Dans l’affaire des fadettes du Monde, le procureur de Nanterre, Philippe Courroye, a beau batailler, il n’en a pas moins été mis en examen, comme n’importe quel pékin, comme n’importe quel flic. Et l’on ne peut pas dire que ses collègues se démènent pour prendre sa défense. Il faut reconnaître que ses arguments manquent plutôt de crédibilité et surtout de panache, notamment lorsqu’il charge les policiers, dont, de par la loi, il est le patron.

Voilà une affaire qui ne va pas redorer le blason des procureurs. Déjà qu’ils n’ont pas le moral…

Ainsi, le mois dernier, lors de leur conférence nationale, ils avaient clairement manifesté leur amertume. Ils supportent de plus en plus difficilement d’être considérés comme de simples fonctionnaires, aux ordres du pouvoir exécutif. Ils réclament en priorité un statut qui ne remette pas en cause leur qualité de magistrat.

Ce n’est pas à l’ordre du jour.

Ainsi, le garde des Sceaux a mis un an avant de répondre à un député qui s’inquiétait de savoir si la réforme de la procédure pénale était d’actualité, notamment « la réforme du statut du parquet, pour qu’il soit réellement indépendant de l’exécutif » – et si le gouvernement entendait supprimer les instructions aux procureurs et modifier leur mode de nomination. Réponse embrouillée pour défendre le statut actuel du procureur, et claire pour le reste : « Il n’est pas envisagé par le gouvernement de supprimer les instructions individuelles, ni de modifier le mode de nomination des magistrats du parquet. »

Dont acte.

Les procureurs dénoncent aussi dans ce… manifeste la profusion des textes qui entraîne une sorte d’insécurité juridique, et enfin, comme beaucoup d’autres, ils rouscaillent sur le manque de moyens et de personnels. Pénurie qui amène les tribunaux à faire appel aux citoyens « délégués du procureur ». Des assistants occasionnels (dans le privé on dirait des intérimaires) habilités à prendre certaines mesures en matière répressive, et rétribués au coup par coup. Pour la petite histoire, il semble d’ailleurs que leurs rémunérations (prises sur les frais de justice) ne supportent aucune charge sociale et ne fassent l’objet d’aucune déclaration fiscale. Ce qui est en contradiction avec la loi.

Mais pourquoi ce malaise chez les procureurs ?

Les replâtrages successifs du Code de procédure pénale y sont pour beaucoup et notamment la place prépondérante prise aujourd’hui par l’enquête préliminaire. Il y a quelques années, on n’aurait jamais lu dans la presse, « le procureur a ouvert une enquête préliminaire ». Celle-ci était le plus souvent laissée à l’initiative du policier. C’était même l’apanage de l’agent de police judiciaire. En effet, nul besoin d’être OPJ car – sauf garde à vue – il n’était pas possible d’utiliser des moyens coercitifs. Je me souviens d’une époque où il était impensable d’obtenir l’identification d’un numéro de téléphone qui ne se trouvait pas dans l’annuaire sans la commission rogatoire d’un juge. Ou de ces heures passées à faire le pied de grue devant une porte en attendant le précieux document qui nous autoriserait à forcer la serrure. Les choses ont bien changé. Depuis 1993, au fil des ans, le législateur a multiplié les hypothèses de contrainte, donnant de plus en plus d’importance à l’enquête préliminaire. Au point que les pouvoirs du procureur se rapprochent aujourd’hui de ceux du juge d’instruction. Mais il est évident qu’il ne peut suivre chaque dossier comme le fait un magistrat instructeur. Il y en a trop. 96% des enquêtes. Il doit donc déléguer largement aux policiers et aux gendarmes. Et l’on voit bien les limites de cette délégation dans l’affaire des fadettes du Monde. Les responsables de l’IGS, sentant la patate, ont demandé au procureur Courroye un ordre écrit. Ce qui, a contrario, signifie que d’ordinaire, cela n’existe pas. Pour bien faire le distinguo, le juge, lorsqu’il charge un OPJ d’une mission précise, en mentionne tous les détails dans sa commission rogatoire. Il engage sa responsabilité. Ici, on arrive à cette situation, où, pour se couvrir, le commissaire Daniel Jacquème, le chef adjoint de l’IGS, fait état dans un procès-verbal, d’instructions téléphoniques lui demandant d’obtenir les textes des SMS échangés par les journalistes. Tout cela ne fait pas très sérieux.

Le procureur a une place prépondérante dans le suivi des enquêtes judiciaires. Il est aux deux bouts de la chaîne. Parfois, il peut même « négocier » une peine. Le bon sens voudrait donc que son statut évolue. C’est, je crois, l’un des engagements de François Hollande. Mais pas seulement. En novembre 2011, le député Jean-Pierre Grand et cinq de ses collègues ont déposé une proposition de loi constitutionnelle visant à instaurer un « procureur général de la Nation ». Un chef des procureurs, en quelques sortes, qui serait nommé par le Conseil supérieur de la magistrature et qui ne serait pas révocable par le pouvoir politique. Une avancée sérieuse. D’autant que ce député a été élu sous l’étiquette UMP. Depuis, il faut dire qu’il a été suspendu pour avoir tenu des propos qui contredisaient le président de la République. Ce trublion faisait aussi partie du noyau de parlementaires qui a déposé un amendement à la Loi de Finances pour baisser leur salaire. Amendement rejeté. Depuis, il reverse 10 % de son indemnité au centre d’action sociale de sa commune. Cela vaut bien un petit coup de chapeau.

Bilan : les juges d’instruction condamnés un temps à disparaître sont toujours là. Et de plus en plus de voix s’élèvent pour demander l’indépendance des procureurs. Mais cela n’ira pas tout seul. Des magistrats indépendants, c’est « politiquement » ingérable.