LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Étiquette : Gérald Seureau

Meurtre de Léa : le droit jusqu’à l’absurde

Le jeune homme qui a avoué avoir violé et tué Léa, à Montpellier, une nuit de la Saint-Sylvestre, sera-t-il un jour jugé ? En tout cas, si, malgré les arguties juridiques, il doit rendre compte de ses actes devant un jury d’assises, son procès sera bardé d’incertitudes. Mais pas sûr qu’il ait lieu. On le saura le 18 mai prochain.

Pourtant, pour Thomas Meindl, le juge qui a instruit l’enquête, les faits ne font guère de doutes. Rarement une affaire criminelle n’aura été aussi carrée. Du moins dans les actes – car sur le plan juridique, on patauge dans la semoule. Aussi, il y a une quinzaine de jours, il a refermé son dossier en ordonnant la mise en accusation du dénommé Seureau Gérald, 26 ans, pour avoir dans la nuit du 31 décembre 2010 donné volontairement la mort à Léa. Crime accompagné de plusieurs viols caractérisés.

Mais l’avocat du (futur ?) accusé ne l’entend pas de cette oreille. Il a fait appel de cette décision et demande à la chambre d’instruction de constater l’insuffisance de charges, en tenant compte du fait que les aveux de son client ne sont pas conformes au droit : absence d’avocat lors des auditions et droit de garder le silence. Pour lui, avec ce qu’il reste dans le dossier, il pourrait tout au plus être poursuivi pour des violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner.

On imagine la consternation de la famille de la victime. Et ce sentiment de révolte, cet écœurement, contre une justice qui ne ferait pas justice.

Et pourtant, dans cette affaire, les enquêteurs, les magistrats, tout le monde a fait son job. Aucune erreur.

Enfin si. On peut quand même reprocher aux policiers de ne pas avoir prévu que quelques mois après ce crime, les députés allaient adopter une loi pour réformer la garde à vue. Un truc qu’on n’apprend pas encore dans les écoles de police : prévoir le futur.

Donc, en ce 1er janvier 2011, Gérald Seureau a reconnu ses crimes, après avoir – comme c’était la règle à l’époque – simplement consulté son avocat. Et, 3 mois plus tard, nos élus pondent un texte plus conforme au droit européen applicable en principe au 1er juin 2011. Toutefois, pour éviter l’annulation des procédures en cours, on déroge et l’on applique les grandes lignes dans l’urgence. Et urgence il y a, puisqu’au lendemain de cette loi, la Cour de cassation estime en deux mots que toutes les gardes à vue antérieures sont entachées de nullité. Une tempête judiciaire. Heureusement, il y a dans le code de procédure pénale un petit article, le 173-1, qui fixe la durée de l’appel à 6 mois après la mise en examen. Ouf ! On limite la casse.

Mais pour le meurtre de Léa, on est en plein dedans.

Durant sa garde à vue, Gérald Seureau fait des aveux circonstanciés. Et comme c’était à craindre, en juin 2012, la Cour d’appel de Toulouse annule tous les procès-verbaux d’auditions ainsi que les enregistrements audiovisuels afférents et certaines investigations connexes.

Néanmoins, le dossier n’est pas vide. Il existe contre lui de nombreux témoignages et des éléments matériels : sa gourmette retrouvée sur les lieux du crime, ses vêtements tâchés du sang de la victime, saisis à son domicile, et surtout des traces de sperme, identifié comme étant le sien, prélevées en plusieurs endroits sur le corps de la jeune fille.

Mais aujourd’hui, Gérald Seureau, ne se souvient plus de rien. Tout au plus reconnaît-il un flirt avec Léa et quelques coups sans conséquences qu’il lui aurait administrés.

Alors, peut-il s’en sortir comme ça ?

On peut résumer les premières heures de l’enquête de la manière suivante :

Vers 21 heures, le père de Léa vient signaler au commissariat la disparition de sa fille. Il est accompagné de Seureau, la dernière personne à lui avoir parlé. Les policiers enregistrent son témoignage, mais, lorsqu’il retire un gant pour signer son P-V, ils constatent l’existence d’ecchymoses sur sa main. On peut penser qu’ils le pressent de questions. Il y a peut-être quelque part une jeune fille à sauver ! Dans le même temps, un témoin déclare que, lorsqu’il a aperçu le jeune homme vers 14 heures, il a remarqué qu’il avait des griffures sur les avant-bras, que son tee-shirt était déchiré et que son pantalon portait une large tache de sang.

Spontanément, Gérald Seureau avoue alors qu’il a abandonné Léa dans un parc, sans trop savoir dans quel état elle se trouvait. Et il accepte de conduire les enquêteurs sur place. Sur ses indications, ceux-ci découvrent le corps dénudé et sans vie de la jeune fille. Lors de l’autopsie, les médecins légistes noteront de nombreuses blessures et des lésions en plusieurs endroits consécutives à des pénétrations sexuelles.

Entre ces événements et les éléments matériels subsistants après l’écrémage de la Cour d’appel, il reste probablement suffisamment d’éléments pour convaincre les jurés d’une Cour d’assises. Mais qu’en dit le droit, ou plutôt la jurisprudence ?

« Quand bien même des aveux auraient été recueillis au cours d’une garde à vue s’étant déroulée dans des conditions irrégulières, il reste possible à la juridiction de jugement de prononcer une déclaration de culpabilité dès lors que cette déclaration se fonde sur des éléments autres que ces aveux » (Xavier Salvat, avocat général à la Cour de cassation – Revue de science criminelle 2013). Mais encore faut-il que ces « éléments autres » n’aient aucun lien avec les aveux obtenus hors de la présence de l’avocat, a décrété la Cour de Strasbourg en 2012. En fait, pour résumer, en cas de jugement et de condamnation, il appartiendrait probablement à la plus haute juridiction pénale, voire à la Cour de Strasbourg, de vérifier que cette condamnation a été faite sans tenir compte des zones de l’enquête invalidées.

Un long parcours judiciaire.

Karine Bonhoure, la maman de Léa, crie son indignation : « Le procès, initialement prévu au début de l’année 2012, n’a toujours pas eu lieu. Je me trouve aujourd’hui confrontée, pour la quatrième fois, à un recours de la défense… » Face aux techniciens du droit, elle n’a que sa douleur. Seuls les élus locaux l’appuient. Dans la mairie de Mauguio, près de Montpellier, un livre de soutien a été ouvert. Et, le 15 mai à 18 heures 30, une réunion silencieuse est prévue à Montpellier, Toulouse et Paris.

À qui devons nous ce pataquès ? Je vous laisse juge. En tout cas, si Gérald Seureau évitait le procès, ou s’il devait être acquitté aux seuls bénéfices de règles de procédure pénale, je me demande si la famille de Léa ne pourrait pas attaquer la France devant la Cour européenne pour déni de justice.

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Sur son blog,  Maître Éolas voit les choses de façon différente : De l’absurde jusqu’au droit.

Meurtre de Léa : un suspect est arrêté, il ne sera peut-être pas jugé

Il n’y a pas de haine dans les propos de Karine Bonhoure. L’assassin présumé de sa fille a été arrêté ; elle veut juste qu’il soit jugé. Ce qui semble la moindre des choses. Et pourtant, aujourd’hui, rien n’est sûr. Les avocats du suspect demandent l’annulation de la garde à vue. Pourtant, policiers et magistrats n’ont commis aucune erreur. Bien au contraire. Alors…

« Peut-on imaginer que l’assassin de ma fille soit libéré avant tout jugement et qu’on annule sa détention provisoire ? » me demande-t-elle au téléphone. Et elle me lit la requête des avocats, Me Amel Belloulou-Amara et Laurent Epailly : annulation des auditions faites par les policiers et des interrogatoires du juge, de la perquisition, des saisies, des constatations sur la scène de crime, du rapport médical, etc.

Le suspect, Gérald Seureau, a fait des aveux circonstanciés. Il existe de nombreuses preuves matérielles contre lui qui justifient sa mise en examen pour meurtre aggravé de viols. Et il pourrait être blanchi sans autre forme de procès !

Quel déni de justice.

En cette nuit de la Saint-Sylvestre 2011, une vingtaine de jeunes gens se sont réunis pour le réveillon. Léa et Gérald font connaissance. Elle a 17 ans, il en a 24. Un flirt d’une nuit de fête… A l’aube, ils quittent leurs amis. Tous deux se dirigent vers une propriété en partie buissonneuse où vivent les Sœurs de Saint-François d’Assise. Que s’est-il passé ensuite…

Dans la matinée, la mère de Léa s’inquiète de ne pas voir revenir sa fille. Elle appelle des amis et finit par joindre Seureau – qu’elle ne connaît pas. Il affirme qu’ils se sont séparés vers 6 ou 7 heures du matin. Elle prévient la gendarmerie. Le jeune homme fait la même réponse aux gendarmes. Finalement, vers 21 h, le père se rend au commissariat accompagné de Seureau, qui est le dernier à avoir vu la jeune fille. Il répète ce qu’il a déjà dit : il a quitté Léa vers 6 ou 7 heures. Mais son comportement est bizarre et, lorsqu’il retire l’un de ses gants, les policiers remarquent des traces de griffures sur le haut de sa main. Ils lui demandent des explications. Le jeune homme s’effondre en gémissant : « Je vais aller en prison… Je vais aller en prison… »

À 22 h 45, il est placé en garde à vue. L’OPJ du commissariat informe le barreau pour demander un avocat. Le suspect a craqué, mais lorsqu’il a abandonné Léa, elle était encore en vie. C’est du moins ce qu’il affirme. Et il est d’accord pour accompagner les enquêteurs sur place. Ceux-ci se précipitent. Ils font prévenir l’avocat que, vu l’urgence, ils se transportent sur les lieux de l’agression, du viol, du crime… Ils ne savent pas très bien. Lorsqu’ils arrivent, il est 00 h 35. Léa est morte depuis longtemps. Elle a sans doute agonisé de longues heures. Le procureur, tenu informé, décide de saisir la police judiciaire. Service qui reprend la garde à vue à 1 h 15. Seureau s’entretiendra avec l’avocat de permanence, comme il l’a demandé, durant environ 25 minutes. C’est seulement après qu’il sera interrogé sur le fond. Il passe des aveux complets, d’ailleurs en partie recoupés par ses premières déclarations et par les investigations effectuées durant la garde à vue. Il s’est acharné sur la jeune fille avec une rare violence et il l’a violée à plusieurs reprises. Elle s’est débattue, bien sûr, lui arrachant une gourmette à son nom qu’il porte ordinairement au poignet et qui est retrouvée près du corps. Des tortures qui ont duré longtemps. Un médecin constate les traces de coups et de griffures sur le suspect. Des témoins déclarent avoir vu le jeune homme alors qu’il portait des vêtements déchirés et tâchés de sang. Vêtements qui seront retrouvés lors de la perquisition à son domicile. Des traces de sperme seront même découvertes, plus tard, lors de l’examen clinique du corps de la victime.

Pour les policiers et les magistrats, c’est une affaire carrée : des aveux détaillés et recoupés, des éléments matériels, et même des prélèvements ADN.

Oui, mais…

Trois mois plus tard, sur la pression de la Cour européenne des droits de l’homme, les parlementaires votent en catastrophe une loi pour modifier les conditions de la garde à vue. Deux points essentiels : la présence de l’avocat durant l’audition d’un suspect et l’obligation de l’informer de son droit à garder le silence. Jusqu’à ce jour, cédant à des lobbys autistes et à la pression de certains syndicats de police, le gouvernement s’était refusé à toute modification. En 2009, Nicolas Sarkozy avait missionné un comité de réflexion sur la justice pénale qui est resté lettre morte. Cette même année, les juges de Bobigny, qui, eux, avaient senti la patate, avaient demandé aux OPJ de suivre les directives européennes en matière de garde à vue. Ils ont à l’époque été fustigés par de nombreux policiers et la chancellerie leur a tourné le dos. Et pourtant, dans au moins deux affaires distinctes, la Cour européenne a estimé que les enquêteurs « auraient dû anticiper l’évolution de la jurisprudence européenne ». Ensuite, mais un peu tard, la Cour de cassation a mis les choses au clair : « Les États sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme sans attendre une condamnation par celle-ci ou un changement dans leur législation » (Cass., ass. plén., 15 avr. 2011).

En ce qui concerne la présence de l’avocat, la clé de la jurisprudence européenne tient dans le célèbre arrêt Salduz : pour qu’un procès soit équitable, il faut que le suspect ait accès à un avocat dès le premier « interrogatoire » de police – « sauf à démontrer à la lumière des circonstances particulières de l’espèce, qu’il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit ».

Or, dans l’affaire du meurtre de Léa, la chambre d’instruction de la Cour d’appel de Montpellier a estimé que les policiers et les magistrats avaient respecté la procédure telle qu’elle existait au début de l’année 2011. Et que l’application rétroactive de la loi sur la garde à vue pouvait générer un trouble à l’ordre public. On parle dans ce cas de « sécurité juridique » : protéger les citoyens contre les effets non souhaités du droit.

Les avocats de Seureau ont alors porté l’affaire devant la Cour de cassation qui, le 17 janvier 2012, a cassé la décision de la Cour d’appel. Pour la juridiction suprême, les premières déclarations du suspect sont justifiées par la nécessité de rechercher une personne en péril, ce qui légitime à la fois l’absence de l’avocat et l’absence de notification du droit de se taire. En revanche, les auditions réalisées ensuite sont irrégulières. Une petite phrase qui vise expressément les aveux recueillis par la police judiciaire. En clair, il semblerait donc que la partie de la procédure qui précède la découverte du corps reste valable. Quant au reste…

C’est à présent à la chambre d’instruction de la cour d’appel de Toulouse de se prononcer*. L’audience qui devait se tenir le 8 mars a été repoussée au 26 avril 2012. Il lui appartiendra de déterminer précisément quels procès-verbaux doivent être annulés. Les aveux, c’est sûr, mais quid des autres actes concomitants effectués durant l’enquête en crime flagrant ? Et l’information judiciaire ! Pourrait-elle être invalidée ? C’est le flou juridique.

Il devrait toutefois subsister suffisamment de charges pour envoyer le suspect devant une Cour d’assises. Et il appartiendra au Président de celle-ci de boucher les trous de la procédure. Les policiers, les magistrats, les experts qui ont participé à l’enquête pourront être entendus comme témoins et rapporter ce qu’ils ont fait, ce qu’ils ont vu, ce qu’ils ont entendu. Leurs dépositions marqueront sans doute les jurés. Et si, comme dans l’affaire des enregistrements clandestins effectués au domicile de Mme Bettencourt, ces preuves obtenues « illégalement » étaient néanmoins recevables ?… Eh non ! La décision de la chambre criminelle ne vise que des preuves fournies par une personne privée : un OPJ, lui, est tenu de respecter la loi.

Ce gouvernement se targue de vouloir protéger les victimes. Alors comment admettre que son inertie ait mené la famille de Léa à la situation inverse ? En tardant à aligner la loi française sur les règles européennes, il a placé Karine Bonhoure face à l’absurde. Elle qui s’était tue depuis la mort de sa fille a lancé une pétition sur Facebook afin d’attirer l’attention sur cette situation invraisemblable : un suspect est arrêté, il ne sera peut-être pas jugé.

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* Le 7 juin 2012, la Cour d’appel de Toulouse a estimé la garde à vue illégale.

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