanchiment et celui de recel, et le « blanchisseur » peut souvent être considéré comme un receleur. Il appartient au juge de choisir l’infraction qui convient le mieux mais, et c’est là où les choses deviennent intéressantes (enfin, pas pour tout le monde), si le voleur ne peut pas être receleur, il en va différemment en matière de blanchiment : les deux infractions sont distinctes et autonomes. Théoriquement, rien ne s’oppose donc à ce que le voleur soit poursuivi pour le blanchiment des biens qu’il a volés.

La Cour de cassation abonde dans ce sens, affirmant que « l’article 324-1 s’applique à l’auteur du blanchiment du produit d’une infraction qu’il a lui-même commise » (Crim. 20 fév. 2008, n° 07-82977).

La jurisprudence pousse donc à faire du blanchiment un délit autonome de son infraction principale…

Autrement dit, le voleur qui a payé sa dette à la société peut conserver le bien mal acquis, car le recel est la conséquence naturelle du vol. Mais si ce voleur cherche à s’en défaire, il y a de fortes probabilités qu’il soit poursuivi pour le blanchiment du bien qu’il a lui-même volé et, sans doute à l’issue d’une bataille  juridique, condamné.

Dans l’hypothèse où les livres sterling que Toni Musulin a fait briller dans un bureau de change londonien proviendraient indirectement des euros qu’il a dérobés à la Lommis, il aurait du souci à se faire ; surtout s’il rentre en France : nos juridictions sont compétentes pour des infractions commises à l’étranger dès lors que le vol a eu lieu sur le territoire (art. 113-2 du code pénal). Le dossier du nouveau  « casse du siècle » est loin d’être classé.

Pour paraphraser Montaigne, même sur une montagne d’or, on n’est jamais assis que sur son cul.