« L’intérêt d’une démocratie commande toujours d’élever le niveau de la police et non de l’abaisser », nous dit le député Jean-Jacques Urvoas. Dans son livre, 11 propositions chocs pour rétablir la sécurité, il appuie là où ça fait mal : « La lutte doit être menée contre la délinquance, mais avec les citoyens ». D’après un sondage récent, 58 % des Français seraient satisfaits de leur police, alors qu’ils étaient 77 % il y a cinq ans. Et pourtant, dans ce même sondage, ceux qui ont eu affaire à la police sont contents du « service rendu » à 73 %. « Ces chiffres traduisent la relation complexe que les Français ont nouée avec ceux qui sont en charge de les protéger… » Ce que l’on constate fréquemment en lisant les commentaires sur ce blog.

Au fil des pages de son livre, derrière des propositions audacieuses, certains diront utopistes, M. Urvoas démolit la politique de la droite en matière de sécurité, fer de lance de la campagne présidentielle de 2007.

On feuillette ensemble…

Rapprochement police-justice – Il ne s’agit pas de rattacher la police à la justice, comme viennent de le faire les Pays-Bas, et comme le souhaitent de nombreux magistrats, mais de les raccrocher à une même structure : un « Grand ministère de la Règle et du droit » regroupant les compétences relatives à la justice et à la sécurité… ». Pas si simple. Le policier dépend du ministre de l’Intérieur, mais, lorsqu’il rédige un procès-verbal, en théorie, il rend des comptes au procureur ou au juge d’instruction, donc au ministre de la Justice. Toutefois, dans un commissariat, il existe bien d’autres tâches. En réalité, la question d’un rapprochement police-justice se pose depuis longtemps pour les services qui ne font « que » de la police judiciaire, comme les brigades du quai des Orfèvres ou, en province, les directions régionales.

Les flics dans la rue ! – Il faut « décharger les policiers et les gendarmes des tâches administratives ». Et pour cela, il faut recruter des « petites mains ». Aujourd’hui, les personnels administratifs représentent environ 10 % de l’ensemble des effectifs, alors que chez nos voisins européens, ils sont plus proches des 30 %. En Seine-Saint-Denis, les personnels de soutien ne seraient même que 5 %. Conclusion, 25 % du travail administratif serait effectué par des policiers. Mathématiquement, cela voudrait dire qu’un policier sur quatre n’est pas sur le terrain, et que la volonté du préfet Christian Lambert de mettre les « flics dans la rue » n’est qu’un vœu pieux. D’ici qu’il devienne socialiste…

Alors qu’aujourd’hui, on ne parle que d’argent, l’intérêt est évident : un personnel administratif coûte deux à trois fois moins cher et il ne faut que quelques semaines pour le former. Je suggère une autre piste pour mettre les flics sur le terrain : simplifier la procédure pénale qui date d’une époque où l’on tapait à deux doigts sur le clavier d’une « batteuse » et où l’avocat était gentiment prié d’aller voir ailleurs.

Alain Bauer va-t-il prendre sa retraite ? – Neuf millions d’euros de frais de fonctionnement, 81 personnes… À quoi peut bien servir l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ), s’interroge le député socialiste ? Et l’observatoire de la délinquance (ONDRP) n’est-il pas un instrument destiné à rendre crédible les politiques de sécurité du gouvernement… « Depuis sa création, il n’a été capable de proposer que des analyses secondaires sur les statistiques de police et de gendarmerie ». C’est donc l’INSEE qui pourrait prendre la relève, avec notamment des enquêtes de victimisation. Et une idée originale : la création d’une fondation, rattachée à l’École Nationale supérieure de police, dont la vocation première serait de penser la sécurité de demain. Ce qui, il faut bien le dire, nous changerait de ces réactions à fleur de peau, prises sous le coup de l’émotion d’un fait divers tragique.

La fin de la préfecture de police de Paris – « État dans l’État, « république de Lutèce », la PP a une histoire faite de sédimentations (…) Une hérésie juridique qu’il est urgent d’abolir ». Là, c’est le prof de droit qui refait surface. Il prend le contrepied de la politique actuelle, puisque, depuis la signature du décret présidentiel de 2009 qui étend sa compétence aux départements limitrophes à la capitale, le préfet de police de Paris (également préfet de la zone de défense d’Île-de-France) n’a jamais été aussi puissant. Et de relancer une idée, qui va plaire aux inspecteurs de sécurité de la Ville : donner au maire de Paris les mêmes pouvoirs de police que les autres maires.

Des maires « sherifs » – « Pourquoi faudrait-il que la police des villes relève de l’État ? » s’interroge M. Urvoas. Pour lui, les maires doivent être « les véritables coordonnateurs des actions locales de sécurité, répression comprise »… Les seuls services sur lesquels il est légitime que l’État exerce une compétence exclusive sont la police de l’Air et des Frontières (DCPAF), les CRS et la direction centrale du renseignement. La DCRI sauvée par les socialistes, je n’y aurais pas crû.

Et les polices municipales ? – « Le rôle de la police municipale n’est pas de se substituer à la police nationale mais de tisser un lien de confiance avec la population, conformément à une approche préventive clairement établie ». Sa mission première est donc d’assurer la tranquillité publique, celle qui contribue à la qualité de vie dans la ville (exécution des arrêtés du maire, nuisances sonores, voies de faits dans une cage d’escalier ou les parties communes d’un immeuble, etc.), et non pas de faire le boulot de la police nationale. Et, pour éviter tout amalgame, leur uniforme doit être différent. Bien entendu, contrairement à la position de Manuel Valls, ils n’ont pas à être armés, sauf, éventuellement, avec des armes de défense de 6° catégorie (bâtons, bombes lacrymo….)

CRS… PS ! – Environ 27 000 policiers et gendarmes sont chargés du maintien de l’ordre, mais, en fait, cela représenterait moins de 20 % de leur activité. Ce qui en période de disette ne semble pas très rationnel. L’idée serait de doter les escadrons de gendarmes mobiles de moyens plus importants, notamment héliportés et aéroportés, et de les réserver pour le maintien de l’ordre. Tandis que les CRS se spécialiseraient dans la lutte contre les violences urbaines au niveau de la région. Ils seraient convertis en « FRS (forces régionales de sécurité) placées sous la responsabilité des directeurs régionaux de la police nationale… »

Les gendarmes resteront à l’Intérieur – M. Urvoas sait que de nombreux gendarmes souhaitent se détacher de la place Beauvau. Il prend des gants pour dire que cela ne sera pas le cas : « Rien ne serait plus irresponsable à cet égard que de les jeter à nouveau au cœur d’un cyclone de changements qui, loin d’apporter une quelconque plus-value opérationnelle, pourrait bien se traduire, au contraire, par une véritable régression dont l’unique effet serait de renforcer leur amertume et le sentiment qui les assaille trop souvent d’être incompris du pouvoir politique ». Ils conserveront donc leur statut militaire, au sein du ministère de l’Intérieur, qui, si j’ai bien suivi, pourrait devenir un Grand ministère de la Règle et du droit. La gendarmerie devrait être mieux représentée au sein des hautes instances politiques mais c’est une autorité civile qui en assurerait la direction : « Une voix forte pour défendre leur intérêts et restaurer leurs capacités d’action ».

Jean-Jacques Urvoas ne veut plus d’une « grande muette », mais au contraire d’une police ouverte, dont l’image ne dépend pas seulement d’un représentant syndical interviewé sur un coin de trottoir. L’enjeu est de passer « d’une police crainte et dénigrée à une police respectée et valorisée. » Comment ne pas être d’accord ? Mais les anciens, comme moi, resteront dubitatifs. Ils se souviennent encore des belles promesses, des belles déclarations des années 80, pour arriver, en quelques années, à déstabiliser profondément cette vieille maison, qui pensait pourtant en avoir vu d’autres. Espérons que le prochain président de la République comprendra que la police ne doit être ni un pouvoir ni servir un pouvoir.