LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Police (Page 13 of 34)

La police désenchantée

Alors que l’ancienne majorité présidentielle a fait bonne figure devant la défaite électorale, certains policiers ont du mal à passer la main. Cependant, l’aspect indéniablement politique des manifestations de ces derniers jours ne doit pas masquer la réalité : l’ensemble du corps est  inquiet. Beaucoup craignent une grande lessive.

Depuis dix ans, Nicolas Sarkozy a marqué les flics à la culotte, et il ne sera pas facile de se défaire de son fantôme. Pour reprendre le flambeau sans trop de bobos, le nouveau ministre de l’Intérieur devra donc faire preuve à la fois de doigté et de fermeté. Car ce que les flics attendent aujourd’hui, c’est une feuille de route précise.

En attendant, ces manifestations à répétition donnent une bien mauvaise image de la profession. D’autant que le prétexte n’est pas bon. Il manque de dignité. Si l’on peut comprendre la réaction des policiers lorsque l’un des leurs est tué ou blessé, l’affaire de Noisy-le-Sec est bien différente : un homme est mort, et ce n’était pas le flic. Quelles que soient les circonstances de ce drame, et même si les juges concluent finalement à la légitime défense, il n’en demeure pas moins que la victime est dans l’autre camp.

Cela ne justifie certainement pas cette revendication insensée sur la présomption de légitime défense. Il n’est peut-être pas inopportun de rappeler que si les policiers ont le droit de porter une arme, même lorsqu’ils ne sont pas en service, ce n’est pas pour se défendre, contrairement à ce que l’on entend ici ou là, mais avant tout pour assurer leur mission : défendre la sécurité et les biens des  honnêtes gens – qui eux n’ont pas le droit d’être armés. Et à cette supériorité factuelle sur le commun des mortels, certains voudraient ajouter l’immunité judiciaire… Quel symbole ont-ils donc d’une police républicaine !

Il ne faut pas confondre cette revendication jusqu’au-boutiste avec celle qui concerne la présomption d’innocence. Car là, effectivement, les policiers sont mal lotis. Souvent, lorsque l’un d’eux est mis en examen – donc, comme tout justiciable, présumé innocent – il est suspendu de ses fonctions. Il s’agit d’une décision administrative qui s’apparente bien à une sentence. En général, le fonctionnaire continue à percevoir son traitement de base, ce qui pour un policier représente grosso modo la moitié de son salaire habituel. Vous me direz, être payé pour ne pas travailler, ce n’est pas si inconfortable… Sauf que souvent, le montant des revenus est insuffisant pour faire vivre une famille, et que le statut de la fonction publique interdit d’exercer un autre emploi. Pire encore si, finalement, à l’issue de son affaire (quelques mois, quelques années…) il est révoqué, l’administration peut lui demander de rembourser les sommes qu’il a perçues durant le temps où il était suspendu.

Lorsqu’un policier fait l’objet d’une enquête judiciaire liée à l’exercice de sa profession, il serait simple et raisonnable de le muter dans un service sédentaire ou de le détacher provisoirement dans une autre administration. Et la sanction disciplinaire viendrait, éventuellement, après la décision judiciaire. Le policier ne serait donc pas puni avant d’avoir été jugé coupable et la société ne paierait pas un fonctionnaire à ne rien faire. Gagnant-gagnant.

Et puisqu’on parle là de poursuites judiciaires inhérentes à la fonction, la moindre des choses serait que le ministère de l’Intérieur prenne à sa charge les frais d’avocat. Car, même si la responsabilité pénale du policier est avérée, le crime ou le délit éventuel est bien une conséquence de son activité professionnelle.

En attendant, lorsque le nouveau ministre va débarquer Place Beauvau, il va trouver d’un côté une gendarmerie en ordre de marche, avec des propositions sérieuses, et de l’autre une police complètement déglinguée, engluée dans des revendications qui partent dans tous les sens. Et même si certains syndicats ont tenté de recadrer les récents mouvements de mécontentement, en y ajoutant de réelles revendications, comme la fin de la politique du chiffre et de la fonte des effectifs, on a nettement l’impression d’être dans le brouillard.

Lorsqu’on demande aux anciens quels sont les ministres de l’Intérieur qui ont marqué leur époque, deux noms émergent toujours : Pasqua et Joxe. Le premier était proche des policiers, le second a réorganisé la maison. Je me demande s’il en sera de même de Nicolas Sarkozy, lui qui a fait de la police son train électrique.

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Remerciement à Jean-Michel Sicot, photographe de presse, pour ces images tirées de l’un de ses reportages lors des dernières manifs.

La police s'invite dans la campagne présidentielle

Il n’y a pas si longtemps, le mari qui surprenait son épouse avec son amant dans le lit conjugal avait « le droit » d’abattre les deux. On appelait ça un « crime excusable ». L’ancien code pénal comptait d’autres perles du même genre qui permettaient de prendre une vie sans risquer une sanction. Au fil des ans, elles ont disparu. Mais les cas où la légitime défense est présumée acquise, eux, n’ont guère varié. Il y en a deux :

Donc, lorsque M. Sarkozy parle de présomption de légitime défense, que veut-il dire ? Qu’il faut ajouter un 3° alinéa à cet article, genre : la légitime défense est présumée si celui qui accomplit l’acte est un policier ? – Ce n’est pas très sérieux.

L’article 122-6 s’impose au juge. À lui, éventuellement, de démontrer le contraire. Dans les autres cas, c’est différent. La légitime défense n’est qu’une possibilité parmi d’autres. Et il s’agit d’un fait justificatif, pas d’une excuse.

Dans l’affaire de Noisy-le-Sec, comme il n’y a pas eu riposte, le magistrat doit répondre à la question suivante : le policier était-il menacé ou pas ? Il faut noter toutefois que la jurisprudence fait jouer depuis longtemps la « présomption de légitime défense » en faveur des policiers. Ainsi, pour les juges, en général, le moindre geste d’un individu qui tient une arme face à un représentant de l’ordre est interprété comme une menace.

En revanche, si ce policier a tiré sur le suspect alors qu’il prenait la fuite, il s’agit bien d’un meurtre. Au juge de vérifier les deux thèses. Cela s’appelle la justice. D’après Me Daniel Merchat, l’avocat du policier mis en examen, il faut lui laisser le temps de se faire une opinion dans un dossier qu’il aurait découvert au dernier moment. À le lire, une procédure d‘ailleurs bien mal ficelée (c’est un ancien commissaire de police) !

Après avoir lancé le ballon de la présomption de légitime défense, certains réclament à présent que les policiers aient les mêmes droits (?) que les gendarmes. Or, si ceux-ci peuvent faire usage de leur arme en certaines circonstances, autres que la légitime défense, c’est en tant que militaires et en vertu d’un texte basé sur des considérations du siècle passé. Peu à peu, d’ailleurs, la Cour de cassation restreint cette possibilité. Ainsi, dans l’affaire de Draguignan, où un gendarme avait tué un homme qui s’enfuyait, elle a cassé la décision de non-lieu. Le gendarme est passé devant une Cour d’assises, et il a néanmoins été acquitté. C’est aussi ça la justice : des magistrats de haut rang désavoués par un jury populaire. Toutefois, lors d’une arrestation classique, comme c’était le cas à Noisy-le-Sec, le gendarme doit lui aussi se plier aux règles de la légitime défense. On peut donc dire que cette revendication ne tient pas plus la route que la précédente.

Les policiers ont-ils le droit de manifester ? – Dans les années 70 (majorité de droite), alors que des syndicalistes manifestent leur mécontentement, leur défilé est ovationné par des ouvriers en grève. Le gouvernement y voit le signe précurseur d’un élan de solidarité entre travailleurs et policiers en colère. Résultat : plusieurs responsables syndicaux sont sanctionnés.

En 1983 (majorité de gauche), lors d’un banal contrôle d’identité, deux gardiens de la paix sont tués et un troisième grièvement blessé. Après la cérémonie à leur mémoire, un cortège défile sous les fenêtres de la Chancellerie en réclamant l’abandon d’un projet de loi sur la sécurité alors en cours de discussion : Le préfet de police démissionne, le directeur général de la police est remercié, huit policiers sont sanctionnés et deux représentants syndicaux révoqués pour « participation à un acte collectif contraire à l’ordre public ».

En avril 2012, sur l’avenue des Champs-Élysées, la vitrine de Paris, des policiers en civil ou en tenue manifestent contre la justice au rythme des gyrophares et des sirènes sous les caméras d’une chaîne de télé bien informée : le président de la République et le ministre de l’Intérieur les soutiennent dans leur action.

À se demander si le bateau a encore un capitaine… Décidément, cette campagne présidentielle n’en finit pas.

RAID : Tentative de débriefing

Christian Prouteau, le créateur du GIGN, critique l’opération du RAID. Robert Broussard, créateur de la Brigade anti-commando et initiateur du RAID, critique Prouteau. Tandis que l’ancien patron de l’Unité d’intervention de la police israélienne, Alik Ron, déclare sans ambages : « Toute l’opération ressemble à une démonstration de stupidité ».

Alors qui faut-il croire ?

Prouteau a raison sur un point : Il fallait tendre une souricière. Autrement dit organiser une planque et « sauter » Mohamed Merah au moment où il sortait de chez lui. Les risques n’étaient pas nuls, mais les chances de succès étaient importantes. Broussard, d’ailleurs, ne le reprend pas sur ce point. Il serait bien en peine, puisque c’est la technique que lui-même avait privilégiée pour arrêter Mesrine. Vous me direz, le résultat est le même dans les deux cas. Oui, mais pour Mesrine, aucun policier n’a été blessé.

Donc, c’est une première erreur. Ce n’est pas celle du RAID mais des autorités de l’État qui drivaient l’opération. Le problème, évidemment, c’est que cela pouvait prendre du temps. Mais probablement moins de 30 heures.

Donc, on a préféré la grosse artillerie. Avec ordre d’intervention en pleine nuit, après accord du juge des libertés et de la détention (Art.706-89 du CPP). Eva Joly n’a pas tort de dire qu’on agissait dans le cadre d’une opération de police judiciaire. L’autorité opérationnelle du ministre de l’Intérieur devait donc s’effacer devant celle des magistrats.

Mais ne chicanons pas.

Les  hommes du RAID donnent l’assaut. Peut-être à ce moment-là ont-ils un peu sous-estimé Mohamed Merah. Après tout, un jeune de 23 ans, seul dans un appartement, ils en ont vu d’autres… Ils se font cueillir sèchement. C’est là où survient, me semble-t-il, la plus grosse erreur : on leur enjoint de battre en retraite.

Or, ce qui différencie une opération militaire d’une opération de police, c’est que pour la police (ou la gendarmerie), il ne peut y avoir ni retraite ni reddition. C’est un principe républicain : force doit rester à la loi. On imagine la rage de ces policiers d’élite d’avoir à se replier alors que deux des leurs sont blessés…

On est donc à présent dans la situation où Merah sait qu’il est découvert et cerné. Si l’on se glisse dans sa peau, il a deux possibilités : se rendre ou mourir. Et l’on commence à négocier. Jusqu’à présent, j’avais cru comprendre que la négociation visait à sauver la vie des otages. Mais ici, pas d’otage. En fait, on négocie la vie de l’assassin présumé (fortement) de sept personnes. Normalement, une fois l’opération commencée, on la termine. Certes on fait tout pour éviter de tuer le suspect, mais si on se fait canarder, on riposte. Ça, ce n’est ni de gauche ni de droite, c’est dans la loi.

« Qui attend 30 heures quand il n’y a pas d’otage ? » interroge le policier israélien. Durant ces longues heures de siège, non seulement Merah roule les autorités dans la farine, en leur disant un coup noir un coup blanc, mais il s’organise, il se barricade. Et surtout, il tient la vedette dans tous les médias. Plus grave encore, s’il a des complices, il leur donne le temps de prendre le large et éventuellement de détruire les preuves.

Lorsque le nouvel ordre de donner l’assaut intervient, en haut lieu, on insiste de nouveau : Il faut le capturer vivant. C’est presque une insulte. Les policiers du RAID ne sont pas des tueurs. Au contraire, ils sont formés pour neutraliser les suspects. Et s’ils doivent tirer, ils ont suffisamment d’entraînement et de sang-froid pour viser des parties non vitales. Or, le chef du RAID a, d’après ses dires, doté ses hommes d’armes non létales. Ce qui a dû leur compliquer sérieusement la tâche lorsqu’ils se sont trouvés sous un feu nourri. Ordre ou pas, la réplique a été sévère. Je n’ai pas le souvenir d’une intervention où autant de cartouches aient été tirées dans un si petit espace !

Alors, cette opération est-elle une réussite ? Difficile de dire cela alors que le suspect a été criblé de balles et que cinq policiers ont été blessés. Dans la lettre que le chef du GIGN, le général Thierry Orosco, adresse au chef du RAID, le contrôleur général Amaury de Hautecloque, il conclut en disant : « Je compte sur toi pour nous faire part, au cours d’un débriefing, des enseignements que vous tirerez de cette opération. »

Je voudrais bien être une petite souris…

Mais le plus désastreux, dans cette histoire, c’est la vitrine médiatique que l’on a fournie à Mohamed Merah. Et lorsque l’on entend dire qu’il est mort comme il le souhaitait, les armes à la main, on frissonne. Pour certains extrémistes, ne pourrait-il pas devenir un symbole ?

Expulsions : petits arrangements policiers avec la loi

Aujourd’hui, les expulsions reprennent. Une fois sur dix, elles ont lieu avec le concours de la force publique. Pour les policiers, c’est un sale boulot. Et dans certains cas, c’est tout simplement insupportable…

Au mois d’octobre dernier, dans un commissariat de la banlieue parisienne, l’ambiance n’y est pas : il faut procéder à une expulsion. Dans cette commune ouvrière, comme on disait autrefois, du temps où il y avait du boulot, c’est monnaie courante. Et le plus souvent, ce sont les locataires des cités HLM qui sont visés. Mais là, ça ne passe pas. Cette femme que les policiers doivent jeter à la rue, ils la connaissent. Elle ne fait pas partie de ces fricoteurs qui utilisent toutes les ficelles pour ne pas payer leur loyer. Non, elle élève seule ses enfants et elle ne trouve que des emplois précaires et mal rémunérés. Au fil des mois, les quittances de son petit HLM se sont accumulées pour atteindre une somme qu’elle ne pourra jamais rembourser.

Tout a été fait selon les règles : commandement à payer, décision de justice, information au préfet (pour la demande de relogement : sans effet), commandement de quitter les lieux… Mais où voulez-vous qu’elle aille, cette femme ? Comme elle ne s’exécute pas, l’huissier demande l’assistance de la force publique. Certes, le préfet peut refuser, notamment pour assurer « la protection de la famille », mais il doit alors motiver sa décision et il engage fortement sa responsabilité, car le bailleur peut se retourner contre l’État.

Le commissaire a fait traîner au maximum, mais cette fois, c’est réglé. Le dossier est en ordre. Il faut exécuter la décision de justice.

Pourtant, il n’est pas satisfait. Et, près de lui, ses adjoints renâclent. Comme il entretient de bonnes relations avec le maire (de gauche), il décide une tactique que l’on n’apprend pas dans les écoles de police. L’air de rien, il va traîner ses guêtres dans les locaux de la mairie, et raconte, à qui veut l’entendre, l’histoire de cette femme qui va se retrouver dans la rue avec ses enfants, à la veille de l’hiver. Ses propos font boule de neige. À la mairie, personne n’est dupe, mais tous jouent le jeu.

Le lendemain matin, une douzaine de gaillards sont regroupés devant l’entrée de l’immeuble. Certains agitent des pancartes rédigées à la hâte : Non aux expulsions ! Des curieux s’agglutinent. Les voisins papotent. Lorsque l’huissier et les policiers débarquent, ce sont plusieurs dizaines de personnes qui sont rassemblées. La plupart sont des badauds et ne savent même pas de quoi il retourne, mais peu importe : il s’agit d’un attroupement. Dans ces conditions, il existe donc un risque de trouble à l’ordre public. Ce que le commissaire signifie à l’huissier qui, sans doute un peu complice, le mentionne dans son constat : l’expulsion est reportée sine die.

Il paraît que la pilule a été plus difficile à faire passer du côté de la préfecture. (Raison pour laquelle je ne donne pas le nom de cette ville.) En tout cas, cette mère de famille et ses enfants ont passé l’hiver sous un toit.

Bien sûr, le loueur doit encaisser ses loyers. Il n’est pas possible que certains paient et d’autres pas. Mais je me demande, dans la mesure où le « droit au logement opposable » s’applique aux personnes qui sont menacées d’expulsion sans proposition de relogement, s’il ne serait pas plus simple pour l’État (et peut-être pas plus cher), de prendre des arrangements financiers directement avec les organismes HLM. Ce serait autrement élégant. Je dis ça sans rien n’y connaître, d’autant que les textes sur le logement sont un véritable embrouillamini. En tout cas, la loi Boutin ne va pas dans ce sens puisque les départements ont abandonné la gestion des fichiers de demandeurs d’HLM au profit des seuls bailleurs.

Alors que le droit au logement a valeur constitutionnelle, l’État esquive.

Le printemps arrive. La trêve est finie. Je suppose que l’ordre de requérir la force publique pour expulser cette femme est déjà sur le bureau du commissaire, et les policiers vont devoir prêter main-forte à l’huissier de justice. C’est leur job. Mais je me dis qu’ils vont en avoir gros sur la patate.

Affaire Neyret : la procédure a-t-elle été bâclée ?

En tout cas, c’est ce que pensent les avocats. Ils ont saisi la Cour d’appel et demandent ni plus ni moins l’annulation du dossier. Les magistrats de la chambre d’instruction ont reporté au 5 avril prochain l’examen des différentes demandes. Ils pourraient les rejeter en bloc, invalider certains actes de la procédure ou, éventuellement, l’annuler en entier. Voilà de quoi faire rêver Michel Neyret dans sa cellule !

Cela semble toutefois peu probable. Il faut en effet se souvenir que l’affaire a été traitée par l’Inspection générale des services (IGS), donc (on l’espère) par des policiers d’un haut niveau procédural ; et par la Juridiction interrégionale spécialisée de Paris (JIRS), composée de magistrats triés sur le volet. On peut donc penser que le dossier est bien saucissonné.

À moins que…

Si l’on en croit Le Point qui, depuis le début, suit l’enquête de très près, certains éléments soulevés par les avocats semblent néanmoins sérieux.

Si j’ai bien compris, une grande partie des faits reprochés aux protagonistes de cette affaire repose sur des écoutes téléphoniques. Des écoutes capricieuses, à en croire Me Kaminski, l’avocat de Stéphane Alzraa (celui qui aurait fait profiter de ses largesses le commissaire Neyret).  C’est lui qui a porté la première estocade : son client a été entendu sur des écoutes téléphoniques qui n’étaient pas dans la procédure. Ce qui pose un vrai problème. Car on peut soit en déduire qu’il s’agissait d’écoutes administratives (donc en principe inutilisables en justice), soit que c’est le souk dans la procédure.

Je dois avouer que la deuxième version me plaît bien. Car, en fait, il est extrêmement difficile de s’y retrouver lorsqu’une douzaine d’individus sont placés sur écoute simultanément. Cela est vrai pour les policiers qui doivent faire la part des choses dans un flonflon de mots souvent anodins, et encore plus pour les juges qui, eux, doivent se faire une opinion sur des propos extraits d’une ou plusieurs conversations. Ainsi, lorsque les avocats relèvent que les premières écoutes téléphoniques sont antérieures à l’ouverture de l’information judiciaire, indéniablement, ils marquent un point. Il semblerait que ces enregistrements aient été effectués par la brigade des stups, alors qu’elle travaillait sur une autre affaire. Si c’est le cas, comme il s’agit d’éléments pouvant faire penser à un crime ou un délit qui ne concerne pas leur enquête, ils ne peuvent en faire état dans leur procédure. La bonne règle veut alors que l’on en avise le procureur qui juge de l’opportunité d’ouvrir une enquête préliminaire. Mais, dans le cas présent, les faits se passent à Lyon, le proc de Paris n’est donc pas « territorialement » compétent. Il doit passer le relais. Et s’il craint des fuites, car l’affaire pourrait mettre en cause des policiers, voire des magistrats, il lui reste la possibilité de saisir un service à compétence nationale, comme l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) ou un office central de la police judiciaire.

Or, la question que l’on se pose depuis le début de cette affaire, c’est pourquoi avoir saisi les policiers parisiens d’une affaire pour laquelle ils n’avaient pas compétence ? La question reste sans réponse. Mais le sentiment de nombreux policiers de province est double. Un, il y a eu méfiance des autorités vis-à-vis des policiers qui n’appartiennent pas au sérail (la PP) ; deux, l’IGS sait montrer beaucoup de « souplesse » dans ses enquêtes. Opinion renforcée par des affaires récentes, comme celle du trafic supposé de titres de séjour ou même l’affaire des fadettes d’un journaliste du Monde.

Me Kaminski, a donc aujourd’hui beau jeu de dire que les critères de compétence du parquet et du juge d’instruction n’ont pas été respectés, « puisqu’aucune des infractions n’a été commise à Paris, aucun des suspects n’y réside et qu’ils ont tous été interpellés en province ».

Cela suffit-il à faire tomber la procédure ? Pour les avocats du commissaire Christophe Gavat, l’ancien chef de la PJ de Grenoble, la question ne se pose même pas, car ils se demandent encore pourquoi leur client a été mis en examen. Pour eux, le dossier est vide.  Le policier est soupçonné d’avoir détourné des scellés (de drogue), à la demande de Michel Neyret, afin de rétribuer des indicateurs. L’air de rien, lors de son arrestation, France 3 a rappelé que ce commissaire atypique (il veut être comédien), lorsqu’il était en poste à Perpignan, a arrêté le maire UMP de Saint-Cyprien, lequel s’est suicidé en prison. Et que dans une affaire de trafic de cocaïne, il a également mis en garde à vue un autre élu de ce parti politique. « Le fait qu’il se soit attaqué à des notables de l’UMP peut-il expliquer les déboires qu’il connaît aujourd’hui ? » s’interroge innocemment le journaliste.

Cette histoire peut-elle avoir un lien avec les idées politiques des uns ou des autres ?  Je ne veux pas le croire. Mais si Michel Neyret et ses collègues avaient eu le « bon » profil, les enquêteurs auraient peut-être reçu la consigne d’y aller avec des gants… Alors que là, le directeur central de la PJ leur a tenu la tête sous l’eau, tandis que des fuites dans la presse faisaient monter la pression. Et, dès la fin de sa garde à vue, Michel Neyret a été suspendu par le ministre de l’Intérieur. « Il ne faut jamais faire quoi que ce soit d’illégal », a virilement déclaré Claude Guéant sur France 2. Depuis, d’autres policiers ont eu un traitement moins ferme.

Alors ce dossier, vide, bâclé ou solide ? Je n’en sais rien. Il faut attendre la décision de la chambre d’instruction de la Cour d’appel. Et dans quelques mois, ou des années, la justice passera, et nous saurons peut-être si autre chose se cachait derrière l’apparence des faits. Mais avec le temps, cela n’intéressera plus personne.

Vers une chasse aux sorcières dans la police ?

Dans un article du 14 février 2012, Le Monde pose le problème de la reprise en main de la police en cas de victoire de François Hollande à la Présidentielle. La question vaut d’être posée, car, ces dix dernières années, la police a fortement été marquée par Nicolas Sarkozy. Au premier abord, on peut se dire que les mal-pensants ont été depuis longtemps écartés et que les postes clés sont aujourd’hui tenus par des fidèles, mais les réformes entreprises sont plus profondes. Il y en a eu des bonnes. Et d’autres plus discutables, comme la création de la DCRI ou le rattachement de la gendarmerie à l’Intérieur. En tout cas, il ne faudrait pas tout casser, comme dans le passé…

En 1981, beaucoup de policiers, comme moi, attendaient un grand chambardement. Nous pensions que notre Maison valait mieux que les copinages, les réseaux ou autres petits arrangement, et qu’il y avait là un beau défi pour la gauche : rabibocher les Français avec leur police.

Quelle déception !

Cette année-là, le 19 mai, Valéry Giscard d’Estaing nous dit au revoir. Il nous fait le coup de la chaise vide. Ce sera un adieu. Son successeur, lui, prépare son investiture. Avec le réalisateur Serge Moati et le comédien Roger Hanin, François Mitterrand met la dernière touche à son périple dans les galeries du Panthéon : des roses rouges et une musique de Beethoven. Un grand spectacle populaire. Mais dans les jours qui ont précédé ces événements, l’effervescence était ailleurs. Dans les ministères la consigne était de faire place nette. Ainsi, à Beauvau, on a assisté à un va-et-vient de mystérieux « déménageurs ». Enfin, n’exagérons pas, rien à voir avec les convois de camions de Mai-68. À cette époque, dans la crainte d’un coup d’État, ce sont toutes les archives secrètes de la rue des Saussaies qui avaient alors quitté le ministère.

Si, si, nous sommes bien en République ! Celle de Coluche qui, candidat pour rire, avait lancé son slogan de campagne : « Jusqu’à présent la France était coupée en deux, avec moi, elle sera pliée en quatre. »

Il n’y aura pas de chasse aux sorcières annonce Gaston Defferre, avant même de prendre ses fonctions. N’empêche que certains serrent les fesses. Au SAC, le fameux Service d’action civique cher à Pasqua, c’est l’affolement. Et si on déterrait de vieilles affaires ! Dans une sorte de soubresaut, quelques gros bras envahissent la demeure du sous-brigadier de police Jacques Massié, à Auriol. Ils le soupçonnent d’avoir viré à gauche. Ils tuent toute la famille. Le SAC est dissous l’année suivante et les six hommes du commando sauvent probablement leur tête grâce à Robert Badinter qui, entre temps, a fait adopter la loi contre la peine de mort.

Defferre se veut grand seigneur. Toutes les décisions seront prises, assure-t-il, en concertation avec les syndicats. Dans la police, on rêve… Douche froide, le nouveau locataire de l’Élysée congédie les policiers pour les remplacer par des gendarmes – qui, eux, n’ont pas de syndicats. Et, un peu plus tard, il créera la fameuse cellule élyséenne dont les principaux responsables, bien des années après, passeront en justice pour avoir pratiqué des écoutes illégales.

Le nouveau ministre s’entoure de Maurice Grimaud, le préfet de police de Mai-68, de Bernard Deleplace, le secrétaire général de la Fédération autonome des syndicats de police (FASP), et de Frédéric Thiriez (qu’il n’a sans doute pas choisi), un jeune énarque, originaire du nord de la France, comme le premier ministre Pierre Mauroy,

L’état de grâce ne dure pas longtemps. Le 6 octobre, Gaston Defferre, dans un discours à l’Assemblée nationale, accuse les policiers de racisme. Le syndicat des commissaires réagit sèchement. D’autant que les cadres de la police sont dans le flou. Ils se plaignent de ne pas recevoir de consignes précises. La boutique tourne à vide. En fait, on ne sait pas trop qui commande. Le 3 novembre, à Lyon, le brigadier Guy Hubert est tué par des braqueurs. Mouvement de colère lorsque l’on apprend que les auteurs appartiennent à Action directe, dont deux membres importants (Rouillan et Ménigon) ont été amnistiés peu avant par le président de la République. Le ministre de l’Intérieur est violemment pris à partie lors des obsèques du policier lyonnais. Peu après, il remet une décoration à l’un des collègues de la victime, qui lui n’a été que blessé, et il lui dit : « Vous, au moins, vous avez de la chance, vous êtes blessé et décoré. »

L’ambiance se détériore. Le jeu de chaises musicales va commencer. Marcel Leclerc, le patron de la brigade criminelle, est proposé pour la place de sous-directeur à la PJ-PP. Mais les syndicats de gauche l’estiment trop à droite. Ils font barrage. Defferre recule et lui propose alors de prendre la direction du SRPJ de Marseille. Leclerc refuse. François Le Mouel, le directeur de la PJ parisienne, menace de démissionner. La tension grimpe au 36. Defferre affirme que cette décision n’a rien à voir avec les opinions politiques du commissaire. Finalement, Leclerc est affecté à l’IGPN, le cimetière des éléphants. Du coup, Olivier Foll, son adjoint, renonce à prendre la tête de la brigade criminelle. C’est une jacquerie. Pour couronner le tout, François Le Mouel, l’un des rares grands chefs de la police qui affiche des idées socialistes, met ses menaces à exécution. Il démissionne. Un bras… Defferre, qui se transforme en bras d’honneur.

Les deux années suivantes sont des années noires. La majorité de gauche tiraillée entre son désir de s’émanciper du tout-répressif et la réalité au quotidien : crimes, délits, terrorisme, etc., ne parvient pas à trouver le point d’équilibre. Tandis que la plupart des chefs de service font le dos rond, et s’accrochent à leur fauteuil, les opportunistes jouent des coudes, et les bannis du gouvernement précédent règlent leurs comptes. Ceux qui se contentent d’être flics, la grande majorité, assistent désabusés à la démolition de leur maison, attendant en vain qu’à l’horizon un sage se profile et leur donne enfin une feuille de route.

Pour récupérer le coup, Pierre Mauroy nomme en catastrophe un secrétaire d’État pour la police, Joseph Franceschi. Celui-ci appelle à ses côtés l’ancien patron de la FASP, Gérard Monate. Ce sera son conseiller technique. Du coup, la Fédération est omniprésente dans toutes les décisions. La Franc-maçonnerie aussi.

Mais derrière les hommes de lumière il y a aussi les hommes de l’ombre. En effet, sur le trottoir d’en face, d’autres tirent les ficelles. En apparence, c’est le directeur de cabinet de l’Elysée, Gilles Ménage, qui mène le jeu. Mais il est probable qu’en arrière plan, Michel Charasse et le secrétaire général, Jean-Louis Bianco, sont les véritables chefs d’orchestre. Lorsque les choses vont se tendre, Frédéric Thiriez, servira de fusible. Fort opportunément, la DST sort alors un dossier sur son passé trotskyste, et, dans la foulée, on parle aussi de ses relations avec une personne proche du Canard Enchaîné. Exit Thiriez.

Le 31 mai 1983, tandis que l’Assemblée nationale examine en deuxième lecture l’abrogation de la loi « sécurité et liberté », jugée « liberticide », à Paris, un banal contrôle d’identité se transforme en drame. Deux gardiens de la paix sont tués, Émile Gondry et Claude Caïola. Un troisième, Guy Adé, est très grièvement blessé. C’est la goutte d’eau. La fronde menace. Quelques jours plus tard, lors de la cérémonie à la mémoire de ces hommes, dans la cour de la Préfecture de police, Gaston Defferre et Joseph Franceschi sont accueillis par des huées et des coups de sifflet. Puis, spontanément, les policiers décident d’aller manifester devant le palais de Justice. Au fil du parcours, le cortège grossit. Ils sont trois ou quatre mille en arrivant place Vendôme. La Chancellerie est gardée par deux escadrons de gendarmes mobiles et quelques dizaines de gardiens de la paix. Ceux-ci mettent képi bas devant leurs collègues. Le Garde des sceaux, Robert Badinter, déclarera plus tard sur Europe 1 que, depuis la fenêtre de son bureau, alors que les policiers entonnaient La Marseillaise, il les a nettement vus, le visage défiguré par la haine, lever le bras « dans un geste qui lui a rappelé les tristes souvenirs de son enfance ». Une déclaration étonnante pour un homme d’une telle culture. Bilan de cette journée noire : le préfet de police démissionne, le directeur général de la police est remercié, un policier est mis en retraite d’office, sept sont suspendus, et deux représentants syndicaux sont révoqués pour « participation à un acte collectif contraire à l’ordre public ». C’est la plus grave atteinte aux libertés syndicales depuis la triste époque de l’occupation allemande.

Lorsque Defferre et Franceschi quittent la place Beauvau, en 1984, la police est KO debout. Heureusement, Pierre Joxe, le successeur sera à la hauteur.

« Il y aura des changements à opérer », confie François Rebsamen dans cet article du Monde. « Il ne s’agit pas de descendre trop bas dans la hiérarchie, ni de faire un grand chambardement. Mais ceux qui ont impulsé des comportements peu républicains ou des pratiques professionnelles éloignées de l’esprit républicain doivent être remplacés. Il faudra redonner confiance à l’ensemble des préfets ».

La confiance ! Oui, aux préfets aussi… Mais n’oubliez pas, Monsieur le futur ministre de l’Intérieur, que les policiers ne sont efficaces que par leur initiative. Et l’initiative ne se commande pas, elle s’encourage.

Du petit cadeau à la corruption

« Il n’y a aucune preuve contre moi… », a dit M. Éric Woerth, à la suite de sa mise en examen pour deux délits qui visent des faits liés à sa carrière politique. Il a peut-être raison, car les infractions qui consistent à user de son influence pour obtenir un service, un avantage, voire de l’argent, sont parmi les plus difficiles à réprimer. Qu’il s’agisse de corruption ou de ces délits dits d’atteinte à la probité, comme le trafic d’influence, le favoritisme, le détournement de fonds publics, etc. D’autant que dans ces affaires, les protagonistes sont d’accord entre eux et chacun y trouve son compte. Non seulement il n’y a pas de victime « physique », mais, le plus souvent, tous les participants tombent sous le coup de la loi. Donc, aucun n’a intérêt à dévoiler le pot aux roses.

Si, la plupart du temps, ces dossiers sont mis à jour par des journalistes, ils ne peuvent aboutir que par la pugnacité de certains juges d’instruction. En d’autres temps, Mme Eva Joly disait d’ailleurs que ces enquêtes (je crois qu’elle parlait de l’affaire Elf) ne pourraient pas sortir dans un système judiciaire du type accusatoire. Et même l’avocat général Philippe Bilger, qui voulait « achever le juge d’instruction », a fait machine arrière, déclarant dans Marianne2 : « Je n’ose imaginer ce qu’aurait été la justice actuellement si nous n’avions pas des juges d’instruction… »

Ces infractions sont liées au pouvoir. Elles ne concernent pas que les élus ou les membres du gouvernement, mais tous les gens qui détiennent une parcelle de pouvoir – comme les fonctionnaires. À noter qu’une loi de juillet 2005 a introduit la corruption privée dans le Code pénal.

L’agent public est soumis à une obligation de moralité qui lui interdit d’accepter un cadeau susceptible de mettre en doute son impartialité ou sa probité. S’il passe outre, il peut tomber sous le coup de la loi. Pourtant, tout est dans la mesure. Il ne viendrait à l’idée de personne de chercher des poux dans la tête au facteur qui sonne à notre porte, en fin d’année, pour « vendre » ses calendriers ? Certains pays, notamment en Afrique, interdisent aux fonctionnaires d’accepter le moindre cadeau, alors que d’autres, comme la Suisse, admettent le « cadeau de peu de valeur offert par courtoisie » (canton de Berne). Le code de déontologie américain donne, lui, toute une liste de petits cadeaux que le fonctionnaire peut accepter. Alors que pour le voisin canadien, tout présent doit être retourné au donateur ou à l’État.
« Par essence, si le cadeau est banalisé, voire systématisé, cela signifie que le système en lui-même est corrompu », dit Frédéric Colin, Maître de conférences à l’Université Paul-Cézanne à Aix-en-Provence (Actualité juridique – Fonctions publiques, chez Dalloz).

Pour le policier français, la bonne règle voudrait qu’il n’accepte aucun cadeau ni aucune récompense. Il n’est pourtant pas inhabituel que la victime d’un vol, par exemple, tienne à montrer sa reconnaissance aux enquêteurs qui ont retrouvé ses bijoux, ses tableaux… C’est ainsi que l’ancien Orphelinat de la police (aujourd’hui Orpheopolis) a reçu parfois des donations d’une valeur assez inhabituelle. Je me souviens d’une anecdote… Le producteur de la série télévisée du Commissaire Moulin avait obtenu l’autorisation (rare) de tourner quelques séquences dans la cour mythique du 36. Et, pour remercier, il avait pris l’initiative de faire parvenir au directeur de la PJ une caisse de champagne. Celle-ci lui avait été retournée avec un mot sec, du genre : Un policier n’accepte pas de cadeau. Tout le monde n’a pas forcément le charisme de M. Jean-Pierre Sanguy, puisque c’est de lui dont il s’agit. Pour la petite histoire, c’est ce même personnage qui, quelques années auparavant, dans une affaire dramatique qui avait sérieusement perturbé la brigade antigang de Nice, et qui s’était traduite par la mort d’un jeune gardien de la paix, avait écrit au magistrat pour lui demander d’être inculpé au même titre que ses hommes. Alors que l’information judiciaire avait été ouverte pour assassinat.

Et, lorsqu’on se tourne vers la presse, le quatrième pouvoir, les choses ne sont pas plus évidentes. Si la plupart des rédactions mettent en commun les cadeaux que les journalistes reçoivent, c’est à l’initiative de chacun. Je crois savoir que cela se passe ainsi au Monde, notamment pour les livres envoyés par les éditeurs. Dans un autre journal, en fin d’année, une amie a reçu une caisse de bons vins. Situation embarrassante, lorsqu’on a le code de déontologie comme livre de chevet… Difficile de retourner le présent sans froisser le donateur. Discrètement, elle a fait suivre la caisse au comité d’entreprise. J’espère qu’ils en ont fait bon usage… Mais quid de ces voyages de presse offerts par des annonceurs publicitaires ! Ou de ces journalistes ou pseudo-journalistes qui chaque année figurent sur la liste de la promotion à la Légion d’honneur ! Il n’y a pas de honte, disent certains, à accepter une médaille. Et pourtant, M. Woerth est bien soupçonné d’avoir utilisé ce stratagème pour faire embaucher son épouse par Patrice de Maistres, le gestionnaire de la fortune de Liliane Bettencourt. Heureusement, certaines journalistes ont une autre opinion de leur métier. Comme Françoise Fressoz et Marie-Ève Malouines qui en janvier 2009 ont refusé cette distinction.

Pour les fonctionnaires, les limites entre le pénal et l’administratif sont parfois bien floues. Ainsi, lorsque l’on nous dit que le commissaire Michel Neyret s’est fait offrir un voyage au Maroc, que faut-il en penser ? Eh bien, s’il a accepté ce cadeau en échange ou en remerciement d’un service, c’est de la corruption passive (corruption active pour le corrupteur). Mais s’il n’existait aucune contrepartie à ce cadeau, alors, cela ne regarde pas le juge. Il s’agit d’une faute qui entraine une sanction administrative.

Pas facile de démêler l’écheveau. Et il faut bien reconnaître que la France est un peu à la traîne pour lutter contre la corruption. D’autant que la prolifération du « Secret défense » a encore compliqué les choses. Le FBI, par exemple, n’hésite pas à utiliser tous les moyens pour parvenir au flagrant délit. La preuve absolue en la matière. Chez nous, il n’y a guère d’exemple. L’affaire Schuller, peut-être, en 1995. Dans laquelle, une information recueillie par le juge Éric Halphen a permis aux enquêteurs de surprendre une remise de fonds de la main à la main. Il s’agissait, on s’en souvient, de l’affaire des HLM de la Ville de Paris (résumé sur Wikipédia). La création de la brigade centrale de lutte contre la corruption (BCLC) date seulement de 2004. Mais, à ce jour, on ne lui a jamais donné les moyens suffisants pour être véritablement performante. Elle compterait cinq fois moins d’enquêteurs que son équivalent en Belgique. Pire, ces dernières années, la sous-direction des affaires économiques et financières a plus ou moins été démantelée. Bien sûr, il y a Tracfin. Mais ce service ne brille pas par sa transparence. D’ailleurs n’est-il pas assimilé à un service secret ? Je pose seulement la question… Transparence International France remarque que seulement deux condamnations mineures ont été prononcées à ce jour au titre de la Convention sur la corruption entrée en vigueur il y a dix ans. Alors que dans le même temps, l’Allemagne a prononcé 42 condamnations et les États-Unis, 88.

Alors, soit nous sommes un pays particulièrement vertueux, soit, malgré les effets de manche et les mouvements d’épaule, la volonté politique n’y est pas.

Le miracle de la petite fille du manège

Lorsqu’on parle de la police, on pense arrestations, gardes à vue, P-V, etc. Mais la police, c’est aussi l’histoire d’Églantine.

Elle a 7 ans et demi. L’autre samedi, grimpée sur une moto miniature, elle devait rire aux éclats sur ce manège du Jardin d’acclimatation, à Paris. Comme tous les enfants de son âge. Soudain, son écharpe se coince dans les rayons de l’une des roues. Tout va très vite. La petite fille s’étrangle. Deux promeneurs surprennent la scène. En un clin d’œil, le manège est arrêté. Ils se précipitent vers l’enfant. L’un est médecin, l’autre pompier: bouche à bouche, massages cardiaques… Six minutes plus tard, les pompiers de Paris sont sur place et, sept minutes après, le médecin du SAMU arrive à son tour.

Un flash d’urgence tombe sur les portatifs des policiers. Pour l’heure, certains font la chasse aux vendeurs à la sauvette qui proposent des « Tour-Eiffel » souvenirs aux touristes du Champ-de-Mars. Le genre de mission que les policiers n’apprécient pas beaucoup. Mais, depuis le vote de la LOPPSI 2, c’est un délit fermement pourchassé (6 mois de prison et/ou 3 750 € d’amende). Plusieurs milliers de ces vendeurs de porte-bonheur ont d’ailleurs été interpellés l’année dernière.

Mais les messages crépitent et prennent vite une tournure dramatique. Les policiers abandonnent leur mission. Ils sont un peu loin, mais peu importe. Ils foncent sur les lieux de l’accident. Au cas où… Lorsqu’ils arrivent, tout le monde s’affaire, pourtant le médecin a le front sombre : impossible de ranimer la petite fille. Il faut la transporter à l’hôpital de toute urgence… Les motards sont commandés. Sirènes hurlantes, ils ouvrent la circulation. L’escorte fonce dans Paris. Des policiers prennent les parents en charge, et, dans la voiture qui suit le convoi, durant le trajet, ils les rassurent et tentent de leur donner confiance. Les autres, ceux qui restent sur place, recueillent des témoignages et se livrent aux premières constatations… En fait, ils n’auraient pas besoin d’être si nombreux, mais ils ont du mal à partir. Ils attendent des nouvelles.

Il faut 15 minutes à l’ambulance pour parvenir à l’hôpital du Kremlin-Bicêtre. Un sacré challenge pour les motards, un samedi après midi, sur le périphérique humide ! Les urgentistes ont été prévenus. L’enfant est prise en charge sans attendre. Tout est prêt. Hélas ! Il n’y a guère d’espoir. Impossible de la ranimer. Son pronostic vital est engagé.

On sait ce que cela veut dire…

Et, mardi dernier, miracle ! Contre toute attente, Églantine sort du coma.

Le papa est venu au commissariat pour annoncer la bonne nouvelle et remercier tout le monde. Un grand moment d’émotion parmi les policiers.

Aujourd’hui, c’est à peine croyable !… Églantine a quitté l’hôpital. Elle marche, elle parle et elle a des réactions normales. Elle est juste un peu fatiguée.

 

La déferlante des drogues de synthèse

Les policiers canadiens les appellent les drogues de dernière génération. Ils en saisissent beaucoup. Des tonnes. « Cuisinées » dans des laboratoires de fortune, mais parfois aussi produites de manière quasi industrielle, elles sont en grande partie destinées à l’exportation. Les « cocktails de drogues » ainsi réalisés sont chargés sur des camions ou noyés dans le fret aérien, et partent aux quatre coins de la planète : États-Unis, Australie, Nouvelle-Zélande, Japon, et aussi Europe. En très peu de temps, le Canada est devenu la plaque tournante des drogues de synthèse. Quant à la consommation locale, il semble qu’elle concerne plutôt les jeunes. Ils la privilégieraient à la cocaïne, à l’héroïne et même au haschich.

La France n’est pas épargnée. Pour l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), ces drogues seraient apparues d’une manière conséquente il y a seulement quelques années. La première a été identifiée en Europe en 2005 (par un laboratoire français) : la MDHOET (ou N-hydroxyethyl MDA). Leur succès tient à la similitude des effets par rapport aux drogues plus traditionnelles. Mais, si leur structure moléculaire se rapproche des amphétamines, de la cocaïne, etc., elle n’est cependant pas tout à fait identique. Et de ce fait, elles échappent à la législation sur les stupéfiants – du moins jusqu’au jour où elles sont identifiées. Ce qui demande du temps et des moyens. Il existe une collaboration entre les différents laboratoires au niveau national et européen, via le Système d’Alerte Précoce (Early Warning System : EWS). Les informations sont dispatchées par Eurotox qui se trouve à la tête d’un système de diffusion du type pyramidal. Après l’avoir repérée, il faut environ six mois pour inscrire une substance psychoactive au tableau des stupéfiants.

Si les drogues répertoriées sont systématiquement saisies et placées sous scellés, une note de la DGPN rappelle que des prélèvements de produits présumés stupéfiants sont également possibles, notamment pour alimenter la base de données nationale. Ils ne peuvent toutefois être utilisés dans une procédure judiciaire.

En 2008, une enquête nationale, concluait que les drogues de synthèse étaient encore ignorées des jeunes de 17 ans. En revanche, la méphédrone (surnommée depuis « miaou miaou »), était déjà prisée dans certains cercles d’initiés, gays en particulier. Ces effets stimulants, de type ecstasy, étant particulièrement recherchés lors de débauches sexuelles. Pour faire simple, on peut dire que c’est la drogue des partouzards. Elle a été classée dans les produits stupéfiants en juin 2010. Mais il n’était pas difficile de s’en procurer sur le Net, où elle se présentait sous diverses étiquettes : sels de bain, engrais… Sa fabrication et sa commercialisation ont finalement été interdites par décision des ministres de l’Intérieur de l’U-E, il y a environ un an.

Dans ce domaine, les choses vont très vite. Ainsi, dans un article du Figaro de mars dernier, le commissaire Lucas Philippe, responsable de la division du renseignement et de la stratégie au sein de l’Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (OCTRIS), déclarait qu’aujourd’hui, les jeunes de 18-20 ans étaient « particulièrement concernés ». Il faut dire que le prix et la facilité d’usage rendent ces petites pilules bien attrayantes…

En matière de drogue, le besoin crée le business. Il est tellement facile de se procurer les ingrédients sur l’Internet, que l’on pourrait bientôt voir, chez nous, des coins de cuisine se transformer en labo de fortune. Si ce n’est déjà le cas. D’autant que les services de la douane sont maintenant sensibilisés au problème : l’importation devient plus risquée. L’année dernière, les saisies frontalières ont explosé les statistiques.

Mais à ce jour, rien à voir avec le Canada. Là-bas, les drogues de synthèse sont devenues un enjeu des différentes mafias. Avec des laboratoires parfois dissimulés au sein même d’entreprises qui ont pignon sur rue. Un peu comme dans la série télévisée américaine Breaking bad, dans laquelle le petit professeur de chimie du Nouveau-Mexique est récupéré par les narcotrafiquants pour une production de masse. Du coup, la gendarmerie royale canadienne (GRC) a mis en place une unité pour surveiller les courtiers en produits chimiques et détecter ceux qui alimentent les circuits mafieux. Et une section spéciale a également été créée pour lutter contre les drogues synthétiques.

Bizarrement, notre gouvernement, pourtant prompt à dégainer, n’a pas vraiment réagi devant cette menace. Et pourtant, les drogues de synthèse sont autrement plus dangereuses que le cannabis. Elles sont tellement différentes de l’une à l’autre que le consommateur ne sait jamais ce qu’il ingurgite. Comme on peut le voir dans la liste (partielle) tirée d’un rapport canadien de 2008. On y trouve même parfois du Sildénafil, c’est-à-dire du Viagra. Or ces molécules, utilisées dans les médicaments, ont toutes des effets indésirables, voire contradictoires. Et peuvent entraîner notamment des troubles cardiaques. Autrement dit, quelle que soit la couleur de ces petites pilules, le simple fait d’en avaler une revient à jouer à la roulette russe…

Dans n’importe quelle commune de la banlieue parisienne, la moitié de l’activité judiciaire des policiers  vise des affaires de stupéfiants. Pour une grande part, le cannabis. Je peux me tromper, mais la déferlante des drogues de nouvelle génération va probablement bientôt toucher notre pays. Et, pour être pragmatique, il faudra alors faire un choix entre la poursuite judiciaire du petit fumeur de joints et la protection de la santé publique – et surtout de notre jeunesse. Le débat sur la dépénalisation du cannabis  pourrait alors ressembler à un combat du passé.

Faut-il démanteler la DCRI ?

La direction centrale du renseignement intérieur, c’est un peu le fait du prince. Créée par la seule volonté du président Sarkozy, sur les conseils forcément autorisés d’on ne sait trop qui, à ce jour, elle n’a pas réussi à convaincre. Pire, elle draine la suspicion. Sa première affaire, l’arrestation spectaculaire, au fin fond de la Corrèze, de Julien Coupat et de son équipe de pseudo-terroristes, restera dans les annales. Une enquête, affirmait alors sans rire le ministre de l’Intérieur (Mme Alliot-Marie), effectuée en collaboration avec les services secrets américains et ceux de plusieurs pays d’Europe, qui a mis à mal une « structure à vocation terroriste ». Et aujourd’hui, une affaire qui semble en déliquescence. D’autant qu’une information judiciaire a été ouverte pour faux en écriture publique, en raison d’un procès-verbal de surveillance peut-être bidonné. Et une seconde, par un juge de Brive-la-Gaillarde, pour des écoutes sauvages mises en place sur le bar-épicerie que tenaient les « terroristes ».

On pourrait se dire qu’il s’agissait d’une mise en jambes… Sauf que si le service était tout récent, les policiers, eux, ne manquaient pas d’expérience. C’est donc l’organisation même qui a failli. Trop proche du pouvoir politique, diront certains.

C’est sans doute l’avis du député Jean-Jacques Urvoas. Dans une étude de trente pages, que l’on peut télécharger sur le site de la fondation Jean Jaurès, Il revient sur la suppression de la direction de la surveillance du territoire (DST) et des renseignements généraux (DCRG). Une réorganisation effectuée à l’emporte pièces, sans aucune étude préalable, supprimant d’un coup des services qui marchaient bien, même si tous deux ont connu parfois quelques trous d’air. Avec un objectif principal : centraliser le renseignement « fermé », c’est-à-dire secret, voire protégé par l’estampille « secret-défense ». Les RG de Paris, qui dépendent du préfet de police, sont d’ailleurs restés en dehors de la réforme. Même si l’on a changé leur nom : les RGPP sont devenus la DRPP (direction du renseignement de la préfecture de police).

Pour le reste de la France, la direction des renseignements généraux a été dissoute pour faire place à une sous-direction de l’information générale (SDIG) rattachée à la sécurité publique. Perdant au passage plus de la moitié de ses effectifs. Rappelons que si les RG avaient souvent mauvaise presse dans l’opinion publique, aucun gouvernement, ni de droite ni de gauche, n’avait pris jusqu’ici le risque de s’en passer. Ils étaient un peu le thermomètre de la société. La SDIG, qui les a remplacés, a-t-elle les moyens de suivre les difficultés de la population, des entreprises, des commerçants, des administrations… ? En fait, avec cette réforme, il semble bien que nos dirigeants se soient coupés de la France profonde. Ils sont à présent souvent dans l’impossibilité de prévoir une fermeture d’usine, un mouvement social…, ou tout simplement de prendre le pouls d’une cité de banlieue.

Quant à la gendarmerie nationale, qui excelle dans le domaine du renseignement « ouvert », après une période de flottement, elle a finalement relancé son activité dans ce domaine. Ce qui entraîne une compétition gendarmerie-police qui va à l’encontre de l’objectif fixé par le rapprochement de ces deux grands corps de l’État.

« Comment se fait-il qu’à l’heure actuelle, demande M. Urvoas, en pleine crise économique, aucune synthèse ne vienne centraliser les notes alarmistes qui remontent des services territoriaux, annonçant la fermeture imminente en cascade d’entreprises et d’usines ? » Et de quand date la dernière synthèse nationale sur les violences urbaines ? Le député socialiste propose plusieurs pistes de réflexion pour « reconstruire » le renseignement social, dont la création d’une direction générale. Peu importe les modalités, le plus important, me semble-t-il, tient dans le titre même de la note : Rebâtir le renseignement de proximité.

Et, comme cela suppose des moyens en hommes et en matériel, il est probable que l’on déshabille la DCRI. En deux mots, on reviendrait peu ou prou à la case départ. En essayant de faire mieux, mais en se disant aussi que cela ne marchait pas si mal avant.

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