Lors de la passation de pouvoir, Éric Dupond-Moretti, le ministre de la Justice sortant, a mis en garde son successeur sur une éventuelle mise au placard de « sa » loi sur la justice : « Une trahison de cette loi serait un signal dévastateur », a-t-il lâché avec sa modestie habituelle.
« Je vous ai entendu », a répondu, goguenard, Didier Migaud, le nouveau garde des Sceaux, avec l’air de dire cause toujours. Le seul ministre un peu de gauche de ce gouvernement très à droite a visiblement une conception différente de la justice, avec en première intention la volonté de « renforcer la confiance des citoyens dans l’institution judiciaire ». Y’a de la route à faire, car les citoyens que nous sommes ont perdu depuis longtemps leurs repères dans le dédale des palais de Justice. Même les pros, magistrats, flics, avocats… ne s’y retrouvent plus. Elle sera semée d’embûches, cette putain de route, dont on a pu discerner les premiers obstacles après le fritage avec le nouveau ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau : la cohabitation s’annonce canon !
Dupond-Moretti a également insisté sur un projet de projet de loi qui lui tient à cœur concernant une refonte de la lutte contre la criminalité organisée : « Vous trouverez le texte sur votre bureau », a-t-il dit à Didier Migaud, sans intention j’en suis sûr d’en faire un épigone.
Il faut dire que la maquette est ambitieuse. Elle résulte d’une consultation de l’ensemble des acteurs de la chaîne pénale – du moins ceux qui dépendent du ministère de la Justice. Au centre de cette approche se trouve la création d’un parquet national anticriminalité organisée, le PNACO, dont la première intention serait la lutte contre le narcotrafic et toute la criminalité que ce trafic traîne dans son sillage, notamment le blanchiment d’argent. Or, pour blanchir de l’argent sale, il faut se livrer à des manigances financières : la corruption, le trafic d’influence, la fraude fiscale en bande organisée, etc. Autant d’infractions qui sont le pré carré du PNF, le parquet national financier, ce qui promet de belles bagarres si le préprojet va à son terme.
L’évasion du narcotrafiquant Mohamed Amra, au cours de laquelle deux agents de la pénitentiaire ont été tués, a probablement été un détonateur. Cette évasion à main armée, qui a été rendue possible en raison de l’absence de communication entre les magistrats, est apparue comme un constat d’échec : celui d’une justice éparpillée face à des gangs structurés et friqués. En aparté, à ce jour, le fugitif n’a pas été retrouvé – ou, dans l’hypothèse où il aurait été non pas libéré, mais kidnappé par un clan adverse, on ne sait pas s’il est encore en vie.
Dans les mesures qui sont proposées dans ce texte, il faut retenir la création d’un « véritable statut de repenti » inspiré du modèle italien, la législation actuelle « étant trop restrictive et donc peu efficace ». Leur protection étant assurée par un « changement d’état civil officiel et définitif ».
La justice secrète : indic, infiltré, repenti, collaborateur…
Ces mesures seraient financées par les confiscations d’avoir criminel, lesquelles sont facilitées par une loi adoptée en juin 2024. Eh oui, il faut de l’argent ! La Commission nationale de protection et de réinsertion (CNPR, dite commission des repentis, fonctionne aujourd’hui avec un budget inférieur à 800 000 €. Opérationnelle depuis une dizaine d’années, elle ne protégerait qu’une quarantaine de personnes, alors que l’Italie en compte plus de mille ainsi que les membres de leur famille.
Cette loi, nous dit l’AGRASC, élargit l’éventail des biens pouvant être saisis et étend leur affectation avant jugement à de nouveaux bénéficiaires : administration pénitentiaire, établissements publics sous tutelle de la Justice et victimes. Autant de mesures qui doivent augmenter le montant financier des saisies, dont, au passage, une partie est reversée au budget de l’État (près de 176 millions d’euros en 2023).
La création envisagée du PNACO est sans doute en partie une réplique aux péripéties du commissaire François Thierry. Ex-chef de l’ancien office des stups, il vient d’être acquitté devant la cour criminelle de Lyon des charges retenues contre lui pour faux en écriture publique. Il lui était reproché d’avoir raconté des bobards au juge des libertés et de la détention (JLD) de Nancy pour extraire de cellule son indicateur, un certain Sofiane H., dit La Chimère, afin de le placer en garde à vue dans une enquête imaginaire et dans une chambre d’hôtel bien réelle. Une garde à vue qui aurait été prolongée à deux ou trois reprises par ce magistrat à la demande insistante de deux procureures parisiennes – lesquelles ont cédé à la pression du policier et de magistrats d’autres services. Tous se sont défilés. Comme dit le DGPN (ex depuis quelques jours) Frédéric Veaux, cité par Le Monde : « Quand tout va bien, tout le monde veut être sur la photo. Quand ça va mal, on rejette la responsabilité sur l‘autre. Ça s’appelle de la lâcheté. »
Le commissaire François Thierry sera-t-il jugé par une cour d’assises ?
Durant cette garde à vue, le bonhomme aurait coordonné une livraison de plusieurs tonnes de cannabis sur la côte andalouse, à destination de notre beau pays. C’est l’opération Myrmidon (Marmiton, pour les initiés) : une « livraison surveillée » (LS), menée dans les limites (extrêmes) du code de procédure pénale. Des faits dont Thierry devra s’expliquer devant d’autres juges, puisque dans cette opération, son indic se serait « commissionné » en détournant 7 tonnes de résine de cannabis.
Dans le projet d’Éric Dupond-Moretti, les LS et les demandes procédurales seraient de la compétence du PNACO ou d’une juridiction interrégionale spécialisée (JIRS). Il s’agit d’une reprise en main des enquêtes d’initiative. Les policiers y perdraient en autonomie, mais y gagneraient en sécurité juridique. Reste à savoir s’il est de bon ton pour les magistrats de faire un boulot de flic…
Sur ce texte, Didier Migaud va-t-il emboîter le pas à son prédécesseur ? Seule certitude, il existe un consensus politique pour lutter contre la criminalité organisée. Toutefois, s’il devait reprendre le flambeau, il n’est pas sûr qu’il le suive sur certaines refontes du code de procédure pénale, notamment les moyens d’investigation renforcés, susceptibles d’attenter aux libertés individuelles.
Cette centralisation dans la Capitale des services de justice va de pair avec la dislocation de la PJ de province au profit d’offices parisiens. C’est, me semble-t-il, une vision technocratique des services d’enquête qui va à l’encontre du travail de terrain et du contact humain.
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Mon dernier livre…
13 réponses à “Saisies pénales : pour que le crime ne paie pas”
Cette loi est la porte ouverte à tout type de raquet de l’état.. sans jugement on vous saisit tous vos bien?? Mais ou somme nous ? ( un voleur se fait voleur par un autre voleur)
Cette loi me parait excellente car elle punit les délinquants tout de suite, et là où çà leur fait vraiment mal.
Il est dommage que la dernière victime des magistrats de gôche, kidnappeurs et piqueurs, n’ait pas lu ce post de blog…
« Le gros succès de cette loi de **2010** est la facilité qu’elle apporte dans la saisie d’immeubles. Ainsi, depuis le début de cette année, un immeuble est saisi chaque jour en France. »
Mais qui était aux « affaires », en 2010?
Bonjour, il me semble qu’en droit Français il est dit que “que toute personne physique recueillant des biens transmis à titre gratuit est imposable au titre des droits de succession ou de donation“. Etant donné que dans cette affaire il n’y est pas de lien de parenté entre monsieur Banier et Mme Bettencourt, à moins que le gestionnaire de patrimoine n’ait trouvé une astuce dans le code des impôts, c’est alors l’état Français qui devrait être le principal bénéficiaire de cette générosité !
Cette loi est assurément un outil puissant mais au delà de l’aspect pédagogique de votre note, j’aurais apprécié que vous preniez comme à votre habitude un peu de recul sur les travers et conséquences d’une telle loi.
Comme accepter qu’en démocratie, la sanction puisse prendre effet avant d’être prononcée ? Geler des avoirs pour empêcher leur usage est une chose, les confisquer en est une autre. Et manifestement, les juges semblent se précipiter à tort et à travers sur cette loi.
Au secours, l’arbitraire est de retour !
Ce dispositif est effectivement particulièrement motivant pour les enquêteurs car ils ont enfin le sentiment de toucher le délinquant là où cela fait mal…En outre cela permet d’acquérir des véhicules et des matériels « exotiques » qu’il est très difficile d’obtenir normalement.
Pour ceux que cela inquiète et comme précisé dans l’article, cela n’est possible que pour les biens dont l’origine n’est pas justifiable légalement. Le Rmiste qui roule en grosse allemande, habite un château équipé comme la NASA est concerné pas celui qui a un revenu lui permettant l’acquisition de toutes ces babioles…En outre il faut quand même un lien avec les infractions relevée !
Donc, si j’ai bien compris, mon voisin me dénonce de n’importe quoi d’un peu important, je me fais embarquer, garder à vue,(jusque là, l’histoire est vraie) emprisonner le temps qu’on réfléchisse, pendant ce temps on me saisi mes biens, on les brade, puis quelques mois ou années après, on me relaxe (ça aussi, c’est du vécu)… et on me donne les sous (mais quid des 1%?) de la vente de mon appartement (qu’il m’est évidemment impossible de racheter au cour actuel), de ma voiture, de ma collection de schmoldus anciens…
En « vrai » droit, ça ne s’appelle pas du vol, de l’escroquerie ou un truc dans le genre, ça ???
Toujours est il que je suis bien content de vivre fort loin du « Pays des Droits de l’Homme »
Vous avez parfaitement raison, il ne faudrait pas confondre vitesse et précipitation et attendre un jugement de culpabilité avant de vendre quoi que ce soit… Meilleures salutations. roger (debrestmême)
Ce n’est plus le pays des droits de l’homme de même que ce n’est plus une démocratie. C’est un régime totalitaire servi par un nouveau type d’élite, bien plus dangereuse que celle des époques précédentes, puisqu’elle a réussi a faire croire qu’elle était légitime du fait d’un processus démocrate ! Ce splendide chateau de carte finira t-il par tomber ? Une grande majorité des élites, les vraies, l’espère, et la première chose qui sera faite sera de remettre la pieuvre état et ses édiles à sa place !
On pourrait peut-être en profiter pour faire d’une pierre deux coups et utiliser les immeubles saisis pour y abriter quelques mal-logés… Je postule pour le yacht de M.Takkiedine 🙂
Les truands savent et vont s’adapter. Je prends un exemple : les trafiquants de calvados. Lorsqu’ils sont pris, la main dans le sac donc avec quelques milliers de litres dans leur véhicule, tout est saisi. Mais les biens propres jamais et pour une raison simple rien n’est à eux. Ils ont depuis le début de leur commerce illicite remis leurs biens soit à leur femme (grosse confiance), soit à un homme de paille.
Même les riches, les très riches contournent la loi avec des conseillers balaises.
Je serais corrigé si je me trompe, mais le propriétaire officiel du bien n’a que peu d’importance dans le cas présent. Le texte autorise la saisie de tout bien étant le produit du délit présumé.
Ca implique tout bien au nom du délinquant présumé, comme d’un prête nom, si celui ci ne peut justifier la réalité de la possession du bien (par une transaction bancaire, par exemple).
Je n’ose pas imaginer les indemnités maousses costaudes qui devront être versées par la Justice – et donc l’Etat – dans les cas – qui sont loin d’être des hypothèses d’école – ou sera prouvée l’innocence ou pas rapportée la preuve de la culpabilité….
La vente d’un bateau bradé pourrait coûter la peau des fesses s’il faut le racheter et le remettre dans son état d’origine – sans compter le coût des locations perdues qui peuvent se chiffrer à plusieurs million d’euros que sera en droit de réclamer le légitime propriétaire qui n’aura aucun mal à faire chiffrer le coût de la spoliation -.
Bien mal acquis ne profite jamais – c’est aussi vrai pour les soustractions de l’Etat qui s’avéreraient mal fondées…
J’ai bien peur que toutes ces confiscations deviennent prohibitives pour les contribuables…