LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Étiquette : Jean-Jacques Urvoas

La lutte contre le terrorisme passe-t-elle par les armes ou par le droit ?

En ce mois de mai 2013, les parlementaires se sont penchés sur deux rapports concernant les services de renseignement français. Le premier concerne l’encadrement juridique de leur action, tandis que le second analyse leur fonctionnement « dans le suivi et la surveillance des mouvements radicaux armés ». Et comme les deux portent la griffe du député Jean-Jacques Urvoas, on retrouve un peu de l’un dans l’autre. À la lecture de ces documents, au demeurant fort intéressants (que l’on peut trouver ici et ici), il reste une question en suspens : Faut-il accorder aux agents qui luttent contre le terrorisme des pouvoirs extra-judiciaires ?

Conférence de Jean-Jacques Urvoas

De quoi s’agit-il ? De donner à des policiers des pouvoirs de police administrative équivalents à ceux qu’ils détiennent dans le cadre d’une enquête judiciaire : surveillance, captation d’images, de sons, géolocalisation, intrusion occulte dans un domicile, une voiture… Tout cela sur des personnes qui n’ont commis aucun crime, aucun délit. De simples suspects.

Quels sont les services concernés ?

Les principaux acteurs du renseignement français sont au nombre de six, mais trois seulement ont un rôle important dans la lutte contre le terrorisme :

La DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure), autrefois surnommée La Piscine en raison de la proximité de ses bureaux avec la piscine des Tourelles, est chargée du renseignement et de l’action à l’extérieur des frontières. Sous sa forme actuelle, ce service a été créé en 1982. Il a remplacé le SDECE (Service de documentation extérieure et de contre-espionnage), lequel a été rattaché au ministère de la Défense en 1966, après l’affaire Ben Barka. La DGSE n’a aucune relation avec la Justice.

Tracfin (Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins) est rattaché au ministère des Finances. Ce service a été créé en 1990 pour lutter contre le blanchiment d’argent. Dix ans plus tard, il a vu ses compétences élargies à la lutte contre le financement du terrorisme, et, en 2007, il a rejoint la communauté du renseignement.  Il y a deux ans, une cellule spécifique a été créée pour mieux détecter le financement du terrorisme. Un travail de fourmi. C’est un service d’enquêtes administratives.

La DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur) a été créée en 2008 en mariant la DST (Direction de la surveillance du territoire) et une grande partie de la DCRG (Direction centrale des renseignements généraux). Particularité française, c’est à la fois un service secret et un service de police judiciaire.

C’est cette double casquette qui pose problème, car, comme tout service secret, une partie de son activité est clandestine, voire entachée d’illégalité. En revanche, dès qu’un OPJ de la DCRI rédige un procès-verbal, il doit respecter scrupuleusement la loi et il agit alors sous le contrôle d’un magistrat. Or, les informations recueillies en tant « qu’agent secret » ne peuvent figurer dans une procédure, sauf à se livrer à des acrobaties qui aboutissent souvent à des dossiers bancales et à mettre les magistrats dans l’embarras (l’affaire de Tarnac en est un bon exemple). Ainsi, le juge anti-terroriste Marc Trévidic n’hésite pas à déclarer devant les parlementaires : « J’ai moi-même été amené à faire des choses qui ne sont pas légales, car il n’est pas possible de faire autrement… ».

Source : rapport de la Commission d’enquête C.Cavard/JJ.Urvoas

Alors, pour pallier cette difficulté, le député Urvoas, qui est aussi le président de la Commission des lois, propose de faire adopter une loi qui aurait l’avantage de rendre les choses illégales légales.

Aucun risque de dérapage, nous assure-t-il, car aujourd’hui l’État ne peut se soustraire aux juridictions administratives ou à l’acuité des médias. Lire dans un rapport parlementaire que les journalistes sont là pour assurer le contrôle de l’État est assez surprenant…

Yves Bertrand, l’ancien directeur des RG, qui vient de mourir, déclarait l’année dernière à Médiapart (cité par Wikipédia) en parlant de la création de la DCRI  « On ne fusionne pas un service dont la vocation est avant tout judiciaire et opérationnelle, comme la DST, avec un service d’information, comme les RG (…) sinon pour créer une  » police politique  » ». Je ne suis pas loin de partager son avis. En tout cas, si le rapport parlementaire sur « le nouveau cadre juridique pour les activités du renseignement » est suivi d’effet, on prend le risque de s’en approcher un peu plus.

Vous me direz, il faut bien se donner les moyens de lutter contre le terrorisme !

Comment lutter contre le terrorisme ? – En fait il y a deux méthodes pour combattre ce fléau. Soit on estime qu’il s’agit d’une guerre, et alors le terroriste est un ennemi qu’il faut éliminer à tout prix. Dans ce cas, la Justice devient un obstacle. C’est la voie choisie par les États-Unis. Pour les autorités de ce pays, on se trouve en présence d’un conflit d’un nouveau genre, sans uniforme et sans patrie, et l’on peut par conséquent s’affranchir de toutes les conventions internationales. – Mais ceux qui font le sale boulot ne sont pas des policiers.

Soit on considère les terroristes comme des criminels et on les combat par le code pénal. C’est la méthode européenne. Pour nous, Français, cette démarche est conforme à notre passé qui veut que l’on ne déclare pas la guerre à des hommes mais seulement à des États et que l’on ne condamne pas a priori un mouvement, mais uniquement ceux qui, à l’intérieur de ce mouvement, se livrent à des actes criminels. Et cependant, il faut bien reconnaître que la menace islamiste remet les pendules à l’heure, car l’action d’un juge ne sera jamais suffisante.

Pourtant, il n’y a pas d’alternative : le terroriste est un ennemi ou un justiciable. Et se cacher derrière une loi pour effectuer des opérations hors la loi relève du clair-obscur. Dans les services techniques de la DST où j’ai œuvré durant plusieurs années, il y avait des fonctionnaires qui posaient des micros, d’autres ouvraient les serrures, d’autres le courrier… Chacun savait qu’il faisait une chose illégale, mais c’était pour la bonne cause, du moins le croyait-on (le contre-exemple étant la pose de micros dans les locaux du Canard Enchaîné). Si ces actes avaient été couverts par une loi, ils n’auraient eu que l’apparence de la légalité. Ce que le professeur Massimo Donini, de l’Université de Modène, qualifie de « droit pénal de l’ennemi », et qu’il ne considère en aucun cas comme un droit légitime. Il faut prendre garde de ne pas glisser de l’État de droit à l’État de police, ajoute-t-il dans la Revue de science criminelle 2009.

À ce jour, on peut dire que les deux méthodes sont plutôt inefficaces. Mais la méthode américaine présente au moins l’avantage de bien séparer le terrorisme des autres activités criminelles. Alors que chez nous, il y a fréquemment confusion des genres et les décisions prises pour lutter contre le terrorisme s’appliquent souvent à des infractions de droit commun. Et, à l’arrivée, nos libertés individuelles sont de plus en plus écornées, au point aujourd’hui de pouvoir condamner quelqu’un non pas pour un crime ou une tentative de crime, mais pour une simple intention criminelle.

Chérie, tu peux arrêter l’aspirateur ! Je suis en train de lire Urvoas dans le texte.. et le bruit m’empêche de me concentrer.

Il n’existe sans doute aucune solution satisfaisante, mais notre exigence de sécurité ne doit pas nous inciter à faire n’importe quoi. Il faut faire le moins mal possible. Il existe bien l’article 15 de la Convention européenne de droits de l’homme qui prévoit des dérogations à certains grands principes. Et notre Constitution, elle, renforce sérieusement les pouvoirs de police administrative lorsque l’état d’urgence est décrété. Alors, il y a peut-être quelque chose à envisager en se rapportant à ces textes… Une sorte d’état d’urgence au coup par coup : pour un temps déterminé et pour des faits précis, il serait accordé des pouvoirs exceptionnels à des services de police spécialement désignés… Et leur action serait contrôlée a posteriori. Mais finalement c’est peut-être ça que préconise M. Urvoas.

Allez, je vais relire les 360 pages de ses deux rapports…

Faut-il démanteler la DCRI ?

La direction centrale du renseignement intérieur, c’est un peu le fait du prince. Créée par la seule volonté du président Sarkozy, sur les conseils forcément autorisés d’on ne sait trop qui, à ce jour, elle n’a pas réussi à convaincre. Pire, elle draine la suspicion. Sa première affaire, l’arrestation spectaculaire, au fin fond de la Corrèze, de Julien Coupat et de son équipe de pseudo-terroristes, restera dans les annales. Une enquête, affirmait alors sans rire le ministre de l’Intérieur (Mme Alliot-Marie), effectuée en collaboration avec les services secrets américains et ceux de plusieurs pays d’Europe, qui a mis à mal une « structure à vocation terroriste ». Et aujourd’hui, une affaire qui semble en déliquescence. D’autant qu’une information judiciaire a été ouverte pour faux en écriture publique, en raison d’un procès-verbal de surveillance peut-être bidonné. Et une seconde, par un juge de Brive-la-Gaillarde, pour des écoutes sauvages mises en place sur le bar-épicerie que tenaient les « terroristes ».

On pourrait se dire qu’il s’agissait d’une mise en jambes… Sauf que si le service était tout récent, les policiers, eux, ne manquaient pas d’expérience. C’est donc l’organisation même qui a failli. Trop proche du pouvoir politique, diront certains.

C’est sans doute l’avis du député Jean-Jacques Urvoas. Dans une étude de trente pages, que l’on peut télécharger sur le site de la fondation Jean Jaurès, Il revient sur la suppression de la direction de la surveillance du territoire (DST) et des renseignements généraux (DCRG). Une réorganisation effectuée à l’emporte pièces, sans aucune étude préalable, supprimant d’un coup des services qui marchaient bien, même si tous deux ont connu parfois quelques trous d’air. Avec un objectif principal : centraliser le renseignement « fermé », c’est-à-dire secret, voire protégé par l’estampille « secret-défense ». Les RG de Paris, qui dépendent du préfet de police, sont d’ailleurs restés en dehors de la réforme. Même si l’on a changé leur nom : les RGPP sont devenus la DRPP (direction du renseignement de la préfecture de police).

Pour le reste de la France, la direction des renseignements généraux a été dissoute pour faire place à une sous-direction de l’information générale (SDIG) rattachée à la sécurité publique. Perdant au passage plus de la moitié de ses effectifs. Rappelons que si les RG avaient souvent mauvaise presse dans l’opinion publique, aucun gouvernement, ni de droite ni de gauche, n’avait pris jusqu’ici le risque de s’en passer. Ils étaient un peu le thermomètre de la société. La SDIG, qui les a remplacés, a-t-elle les moyens de suivre les difficultés de la population, des entreprises, des commerçants, des administrations… ? En fait, avec cette réforme, il semble bien que nos dirigeants se soient coupés de la France profonde. Ils sont à présent souvent dans l’impossibilité de prévoir une fermeture d’usine, un mouvement social…, ou tout simplement de prendre le pouls d’une cité de banlieue.

Quant à la gendarmerie nationale, qui excelle dans le domaine du renseignement « ouvert », après une période de flottement, elle a finalement relancé son activité dans ce domaine. Ce qui entraîne une compétition gendarmerie-police qui va à l’encontre de l’objectif fixé par le rapprochement de ces deux grands corps de l’État.

« Comment se fait-il qu’à l’heure actuelle, demande M. Urvoas, en pleine crise économique, aucune synthèse ne vienne centraliser les notes alarmistes qui remontent des services territoriaux, annonçant la fermeture imminente en cascade d’entreprises et d’usines ? » Et de quand date la dernière synthèse nationale sur les violences urbaines ? Le député socialiste propose plusieurs pistes de réflexion pour « reconstruire » le renseignement social, dont la création d’une direction générale. Peu importe les modalités, le plus important, me semble-t-il, tient dans le titre même de la note : Rebâtir le renseignement de proximité.

Et, comme cela suppose des moyens en hommes et en matériel, il est probable que l’on déshabille la DCRI. En deux mots, on reviendrait peu ou prou à la case départ. En essayant de faire mieux, mais en se disant aussi que cela ne marchait pas si mal avant.

Écolos : la police en vert

À l’automne, Europe Écologie les Verts (EELV) devrait sortir un programme de gouvernement dans lequel – c’est une première – la sécurité tiendra une place marquante. En attendant, histoire de se mettre en bouche, un petit recueil des « meilleures idées » vient de paraître : La sécurité urbaine en questions. Un projet coordonné par le Cédis, le centre de formation agréé pour les élus locaux, rédigé par des chercheurs et des élus, sous la direction d’Anne Wyvekens, directrice de recherche au CNRS.

Il s’agit d’une boîte à outils pour les écologistes, lesquels ont parfois un peu de mal à faire coïncider leur idéologie avec les contraintes liées à la sécurité, comme restreindre certaines libertés, voire tout simplement réprimer : « Difficile de mettre fin à la violence tout en s’affirmant non violent », peut-on lire dans ce document. Pourtant, le temps de l’angélisme est bien passé. La nouvelle génération des Verts a les pieds sur terre, comme Émilie Thérouin, adjointe au Maire d’Amiens, chargée de la sécurité et de la prévention des risques urbains. La seule élue écologiste responsable de la sécurité dans une ville de gauche.

Même s’il n’existe pas de structures, comme au PS, c’est un peu la Madame Sécurité des écolos, où elle œuvre la main dans la main avec Pierre Januel, coresponsable de la Commission Justice d’EELV. Pour elle, le maire doit être au centre de la sécurité sur le plan local, ce qu’on peut appeler la police au quotidien, sans toutefois que le premier magistrat de la commune ne s’implique dans la chaîne pénale. Une différence notable avec le Monsieur Sécurité du PS, Jean-Jacques Urvoas. Les Comités de liaisons police(s)/population pourraient être la base de cette gouvernance locale de la sécurité que les écologistes appellent de leurs vœux. Le premier s’est tenu à Amiens-nord à la suite des violences urbaines du printemps 2009. Il s’agit de rapprocher les habitants des quartiers « chauds » des services de police. Et de les faire participer à leur propre sécurité en instaurant une confiance à tous les niveaux. C’est le contre-pied de la politique actuelle basée sur la tolérance zéro et la confrontation permanente, comme s’il s’agissait de savoir qui a la plus grosse. Aujourd’hui, regrette Christian Mouhanna (CESDIP-CNRS) : « Il n’est plus question de médiation ou de prévention par les gardiens de la paix, il faut de la répression chiffrée ». La volonté actuelle est d’ailleurs d’entraîner les polices municipales dans ce scénario, d’où la décision d’attribuer la qualité d’OPJ à certains de ses membres. Un projet retoqué par le Conseil constitutionnel.

Extrait du document « Orientation du projet Europe Écologie - Les Verts 2012 »

Si en 2012 il y a alternance politique, les policiers municipaux devront se faire une raison, ils reviendront à leurs missions de base, réputées moins dangereuses, et se contenteront sans doute d’un armement de 6° catégorie. Donc, pas d’armes à feu, ni Flash-ball ni Taser, mais en revanche des moyens de protection adéquats.

Pour résumer la doctrine écologiste, du moins telle que je l’ai comprise, le maintien de l’ordre et la police répressive doivent rester du domaine exclusif de l’État, car lui seul a le « monopole de la coercition légitime ». Raison pour laquelle, les policiers et les gendarmes sont armés. Il en va différemment pour les policiers municipaux. Ils ne doivent pas être les duplicatas de leurs collègues de la Nationale mais au contraire montrer leur originalité et leur différence, en fonction de la commune où ils exercent. EELV est très proche du PS sur ce sujet, que l’on parle de police de proximité (même si le mot est tabou), de police du quotidien ou de tranquillité publique. Un directeur de la tranquillité publique, comme à Nantes, ça a de la gueule, non !

Quant aux préfets, ils devraient dépendre du Premier ministre et non du ministre de l’Intérieur, nous dit le pré-projet écolo. Car ils sont les représentants de l’État dans le département et non d’un seul ministre, et pourtant, ils consacrent le plus clair de leur activité aux problèmes de sécurité, au détriment des autres services de l’État. De nos jours, que ce soit dans la justice, la police ou la gendarmerie, plus personne n’agit, tout le monde réagit. La pression écrase. Les préfets de département, assis sur des sièges éjectables, sont devenus des chefs de police – d’ailleurs certains sont d’anciens chefs de police.

Le programme sécurité d’EELV devrait finalement être très proche de celui du PS. D’ailleurs, la semaine dernière, une première réunion de travail s’est tenue entre les deux mouvements politiques « sur l’établissement du volet « sécurité » d’une éventuelle plate-forme gouvernementale pour la prochaine législature », écrit Jean-Jacques Urvoas sur son blog. Il existe quelques différences, m’a dit Émilie Thérouin, comme par exemple la création d’un grand ministère de la Règle et du Droit qui regrouperait justice et police, projet cher au député du Finistère qui ne semble pas faire école chez les Verts. Peut-être que la candidate Éva Joly a des idées plus personnelles sur le sujet…

Touche pas à ma PP !

À la veille des élections présidentielles, la préfecture de police de Paris tremblerait-elle sur ses bases ? Déjà qu’elle doit déménager… Pour l’heure, le préfet de police, Michel Gaudin, met les pieds dans le plat et se permet de juger les juges. À ses yeux, ils feraient preuve d’une trop grande mansuétude, notamment vis-à-vis des récidivistes. « Je communiquerai régulièrement sur le cas de ces délinquants, souvent mineurs, que la police arrête avec plus de cinquante délits à leur passif », dit-il. Je suppose qu’il voulait dire « à leur actif ». Et pour mieux faire passer l’idée que les magistrats ne font pas leur travail, il prend les médias à témoin en diffusant des flashes hebdomadaires d’information. « Ici sur un cambrioleur « qui pourra fêter sa 50e arrestation en prison », là sur un receleur « connu pour 72 rôles », ailleurs sur un « voleur de voitures interpellé pour la 97e fois » », écrit Jean-Marc Leclerc dans Le Figaro du 8 septembre 2011.

Pour cela, le préfet a mis en place un système de triage pour identifier ces délinquants d’habitudes, suspectés, pour faire simple… de ne pas avoir modifié leurs habitudes. Et il a donné des instructions au directeur de la PJ afin de les retrouver et de les suivre à la trace. Une mission paraît-il prioritaire. Cette volonté du préfet s’appuierait sur le rapport du député Éric Ciotti, le monsieur sécurité de l’UMP.

Dans le genre embrouillamini, on ne peut guère faire mieux. En exagérant à peine, on peut dire que le représentant du gouvernement (pouvoir exécutif) fustige les juges (pouvoir judiciaire) en tenant compte du rapport d’un député (pouvoir législatif) qui agit au nom d’un parti politique. Allô ! Montesquieu…

La préfecture de police est une institution unique en Europe qui prive le maire de Paris de ses pouvoirs de police et le préfet de Paris (et non de police) de ses pouvoirs de représentant de l’État dans le département. Elle fait de la PP un État dans l’État, et le préfet de police est certainement l’un des hommes les plus puissants de France. Il est à la fois responsable de la sécurité des personnes et des biens, de la sécurité civile et de la police administrative. Et il est en outre préfet de défense de l’Île-de-France.

On comprend mieux pourquoi Jean-Jacques Urvoas, le monsieur sécurité du PS, estime qu’il faut démembrer la PP. Une idée qui provoque bien des grincements de dents, comme un hourvari au sein du sérail. C’est l’ancien préfet de police Philippe Massoni (1993-2001) qui est monté au créneau. Il faut reconnaître qu’il le fait avec circonspection. « L’organisation de la police française est certainement perfectible mais il n’est pas certain que la suppression de l’institution qui en est la clef de voûte depuis plus de deux siècles apparaisse comme une piste à suivre », peut-on lire dans une dépêche AFP qui rapporte ses propos.

La pucelle change de bord – Résurgence du passé, la PP a officiellement vu le jour sous le premier consul Bonaparte, et depuis, elle a résisté à toutes les attaques. Ainsi, lors de la dernière guerre, même si de nombreux policiers ont œuvré dans l’ombre pour combattre l’ennemi, il n’en demeure pas moins vrai que la police parisienne a arrêté environ 40 % des 70 000 Juifs déportés de France. Ces policiers-là n’ont pas su « braver les interdits » ni « contrevenir aux ordres inacceptables », comme le dit si justement le préfet Gaudin dans la préface d’un document « Au cœur de la préfecture de police : de la Résistance à la Libération » (Luc Rudolph – Éd. LBM). Un choc qui aurait dû être fatal à la Grande Maison. Alors que sous Pétain, déjà, elle avait résisté aux velléités de réformes du ministre de l’Intérieur Pierre Pucheu, l’inventeur des « Brigades spéciales ». En 1966, à la suite de l’affaire Ben Barka, sous la pression du président De Gaulle, le ministre de l’Intérieur Roger Frey étatise l’ensemble des forces de police. C’est la création de la police nationale qui réunit à la fois la sûreté nationale et la préfecture de police. Enfin une vraie réforme ! À l’arrivée, une même tenue, la même carte tricolore, la même formation – et la pucelle, cette plaque avec le numéro de l’agent, qui change de côté. Dorénavant, tout le monde la portera à gauche, ou à droite, je ne sais plus. C’est peut-être la seule conséquence visible de cette réforme. Je plaisante, mais, police d’État ou pas, la toute puissance de la PP reste intacte. Et, ces dernières années, sous la pression du président Sarkozy, sa compétence s’est même étendue aux départements qui entourent la capitale.

La PP, indissociable d’un État centralisé – Pour le député socialiste J.J. Urvoas, elle a été instituée pour protéger l’État plus que pour protéger la population. Et dans un sens, on comprend bien que la ville où siègent les principales institutions du pays doive faire l’objet de toutes les attentions. Mais cela est moins vrai en matière de police judiciaire. Comment expliquer, par exemple, qu’un préfet soit averti, parfois avant les magistrats, d’une enquête politiquement sensible ? Qu’est-ce qui justifie que la brillante brigade criminelle du 36 soit sous la houlette du représentant du pouvoir exécutif ? Situation tellement gênante, que dans les années 70, de jeunes magistrats sont partis en guerre contre ce système qui les prive d’une partie de leurs prérogatives. Combat perdu.

Et l’on se souvient de l’affaire Tibéri, en 1996. Olivier Foll, alors patron de la PJ, refuse que ses fonctionnaires assistent le juge Halphen lors d’une perquisition au domicile des époux Tibéri. Même s’il assume, tout le monde sait bien qu’il n’a fait qu’obéir aux incitations pressantes de sa hiérarchie, en l’occurrence le ministre de l’Intérieur Jean-Louis Debré, et le secrétaire général de l’Élysée, Dominique de Villepin. Un véritable scandale pour les syndicats de la magistrature. Le symbole d’une police judiciaire à la botte du pouvoir, etc. Et ils réclament à grands cris le rattachement de la PJ à la Chancellerie. L’année suivante, le gouvernement change de bord, comme la pucelle, il passe de la droite à la gauche, et M. Jospin remplace M. Juppé. On va voir ce qu’on va voir ! Olivier Foll est débarqué et rejoint le cimetière aux éléphants. Fin de la séquence.

Le rattachement de la PJ à la justice est certainement une belle aventure intellectuelle, mais elle le restera. Je crois d’ailleurs que les policiers en n’ont pas envie. Certes, ils ont une double casquette, et dans leur travail quotidien beaucoup sont amenés à rendre compte aux magistrats, mais, dans les faits, ils n’ont qu’un chef, et il n’est pas place Vendôme. Et la PP restera monolithique. Nos prochains dirigeants auront d’ailleurs bien d’autres chats à fouetter que de s’occuper d’une institution à l’autarcie un peu agaçante, mais dont personne ne peut nier l’efficacité.

Finalement, je suis assez d’accord avec le préfet Massoni, la PP est une boutique qui tourne bien, mais elle est perfectible. On peut même dire qu’après tant d’années, la vieille dame n’aurait pas volé un bon lifting.

© 2024 POLICEtcetera

Theme by Anders NorenUp ↑