LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Étiquette : AGRASC

Criminalité organisée : changement de pied

Lors de la passation de pouvoir, Éric Dupond-Moretti, le ministre de la Justice sortant, a mis en garde son successeur sur une éventuelle mise au placard de « sa » loi sur la justice : « Une trahison de cette loi serait un signal dévastateur », a-t-il lâché avec sa modestie habituelle.

« Je vous ai entendu », a répondu, goguenard, Didier Migaud, le nouveau garde des Sceaux, avec l’air de dire cause toujours. Le seul ministre un peu de gauche de ce gouvernement très à droite a visiblement une conception différente de la justice, avec en première intention la volonté de « renforcer la confiance des citoyens dans l’institution judiciaire ». Y’a de la route à faire, car les citoyens que nous sommes ont perdu depuis longtemps leurs repères dans le dédale des palais de Justice. Même les pros, magistrats, flics, avocats… ne s’y retrouvent plus. Elle sera semée d’embûches, cette putain de route, dont on a pu discerner les premiers obstacles après le fritage avec le nouveau ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau : la cohabitation s’annonce canon !

Dupond-Moretti a également insisté sur un projet de projet de loi qui lui tient à cœur concernant une refonte de la lutte contre la criminalité organisée : « Vous trouverez le texte sur votre bureau », a-t-il dit à Didier Migaud, sans intention j’en suis sûr d’en faire un épigone.

Il faut dire que la maquette est ambitieuse. Elle résulte d’une consultation de l’ensemble des acteurs de la chaîne pénale – du moins ceux qui dépendent du ministère de la Justice. Au centre de cette approche se trouve la création d’un parquet national anticriminalité organisée, le PNACO, dont la première intention serait la lutte contre le narcotrafic et toute la criminalité que ce trafic traîne dans son sillage, notamment le blanchiment d’argent. Or, pour blanchir de l’argent sale, il faut se livrer à des manigances financières : la corruption, le trafic d’influence, la fraude fiscale en bande organisée, etc.  Autant d’infractions qui sont le pré carré du PNF, le parquet national financier, ce qui promet de belles bagarres si le préprojet va à son terme.

L’évasion du narcotrafiquant Mohamed Amra, au cours de laquelle deux agents de la pénitentiaire ont été tués, a probablement été un détonateur. Cette évasion à main armée, qui a été rendue possible en raison de l’absence de communication entre les magistrats, est apparue comme un constat d’échec : celui d’une justice éparpillée face à des gangs structurés et friqués. En aparté, à ce jour, le fugitif n’a pas été retrouvé – ou, dans l’hypothèse où il aurait été non pas libéré, mais kidnappé par un clan adverse, on ne sait pas s’il est encore en vie.

Dans les mesures qui sont proposées dans ce texte, il faut retenir la création d’un « véritable statut de repenti » inspiré du modèle italien, la législation actuelle « étant trop restrictive et donc peu efficace ». Leur protection étant assurée par un « changement d’état civil officiel et définitif ».

La justice secrète : indic, infiltré, repenti, collaborateur…

Ces mesures seraient financées par les confiscations d’avoir criminel, lesquelles sont facilitées par une loi adoptée en juin 2024. Eh oui, il faut de l’argent ! La Commission nationale de protection et de réinsertion (CNPR, dite commission des repentis, fonctionne aujourd’hui avec un budget inférieur à 800 000 €. Opérationnelle depuis une dizaine d’années, elle ne protégerait qu’une quarantaine de personnes, alors que l’Italie en compte plus de mille ainsi que les membres de leur famille.

Cette loi, nous dit l’AGRASC, élargit l’éventail des biens pouvant être saisis et étend leur affectation avant jugement à de nouveaux bénéficiaires : administration pénitentiaire, établissements publics sous tutelle de la Justice et victimes.  Autant de mesures qui doivent augmenter le montant financier des saisies, dont, au passage, une partie est reversée au budget de l’État (près de 176 millions d’euros en 2023).

La création envisagée du PNACO est sans doute en partie une réplique aux péripéties du commissaire François Thierry. Ex-chef de l’ancien office des stups, il vient d’être acquitté devant la cour criminelle de Lyon des charges retenues contre lui pour faux en écriture publique. Il lui était reproché d’avoir raconté des bobards au juge des libertés et de la détention (JLD) de Nancy pour extraire de cellule son indicateur, un certain Sofiane H., dit La Chimère, afin de le placer en garde à vue dans une enquête imaginaire et dans une chambre d’hôtel bien réelle. Une garde à vue qui aurait été prolongée à deux ou trois reprises par ce magistrat à la demande insistante de deux procureures parisiennes – lesquelles ont cédé à la pression du policier et de magistrats d’autres services. Tous se sont défilés. Comme dit le DGPN (ex depuis quelques jours) Frédéric Veaux, cité par Le Monde : « Quand tout va bien, tout le monde veut être sur la photo. Quand ça va mal, on rejette la responsabilité sur l‘autre. Ça s’appelle de la lâcheté. »

Le commissaire François Thierry sera-t-il jugé par une cour d’assises ?

Durant cette garde à vue, le bonhomme aurait coordonné une livraison de plusieurs tonnes de cannabis sur la côte andalouse, à destination de notre beau pays. C’est l’opération Myrmidon (Marmiton, pour les initiés) : une « livraison surveillée » (LS), menée dans les limites (extrêmes) du code de procédure pénale. Des faits dont Thierry devra s’expliquer devant d’autres juges, puisque dans cette opération, son indic se serait « commissionné » en détournant 7 tonnes de résine de cannabis.

Dans le projet d’Éric Dupond-Moretti, les LS et les demandes procédurales seraient de la compétence du PNACO ou d’une juridiction interrégionale spécialisée (JIRS). Il s’agit d’une reprise en main des enquêtes d’initiative. Les policiers y perdraient en autonomie, mais y gagneraient en sécurité juridique. Reste à savoir s’il est de bon ton pour les magistrats de faire un boulot de flic…

Sur ce texte, Didier Migaud va-t-il emboîter le pas à son prédécesseur ? Seule certitude, il existe un consensus politique pour lutter contre la criminalité organisée. Toutefois, s’il devait reprendre le flambeau, il n’est pas sûr qu’il le suive sur certaines refontes du code de procédure pénale, notamment les moyens d’investigation renforcés, susceptibles d’attenter aux libertés individuelles.

Cette centralisation dans la Capitale des services de justice va de pair avec la dislocation de la PJ de province au profit d’offices parisiens. C’est, me semble-t-il, une vision technocratique des services d’enquête qui va à l’encontre du travail de terrain et du contact humain.

______________

Mon dernier livre…

Téléchargement gratuit sur Amazon les 8, 9 et 10 octobre

Police, douane, gendarmerie… la drogue les rend fous

Les tribulations des agents en charge de la lutte contre les narcotrafiquants ne cessent de nous étonner. Vu de l’extérieur, on a l’impression qu’ils se livrent à une course au trésor dans laquelle les coups de Jarnac sont comme des pratiques rituelles. Mais il semble bien que la récente mise en examen de l’ancien patron de l’office des stups, François Thierry, va apporter un coup de projecteur sur les méthodes utilisées, tant par les enquêteurs que par la justice, et peut-être même un coup d’arrêt.

Sans remonter à la création de l’OCRTIS (office central pour la répression du trafic illicite de stupéfiants), le plus ancien office après celui de la fausse monnaie (OCRFM), les turpitudes actuelles qui font l’actualité démarrent bien loin de chez nous, en Républicaine dominicaine, lors de cette fameuse nuit du 19 au 20 mars 2013, au moment où un avion privé appartenant à la SA Alain Afflelou, le Falcon F-GXMC, est stoppé in extremis sur le tarmac de l’aéroport de Punta Cana.

Dans le même temps, en France, gendarmes et douaniers du Var peaufinent un plan d’intervention. Des mois de surveillance pour ce moment tant attendu : l’arrestation en flag d’une équipe de la « french cocaïne ». Dans quelques heures, lorsque le Falcon va atterrir sur la piste de l’Aéroport international du Golfe de Saint-Tropez, tout sera plié. Continue reading

L’État géolocalise et tape dans la caisse

Les députés ont renvoyé la loi sur la géolocalisation dans les enquêtes judiciaires devant le Conseil constitutionnel. Quel sera l’avis des Sages ? Tout le monde semble persuadé qu’il s’agit d’une simple formalité. Réponse « à très vite », comme on dit dans les milieux branchés.

La manchePourquoi n’ont-ils pas fait la même chose pour la géolocalisation effectuée en dehors du champ des magistrats (art. 20 de la LPM) ? La réponse est simple : lorsque ce pistage est fait dans le cadre d’une mission de police administrative, c’est sous le couvert du secret. Du coup, les risques de voir un quidam déposer une QPC sont quasi inexistants, puisqu’il ignorera tout des surveillances électroniques dont il a fait l’objet. Géolocalisation ou autres. L’affaire des fadettes du Monde, ne se reproduira jamais plus. Comme dirait George Sand, dans cette histoire, La Petite Fadette est passée par là. Continue reading

Bernard Tapie face à une enquête patrimoniale

 « On ne peut pas accepter des décisions comme ça », clame-t-il avec sa fougue habituelle. Les magistrats se seraient concertés pour lui « piquer ses biens » et toute cette procédure n’aurait d’autre but que de le descendre en flammes. « Je ne savais pas qu’on vivait dans un pays où l’on peut exécuter des gens avant d’avoir été jugés. » Pour lui, c’est la seule raison de cette enquête ouverte pour escroquerie en bande organisée. Pourtant, la loi du 9 juillet 2010 qui a donné aux juges et aux procureurs la possibilité de saisir les biens lors de l’enquête ou de l’information judiciaire ne vise pas que la criminalité organisée, mais toutes les infractions dont le but recherché est le profit. Et pour cela, les magistrats ont besoin d’un bilan de fortune, une sorte d’inventaire qui vient de plus en plus souvent se joindre au dossier judiciaire : l’enquête patrimoniale.

C’est l’une des missions de base de la PIAC (plate-forme d’identification des avoirs criminels). Créée en 2005, pour répondre à un besoin, à l’initiative du chef de l’office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF), la PIAC a été officialisée le 15 mai 2007. C’est un service de police judiciaire à compétence nationale, dirigé par un commandant de police, composé de policiers, de gendarmes et de fonctionnaires relevant d’autres administrations (impôts, douanes…).

À l’époque, la loi n’autorisait la confiscation des biens avant jugement que dans quelques cas précis, notamment par mesure de sûreté (armes, produits nocifs…) ou s’ils étaient directement liés à l’infraction. Même si certains juges pugnaces allaient bien au-delà. La loi de 2010 a changé la donne en instituant un principe de base : tous les biens confiscables sont saisissables.

Autrement dit, tout ce qui pourrait être récupéré après le jugement peut être saisi avant le jugement. Quitte à procéder à une restitution en cas de non-lieu ou d’acquittement.

Les biens concernés sont donc les mêmes que ceux visés à l’article 131-21 du CP qui prévoit la peine complémentaire de confiscation. Une sanction qui peut être prononcée à l’égard de l’auteur de n’importe quelle infraction punie d’une peine d’emprisonnement supérieure à un an (sauf délit de presse). Et lorsqu’il s’agit d’un délit punissable d’une peine d’au moins cinq ans d’emprisonnement, pratiquement tous les biens sont saisissables, qu’ils soient ou non matériels, sauf à pouvoir en justifier expressément l’origine. La confiscation peut même être générale pour les crimes les plus graves. On parle alors de saisie patrimoniale.

Le préalable à ces saisies est donc l’enquête patrimoniale. Elle est destinée à identifier et à localiser, en France comme à l’étranger, les biens mobiliers ou immobiliers qui composent le patrimoine d’une personne condamnée ou d’un suspect. Rien de plus simple pour un individu lambda, mais dès que l’on s’attaque à un « gros poisson », les écrans et les intermédiaires se multiplient. Les enquêteurs doivent donc connaître toutes les ficelles du monde underground de la finance.

Comme toujours dans une enquête de police, tout commence par la consultation des fichiers. Les fichiers de police et de gendarmerie, mais également, par voie de réquisition, les administrations, les banques, les assureurs, le cadastre, le bureau de conservation des hypothèques, etc. Il est évident que l’interrogation des différents fichiers fiscaux (revenus déclarés, comptes bancaires, coffres-forts, immeubles, participation dans des sociétés, etc.) est le béaba de l’enquête patrimoniale. Celle-ci s’étend le plus souvent aux proches de la personne soupçonnée.

Les documents recueillis lors des perquisitions sont également une source de renseignements. Les officiers de police judiciaire doivent désormais se livrer à un « calcul patrimonial » lors des perquisitions et des scellés. En garde à vue, il est même possible de réserver un temps d’audition pour inviter la personne à s’expliquer sur ses biens.

À la finale, la PIAC dressera une fiche d’identification patrimoniale (FIP) qui pourra être exploitée par le magistrat.

Mais l’identification des biens va au-delà des frontières. Une loi-cadre de 2006 (dite initiative suédoise) prévoit l’échange direct d’informations entre les services répressifs au niveau européen. En cas d’urgence, cela peut ne prendre que quelques heures. Et il existe, depuis 2007, dans presque tous les États de l’U-E, une unité nationale de dépistage et d’identification des avoirs criminels. D’une manière plus large, le réseau CARIN (Camden Asset Recovery Inter-agency Network) permet des échanges opérationnels et juridiques entre une soixantaine de pays.

Monsieur et Madame Tapie détiennent de nombreux biens à l’étranger. Les magistrats instructeurs en possèdent donc la liste et, s’ils l’estiment opportun, ils ont la possibilité de faire appel à l’entraide judiciaire internationale pour en obtenir la saisie, ou même délivrer directement un « certificat de gel de biens », conformément à l’article 695-9-1 du CPP. La raison voudrait qu’ils se limitent à la somme en litige (278 millions d’euros) et aux acquisitions effectuées après l’encaissement de cette somme, en juillet 2008. Cependant, comme l’intéressé est mis en examen pour escroquerie en bande organisée (dix ans de prison), rien ne les empêche d’élargir leurs exigences et de demander la justification de l’origine de l’ensemble de son patrimoine.

La saisie est devenue la nouvelle arme des juges d’instruction. Une arme d’une efficacité redoutable, parfaitement adaptée à la lutte contre la criminalité organisée et qui trouve son assise sur l’enquête patrimoniale. Mais est-elle toujours justifiée ? Il ne faudrait pas que cela devienne une sanction et que le justiciable ait l’impression d’être condamné avant d’être jugé, comme le dit Bernard Tapie. La liberté de disposer de ses propres biens constitue en effet l’un des attributs les plus importants du droit de propriété.

Sur un autre plan, ce droit de propriété ne serait-il pas menacé par l’application de cette pratique à un délit aussi mal défini que la fraude fiscale ? En effet, la peine encourue dans la loi actuellement en discussion va jusqu’à sept ans d’emprisonnement. Un individu soupçonné de fraude fiscale pourra donc se voir privé de tout ou partie de ses biens, en attendant d’être jugé.

Riches ou pauvres, nous n’aimons pas trop que l’on furète dans notre vie. Ce ne sont pas les sénateurs qui diront le contraire, eux qui viennent de rejeter le projet de loi sur la transparence. L’un d’entre eux a même déclaré que la publication de leur patrimoine serait une « atteinte au droit à la vie privée ». Pas mieux ! doit se dire Bernard Tapie.

 

Saisies pénales : pour que le crime ne paie pas

Hier, François-Marie Banier a demandé la mainlevée sur des contrats d’assurance-vie saisis par la justice, contrats souscrits à son profit par Mme Bettencourt. Pfft ! 75 millions d’euros. 5.500 années de travail pour un smicard. Une requête juridiquement intéressante. D’autant que le juge Gentil vient juste de finir l’inventaire de ses œuvres d’art entassées dans son immeuble du VI° arrondissement. Comme une épée de Damoclès qu’il agiterait au-dessus de la cache au trésor ! Dans un autre dossier politiquement sensible, le juge Van Ruymbeke a ordonné la vente du yacht de l’homme d’affaires Ziad Takieddine, mis en examen dans l’affaire de Karachi.

Qu’est-ce qui leur prend à ces magistrats ! En deux mots, ils utilisent les moyens exceptionnels mis à leur disposition par la loi du 9 juillet 2010, qui a créé un nouveau droit des saisies pénales. L’objectif de ce texte est de priver les délinquants de leur patrimoine dès lors que celui-ci semble provenir d’une activité criminelle en gelant leurs biens dès le début de l’enquête. Brice Hortefeux, alors ministre de l’Intérieur, a soutenu cette loi pour lutter contre la criminalité organisée, notamment le trafic de drogue. Je me demande ce qu’il en pense aujourd’hui, alors que les juges l’utilisent – aussi – pour des affaires politico-judiciaires…

Tous les biens confiscables selon l’article 131-21 du code pénal peuvent être saisis. Mais, alors que cet article vise une peine complémentaire prononcée en plus d’une condamnation, il s’agit ici de mesures préventives. Elles concernent un simple suspect, autrement dit un « présumé innocent ». Avec un principe fort : tout ce qui est confiscable est saisissable. Pierre Dac aurait dit, « et son contraire ». Pour faire simple, tous les crimes et la plupart des délits punis d’une peine d’emprisonnement peuvent être concernés (pas les délits de presse). Et cela, soit sur décision du juge des libertés et de la détention, sur requête du procureur (flag, préli) ; soit par la seule volonté du juge d’instruction lorsqu’une information judiciaire est ouverte. Que ces biens appartiennent à une personne physique ou morale, qu’ils soient corporels (argent, actions, immeubles…) ou incorporels, comme une créance sur un droit futur (assurance vie, droits d’auteurs, brevets…). À noter que la loi de 2010 permet également à l’OPJ de saisir directement les biens lorsqu’ils sont liés à l’infraction.

Cet argent, ces voitures, ces immeubles, etc., peuvent n’avoir qu’un rapport indirect avec le crime ou le délit. Il suffit de démontrer qu’ils ont été acquis grâce à l’infraction. Dans plusieurs cas, la loi va même plus loin. Elle le présume. Il appartient alors au suspect de prouver le contraire. Si les poursuites engagées concernent le délit de non-justification de ressources, c’est l’ensemble du patrimoine qui peut ainsi être confisqué.

Pour cela, la justice et les enquêteurs disposent de deux outils la PIAC et l’AGRASC. (Oui, pas terrible comme sigles, mais dans l’administration, surtout à l’Intérieur, on a appris à se méfier des acronymes trop facilement mémorisables.)

La PIAC, c’est la Plate-forme d’identification des avoirs criminels. Cette unité a été créée en 2007 au sein de la DCPJ. Elle est rattachée à l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) dirigé par le commissaire divisionnaire Jean-Marc Souvira. (Également auteur de romans policiers. Son dernier livre : Le vent t’emportera, au Fleuve Noir.) La PIAC comprend à parité des policiers et des gendarmes, ainsi que des fonctionnaires d’autres administrations (douanes, impôts…). Elle est dirigée par un commandant de police. Sa mission première est d’effectuer des enquêtes patrimoniales soit à la demande des magistrats ou d’autres services de police ou de gendarmerie, soit d’initiative. Elle recoupe également les informations relatives aux avoirs criminels saisis. Ces chiffres alimentent une base de données nationale et permettent l’élaboration du TACA (Total des avoirs criminels appréhendés). Conçu initialement pour lutter contre le blanchiment, ce service est de plus en plus sollicité. En gros, toutes les infractions dont l’objectif est le profit – ce qui doit être souvent le cas. La PIAC est également chargée de l’entraide internationale en complément de la coopération classique via EUROPOL ou INTERPOL. À la suite de la décision européenne de créer des unités de dépistage et d’identification des avoirs criminels au sein de chaque État membre, elle a été désignée comme « Bureau des avoirs pour la France ».

La gendarmerie nationale n’est pas en reste. Dès les années 1980, elle a formé des militaires aux arcanes de la finance souterraine pour les affecter dans les sections et brigades de recherche départementales. Aujourd’hui, il existe une formation à trois niveaux : un stage « enquêteur patrimonial », une licence professionnelle et un master II (lutte contre la criminalité organisée dans ses dimensions économiques et financières à l’échelle européenne), proposé par l’université de Strasbourg. Elle revendique 1000 spécialistes. Depuis 2006, la gendarmerie a saisi des biens « criminels » pour environ 340 millions d’euros. Une partie de ces fonds sert à alimenter le « fonds concours drogues » géré par la MILDT (Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie). La gendarmerie en récupère chaque année environ 25 % pour renforcer son action dans ce domaine. Des véhicules et du matériel saisis peuvent également être « empruntés » pour assurer certaines missions.

Mais pour gérer tous ces biens, il fallait un autre outil. La loi de 2010 a donc mis sur pied l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC), dont l’activité a démarré en février 2011. Il s’agit d’un établissement public placé sous la tutelle des ministères de la Justice et du Budget avec à sa tête une magistrate de l’ordre judiciaire, Mme Élisabeth Pelsez. L’agence gère l’ensemble des biens confisqués (argent, comptes bancaires, immeubles…)  et, une fois le jugement rendu, en assure la vente, la destruction ou la restitution. Le produit de la vente sert si besoin à indemniser les victimes et à payer les créances et les amendes. Le solde est reversé au budget de l’État, sauf en matière de stupéfiants où, là encore, il alimente la MILDT. J’ai cru comprendre qu’une partie de la recette servait à couvrir les frais de fonctionnement de l’agence, mais je n’en suis pas sûr.

Cet organisme procède également à la vente – avant jugement – des biens saisis, suivant la décision des magistrats. Si le propriétaire est acquitté ou bénéficie d’une relaxe ou d’un non-lieu, l’argent tiré de la transaction lui est alors restitué. C’est donc l’AGRASC qui devrait vendre le bateau de M. Takieddine. À quel prix, doit-il se demander ?

Dans son premier bilan, l’AGRASC fait état de 8 000 affaires traitées avec un encours sur son compte de la Caisse des dépôts de 204 millions d’euros. Une somme placée à 1 %. Un bilan encourageant selon certains, mitigé selon d’autres. En fait, pour être rentable (car là on ne parle plus justice mais business) l’agence devrait se limiter aux grosses affaires. Or, il semble bien qu’elle croule sous les petites. 66 % des sommes confisquées sont inférieures à 1.000 €. Et les 714 véhicules saisis durant la période concernée représentaient une valeur insuffisante pour couvrir les frais d’immobilisation. Il a fallu payer un prestataire pour les détruire. Dans ce souci de rentabilité, on réfléchit à simplifier encore la procédure et à sensibiliser les magistrats et les OPJ pour qu’ils placent la barre plus haut. Les infractions les plus lucratives sont le blanchiment, l’escroquerie et l’abus de confiance. Alors que les stupéfiants, qui représentent 63 % des affaires n’ont rapporté que 13% du budget. M. Hortefeux doit se retourner dans son placard.

Le gros succès de cette loi de 2010 est la facilité qu’elle apporte dans la saisie d’immeubles. Ainsi, depuis le début de cette année, un immeuble est saisi chaque jour en France.

Il est amusant de constater que l’on applique aujourd’hui l’une des recommandations de Cesar Beccaria, considéré comme le fondateur du droit pénal moderne, qui, dans Des délits et des peines, écrivait : « La perte des biens est une peine plus grande que celle du bannissement ». C’était en 1763. Il est vrai qu’il trouvait également barbare la peine de mort et la torture et recommandait de prévenir le crime plutôt que de le réprimer.

_____

Sources : documentation officielle, documentation personnelle, presse et dossier Les nouvelles saisies pénales dans la revue Dalloz (AJ Pénal mars 2012).

© 2024 POLICEtcetera

Theme by Anders NorenUp ↑