Pour la première fois depuis longtemps, la France connaît un mouvement populaire, spontané, sans arrière-pensée politicienne, juste pour dire : « Ça ira ! » En manifestant ainsi, en dehors des clous, les Gilets jaunes prennent des risques : le risque d’un mauvais coup ou d’une bouffée de lacrymogène, mais surtout celui d’être confrontés à une législation qui dénature le droit de manifester ses opinions, notamment en créant une responsabilité collective qui tient plus de la loterie que de la justice.

En fait, nous dit l’article 431-3 du code pénal, tout rassemblement sur la voie publique susceptible de troubler l’ordre public devient un attroupement. Et le code de la sécurité intérieure (art. 211-9) rappelle qu’un attroupement peut être dispersé par la force après deux sommations de l’autorité compétente. Le manifestant qui n’obtempérerait pas, risquerait, d’abord de subir des « violences légitimes », et/ou un an de prison, trois s’il a le visage masqué, et même cinq s’il est porteur d’une arme par nature ou par destination.

Pourtant, à l’issue de la manifestation de samedi dernier sur les Champs-Élysées, une vingtaine de personnes se sont retrouvées devant la 23° chambre correctionnelle de Paris, celle des comparutions immédiates, non pour délit d’attroupement mais pour « participation à un groupement en vue de commettre des violences ou des dégradations ». Il leur a donc été appliqué la loi « anti-bande » du 2 mars 2010, indigne héritière de la loi anti-casseurs des années post soixante-huitarde. Lors de la discussion de cette dernière, à l’Assemblée nationale, le député Mitterrand avait dit : « Cette loi est dangereuse parce qu’elle altère gravement le droit de rassemblement. »

Sa remplaçante ne vaut pas mieux. Elle est d’ailleurs sévèrement critiquée par les juristes, qui considèrent qu’il s’agit là d’un droit flou et dérogatoire : l’association de malfaiteurs du pauvre, en quelque sorte. Sous prétexte de protéger les citoyens des violences de groupes, disait en 2009 le Syndicat de la magistrature, « ce texte contribuera à pénaliser à la fois les plus démunis et ceux, militants et citoyens, qui veulent agir ensemble pour faire connaître leurs droits ».

On est en plein dedans. Continue reading