LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Étiquette : Elections présidentielles 2012

Un petit mot pour ceux qui ne peuvent pas voter

Le jour des élections, il y a ceux qui votent, ceux qui ne veulent pas et ceux qui ne peuvent pas voter. Si les sondages prévoient un taux d’abstentions record, on ne connaît pas le nombre de personnes qui sont privées de leur droit électoral. Combien sont-ils ces « incapables », ceux à qui le juge a retiré le droit d’être un citoyen comme un autre ? Ou pour qui le droit de vote ressemble à un parcours du combattant.

Les condamnés – Les personnes condamnées peuvent être privées de tout ou partie de leurs droits civiques, civils ou de famille (art. 131-26 du CP) pour une période qui peut atteindre dix ans pour un crime et cinq ans pour un délit. En fait, pour celles qui sont condamnées à une peine de prison ferme, le délai est plus long. Car, si l’interdiction s’applique dès la condamnation, le délai, lui, ne commence à courir qu’au jour de la libération (art. 131-29 du CP). Un délinquant condamné à cinq ans d’interdiction et qui passe deux ans derrière les barreaux ne pourra donc pas voter pendant sept ans.

Cela dit, avant une loi de 1994, la perte des droits civiques était à vie pour les crimes et de dix ans pour les délits. Et les juges n’avaient pas à se prononcer : la mesure était automatique. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Il s’agit d’une peine complémentaire que la juridiction de jugement peut prononcer en plus de la condamnation principale. Il existe des exceptions pour certaines infractions, comme le manquement au devoir de probité, la corruption, le détournement d’un bien… L’incapacité électorale est alors automatique. Cela concerne plutôt les fonctionnaires, les élus, etc.

Pourtant, dans la pratique, l’interdiction du droit de vote est prononcée de façon quasi systématique en matière criminelle et dans les affaires correctionnelles d’une certaine gravité. L’interdiction des droits civiques, civils et de famille ne vise pas les mineurs.

C’est l’INSEE qui gère le fichier des électeurs. Cet organisme est donc destinataire de l’extrait de casier judiciaire où figure cette condamnation et l’enregistre dans la liste des « interdits ». Toute personne qui passerait outre à une incapacité prévue par la loi en se faisant inscrire sur une liste électorale risquerait un an de prison et 15 000 € d’amende.

Retour vers le passé – Bizarrement, une personne condamnée avant la loi de 1994, pourrait très bien aujourd’hui être encore privée de vote. Tandis qu’une autre, condamnée plus tard pour des faits identiques, pourra glisser son bulletin dans l’urne en toute légalité. Alors que toutes deux sont à jour avec la société.

Et si l’on remonte dans le temps, c’était pire. Après la Révolution, celui qui était condamné à « la peine de la dégradation civique » était conduit en place publique, placé sous carcan, et exposé au regard du peuple. À cette époque, après un bref passage au « suffrage universel masculin » (seuls les hommes de plus de 21 ans pouvaient voter), on est vite revenu à un suffrage réservé aux « citoyens actifs ». En gros, seuls ceux qui payaient des impôts avaient le droit de vote. Tandis que les autres, les « citoyens passifs », ne pouvaient pas s’exprimer. Du moins par les urnes.

Ce terme de « citoyen passif » devrait faire réfléchir les abstentionnistes.

Les détenus – Lorsqu’ils n’ont pas perdu leurs droits civiques, ils peuvent voter en prison. C’est évidemment le cas pour tous ceux qui sont en attente de jugement. Plus du quart de la population carcérale. Les prisonniers peuvent demander à être inscrits sur les listes électorales de la commune où est implanté l’établissement pénitentiaire. Dans ce cas, il leur est délivré un extrait du registre des écrous qui vaut justificatif de domicile. Mais pour voter par procuration, ils doivent ensuite trouver un proche qui réside dans la commune où ils effectuent leur peine. Ce qui n’est pas toujours évident.

Ils peuvent aussi demander une permission de sortie. Enfin, pas tous. Ceux qui sont en détention provisoire ne bénéficient pas de cette mesure. Cela ne concerne que certains condamnés, en fonction de leur peine. Il ne s’agit pas d’un droit. La décision revient à l’administration judiciaire.

Extrait de la circulaire du ministère de la Justice du 1er février 2012

Ceux qui n’ont plus toute leur tête – En France, environ 800 000 personnes font l’objet d’une protection juridique. Un chiffre sans cesse en augmentation. La mise sous tutelle est la forme la plus lourde de cette mesure. Certains parlent alors de « mort civile ». Pourtant, ce n’est plus fatalement la mort civique, car, depuis la réforme de 2009, la règle est inversée : le droit de vote est la norme pour les gens sous tutelle, sauf si le juge en décide autrement.

On peut évidemment s’interroger sur la liberté de choix de certaines personnes dépendantes. Question qui se pose d’ailleurs parfois pour celles qui sont en soins intensifs. Une étude faite aux États-Unis a montré que ce sont souvent les accompagnateurs qui décident si une personne assistée doit voter ou non. Pour celles qui pourraient être mentalement déficientes, un outil d’évaluation a même été mis au point pour juger de leur capacité de compréhension et de décision. Mais il est probablement contraire à la loi visant à interdire toute forme de discrimination.

Pourtant, la Convention de l’ONU, relative aux droits des personnes handicapées, garantit à tous les citoyens les mêmes droits civiques – avec ou sans handicap. En fait, 4 ou 5 États de par le monde respectent cette convention en ce qui concerne le droit de vote des personnes qui souffrent d’un handicap mental.

Le droit de voter – Il n’est pas donné à tous, le droit de voter librement. Dans certains pays, c’est même un luxe. Et chez nous, la suppression du droit de vote est une sanction pénale. Pourtant, sur le site du Monde, le 17 avril, le philosophe Michel Onfray nous explique pourquoi « on peut ne pas voter ou voter blanc ». Je ne me permettrai pas de le contredire. D’ailleurs, je n’ai pas tout compris. Pourtant, même si cette campagne électorale est trop longue, trop médiocre, trop ras-des-pâquerettes, je me dis que c’est un moment unique où pointent un peu d’espoir, de rêve… Un moment rare où l’on a l’impression de faire partie de la même communauté, et alors, on n’est plus tout à fait un « citoyen passif ».

Justice : le poids des « petits pois »

À la différence de 2007, la sécurité n’est pas au centre de cette campagne présidentielle. Et c’est sans doute une bonne chose. Car l’insécurité, c’est un peu comme une maladie : il faut se soigner, mais c’est encore mieux de ne pas l’attraper. Toutefois, chaque candidat propose ses remèdes.

Quelques mois après les élections de 2007, Nicolas Sarkozy avait traité les magistrats de petits pois : « même couleur, même gabarit, même absence de saveur ». Ce qui n’était gentil pour personne, même pour les petits pois. Deux ans plus tard, une commission de réflexion présidée par Philippe Léger se penchait sur la réforme du Code pénal et de la procédure pénale. Hélas, la volonté politique de supprimer le juge d’instruction devait occulter son travail. C’est donc en catastrophe, devant le risque de voir des centaines de procédures invalidées que, l’année dernière, la loi réformant la garde à vue a été adoptée. Avec des résultats mitigés. Un premier coup de canif vient d’ailleurs de supprimer un article du code de procédure pénale (le 706-88-2), jugé anticonstitutionnel, qui empêchait le libre choix de son avocat par un individu entendu dans une affaire liée au terrorisme.

Dalloz Actualité a tenté de placer le sujet au cœur du débat politique en décortiquant les déclarations de chacun des candidats. C’est assez technique, mais en se limitant aux grandes lignes et aux principaux candidats, on peut se faire une idée du chemin qui pourrait être suivi dans les cinq prochaines années.

L’indépendance de la justice – Il faut d’abord noter (et se réjouir) du consensus qui se dégage pour renforcer l’indépendance de la justice. Mais chacun voit les choses à sa manière. Ainsi, les deux François souhaitent que les procureurs soient nommés sur avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature, mais M. Hollande veut aussi que les membres du CSM soient désignés différemment, de manière moins politique.  Pour Nicolas Sarkozy, pas de proposition, puisqu’il a déjà fait un premier pas (modification de la Constitution de 2008 et la loi organique de 2010) vers une plus grande autonomie du CSM, même si, pour ses détracteurs, le compte n’y est pas. Quant à Eva Joly, elle souhaite que le CSM statue comme conseil de discipline et qu’il soit le garant de l’indépendance des magistrats du siège et du parquet. Marine Le Pen va plus loin. Pour elle, les membres du parquet doivent être inamovibles et les magistrats, un peu comme les militaires, ne devraient pouvoir ni se syndiquer ni s’engager politiquement.

L’indépendance des procureurs – Dans sa lettre aux Français, Nicolas Sarkozy nous dit clairement que le parquet doit être dirigé par une autorité politique élue démocratiquement, car « le rôle du parquet est de défendre la société ». Le programme du PS revendique l’indépendance de la justice mais ne parle pas de l’indépendance des procureurs. Toutefois, l’intervention politique serait limitée aux seules directives générales. Autrement dit, les instructions individuelles rétablies en 2002 seraient de nouveau impossibles. De plus, la durée des enquêtes préliminaires serait limitée. Pour éviter, comme dans l’affaire Bettencourt, que le procureur retarde la saisie d’un juge d’instruction. Le plus important dans ce programme, me semble-t-il, concerne le juge des libertés et de la détention. Il deviendrait un véritable juge des libertés (plus classe !), aux pouvoirs élargis pour mieux contrôler toutes mesures qui touchent aux libertés individuelles. Mais, alors que l’échéance se rapproche, on est bien loin des grandes idées, de celles qui font rêver…

Les justiciables – Dans un pays financièrement exsangue, l’une des questions tourne autour de l’aide juridictionnelle. Comment donner à chacun le moyen de se défendre ? Cela ne concerne pas que les voleurs ou les assassins. Tous, un jour ou l’autre, nous pourrions être soupçonnés d’avoir de près ou de loin participé à l’une des 10 249 infractions répertoriées dans les différents textes qui régissent notre vie de tous les jours. Et même un homme aussi puissant que DSK a avoué devant la caméra de TF1 que, pris dans le tourbillon d’une enquête judiciaire, il avait eu peur. Du côté de François Hollande, on s’oriente vers une justice de proximité et le développement des Maisons de justice et du droit, ou une poussée vers la justice numérique. Avec, tout comme M. Bayrou, la volonté de renforcer la médiation, la conciliation et la recherche d’un nouveau moyen de financement. Mais personne ne parle de taxes supplémentaires. Des mots tabous dans une campagne électorale. Eva Joly est la seule, je crois (c’est plus flou, chez les socialistes), à annoncer une mesure souhaitée par beaucoup de Français : la possibilité d’agir en justice de manière groupée, la class action. Quant au candidat sortant, il veut simplifier le langage juridique pour une meilleure compréhension du droit. Je dois avouer qu’à la lecture du décret du Premier ministre sur les avocats (billet précédent), on est en droit d’être perplexe.

Les victimes – Là, le plus tranchant, c’est M. Sarkozy. Il veut accorder aux victimes le droit de faire appel des décisions des cours d’assises et des tribunaux correctionnels. Une victime pourrait même s’opposer à la demande de libération de son agresseur si elle se sent menacée.

Quels moyens pour la justice ? – Pour Nicolas Sarkozy, il s’agit de poursuivre le programme de construction de nouvelles prisons (6 000 de plus durant son quinquennat) afin d’atteindre 80 000 places en 2017 (environ 57 000 aujourd’hui pour plus de 65 000 détenus). Et il est question d’une nouvelle loi de financement de la justice. François Hollande, lui aussi, parle gros sous. Il souhaite remettre à niveau le budget de la justice et ouvrir de nouveaux postes pour rattraper notre retard par rapport aux autres pays européens. Jean-Luc Mélenchon le rejoint sur les effectifs, par son projet de création d’emplois publics. Marine Le Pen, elle, veut revaloriser le budget à 8.5 milliards d’euros sur le quinquennat. Avec un objectif : 20 magistrats pour cent mille habitants – et la création de 40 000 places de prison. Quant à Eva Joly, elle veut traquer la délinquance financière (c’est son dada), la délinquance environnementale et le crime organisé.

Y a du pain sur la planche – Aujourd’hui, la France compte 12 juges pour cent mille habitants. Le budget de la justice est entre 0.18 et 0.19 % du PIB. Alors que pour nos voisins, il est de plus du double (0.38 % pour l’Allemagne, 0.43 % pour l’Espagne…, et 0.52% pour la Pologne). Ce qui nous classe au 37° rang européen –  sur 43.

Et la police dans tout ça ? Euh !… Je n’ai pas trouvé de quoi faire un billet. Mais je vais chercher.

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