LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Étiquette : Terrorisme

Perquise de nuit

Un projet de loi « longuement mûri par la chancellerie », nous dit un communiqué de presse de Matignon, doit consolider la place de l’autorité judiciaire dans la lutte contre le crime organisé et son financement. Mais comme ce projet vise également la lutte antiterroriste et donne de nouveaux moyens au préfet, il faut bien reconnaître que le message est un peu brouillé.

Piles codes 2Quelle est la raison de cette nouvelle loi ? Simple ! Il s’agit de boucler la boucle : 1/ on donne « des moyens sans précédent » aux services chargés de lutter contre le terrorisme – 2/ On donne à la police judiciaire des pouvoirs équivalents – 3/ on pérennise les pouvoirs de police administrative de l’état d’urgence.

Pour faire un nœud à la boucle, et l’on n’en parle plus, je suggère de réactiver un ancien article du code de procédure pénale, l’article 30, qui donnait des pouvoirs de police judiciaire aux préfets.

Ces textes à répétition compliquent tellement la procédure pénale que plus personne n’y comprend rien.

C’est notamment le cas en matière de perquisition. Continue reading

Renseignement : la peau de banane du Conseil constitutionnel

La loi sur le renseignement a été publiée au JO telle qu’elle a été votée par une forte majorité des parlementaires, à l’exception de 3 articles censurés par le Conseil constitutionnel. Ce qui laisse augurer d’une nouvelle loi. Et peut-être d’un nouveau débat de société – ce qui n’est pas fameux pour l’image du pouvoir en place. Mais il est intéressant de noter qu’en quelques lignes, les Sages ont de nouveau marqué leur terrain en rappelant que les pouvoirs exceptionnels de surveillance accordés par cette loi ne peuvent pas être utilisés pour des enquêtes judiciaires.

manifestant-seul-dans-fumee-gaz_manifs-lyon-2010_extrait-film-lyon-capital.1297499333.JPGLes techniques utilisées sont donc constitutionnelles uniquement dans la mesure où elles s’appliquent à la prévention des infractions et à la préservation de l’ordre public (la manifestation des éleveurs ?). Elles ne peuvent pas être mises en œuvre pour constater une infraction (faire un flag, par exemple) ou pour rassembler des preuves ou rechercher les auteurs d’un crime ou d’un délit. Continue reading

Lutte antiterroriste : le ministre prend la barre

Bernard Cazeneuve a annoncé la création d’un service à sa main pour coordonner la lutte antiterroriste. Il s’agirait d’un état-major « opérationnel » rattaché à son cabinet comprenant des représentants des différents services de police et de gendarmerie en charge de cette mission. Et ils sont nombreux.

L’objectif évoqué est de mettre fin à la concurrence qu’ils se livrent. « Il ne doit plus y avoir de loupé ! » a dit le ministre de l’Intérieur. Ce qui sous-entend qu’il y en a eus.

Pirate_site_coloriage-dessinDonc pour harmoniser la ribambelle de services concernés, on va en créer un autre.

J’aime mon pays et ses bizarreries. Et je suis sûr que les Grecs pensent comme moi.

Alors, puisque le mot « opérationnel » est lâché, faut-il imaginer que notre ministre, entouré de fins stratèges, va, depuis un PC secret dissimulé dans les sous-sols, sous la cour Beauvau, diriger des opérations de terrain… « Là, vous me mettez deux voitures de planque… Et le RAID, il est où le RAID, hein ?… Attention les gars, ça chauffe… Intervention ! Intervention ! ». Une sorte de flashback de l’époque où Pasqua et Pandraud s’appropriaient le pupitre radio lors d’une opération de police.

Cela prête à sourire et n’a évidemment aucun sens. Il faut donc en déduire que ce nouveau service sera plutôt en charge de recenser les informations, de les rapprocher et de faire la liaison entre les différents services. Autrement dit de coordonner la lutte antiterroriste.

Ce que fait déjà l’UCLAT. Continue reading

Terrorisme : comment se tirer une balle dans le pied

Les explications qui ont suivi l’arrestation de Sid Ahmed Ghlam, étudiant algérien de 24 ans, soupçonné d’avoir voulu commettre un acte terroriste contre une ou deux églises de Villejuif, laissent perplexe. Ce pied nickelé se serait blessé lui-même après ou avant avoir tué Aurélie Châtelain pour lui voler sa voiture.

Puis il aurait appelé les secours. Et les policiers auraient suivi la piste des gouttes de sang jusqu’à son propre véhicule dans lequel ils auraient remarqué des sacs de sport susceptibles de contenir un « arsenal de guerre », comme on a pu le lire dans la presse.

Une balle dans le piedSous le feu des déclarations anxiogènes des autorités, je me suis dit, comme beaucoup, qu’on avait eu chaud. Et puis, en réaction à une communication excessive, j’ai été victime du syndrome de l’éclairage du frigo : comment savoir si la lumière est éteinte une fois que l’on a refermé la porte !

Mais n’est-il pas normal de devenir suspicieux, voire parano, dans une société où les acteurs politiques sont sans cesse en représentation ! Une pièce sans entracte dans un théâtre où l’on est mal assis. Continue reading

Lutte antiterroriste : où va-t-on ?

Après les événements tragiques du mois de janvier, Manuel Valls a annoncé un nouveau plan de lutte contre le terrorisme. Il s’agit, a-t-il dit, de prendre des mesures « exceptionnelles, et non pas d’exception ». Comme j’ai parfois du mal à comprendre le langage politique, j’ai sorti mon dico, lequel, pour le mot exceptionnel, donne cette définition : qui n’est pas habituel, qui n’est pas ordinaire, qui constitue une exception.

J’ai refermé.

Capture6Parmi ces mesures exceptionnelles, il y a celles qui existent déjà, comme le plan Vigipirate, qui mobilise plus de 120 000 policiers et gendarmes et 10 000 militaires, ou le remplacement de la DCRI par la DGSI, ou la création du SCRT (service central du renseignement territorial), qui se rapproche de plus en plus de ce qu’étaient les RG, supprimés en 2008.

Dans celles qui sont à venir, il y a la création sur 3 ans de 2680 postes dont 1400 pour le ministère de l’Intérieur, dont 1100 pour les services chargés de lutter contre le terrorisme, dont 500 pour la DGSI. Continue reading

La lutte contre le terrorisme passe-t-elle par les armes ou par le droit ?

En ce mois de mai 2013, les parlementaires se sont penchés sur deux rapports concernant les services de renseignement français. Le premier concerne l’encadrement juridique de leur action, tandis que le second analyse leur fonctionnement « dans le suivi et la surveillance des mouvements radicaux armés ». Et comme les deux portent la griffe du député Jean-Jacques Urvoas, on retrouve un peu de l’un dans l’autre. À la lecture de ces documents, au demeurant fort intéressants (que l’on peut trouver ici et ici), il reste une question en suspens : Faut-il accorder aux agents qui luttent contre le terrorisme des pouvoirs extra-judiciaires ?

Conférence de Jean-Jacques Urvoas

De quoi s’agit-il ? De donner à des policiers des pouvoirs de police administrative équivalents à ceux qu’ils détiennent dans le cadre d’une enquête judiciaire : surveillance, captation d’images, de sons, géolocalisation, intrusion occulte dans un domicile, une voiture… Tout cela sur des personnes qui n’ont commis aucun crime, aucun délit. De simples suspects.

Quels sont les services concernés ?

Les principaux acteurs du renseignement français sont au nombre de six, mais trois seulement ont un rôle important dans la lutte contre le terrorisme :

La DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure), autrefois surnommée La Piscine en raison de la proximité de ses bureaux avec la piscine des Tourelles, est chargée du renseignement et de l’action à l’extérieur des frontières. Sous sa forme actuelle, ce service a été créé en 1982. Il a remplacé le SDECE (Service de documentation extérieure et de contre-espionnage), lequel a été rattaché au ministère de la Défense en 1966, après l’affaire Ben Barka. La DGSE n’a aucune relation avec la Justice.

Tracfin (Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins) est rattaché au ministère des Finances. Ce service a été créé en 1990 pour lutter contre le blanchiment d’argent. Dix ans plus tard, il a vu ses compétences élargies à la lutte contre le financement du terrorisme, et, en 2007, il a rejoint la communauté du renseignement.  Il y a deux ans, une cellule spécifique a été créée pour mieux détecter le financement du terrorisme. Un travail de fourmi. C’est un service d’enquêtes administratives.

La DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur) a été créée en 2008 en mariant la DST (Direction de la surveillance du territoire) et une grande partie de la DCRG (Direction centrale des renseignements généraux). Particularité française, c’est à la fois un service secret et un service de police judiciaire.

C’est cette double casquette qui pose problème, car, comme tout service secret, une partie de son activité est clandestine, voire entachée d’illégalité. En revanche, dès qu’un OPJ de la DCRI rédige un procès-verbal, il doit respecter scrupuleusement la loi et il agit alors sous le contrôle d’un magistrat. Or, les informations recueillies en tant « qu’agent secret » ne peuvent figurer dans une procédure, sauf à se livrer à des acrobaties qui aboutissent souvent à des dossiers bancales et à mettre les magistrats dans l’embarras (l’affaire de Tarnac en est un bon exemple). Ainsi, le juge anti-terroriste Marc Trévidic n’hésite pas à déclarer devant les parlementaires : « J’ai moi-même été amené à faire des choses qui ne sont pas légales, car il n’est pas possible de faire autrement… ».

Source : rapport de la Commission d’enquête C.Cavard/JJ.Urvoas

Alors, pour pallier cette difficulté, le député Urvoas, qui est aussi le président de la Commission des lois, propose de faire adopter une loi qui aurait l’avantage de rendre les choses illégales légales.

Aucun risque de dérapage, nous assure-t-il, car aujourd’hui l’État ne peut se soustraire aux juridictions administratives ou à l’acuité des médias. Lire dans un rapport parlementaire que les journalistes sont là pour assurer le contrôle de l’État est assez surprenant…

Yves Bertrand, l’ancien directeur des RG, qui vient de mourir, déclarait l’année dernière à Médiapart (cité par Wikipédia) en parlant de la création de la DCRI  « On ne fusionne pas un service dont la vocation est avant tout judiciaire et opérationnelle, comme la DST, avec un service d’information, comme les RG (…) sinon pour créer une  » police politique  » ». Je ne suis pas loin de partager son avis. En tout cas, si le rapport parlementaire sur « le nouveau cadre juridique pour les activités du renseignement » est suivi d’effet, on prend le risque de s’en approcher un peu plus.

Vous me direz, il faut bien se donner les moyens de lutter contre le terrorisme !

Comment lutter contre le terrorisme ? – En fait il y a deux méthodes pour combattre ce fléau. Soit on estime qu’il s’agit d’une guerre, et alors le terroriste est un ennemi qu’il faut éliminer à tout prix. Dans ce cas, la Justice devient un obstacle. C’est la voie choisie par les États-Unis. Pour les autorités de ce pays, on se trouve en présence d’un conflit d’un nouveau genre, sans uniforme et sans patrie, et l’on peut par conséquent s’affranchir de toutes les conventions internationales. – Mais ceux qui font le sale boulot ne sont pas des policiers.

Soit on considère les terroristes comme des criminels et on les combat par le code pénal. C’est la méthode européenne. Pour nous, Français, cette démarche est conforme à notre passé qui veut que l’on ne déclare pas la guerre à des hommes mais seulement à des États et que l’on ne condamne pas a priori un mouvement, mais uniquement ceux qui, à l’intérieur de ce mouvement, se livrent à des actes criminels. Et cependant, il faut bien reconnaître que la menace islamiste remet les pendules à l’heure, car l’action d’un juge ne sera jamais suffisante.

Pourtant, il n’y a pas d’alternative : le terroriste est un ennemi ou un justiciable. Et se cacher derrière une loi pour effectuer des opérations hors la loi relève du clair-obscur. Dans les services techniques de la DST où j’ai œuvré durant plusieurs années, il y avait des fonctionnaires qui posaient des micros, d’autres ouvraient les serrures, d’autres le courrier… Chacun savait qu’il faisait une chose illégale, mais c’était pour la bonne cause, du moins le croyait-on (le contre-exemple étant la pose de micros dans les locaux du Canard Enchaîné). Si ces actes avaient été couverts par une loi, ils n’auraient eu que l’apparence de la légalité. Ce que le professeur Massimo Donini, de l’Université de Modène, qualifie de « droit pénal de l’ennemi », et qu’il ne considère en aucun cas comme un droit légitime. Il faut prendre garde de ne pas glisser de l’État de droit à l’État de police, ajoute-t-il dans la Revue de science criminelle 2009.

À ce jour, on peut dire que les deux méthodes sont plutôt inefficaces. Mais la méthode américaine présente au moins l’avantage de bien séparer le terrorisme des autres activités criminelles. Alors que chez nous, il y a fréquemment confusion des genres et les décisions prises pour lutter contre le terrorisme s’appliquent souvent à des infractions de droit commun. Et, à l’arrivée, nos libertés individuelles sont de plus en plus écornées, au point aujourd’hui de pouvoir condamner quelqu’un non pas pour un crime ou une tentative de crime, mais pour une simple intention criminelle.

Chérie, tu peux arrêter l’aspirateur ! Je suis en train de lire Urvoas dans le texte.. et le bruit m’empêche de me concentrer.

Il n’existe sans doute aucune solution satisfaisante, mais notre exigence de sécurité ne doit pas nous inciter à faire n’importe quoi. Il faut faire le moins mal possible. Il existe bien l’article 15 de la Convention européenne de droits de l’homme qui prévoit des dérogations à certains grands principes. Et notre Constitution, elle, renforce sérieusement les pouvoirs de police administrative lorsque l’état d’urgence est décrété. Alors, il y a peut-être quelque chose à envisager en se rapportant à ces textes… Une sorte d’état d’urgence au coup par coup : pour un temps déterminé et pour des faits précis, il serait accordé des pouvoirs exceptionnels à des services de police spécialement désignés… Et leur action serait contrôlée a posteriori. Mais finalement c’est peut-être ça que préconise M. Urvoas.

Allez, je vais relire les 360 pages de ses deux rapports…

Les hackers sont-ils des terroristes ?

Il y a quelques jours, Anonymous piratait le site d’un syndicat de police. L’action des « cyber-activistes » se serait traduite par la publication pendant quelques heures des coordonnées personnelles de 541 policiers.

Publier des informations permettant d’identifier quelqu’un dans l’intention de lui nuire est un délit, mais il n’est pas sûr que le texte soit bien adapté. L’année dernière, pour des événements sensiblement similaires, le ministre de l’Intérieur avait préféré déposer plainte pour diffamation publique. En revanche, le fait de s’introduire dans « tout ou partie d’un système de traitement automatisé de données » entraîne une kyrielle de sanctions prévues dans les articles 323-1 et suivants du code pénal. Et la volonté d’entraver le fonctionnement d’un système informatique, par exemple en le saturant, est considéré comme un déni de service (5 ans de prison).

Tout cela ne fait pas des Anonymous de dangereux terroristes. Sauf, évidemment, si les autorités du pays estimaient que par leur action, ils portent atteinte aux « intérêts fondamentaux de la Nation ». Dans ce cas, peut-être, l’article 411-9 pourrait s’appliquer (15 ans de détention criminelle)…

Mais alors, pourquoi la DCRI est-elle chargée de ce type d’enquête ? C’est tout simplement que cette direction de la police nationale a hérité des services techniques de la DST. Qui, il n’y a pas si longtemps, étaient chargés entre autres de la « police des communications radioélectriques » (PCR). Et même – un peu plus avant – de la surveillance des pigeons voyageurs. Si, si ! Il y avait un groupe « colombophilie » composé, il est vrai, d’un seul enquêteur. L’ami Raymond. Les anciens de la PCR (comme moi) se souviennent des « nuits gonio » passées dans l’ancien centre d’écoutes de « la Grenouillère », à Noisy-le-Grand ; ou de la chasse aux fanas de la « citizen band », les gentils rebelles des années 60. Bon, d’accord, ce sont les mêmes poulagas qui ont tenté de « bidouiller » les locaux du Canard Enchaîné… Personne n’est parfait.

Heureusement, ces « techniciens » d’aujourd’hui ne semblent pas plus méchants que ceux des décennies précédentes. Du moins si l’on se rapporte au récit que fait Pierrick Goujon de son arrestation, à OWNI, ou sur une page personnelle : « Je ne crache pas sur des mecs qui font leur métier, ceux à qui j’ai eu affaire étaient vraiment sympas (…) Merci pour ce que vous avez fait pour moi. Et de m’avoir laissé fumer 20 clopes en 60 heures, je sais que beaucoup ne l’auraient pas fait. »

C’est vrai qu’ils sont plutôt sympas, à la DCRI. Ils auraient pu verbaliser pour « tabagisme dans un lieu à usage collectif »…

 « Nous traversons le présent les yeux bandés… », dit Soph’, dans un commentaire du billet précédent, citant Milan Kundera.

Il y a 25 ans, le 9 juillet 1986, une bombe explosait dans les locaux de la brigade de répression du banditisme (BRB) de Paris : un mort, l’inspecteur divisionnaire Basdevant, et vingt blessés. L’attentat était revendiqué par un groupuscule inconnu qui aurait voulu venger un jeune homme tué par les CRS. Toutefois, à l’époque, l’enquête s’est plutôt orientée vers l’artificier de l’Organisation de l’armée secrète (OAS) – aujourd’hui en règle avec la société. Jacques Chirac, alors tout nouveau Premier ministre de François Mitterrand, s’était déplacé Quai de Gesvres : « La police est de nouveau en deuil, une fois encore, etc. ». Bon, sur le petit film de l’Ina, on voit bien qu’il a d’autres soucis en tête que la mort d’un poulet. « Notre nouvelle frontière, ce doit être l’emploi », avait-il déclaré quelques semaines plus tôt, lors de son discours de politique générale prononcé devant l’Assemblée nationale. La même volonté farouche de lutter contre le chômage que dimanche dernier, sur le petit écran…

Tout ça pour dire qu’il n’est pas mauvais de se tourner vers son passé et de vivre le présent avec discernement.

 

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