LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Dossier AZF (Page 2 of 2)

L’affaire de l’usine AZF de Toulouse et le procès semaine par semaine

Chroniques du procès AZF (3)

La sécurité du site – Après la guéguerre des chimistes, le président Le Monnyer est bien décidé à comprendre : l’usine AZF-tour urée_photo Pierre SanyasAZF était-elle aux normes d’un site classé Seveso ? Le personnel était-il formé ? Les consignes de sécurité étaient-elles appliquées ?… Autant d’éléments qui déterminent la responsabilité des patrons.

Le journaliste Jean-Christian Tirat suit le procès pour nous. Il nous résume les audiences de la quatrième semaine, telles qu’il les a perçues.

(Tour urée, photo Pierre Sanyas)

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La CGT monte au créneau
Sociologue à l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), Annie Thebaud Mony est citée par la CGT dans le cadre du chapitre traitant de la sécurité de l’usine. Chercheur en santé publique, elle milite pour l’amélioration des conditions de travail. Selon elle, la sous-traitance mettrait en péril la sécurité des travailleurs. Or AZF faisait appel à 238 entreprises extérieures. Serge Biechlin, l’ancien directeur du site, explique : « Notre cœur de métier, c’était la production, pas la gestion des déchets. Il était donc logique de faire appel à des sociétés spécialisées dans ce domaine. C’était un gage d’excellence ».

Sur le même thème, Philippe Saunier, élu au CHSCT (Comité hygiène et sécurité) du groupe Total, est lui aussi cité par la CGT. Il enfonce le clou en décrivant les conséquences de la sous-traitance : « 80 % des accidents graves et mortels sont subis par des personnels sous-traitants, les intérimaires, dans mon usine Petrochemicals à Gonfreville (du groupe Total) ». Prudente, l’avocate de la CGT, Me Sylvie Topalov, devance les questions de la défense : « Je n’ai pas demandé à Philippe Saunier de venir témoigner pour dire que ce qui se passe à Gonfreville ». En résumé, il faut retenir qu’en 1980, AZF employait 1450 personnes. En 2001, ils n’étaient plus que 450, avec l’intervention de 238 entreprises sous-traitantes.

Le sujet est important puisque le procureur de la République Paul Michel (Ndr : nopg-de-bastia-paul-michel_caorsematin-copie.1240147274.jpgmmé procureur général de Bastia le 15 novembre 2007), a retenu, dans son réquisitoire du 15 juin 2007, une infraction au code du travail contre l’entreprise Grande Paroisse, pour « marchandage en ayant recours à l’occasion d’une opération à but lucratif à la fourniture de main-d’œuvre qui a eu effet de causer un préjudice au salarié qu’elle concerne ». L’affaire a été classée.

L’accusation marque un point.

Une certification environnementale unique en France…
Christophe Leulart est responsable de l’Afnor, l’Agence française de normalisation. Il explique au tribunal à quoi correspondent les normes ISO. C’est l’entreprise qui demande la certification. Elle est obtenue ou pas selon les résultats de l’audit. Le site de Toulouse est l’un des premiers sites chimiques français à avoir été certifié ISO 14001, ce qui correspond à « la gestion environnementale en situation normale et accidentelle ». Cette certification a toutefois été suspendue pour deux mois en 2001. « Pourquoi ? » demande Me Levy, partie civile. « Cela ne concernait pas la sécurité », répond M. Lelart.

Mais une certification suspendue… Cliquer ici pour lire la suite.

Chroniques du procès AZF (2)

II – Les premières semaines du procès – On s’attendait un peu à un procès pour rien, mais le président du tribunal, Thomas Le Monnyer, voit les choses différemment. Du haut de sa tribune drapée de rouge, il refait l’enquête. Le ministère public et les avocats ont parfois du mal à le suivre, tant il semble connaître son dossier sur le bout du doigt.

tirat4.1239797905.jpgLe journaliste Jean-Christian Tirat, qui a été témoin et victime de l’explosion, a enquêté sur les faits comme un policier, en s’efforçant de rester neutre et calme dans le climat de lynchage qui a suivi le drame.  Aujourd’hui, il suit les débats, un crayon à la main.

Il nous résume ici les 3 premières semaines d’audience.


(photo Alexe)

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Dès le début du procès AZF le nombre de prévenus a été multiplié par deux. Au début, il y avait Serge Biechlin, l’ancien directeur de l’usine toulousaine, et Grande Paroisse (GPN), la maison mère d’AZF. À leurs côtés il y a maintenant deux « prévenus virtuels » : Thierry Desmarest, à l’époque PDG de Total, et Total en tant que maison mère de la maison mère, GPN (voir partie I). Convenons que ce n’est pas simple.

La suite l’est encore moins. Résultat, au cours du mois de mars, le public et la presse d’abord venus en masse, vont peu à peu délaisser la salle d’audience. Il est vrai que les premières semaines ont été laborieuses, ennuyeuses même, pour qui ne sait rien de la chimie ou des règlements Seveso. Malgré la hâte de la défense d’en découdre au plus vite avec les experts officiels, Thomas Le Monnyer, qui préside le tribunal, reste ferme. Il a établi un programme, il s’y tiendra, quitte à ce que les médias se désintéressent provisoirement des débats.
Il veut un procès pédagogique mais la thèse officielle est un étroit sentier bordé de ronces qu’il faut d’abord débroussailler. Le fond de l’affaire ne sera approché que fin mars.

Les 3 premières journées : étude des faits

Déclarations discordantes des victimes
Des sanglots dans la voix, Serge Biechlin raconte « son » 21 septembre. Puis les victimes se succèdent à la barre. Elles sont divisées sur les causes de la catastrophe. Pour les unes, c’est la déplorable gestion de l’usine, la « jouissance boulimique du profit » qui aurait conduit à la catastrophe. Pour les autres, le doute est là, obsédant. C’est le cas de Stéphanie Masera, sauvée par Georges Paillas, le contremaître du hangar qui a détoné. Elle a perdu l’usage de son bras droit. L’hôpital avait même annoncé son décès à sa famille. « On m’a enlevé quelque chose comme femme et comme mère ! » dit-elle. Mais elle s’est battue pour se reconstruire, malgré une douleur lancinante qui depuis ne la quitte plus. « Je veux qu’on réponde à ma question : la vérité ! ». Émotion dans la salle. Certains ont les yeux rougis, mais tout le monde est d’accord : LA VÉRITÉ !

Un autre son de cloche se fait entendre quand les représentants des associations viennent à la barre. Certains porte-parole de sinistrés comme Frédéric Arrou évoquent une « saloperie d’usine ». Des masques vont tomber, nous promet-on. Des masques portés selon ces associations par ceux qui ne s’alignent pas sur la thèse « expertale ».

La CGT est formelle. C’est un accident du travail dont Total est responsable du fait de sa course folle à la rentabilité maximale ayant conduit à l’abus d’une sous-traitance inexpérimentée. Elle désigne les coupables, Total et Thierry Desmarest. De véritables réquisitoires sont alors prononcés au point que le président Le Monnyer lance un rappel à l’ordre : « Avant de juger les prévenus le tribunal doit établir ce qui s’est passé ».azf-manif-contre-total_nouvelobs.1239798052.jpg

Dans ce carillon, des dissonances. Celle de Jacques Mignard, l’ancien cadre CGT, qui s’exprimant au nom de 500 anciens salariés, souligne qu’ils sont les premières victimes du drame. Il déplore qu’on ait trop vite sonné le glas de l’entreprise. Le représentant de la CFDT le pense également. Il se félicite cependant que le « suraccident » ait pu être évité grâce au sang-froid et à la compétence des salariés, avant de conclure ; lui aussi : « Du procès, nous attendons la vérité ! ».

Un pompier incendié… Cliquer ici pour lire la suite.

 

 

Chroniques du procès AZF (1)

I – De la catastrophe au procès 

azf-explosion_nouvelobs-copie.1239209555.jpgLe procès de la catastrophe AZF est peu suivi par la presse nationale. Pourtant, il est unique en son genre : une salle de 1.200 places, des images sur écran géant, une durée prévue de 4 mois et un coût de 3,8 millions d’euros. Alors sur ce blog, chaque semaine nous allons faire le point.

Enfin, quand je dis « nous »… C’est Jean-Christian Tirat qui va se mettre aux manettes. Il est vraiment bien placé pour cela, en tant que victime, témoin et journaliste.

Ce jour-là, ce fameux 21 septembre 2001, il venait de rentrer d’une mission humanitaire en Roumanie. Le 4X4 médicalisé qu’il avait utilisé était remisé dans son garage. C’est sa compagne qui a réagi en premier à l’explosion. Lui, il a cru à un voisin bruyant. Puis il y a eu la « vraie explosion ». Le souffle. Énorme. Les vitres ont volé en éclats. Instinctivement, il a récupéré son appareil photo et il a grimpé sur le toit de l’immeuble. À 3,5 km de là, une énorme colonne de fumée montait vers le ciel. Il a compris tout de suite : le pôle chimique ! Il a craint que ce nuage ne soit toxique. Il a foncé à l’école pour récupérer sa fille de 5 ans, et il a entassé autant d’enfants qu’il pouvait dans le 4X4. Direction l’Est, à l’opposé de la direction prise par le nuage.

Aujourd’hui, il regrette son choix. Il n’y a pas eu de gaz toxiques. Avec le matériel médical qui se trouvait dans son véhicule, il aurait sans doute pu aider des blessés…

Depuis, il cherche à comprendre les causes de cette catastrophe, une explication scientifiquement crédible, indiscutable. Avec Frank Hériot, il a écrit un livre, AZF, l’enquête assassinée, chez Plon. Si vous voulez en savoir plus sur lui et sur ses livres, il a ouvert un blog (ici).

Chaque jour, du mardi au vendredi, Jean-Christian Tirat (photo ci-dessous) se trouve dans la salle d’audience, à Toulouse, et une fois par semaine, il nous fera un compte-rendu sur ce blog.

En attendant, il nous dresse l’état des lieux :

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La catastrophe AZF a fait officiellement 31 morts, 2.800 blessés et a provoqué pour le moins deux milliards d’euros de dégâts. L’enquête de flagrant délit a duré 7 jours, l’instruction judiciaire 5 ans et il a fallu 32 mois pour organiser les audiences.

Un contexte toulousain tendu
Dix jours à peine après les attentats de New York, les causes de la catastrophe industrielle la plus grave qu’ait connu la France sont sujettes à caution : origine accidentelle ou volontaire ? Des éléments troublants alimentent en effet la rumeur d’un attentat, au point que le procureur de la République, Michel Bréard, déclare à la presse (ici), le 24 septembre : « Il y a plus de 90 % de chances pour que ce soit un accident… ».  Cette petite phrase bien maladroite, alors que l’enquête débute à peine, va perturber toute l’instruction en laissant penser que l’« on » chercherait à dissimuler la vérité. Son incidence est incontestable sur la perception de l’enquête par la population. Le procureur voulait-il désamorcer une bombe socio-ethnique qui menaçait d’exploser ?

Un mois de septembre chargé
Depuis les émeutes de décembre 1998, qui suivirent la mort d’Habib, un jeune voleur de voiture tué à Toulouse par un brigadier de police, la tension est palpable. Le 6 septembre 2001, le policier est condamné à trois ans de prison avec sursis, une condamnation « légère » et mal perçue. Le week-end suivant, des violences se produisent à la Reynerie, à Bellefontaine et à Empalot. Le 12 septembre, une manifestation réunit 500 personnes dans le centre-ville. Selon le quotidien régional La Dépêche du Midi, des jeunes auraient apostrophé les policiers aux cris de « Justice ou vengeance ?… Vengeance ! ». Pas de quoi rassurer les toulousains au lendemain du drame américain. Et puis, on l’apprendra plus tard, la très sensible SNPE (Société Nationale des Poudres et Explosifs) qui fabrique des carburants pour missiles et fusées, voisine directe d’AZF, avait reçu la visite de policiers venus l’avertir de risques d’attentats. C’était le premier septembre. Le cahier des gardes de l’entreprise et celui de l’unité de stockage de l’acide chlorhydrique en conservent la trace. Mais ces policiers n’ont toujours pas été identifiés.

Que s’est-il donc passé ?… Cliquer ici pour lire la suite.

Le mystère AZF

Quelques heures après l’explosion, face aux décombres de son usine, devant une poignée d’employés indemnes, mais traumatisés, le directeur d’AZF déclare : « Ce nitrate n’a pas pu exploser spontanément. Sauf si on l’a amorcé, sauf si on l’a voulu ». Trois jours plus tard, le procureur de la République affirme : « À 99%, c’est un accident industriel ».

azf-toulouse7-copie-2.1235299972.JPGCes deux déclarations résument l’enquête.

L’explosion de l’usine AZF de Toulouse est la catastrophe la plus grave en France depuis la dernière guerre mondiale : 30 morts, 20.800 blessés, 85.000 sinistrés et des décombres, des décombres à perte de vue.

À 10 heures 17, ce 21 septembre 2001, une première explosion, puis une deuxième, plus importante, terrible. Des immeubles s’effondrent, des vitres volent en éclats, sur l’autoroute les voitures s’envolent… C’est la panique.

On expliquera ensuite qu’il n’y a eu qu’une seule explosion perçue en deux temps : l’onde sismique et l’onde aérienne. Ce que contestent certains experts. C’est un détail capital, car s’il y a eu deux explosions, l’hypothèse d’un explosif utilisé comme détonateur ne peut pas être écartée.

Nous sommes dix jours après les attentats contre les deux tours du World Trade Center, et il est difficile de ne pas penser à un acte terroriste. La piste islamiste est privilégiée, surtout lorsque les enquêteurs découvrent que l’une des victimes, un Français d’origine tunisienne, portait plusieurs sous-vêtements, enfilés l’un sur l’autre. Un rituel, paraît-il, des kamikazes islamiques : pour protéger son sexe avant de rejoindre Dieu…

Le jour de l’explosion, sur l’autoroute A62, les gendarmes interceptent un véhicule dont la lunette arrière est brisée. Les passagers arrivent de Toulouse : ils sont membres du mouvement islamique Tabligh, que certains assimilent à une secte.

De nombreux témoins signalent plusieurs passages d’hélicoptères quelques minutes avant l’explosion. L’un apparaît même sur un enregistrement effectué par France 3, quinze secondes après. On n’a jamais retrouvé les plans de vol de ces hélicoptères. Les pilotes ne se sont jamais manifestés. S’agit-il d’engins militaires ? (Certaines revues spécialisées ont envisagé la possibilité d’un accident dans la zone « militaire » de la Société nationale des poudres et explosifs (SNPE) qui aurait pu avoir des répercussions sur le site AZF.)

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D’autres éléments viennent peu à peu renforcer l’hypothèse d’un attentat. Et contrairement à ce qu’on a dit, il y a eu plusieurs revendications.  Mais aucune n’a été prise au sérieux, car dans sa tanière, Ben Laden se tait. La piste de l’attentat est finalement abandonnée.

Pourtant, trois semaines plus tard, dans les gravats, à proximité du cratère de l’explosion (65 mètres de long), un CRS découvre un « exploseur  à condensateur » (la décharge d’un condensateur provoque la mise à feu). Mais ce n’est plus d’actualité. Les enquêteurs pensent que l’engin a été déposé après coup, pour détourner leur attention ou les mettre sur une fausse piste.

L’enquête s’oriente désormais vers l’accident. Et trois scénarios sont envisagés, avec des expertises souvent contradictoires :

– L’arc électrique : Un court-circuit dans le transformateur de la SNPE, située à proximité du site AZF, aurait « injecté » dans le sol une décharge d’une intensité de plusieurs milliers d’ampères, ce qui aurait provoqué l’explosion du nitrate emmagasiné dans le hangar 221.

– La théorie du gaz : Lors d’une opération d’entretien sur la zone de la SNPE, un gaz explosif se serait répandu dans les sous-sols et dans les égouts et se serait accumulé en formant des poches. Ensuite, à la suite d’une prémière explosion, il y aurait eu un effet domino jusqu’à l’usine AZF.

– L’accident chimique : On aurait mélangé incidemment un dérivé chloré à du nitrate d’ammonium et ce mélange aurait été déversé sur un tas de nitrate à l’entrée du hangar 221. Il aurait alors initié une détonation qui aurait fait exploser un deuxième tas de nitrate, plus important, entreposé dans le hangar principal.

Après plus de cinq ans d’une enquête dirigée par le juge Thierry Perriquet (celui de l’affaire Alègre), et un dossier de plus de 50.000 pages, on n’en sait pas plus.

Le procès qui démarre ce lundi 23 février est unique en son genre. C’est le plus grand procès correctionnel jamais tenu en France. Au banc des accusés, Serge Biechlin, le directeur de l’usine AZF, et la société Grande Paroisse, une filiale du groupe Total. Il sera présidé par Thomas Le Monnyer – et probablement filmé.

Va-t-on connaître la vérité ?

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La revue du Net :

– Les événements de l’année 2001 dans La petite histoire de la PJ, sur ce blog (ici)

– Un bon résumé avec des commentaires intéressants sur le blog de Sylvain Rakotoarison (ici)

– La théorie de l’attentat par Anne-Marie Casteret sur l’Express (ici )

– La théorie du gaz dans Valeurs actuelles (ici )

– Le récit d’un Toulousain dans La Dépêche (ici)

– La brochure de la société La Grande Paroisse au format pdf (ici)

– Deux journalistes, Frank Hériot et Jean-ChristianTirat, ont écrit un livre L’enquête assassinée, chez Plon. Je ne l’ai pas lu, mais il faut jeter un coup d’oeil sur leur blog (ici) : des éléments troublants et deux vidéos de France 3 et M 6.

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PS.  J’ai retiré la photo de l’exploseur siglée « Spéléo Secours français ». Elle était juste destinée à donner une idée de l’objet. Dans le contexte, cela pouvait être mal interprété. Avec mes excuses à la Fédération Française de Spéléologie et aux bénévoles qui constituent le Spéléo Secours Français.

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