Rouvrir de vieux dossiers : ce n’était pas prévu dans les missions dévolues aux réservistes de la police, mais certains retraités ont trouvé là un créneau particulièrement valorisant. Ils ne sont que quelques-uns à ce jour, mais l’idée semble faire son chemin, et leur nombre pourrait bien augmenter rapidement. Les « vieux » ont le profil pour ces recherches : ils ont des souvenirs réels (et non informatiques) d’affaires anciennes ; ils sont hors de la pression quotidienne, du flux tendu que connaissent les services de police ; et enfin, ils ne coûtent pas très cher.

L’initiative en revient, me semble-t-il, au patron de la Brigade de protection des mineurs. En effet, peu après qu’il ait pris la direction de ce service, en 2008, le commissaire divisionnaire Thierry Boulouque a recruté une policière retraitée, une ancienne de l’Antigang, pour piocher dans les archives.

En trois ans, notre Lilly Rush a passé plus de 700 dossiers au peigne fin, nous dit la journaliste Danielle Rouquié, dans son livre Brigade de protection des mineurs, aux éditions Jacob-Duvernet. Pour en conserver une trentaine qui font l’objet d’une nouvelle enquête. C’est ainsi qu’à mi-mai, l’auteur d’un viol et d’une agression sexuelle sur un mineur a été arrêté, plus de dix ans après les faits. Confondu par des traces ADN qui n’avaient pu être exploitées à l’époque.

Il faut dire que l’allongement de la durée de prescription, concernant les crimes et les délits contre les enfants, peut rendre les recherches anciennes particulièrement fructueuses. Alors que l’activité des policiers est sans cesse évaluée, et chronométrée, c’est important. On peut ainsi remonter trente ans en arrière, voire plus (sauf faits prescrits avant la loi), suivant l’âge de la victime. Et si les témoignages anciens sont à prendre avec prudence, la police scientifique a fait tant de progrès que tous les espoirs sont permis. En fait, les enquêteurs qui remontent ainsi le temps se heurtent au problème de la conservation des scellés, et notamment des prélèvements biologiques. Il y a quelques dizaines d’années, il n’était pas question d’un fichier génétique, néanmoins, le moindre élément : sang, sperme, cheveu…, était soigneusement conservé, car susceptible d’être utilisé pour une comparaison. On ne pouvait pas désigner un coupable, mais il était possible de confirmer ou d’infirmer la responsabilité d’un suspect.

Aussi, je suppose que nos parlementaires n’ont pas demandé l’avis des policiers et des gendarmes lorsqu’ils ont voté la loi sur les autopsies judiciaires. En effet, ce texte, applicable depuis le mois de mai, prévoit que, « lorsque les prélèvements biologiques réalisés au cours d’une autopsie judiciaire ne sont plus nécessaires à la manifestation de la vérité, l’autorité judiciaire compétente peut ordonner leur destruction. » Bizarrement, cette loi fait suite à la destruction intempestive d’éléments dans l’affaire dite des « disparus de l’Isère », ces neuf enfants probablement assassinés. Mais voilà, la conservation de ces « scellés humains » coûte cher, car les hôpitaux se font payer pour les garder.
En prenant cette décision de détruire des prélèvements biologiques, on ferme donc la porte à toute nouvelle recherche, sans se soucier de savoir si des techniques plus sophistiquées pourraient demain voir le jour.

Et qu’en est-il des autres scellés ? Toutes les précautions sont-elles prises pour les conserver ? On se souvient de l’affolement lorsqu’on s’est aperçu que certaines pièces du dossier de l’affaire Boulin avaient disparu ! Il aura fallu un mois pour les retrouver – au Palais de justice de Paris, alors que l’enquête concernait le tribunal de Versailles. Sans commentaire.

Une chose me semble évidente : au fil des ans la société acceptera de moins en moins qu’une action criminelle reste impunie. Et il est vraisemblable que les délais de prescription, qui se sont déjà bien rallongés dans plusieurs domaines (terrorisme, trafic de stupéfiants…), seront appelés à disparaître, comme c’est déjà le cas en matière de crime contre l’humanité. Un projet de loi circule d’ailleurs pour rendre les crimes sexuels commis sur des mineurs imprescriptibles. Un dossier non résolu ne sera donc plus jamais fermé.

Et il reste à la justice française à franchir un pas de plus : accepter de remettre en cause un jugement définitif. Ce qui n’est pas évident. Le rejet de la révision du procès de Dany Leprince, condamné pour les meurtres de son frère, de sa belle-sœur et de deux de ses nièces, en est un exemple. Les juges ont estimé que de nouvelles traces ADN et de nouveaux témoignages n’étaient pas des éléments nouveaux « de nature à faire naître un doute sur la culpabilité du condamné. » Alors qu’aux États-Unis, 266 condamnés (certains à mort) auraient été innocentés grâce à un test génétique. Existerait-il plus d’erreurs judiciaires de l’autre côté de l’Atlantique ?

Les juges ne sont pas des oracles. Lorsque deux cours d’assises rendent des décisions opposées, comme dans l’affaire contre Patrick Dils (condamné puis acquitté) ou Maurice Agnelet (acquitté puis condamné), c’est que l’une des deux s’est trompée.

Allez, un petit espoir… Il y a quelques années, le propriétaire d’un chien a été condamné car celui-ci n’était pas stérilisé, comme le prévoit la loi pour les chiens de 1ère catégorie. Il s’agit d’un délit. Le propriétaire décide alors de faire « expertiser » son animal de compagnie. Le vétérinaire conclut que celui-ci est morphologiquement proche du labrador et qu’il n’entre nullement dans la catégorie  des chiens dits dangereux. Avis confirmé par l’expert désigné par la Commission de révision. Ce nouvel élément, inconnu des juges lors du procès, était donc de nature à faire naître un doute sur la culpabilité du condamné. Et le jugement – pourtant définitif – a été annulé.

Comme quoi la justice peut reconnaître ses erreurs. Et si l’on se penche sur un vieux dossier, il faut accepter de le lire dans les deux sens.