« Il y a quelque chose d’insolent dans le fait divers, il se hisse à la dignité de l’information et vient troubler le concert des affaires sérieuses : économiques, politiques ou sociales », écrivait le sociologue Patrick Tacussel dans la revue Autrement. C’était en 1988. En est-il toujours ainsi ?

Les faits divers prennent de plus en plus de place dans les médias. Et si des journaux, comme Le Monde, n’ont toujours pas de rubrique spécialisée, c’est sans doute un dernier réflexe du passé. Ou pour préserver la dorure de « la marque », puisque les journaux ne sont plus des titres mais des marques, comme les lessives ou les voitures. On est à l’époque du marketing à outrance et il faut offrir ce qui se vend. Et comme sur ce blog, parfois, je plonge mon grand nez dans les faits divers, et que je suis invité à en débattre lundi prochain à Albi, je me risque à une petite analyse – ou une auto-analyse, je ne sais pas.

On se souvient, à trois jours des élections présidentielles de 2002, les médias, TF1 en tête, font un gros plan sur Paul Voise et sa bicoque incendiée. Ce retraité de 72 ans a été séquestré chez lui et torturé par deux hommes qui en voulaient à ses maigres économies. On dit que sa mésaventure a engendré la défaite de Lionel Jospin, le vote des personnes âgées s’étant du coup reporté en grand nombre sur le candidat de l’extrême droite, Jean-Marie Le Pen. Encore aujourd’hui, il existe un doute sur ces événements : personne ne peut dire s’il s’agissait de la mise en scène d’un fait divers ou d’un coup politique soigneusement orchestré.

La récente condamnation du meurtrier de Marie-Christine Hodeau, la joggeuse dont le corps a été retrouvé en lisière de la forêt de Fontainebleau, en septembre 2009, nous rappelle que ce drame a vivement relancé le débat sur la récidive et le suivi des délinquants sexuels. Un député UMP a aussitôt lancé l’idée de la castration chimique et Brice Hortefeux, alors ministre de l’Intérieur, a fustigé la clémence de certains magistrats avant de ressortir un projet de loi sur « la surveillance de sûreté » qui traînait dans un tiroir depuis plus d’un an. Dans le même temps, le PS pointait du doigt une politique irresponsable pour lutter contre l’insécurité et le Front National rappelait qu’il n’y avait pas 36 moyens d’éviter la récidive des criminels…

Cette affaire a donc abouti, en 2010, au vote d’une loi (selon la procédure accélérée) qui a élargi les possibilités de maintenir sous les barreaux un condamné en fin de peine. Loi qui se superpose d’ailleurs à une autre, adoptée deux ans plus tôt à la suite de l’enlèvement et du viol d’un enfant de cinq ans, le petit Enis, par un pédophile récidiviste. Début 2011, c’est l’affaire Meilhon. Cette fois on estime que les juges d’application des peines ne font pas leur boulot et qu’il faudrait les encadrer par un jury populaire.

Une gesticulation législative qui exploite l’émotion suscitée par des faits divers particulièrement sordides.

Mais on peut faire plus léger. Par exemple, si chacun s’accorde à dire que l’arrestation de DSK a probablement modifié l’avenir politique du pays, que se serait-il passé si un tel événement était survenu plus tard dans la campagne présidentielle ? Ce qui était d’ailleurs inévitable, puisque l’on sait aujourd’hui que le directeur du FMI apparaissait sur des écoutes téléphoniques dans une enquête sur un réseau de proxénétisme dans le nord de la France.

C’est donc à bras-le-corps que nos dirigeants politiques s’emparent des faits divers, qui, du coup, même si l’Histoire ne les retient pas, sont susceptibles de modifier sérieusement le fonctionnement de la société.

Et sur le plan économique, s’ils permettent de faire monter le tirage des journaux, leur exploitation à outrance joue sur notre peur et fait grossir comme par magie le chiffre d’affaires des entreprises qui vendent de la sécurité.

Le fait divers est un événement hors du commun qui surgit dans la banalité quotidienne. Et, même si son exploitation dérange, il fait partie de notre vie. C’est une histoire vraie, souvent tragique, dont l’auteur ou la victime s’immisce dans notre imaginaire, car il pourrait être nous. Il entraîne l’empathie, la pitié, et parfois la haine. Il fait écho à nos peurs, à nos angoisses, et, lorsqu’il aborde des sujets tabous : le crime, la drogue, la violence, le sexe…, c’est aussi le reflet noir de nos fantasmes.