Aujourd’hui, les expulsions reprennent. Une fois sur dix, elles ont lieu avec le concours de la force publique. Pour les policiers, c’est un sale boulot. Et dans certains cas, c’est tout simplement insupportable…

Au mois d’octobre dernier, dans un commissariat de la banlieue parisienne, l’ambiance n’y est pas : il faut procéder à une expulsion. Dans cette commune ouvrière, comme on disait autrefois, du temps où il y avait du boulot, c’est monnaie courante. Et le plus souvent, ce sont les locataires des cités HLM qui sont visés. Mais là, ça ne passe pas. Cette femme que les policiers doivent jeter à la rue, ils la connaissent. Elle ne fait pas partie de ces fricoteurs qui utilisent toutes les ficelles pour ne pas payer leur loyer. Non, elle élève seule ses enfants et elle ne trouve que des emplois précaires et mal rémunérés. Au fil des mois, les quittances de son petit HLM se sont accumulées pour atteindre une somme qu’elle ne pourra jamais rembourser.

Tout a été fait selon les règles : commandement à payer, décision de justice, information au préfet (pour la demande de relogement : sans effet), commandement de quitter les lieux… Mais où voulez-vous qu’elle aille, cette femme ? Comme elle ne s’exécute pas, l’huissier demande l’assistance de la force publique. Certes, le préfet peut refuser, notamment pour assurer « la protection de la famille », mais il doit alors motiver sa décision et il engage fortement sa responsabilité, car le bailleur peut se retourner contre l’État.

Le commissaire a fait traîner au maximum, mais cette fois, c’est réglé. Le dossier est en ordre. Il faut exécuter la décision de justice.

Pourtant, il n’est pas satisfait. Et, près de lui, ses adjoints renâclent. Comme il entretient de bonnes relations avec le maire (de gauche), il décide une tactique que l’on n’apprend pas dans les écoles de police. L’air de rien, il va traîner ses guêtres dans les locaux de la mairie, et raconte, à qui veut l’entendre, l’histoire de cette femme qui va se retrouver dans la rue avec ses enfants, à la veille de l’hiver. Ses propos font boule de neige. À la mairie, personne n’est dupe, mais tous jouent le jeu.

Le lendemain matin, une douzaine de gaillards sont regroupés devant l’entrée de l’immeuble. Certains agitent des pancartes rédigées à la hâte : Non aux expulsions ! Des curieux s’agglutinent. Les voisins papotent. Lorsque l’huissier et les policiers débarquent, ce sont plusieurs dizaines de personnes qui sont rassemblées. La plupart sont des badauds et ne savent même pas de quoi il retourne, mais peu importe : il s’agit d’un attroupement. Dans ces conditions, il existe donc un risque de trouble à l’ordre public. Ce que le commissaire signifie à l’huissier qui, sans doute un peu complice, le mentionne dans son constat : l’expulsion est reportée sine die.

Il paraît que la pilule a été plus difficile à faire passer du côté de la préfecture. (Raison pour laquelle je ne donne pas le nom de cette ville.) En tout cas, cette mère de famille et ses enfants ont passé l’hiver sous un toit.

Bien sûr, le loueur doit encaisser ses loyers. Il n’est pas possible que certains paient et d’autres pas. Mais je me demande, dans la mesure où le « droit au logement opposable » s’applique aux personnes qui sont menacées d’expulsion sans proposition de relogement, s’il ne serait pas plus simple pour l’État (et peut-être pas plus cher), de prendre des arrangements financiers directement avec les organismes HLM. Ce serait autrement élégant. Je dis ça sans rien n’y connaître, d’autant que les textes sur le logement sont un véritable embrouillamini. En tout cas, la loi Boutin ne va pas dans ce sens puisque les départements ont abandonné la gestion des fichiers de demandeurs d’HLM au profit des seuls bailleurs.

Alors que le droit au logement a valeur constitutionnelle, l’État esquive.

Le printemps arrive. La trêve est finie. Je suppose que l’ordre de requérir la force publique pour expulser cette femme est déjà sur le bureau du commissaire, et les policiers vont devoir prêter main-forte à l’huissier de justice. C’est leur job. Mais je me dis qu’ils vont en avoir gros sur la patate.