Le 6 octobre 2020, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a tranché : la collecte et la conservation systématiques des métadonnées – toutes ces traces qu’on laisse sur Internet ou via notre smartphone – sont incompatibles avec les traités et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Certains pourraient être tentés de dire qu’on n’en a rien à faire de cette Charte, sauf que, proclamée il y a vingt ans, à Nice, elle est juridiquement contraignante depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, en 2009. En fait, pour ceux qui espèrent une Europe « plus humaine », il s’agit d’une avancée considérable. Et même si la route est longue, cette Charte est sans doute le premier pas vers une souveraineté européenne. Un projet porté pour la France par Emmanuel Macron, qui passe par le renforcement de l’État de droit au sein de l’UE et par l’adhésion de celle-ci à la Convention européenne des droits de l’homme.
Cela pour dire qu’on ne peut pas s’asseoir sur une décision de la CJUE : ce n’est pas un diktat, mais la simple application des traités que les 27 pays de l’Union ont voulus et signés. D’ailleurs, dans l’arrêt concernant les demandes de décision préjudicielle déposées par la France et la Belgique, la Cour s’est astreinte à trouver un compromis entre le souci affiché de renforcer les libertés publiques et les nécessités opérationnelles des services enquêteurs.
Toutefois, c’est un sérieux coup de frein aux méthodes d’investigation adoptées ces dernières années, tant par les services de renseignement que par les services d’enquête. Et cette décision risque fort de faire passer à la trappe le chantier (intellectuellement séduisant, mais combien dangereux) de l’enquête prédictive. Projet basé, pour ce que l’on en sait, sur la captation des données de chacun d’entre nous, afin de les passer à la moulinette de mystérieux algorithmes : on surveille tout le monde et un changement de comportement fait d’un innocent un suspect. Un projet pour lequel des entreprises privées ont déjà investi de gros moyens et qui nous mène tout droit vers une police de la pensée, telle qu’elle est imaginée par George Orwell – une police chérie de tous les césars aux petits pieds.
En deux mots, les services concernés vont donc devoir apprendre à travailler autrement, puisqu’aujourd’hui, la première démarche des enquêteurs consiste le plus souvent à « faire les fadettes » des suspects ou des victimes, s’il y en a, et ensuite à tracer leur Internet.
Pourtant, il ne faut pas faire celui qui tombe du placard. Déjà, en 2016 Continue reading
4 réponses à “Fadettes, pirouettes, cacahouètes…”
Monsieur, merci pour cet article très instructif sur ces arrêts relativement passés sous silence. En revanche, je m’interroge sur votre analyse concernant les possibilités d’obtenir des nullités dans les dossiers pénaux en cours. En effet, la CJUE précise (§ 226, 227 et 288) une exception qui me semble peu compréhensible mais cependant de nature à bloquer certaines demandes de nullité :
» [l’article 15 de la directive] impose au juge pénal national d’écarter des informations et des éléments de preuve qui ont été obtenus par une conservation généralisée et indifférenciée des données relatives au trafic et des données de localisation incompatible avec le droit de l’Union, dans le cadre d’une procédure pénale (…), si ces personnes ne sont pas en mesure de commenter efficacement ces informations et ces éléments de preuve, provenant d’un domaine échappant à la connaissance des juges et qui sont susceptibles d’influencer de manière prépondérante l’appréciation des faits ».
Les §226 et 227 expliquent cette notion de « commenter efficacement » une preuve mais restent difficiles à interpréter.
Doit-on comprendre que l’inconventionnalité de la législation française est sans incidence dès lors que les Fadettes obtenues peuvent être « discutées » contradictoirement ?
Je ne vois pas bien ce qu’il y a à discuter si ce n’est contester la légalité de leur obtention…
Qu’en pensez-vous ?
Un avocat
Bonjour,
Oui, ce texte est difficile à interpréter, mais il y a du grain à moudre, du moins dans le cadre d’une information judiciaire. Je crois comprendre :
– Les éléments de preuve tirés des fadettes (ou des écoutes) doivent pouvoir être analysés et si besoin discutés comme tout autre élément de preuve, alors que ne figurent généralement dans les dossiers d’instruction que des extraits choisis par un OPJ.
– Le juge d’instruction lorsqu’il a besoin d’explications techniques fait appel à un expert, tandis que ce cas, il se contente des appréciations de l’enquêteur pour se forger une opinion. L’avocat doit donc se donner les moyens d’intervenir. Pas facile.
– On peut aller plus loin et contester la légalité de la conservation des données, dans la mesure où cette conservation ne serait ni ciblée et motivée.
Ce n’est qu’un avis.
voilà, c’est fait : on n’est pas seulement dans orwell, on est au aussi dans minority report !
c’est clair : vive le progres qui nique les libertés.
merci M’sieur-la-robe
Lumineux, merci pour cet effort de pédagogie sur un enjeu juridique essentiel et délicat. Et pour la défense, plutôt optimiste, de la liberté… dans le « contexte politico-sécuritaire actuel » (…). Mais qui pourra croire longtemps à son applicabilité, comme elle est décryptée avec humour sur le papier ?… Le distinguo « menace de crime » vs « menace de terrorisme » est a priori devenu tellement mou, flou et fluctuant, dans un tel maquis, qu’aucune poule juridique y retrouverait ses petits… L’état de droit n’existe virtuellement plus… Et l’ancien policier devenu avocat, GM de bonne volonté, doté d’un solide bâton de pélerin, y croit-il vraiment…, avec un EDM à la tête chancelante de la Chancellerie vacillante ?…
Bon bref,… il faut toujours rêver à l’avenir appartenant à tous… Bien à vous, Georges. Vous avez l’air en super forme ! (et pardon pour cette familiarité, hein).