LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Étiquette : Présomption de légitime défense

Le mort est-il un justiciable comme les autres ?

Des policiers, une minorité, mais qui ont accès aux médias, réclament une sorte de blanc-seing pénal qui s’appliquerait automatiquement aux forces de sécurité lorsque l’un de leurs membres enlève une vie dans l’exercice de ses fonctions. Cette revendication n’est pas nouvelle, mais lorsqu’elle émane d’un syndicat, elle est pure démagogie.

Comment en effet imaginer qu’un homme puisse être abattu sans qu’il y ait une enquête, ne serait-ce que pour démontrer que les violences mortelles étaient légitimes et nécessaires !

Si cette enquête est indispensable, une autre paraît beaucoup moins évidente : l’enquête contre le mort.

Or, c’est quasi systématique, lorsqu’un homme est tué au cours d’une opération de police, parallèlement à l’enquête de l’Inspection générale, le parquet ordonne une seconde enquête dirigée contre la personne décédée.

Les exemples foisonnent :

  • – Dans un article récent (le policier devrait passer devant la cour d’assises dans les mois qui viennent), Mediapart, a rappelé une affaire vieille de dix ans dans laquelle un brigadier-chef de la BAC de POITIERS a tué d’une balle dans le ventre Olivier Massonnaud, un homme de 38 ans. Immédiatement après les faits, le procureur ouvre une enquête pour les violences que le mort aurait exercées contre les agents de la force publique.
  • – Le 3 décembre 2015, Babacar Guèye, un jeune homme de 27 ans, armé d’un couteau, mais visiblement en état de démence, est abattu par la BAC de RENNES. Parallèlement à l’enquête de l’IGPN, la PJ est chargée d’une enquête sur le mort pour tentative de meurtre sur les policiers qui l’ont tué.
  • – Le 7 janvier 2016, dans le VAL-D’OISE, un ancien militaire de 32 ans, Mehdi FARGHDANI, est abattu de six balles de 9 mm, alors que dans un état second, coincé dans un studio, il menaçait 6 policiers de la BAC de CERGY, avec un couteau de cuisine vraisemblablement sans lame : la PJ est saisie pour tentative de meurtre sur des fonctionnaires de police.

Et bien d’autres encore. Donc, dans ces conditions, la mort d’un homme entraîne deux enquêtes : Continue reading

Police : la mutinerie

Quelques centaines de policiers s’attroupent, la nuit, depuis une semaine, pour manifester leur hostilité au gouvernement. L’attaque aux cocktails Molotov de Viry-Châtillon et les propos malheureux de Bernard Cazeneuve sur ces « sauvageons » qui s’en prennent aux forces de l’ordre ont suffi à faire sauter le couvercle d’une police en rupture.

france-mecontente2Ce n’est pas la première fois que la marmite déborde, car ce métier ne fait aucun cadeau ! Le flic prend l’homme. Et du coup, les policiers ont une inclinaison au nombrilisme. Ils sont souvent comme ces comédiens, tellement pris par leur personnage, qu’ils ne parviennent pas à séparer leur vie professionnelle de leur vie tout court. Et ils prennent tout dans la gueule. C’est sans doute l’une des raisons qui fait qu’il y a tant de suicides dans la profession…

C’est une charge difficile, pour celui qui l’exerce et pour le ministre qui se veut leur patron. Il n’est pas évident pour ce dernier d’écouter et de comprendre sans tomber dans l’excès, de la démagogie à la « couvrante » systématique. « Si la police était facile, il n’y aurait pas besoin de police », disait Dominique Monjardet, le premier sociologue à avoir exploré l’univers policier*.

C’est le métier qui veut ça. Continue reading

La police s'invite dans la campagne présidentielle

Il n’y a pas si longtemps, le mari qui surprenait son épouse avec son amant dans le lit conjugal avait « le droit » d’abattre les deux. On appelait ça un « crime excusable ». L’ancien code pénal comptait d’autres perles du même genre qui permettaient de prendre une vie sans risquer une sanction. Au fil des ans, elles ont disparu. Mais les cas où la légitime défense est présumée acquise, eux, n’ont guère varié. Il y en a deux :

Donc, lorsque M. Sarkozy parle de présomption de légitime défense, que veut-il dire ? Qu’il faut ajouter un 3° alinéa à cet article, genre : la légitime défense est présumée si celui qui accomplit l’acte est un policier ? – Ce n’est pas très sérieux.

L’article 122-6 s’impose au juge. À lui, éventuellement, de démontrer le contraire. Dans les autres cas, c’est différent. La légitime défense n’est qu’une possibilité parmi d’autres. Et il s’agit d’un fait justificatif, pas d’une excuse.

Dans l’affaire de Noisy-le-Sec, comme il n’y a pas eu riposte, le magistrat doit répondre à la question suivante : le policier était-il menacé ou pas ? Il faut noter toutefois que la jurisprudence fait jouer depuis longtemps la « présomption de légitime défense » en faveur des policiers. Ainsi, pour les juges, en général, le moindre geste d’un individu qui tient une arme face à un représentant de l’ordre est interprété comme une menace.

En revanche, si ce policier a tiré sur le suspect alors qu’il prenait la fuite, il s’agit bien d’un meurtre. Au juge de vérifier les deux thèses. Cela s’appelle la justice. D’après Me Daniel Merchat, l’avocat du policier mis en examen, il faut lui laisser le temps de se faire une opinion dans un dossier qu’il aurait découvert au dernier moment. À le lire, une procédure d‘ailleurs bien mal ficelée (c’est un ancien commissaire de police) !

Après avoir lancé le ballon de la présomption de légitime défense, certains réclament à présent que les policiers aient les mêmes droits (?) que les gendarmes. Or, si ceux-ci peuvent faire usage de leur arme en certaines circonstances, autres que la légitime défense, c’est en tant que militaires et en vertu d’un texte basé sur des considérations du siècle passé. Peu à peu, d’ailleurs, la Cour de cassation restreint cette possibilité. Ainsi, dans l’affaire de Draguignan, où un gendarme avait tué un homme qui s’enfuyait, elle a cassé la décision de non-lieu. Le gendarme est passé devant une Cour d’assises, et il a néanmoins été acquitté. C’est aussi ça la justice : des magistrats de haut rang désavoués par un jury populaire. Toutefois, lors d’une arrestation classique, comme c’était le cas à Noisy-le-Sec, le gendarme doit lui aussi se plier aux règles de la légitime défense. On peut donc dire que cette revendication ne tient pas plus la route que la précédente.

Les policiers ont-ils le droit de manifester ? – Dans les années 70 (majorité de droite), alors que des syndicalistes manifestent leur mécontentement, leur défilé est ovationné par des ouvriers en grève. Le gouvernement y voit le signe précurseur d’un élan de solidarité entre travailleurs et policiers en colère. Résultat : plusieurs responsables syndicaux sont sanctionnés.

En 1983 (majorité de gauche), lors d’un banal contrôle d’identité, deux gardiens de la paix sont tués et un troisième grièvement blessé. Après la cérémonie à leur mémoire, un cortège défile sous les fenêtres de la Chancellerie en réclamant l’abandon d’un projet de loi sur la sécurité alors en cours de discussion : Le préfet de police démissionne, le directeur général de la police est remercié, huit policiers sont sanctionnés et deux représentants syndicaux révoqués pour « participation à un acte collectif contraire à l’ordre public ».

En avril 2012, sur l’avenue des Champs-Élysées, la vitrine de Paris, des policiers en civil ou en tenue manifestent contre la justice au rythme des gyrophares et des sirènes sous les caméras d’une chaîne de télé bien informée : le président de la République et le ministre de l’Intérieur les soutiennent dans leur action.

À se demander si le bateau a encore un capitaine… Décidément, cette campagne présidentielle n’en finit pas.

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