LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

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Yves Jobic : une vie d’aventure en PJ

« C’est pour la PJ que j’ai passé le concours de commissaire de police », me dit Yves Jobic, qui vient de publier ses mémoires : Les secrets de l’antigang, flics, indics et coups tordus, Plon, 2022, écrit en collaboration avec Frédéric Ploquin.

Yves Jobic, octobre 2022

Après des études de droit à Bordeaux, à l’âge de 25 ans, il termine major de sa promo, la 33e ; tous les postes lui sont donc ouverts. Il aurait pu rester près de chez lui, mais sans hésiter, il choisit Paris, peut-être pour être « au centre des choses », comme disait Camus. En tout cas, s’il cherchait une vie d’aventure, il a été servi. Il a même connu la prison : cellule C 415, à Bois-d’Arcy.

C’était le 22 juin 1988 : neuf mètres carrés, un lit métallique, une petite table, un WC, un lavabo, une fenêtre ovale en partie occultée par des lames d’acier horizontales et des murs couleur de rien bardés d’inscriptions. « L’une d’elles me fait sourire : Mieux vaut mitard que jamais ! » C’est le QI (?), le quartier d’isolement, au quatrième et dernier étage de cette prison récente où séjournent les habituels clients du commissaire en attente de jugement. Derrière les murs, la rumeur s’est vite répandue… Au petit matin, Jobic est réveillé par des cris : « Fils de pute ! Pédé de flic ! – Bravo Hayat, envoie tous les flics au trou ! ». Jean-Michel Hayat, c’est le juge d’instruction qui a placé Jobic en détention – contre l’avis du ministère public – pour proxénétisme et corruption. « Tu te rends compte, me dit-il, dans la perquise, chez moi, comme il n’a rien trouvé, il a saisi un « Que sais-je ! » sur le proxénétisme… » Son histoire est méandreuse à souhait. Elle fleure le règlement de comptes dans le quart monde du business du sexe, et notamment de la rue de Budapest, dans le 9e – Buda pour les initiés. Un coupe-gorge qui s’ouvre par une arche sur la rue Saint-Lazare, en face de l’immeuble où Charlie Bauer, le complice de Jacques Mesrine, avait trouvé refuge. Là où les filles de joie (la joie des clients s’entend) sont sous la coupe machiste du banditisme de ces années-là : si t’as pas de filles au tapin, t’es rien ! Buda, c’est un peu la Cour des Miracles, on y trouve de tout : des putes, des julots, des voleurs, des michetons, des dealers, des camés…, et les braves gens qui viennent pour le folklore ou pour acheter le dernier Leica « tombé du camion ». Et sous le vernis, on y trouve aussi des indics : c’est le terrain de chasse du commissaire.

Yves Jobic est accusé d’avoir touché de l’argent des prostituées, de leurs protecteurs, des tenanciers d’hôtel, ou de je ne sais trop qui, et d’avoir planqué cet argent sale en Algérie. Je simplifie. Le jour du procès approche. Continue reading

Confidences de flics à l’ancienne ou l’histoire du 127

Ces derniers temps, le journaliste Frédéric Ploquin a amicalement infiltré les réunions (arrosées) d’anciens de la PJ pour mieux recueillir les souvenirs, les confidences, voire les aveux, de ceux qui ont mené la vie dure aux beaux mecs du siècle dernier. Ces offices spécialisés de la police judiciaire (banditisme, stupéfiants, proxénétisme…), rattachés à la sûreté nationale, avant que la police ne devienne « nationale », étaient installés au 127 rue du Faubourg-Saint Honoré, à deux pas de la Place Beauvau. Des locaux qui abritaient une banque, réquisitionnés par l’État à la Libération. À la différence de leurs collègues du 36 quai des Orfèvres, les policiers de ces services disposaient d’une grande autonomie et fonctionnaient un peu comme des commandos, efficaces, mais peu soucieux de mordre la ligne. C’était avant que la police ne se militarise, avant que tout le monde ne soit coulé dans un même moule.

Frédéric Ploquin en a tiré un livre, C’était la PJ, aux éditions Fayard, sorti ces jours-ci.


Claude Bardon, l’un des derniers « survivants » de l’époque de l’après-guerre d’Algérie a quitté les paras pour la police. À la création de la BCDRC, que personne n’appelait le bureau central de documentation et de recherche criminelle (trop administratif), et qui plus tard deviendra l’Office du banditisme (OCRB), il pénètre le milieu parisien en se glissant dans la peau d’un « bordelier » qui « place des gonzesses ». Rapidement, les tuyaux affluent.

 « L’adrénaline nous motivait, se souvient-il. Je n’avais rien d’un justicier ni d’un donneur de leçons, j’y allais pour le fun. » Et en fait, en deux mots, tout est résumé : ces flics à l’ancienne bossaient pour leur plaisir. Comme m’avait dit un jour un directeur : « Vous devriez payer pour faire ce métier-là ! »

Une drôle d’époque où, dans un commissariat, un soir de raout, on pouvait décider de brûler toutes les commissions rogatoires en retard ou de mettre discrètement le feu à un bidonville…

De quoi faire rêver certains policiers en activité ! Je parle du raout, évidemment.

Et les résultats sont au rendez-vous, pratiquement cent pour cent de réussites. « On était des prédateurs, des voyous, se souvient Bardon. On ramenait de la « viande » en permanence. Les cages étaient toujours pleines. On faisait peur, au point que certains gars se décomposaient en demandant ce qu’on voulait savoir. On était heureux quand on faisait une belle affaire. On était simples et frustes. »

Quoi, un avocat ! Continue reading

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