Charlie Bauer est mort dimanche dernier. Robin des Bois, pourfendeur des QHS, révolutionnaire, redresseur de torts…, la presse a été dithyrambique  sur ce bandit du siècle dernier. « Né en 1943 dans le quartier de l’Estaque à Marseille, dans une famille pauvre, juive, communiste et résistante, le petit Charlie déboulonne très vite les rails du tramway pour en vendre les boulons, puis attaque des trains de marchandises pour, assurait-il, faire des distributions dans les quartiers nord. Membre des Jeunesses communistes dès l’âge tendre, il s’engage aux côtés du FLN à Marseille et finit par être arrêté en 1962 », écrit Franck Johannès dans Le Monde du 7 août 2011. Bauer était-il un lieutenant de Jacques Mesrine ? Certainement pas, juste son complice, au coup par coup, si je puis dire. Mais dans cette « nécrologie fine, chaleureuse et, à la fois, critique », comme le dit sur son blog le haut magistrat Philippe Bilger, une phrase m’a fait sursauter : « Mesrine est tué en novembre 1979, et entraîne Charlie Bauer dans sa chute. »

Euh !… Ce n’est pas tout à fait ainsi que les choses se sont passées…

Nous sommes en 1979. Le 10 septembre, le journaliste Jacques Tillier est retrouvé nu et à moitié mort. C’est l’œuvre de Jacques Mesrine et d’un individu non identifié qui se fait appeler « Paul ». Dix jours plus tard, Pierre Goldman est assassiné en pleine rue. Meurtre revendiqué par un mystérieux groupe « Honneur de la police », mais qui n’a jamais été élucidé. Même si lui et Charlie Bauer se connaissaient, l’affaire n’a rien à voir avec la suite des événements, mais montre qu’à l’époque, les faits-divers font la Une des journaux.

Pendant ce temps, les policiers de l’office du banditisme progressent dans leur enquête. Ils ont une demi-douzaine de suspects qui pourraient coller avec le portrait-robot de M. Paul. Sur son lit d’hôpital, au milieu d’une cinquantaine de photos, Jacques Tillier en désigne une, celle de Charles Bauer. L’homme est en rupture de conditionnelle et, en plus, recherché par l’Office des stups. Autrement dit, il est en cavale. Parmi les rares personnes qui lui rendaient visite lorsqu’il était en détention, figure Renée Gindrat, la mère de son enfant. Enseignante, celle-ci est alors en arrêt de longue maladie. Elle est propriétaire de deux voitures, dont l’une de marque identique à celle qui a été utilisée pour l’enlèvement du journaliste. Elle a d’ailleurs été achetée quelques jours plut tôt. L’adresse sur la carte grise est fausse. C’est en épluchant les contraventions que le véhicule est finalement localisé sur le parking de l’église de la Trinité, dans le 9° arrondissement de Paris. Tandis que le président Giscard d’Estaing se démène dans l’affaire des diamants de Bokassa, les policiers se mettent en planque. Et ils ont tôt fait de loger Charlie Bauer,  rue Saint-Lazare, dans un immeuble où Renée Gindrat occupe un appartement sous un nom d’emprunt.

La planque sur Lulu – C’est le nom de code pour désigner Bauer. Elle va durer plusieurs jours. Tandis que la presse titre sur le mystère qui entoure la mort de Robert Boulin, dont le corps a été découvert dans un étang de la forêt de Rambouillet, ça chauffe dans le 9°. Et enfin, le 31 octobre, les policiers sont récompensés de leurs efforts : Lulu sort de chez lui avec sa compagne. La pression monte d’un cran lorsqu’il se gare dans le 18° arrondissement, le quartier de prédilection de Jacques Mesrine. Le couple pénètre dans un immeuble de la rue Belliard. Il en ressort une heure plus tard, suivi d’un individu de forte stature qui, malgré sa perruque et sa fausse barbe, est rapidement identifié comme étant l’ennemi public numéro 1. Le trio se rend dans un magasin de meubles, au coin de la rue Labat, comme chantait Édith Piaf. Sylvia Jeanjacquot, la compagne de Mesrine, les rejoint peu après. Les deux criminels sont là, à quelques mètres des policiers. Il manque juste le feu vert pour intervenir. Mais il ne vient pas. À la sortie du magasin, la filoche reprend. Dans leur voiture, les flics rongent leur frein.

Deux jours plus tard, lorsque Jacques Mesrine est tué dans la fusillade de la porte de Clignancourt, Charlie Bauer n’est pas là. Par la suite, il sera blanchi dans l’affaire Tillier et condamné pour recel d’une partie de la rançon provenant de l’enlèvement du promoteur immobilier sarthois Henri Lelièvre.

Voilà, je voulais juste dire que ce n’est pas Mesrine qui a entraîné Bauer dans sa chute, mais le contraire. D’ailleurs, lorsque Bauer parlait du « Grand », c’était avec une certaine condescendance, se vantant même de l’avoir plus ou moins « instrumentalisé ».