Le modérateur du Monde explique, dans le journal de ce week-end, les difficultés de son métier : comment éviter le couperet de la justice sans pour cela tomber dans la censure ? Car, d’après le service juridique du journal, le fait de porter atteinte par des allégations ou des imputations à l’honneur ou à la considération d’une personne ou d’un corps de métier est une diffamation. Même de façon indirecte, ou par sous-entendu. Un dilemme qui s’est posé après les propos tenus par Luc Ferry. Et du coup, sur ce blog, certains commentaires ont sauté. Il faut dire que tous les patrons de presse ont encore en mémoire la mésaventure survenue, en novembre 2008, à Vittorio de Filippis, l’ancien directeur de Libération… À l’heure du laitier, il est arrêté à son domicile, comme l’aurait été un dangereux malfaiteur. Son délit ? Il fait l’objet d’une plainte en diffamation déposée par le patron de Free, à la suite d’un commentaire posté par un internaute.

Et comme le patron de Free fait aujourd’hui partie du triumvirat qui a repris Le Monde, on peut dire que les temps changent… (Là, je vais me faire virer !)

Donc, M. de Filippis, le « présumé coupable », est menotté, conduit au commissariat, puis au dépôt : « On me demande de vider mes poches, puis de me déshabiller […] de baisser mon slip, de me tourner et de tousser trois fois. » Une demi-heure plus tard, deuxième fouille à corps, cette fois par les gendarmes, avant d’être conduit devant le juge d’instruction qui le mettra en examen pour diffamation.

Ces fouilles réitérées ont été  supprimées en juin 2009. Aujourd’hui, « les personnes déférées ne sont plus soumises par les gendarmes qu’à une palpation de sécurité effectuée au travers des vêtements et assortie d’un passage sous un portique de sécurité permettant de détecter la présence de métaux », a déclaré le ministre de la Justice, le 31 mai 2011, en réponse à la question d’un député. De même, les fouilles de sécurité effectuées par les policiers « doivent respecter le principe de respect de la dignité des personnes ».

Même son de cloche en matière de garde à vue. La loi qui vient d’entrer en application précise qu’elle doit « s’exécuter dans des conditions assurant le respect de la dignité de la personne ». Les mesures de sécurité, lorsqu’elles sont nécessaires, « ne peuvent constituer en une fouille intégrale ».

On va donc moins tousser dans les commissariats – du moins du côté des gardés à vue.

Et même si elle pose des problèmes d’application, cette réforme de la garde à vue et les mesures connexes, vont dans le sens du respect de la dignité humaine et des libertés individuelles. Tout le monde devrait s’en réjouir. Un petit pas pour l’homme, comme disait Armstrong.

Suivi d’un grand pas en arrière avec le projet de loi réformant l’hospitalisation sous contrainte, ce qui, en langage policé, donne : « Loi relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge », dont le projet vient d’être adopté en deuxième lecture. Il fait suite à un discours du chef de l’État, en 2008, qui lui-même faisait suite au meurtre d’un étudiant, à Grenoble, commis par un malade mental enfui de l’hôpital.

Quel rapport, me direz-vous ? Eh bien, cette loi instaure ce que de nombreux professionnels de la santé appellent « la garde à vue psychiatrique ».

Cela concerne environ 70 000 personnes par an. Le texte réforme l’hospitalisation à la demande d’un tiers (HDT) et l’hospitalisation d’office (HO) ; et prévoit – c’est une nouveauté – la possibilité de soins forcés en mode ambulatoire. Autrement dit, à la maison.

Mais dans un premier temps, et dans tous les cas, le malade est interné pour une période d’observation de 72 heures.

D’après le Collectif des 39, qui rassemble essentiellement des psychiatres, il s’agit ni plus ni moins d’une « surveillance sociale planifiée ». Ce texte, qui s’appuie sur un principe de précaution exacerbé, « va instituer une logique sécuritaire induisant un contrôle inédit de la population ».

Bon, le ton est plutôt partisan, mais en quoi cette loi peut-elle être une atteinte à la dignité et aux libertés individuelles ?

Si l’internement à la demande d’un tiers reste la règle, désormais un simple certificat médical suffit en cas de « péril imminent ». Une notion subjective à la seule appréciation du praticien. Il se voit donc confier un pouvoir supérieur à celui de l’officier de police judiciaire qui, lui, ne dispose que de 24 heures.

Pouvoir que le médecin ne revendique pas, car son patient pourrait très bien ressentir cette possibilité comme une menace latente, avec le risque que s’instaure un climat de méfiance. Le contraire de ce qui doit être.

À l’issue de cette période d’observation de 72 heures, le malade fera l’objet d’une hospitalisation forcée (complète ou partielle), ou sera astreint à des soins à domicile. Dans ce dernier cas, s’il n’est pas assidu aux consultations médicales, il encourt le risque d’être de nouveau enfermé. C’est un peu la liberté conditionnelle.

Le médecin se voit donc contraint de dénoncer le malade qui rompt le protocole médical – ce qui sur le plan de la déontologie est inenvisageable.

Lorsque l’internement est décidé par le préfet, la personne concernée doit obligatoirement être maintenue en milieu fermé. Et seul ce fonctionnaire peut prendre la décision de la laisser sortir. Cette mesure place donc le préfet devant une alternative redoutable : accepter le risque de remettre « un fou dangereux » dans la nature, ou, au nom du principe de précaution, maintenir un malade, même en voie de guérison, en milieu fermé.

Au bout de quinze jours, les personnes qui font l’objet d’un enfermement en hôpital psychiatrique ont la possibilité de saisir le juge des libertés et de la détention afin de demander leur… libération.

L’intervention du juge judiciaire (exigée par le Conseil constitutionnel) est la démonstration forte que cette loi est un premier pas vers la pénalisation des maladies mentales. Une arme à double tranchant, si l’on se souvient qu’au siècle dernier, en Union soviétique, les psychiatres avaient découvert une nouvelle forme de monomanie : le « délire réformiste ».

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Le dessin sur la garde à vue est de Michel Grégeois.