Au moment où Maurice Agnelet (qui se fait appeler Jean-Maurice Agnelet) est jugé une troisième fois pour l’assassinat d’Agnès Leroux, on peut se demander si l’embrouillamini juridico-policier qui a précédé ce nouveau rendez-vous devant la justice peut se reproduire de nos jours.
En 1967, au décès de son père, Agnès Le Roux a hérité (entre autres) d’une partie des actions qu’il détenait dans le casino Le Palais de la Méditerranée, à Nice. Or, Le Palais, comme disaient les habitués, fait baver d’envie un certain Jean-Dominique Fratoni, alias Jean-do. Ce dernier, avec le soutien du maire, Jacques Médecin, vient en effet de créer le casino Ruhl, mais son ambition ne s’arrête pas là. Pourtant, malgré une situation financière difficile, Madame Renée Le Roux n’entend pas céder aux pressions de son concurrent. Agit-elle ainsi en fonction de son tempérament de bagarreuse ou répond-elle aux dernières volontés de son mari… On ne sait pas. Ce qu’on sait, c’est qu’elle n’a pas un bon feeling avec sa fille. Celle-ci, rejette en bloc, l’argent, les jeux, le pouvoir… et sa mère. En un mot, c’est une fille à papa. Pour marquer la rupture, en juin 1977, elle décide de vendre à Fratoni son droit de vote dans la société qui gère Le Palais. Et elle encaisse un chèque de trois millions de francs. (Ce qui correspondrait de nos jours à environ 1.5 million euros.) Enfin, quand on dit elle encaisse, ce n’est pas tout à fait vrai. Elle le dépose en Suisse, sur un compte ouvert en commun avec son amant, Maurice Agnelet. Peu après, cet argent est viré sur un autre compte dont cette fois Agnelet est le seul bénéficiaire.
Et Agnès Le Roux disparaît. Son amant ne bouge pas une oreille. C’est sa mère qui s’inquiète et qui signale sa disparition. Après quelques démarches infructueuses, le 22 octobre 1977, elle écrit au procureur. Sans résultat. Le 13 février 1978, elle finit par trouver l’argutie qui aura raison de cette apathie. Elle dépose plainte contre X pour séquestration arbitraire et insiste sur le fait qu’en octobre 1977, sa fille a été admise par deux fois à l’hôpital Saint-Roch de Nice à la suite de deux tentatives de suicide consécutives.
Le procureur décide alors l’ouverture d’une information judiciaire.
Agnès Le Roux a disparu depuis trois mois.![]()
Au départ, les enquêteurs traînent les pieds. Pas plus que la justice ils ne croient à un enlèvement – et encore moins à un meurtre. Ils pensent plutôt à la fugue d’une enfant gâtée. Ils mettront trois mois de plus pour effectuer, via Interpol, la première diffusion internationale :
« Avis de recherche concernant Madame Agnès Le Roux, divorcée Hennequet, née le 14 septembre 1948 à Neuilly-sur-Seine, demeurant… »
« Avis de recherche concernant la découverte d’une femme amnésique… »
« Ou la découverte d’un cadavre non identifié, dont le signalement correspondrait à celui d’une femme de 1,76 m, type européen, corpulence mince, visage aux traits réguliers, yeux marron, aucun signe particulier… »
« Recherche également de son véhicule Range Rover, de couleur blanche, immatriculée 726 BEZ 75, numéro de série… »
On connaît la suite : Agnès Le Roux n’a jamais été retrouvée, son véhicule non plus.
On comprend bien que cette lenteur, cette inertie, de la justice (3 mois pour ouvrir une information judiciaire), de la police (6 mois pour effectuer une première recherche internationale) a enlevé toute chance de connaître la vérité – voire de sauver la jeune femme.
Que se passerait-il si Agnès Le Roux disparaissait aujourd’hui ?
Sa mère signale sa disparition. Le policier enregistre sa requête et établit une RIF (recherche dans l’intérêt des familles). Et cela s’arrête là, car il s’agit d’une personne majeure, donc libre de ses mouvements. Mais, plus tard, la mère découvre que sa fille a fait deux tentatives de suicide. Elle signale ce fait nouveau au policier qui mentionne alors qu’il s’agit d’une « disparition inquiétante ». Il en informe le procureur de la République et l’OCRVP (office central de répression contre les violences faites aux personnes). Cet office, crée en 2006, est dirigé par le commissaire divisionnaire Frédéric Malon. Composé de policiers et de gendarmes, il est basé à Nanterre, et possède des correspondants, policiers ou gendarmes dans tous les départements.
Il est probable qu’à ce stade, le procureur décide d’une enquête préliminaire. Mais sans attendre, depuis une loi de 2002, les enquêteurs peuvent requérir l’aide des organismes publics (sécurité sociale, impôts…) ou des organismes privés (banques, opérateurs téléphoniques…), et la personne disparue est enregistrée sur le FPR (fichier des personnes recherchées) et sur le fichier Schengen. Si les premiers éléments sont inquiétants, le magistrat ordonnera l’ouverture d’une information judiciaire.
On peut donc penser, qu’aujourd’hui, les investigations pour rechercher Agnès Le Roux seraient plus rapides, et sans doute plus efficaces.
Hélas, a contrario, aucun progrès n’a été fait pour identifier les personnes qui meurent sans qu’on connaisse leur identité. On estime à 800 par an, le nombre de personnes non identifiées qui décèdent dans les hôpitaux, et deux fois plus sur la voie publique. Si les causes de la mort ne sont pas suspectes, aucune enquête n’est effectuée, car il n’y a ni crime ni délit. Si les causes de la mort sont douteuses, une enquête judiciaire est effectuée. Mais, même dans ce cas, l’identification est parfois impossible, ne serait-ce qu’en raison de l’état du cadavre (voir La PJ, mes débuts). Ces morts sont enterrés sous X, au frais de la commune sur laquelle le décès a été constaté.
Agnès Le Roux a-t-elle été enterrée sous X ?
Plusieurs associations, comme Manu association, l’APEV (aide aux parents d’enfants victimes), l’ARPD (assistance et recherche de personnes disparues), etc., se battent pour que toute personne enterrée dans ces conditions fasse au minimum l’objet d’un prélèvement ADN. Cela semble de bon sens. Certaines de ces associations vont plus loin, comme de répertorier dans le FNAEG (fichier national automatisé des empreintes génétiques) les personnes à risques (malades mentaux, malades Alzheimer, suicidaires, etc.) ou de donner un pouvoir d’investigation à certaines administrations, en dehors du champ judiciaire. D’autres souhaitent voir la mise en place d’un plan enlèvement, comme celui qui existe pour les mineurs en danger ou carrément le fichage génétique de toute la population (ce qui de toute façon nous pend au nez).
Il y a dans ces propositions du raisonnable et du déraisonnable, mais on doit écouter les gens qui ont créé ces associations, car ils ont tous un point commun : un proche qui a disparu. Et le silence. Et les portes qui se referment. Et cette lourdeur insoutenable, mélange de malheur et d’espoir.
La DGSE est rattachée au ministère des armées. C’est notre service de renseignement, façon mielleuse de parler d’espionnage. Son action se porte essentiellement hors de l’Hexagone. Ses réussites sont inconnues du grand public et sa plus belle bavure a fait la une des journaux. C’est
contre-espionnage, chargé, en quelques sortes, d’éviter que d’autres pays nous fassent ce que la DGSE est supposée leur faire. Composée de fonctionnaires de police, et donc d’officiers de police judiciaire, elle devrait dépendre à ce titre des procureurs, ce qui est évidemment incompatible avec sa mission, qui est souvent borderline avec le code pénal. Ses réussites sont rarement médiatisées, ses échecs non plus. À l’exception de la charbonneuse
hauteurs de Sedan, jusqu’à la capitulation de l’empereur Napoléon III. Des dizaines de milliers de morts plus loin, la France découvre avec stupeur que la Prusse a quadrillé notre territoire d’une multitude d’espions (30.000, selon la thèse d’un Allemand). En 1872, échaudée, l’Armée décide de créer un « service militaire de contre-espionnage ». Une dizaine d’années plus tard, sur l’initiative du général Boulanger, l’assemblée nationale vote une loi pénale (18 juin 1885) qui vient compléter le Code de 1810. C’est sans doute le traumatisme de cette douloureuse expérience qui conduit alors les officiers de l’armée à voir des espions partout. Ce qui explique en partie, en dehors d’un antisémitisme confirmé, les excès de l’affaire Dreyfus. Le tollé populaire soulevé par cette injustice amène le gouvernement à faire passer sous la houlette du ministre de l’intérieur le contre-espionnage et la surveillance des frontières.
Pour lui, cette agitation estudiantine qui secoue le pays est le fait de groupuscules d’extrême gauches manipulés par des nations ennemies, et situées nettement à l’est (certains historiens se sont demandé par la suite, si la manipulation ne venait pas de l’Ouest !). Il enjoint au patron de la DST de mettre le paquet pour arrêter tout ça. Le préfet Jean Rochet n’est pas homme à résister à son ministre. Il décide la création d’un service, la SUBAC, doté de moyens importants, pour contrer ces… terroristes qui ont mis nos étudiants dans la rue. Lorsqu’un gouvernement décide d’utiliser un service secret pour régler un problème interne, c’est que quelque chose ne va pas dans ledit pays.
, en 1953.




