En diffusant à une heure de forte audience un téléfilm soutenant la thèse de l’assassinat de Robert Boulin, France 3 pose une vraie question : Quelle est la limite entre la fiction et la diffamation ?

François Berléand dans le rôle de Robert Boulin

Je sais bien que pour de nombreuses personnes la mort de M. Boulin est un assassinat perpétré par des hommes de main agissant pour le compte de personnages en vue ; selon les versions, soit parce que le président Giscard d’Estaing voulait faire de ce gaulliste son Premier ministre, soit parce qu’il menaçait de dévoiler des magouilles dans le financement de partis politiques. Certains ont fait de cette thèse leur gagne-pain. Chacun a, évidement, le droit de penser ce qu’il veut – et de le dire.

Sous certaines réserves.

Ainsi, lorsque les faits sont présentés dans une fiction, jouée au demeurant par de remarquables comédiens, cela prend une tout autre dimension. On nous a donc présenté mardi, sur une chaîne publique, en prime time un téléfilm mettant en scène l’assassinat de Robert Boulin (alors qu’un documentaire relatant des faits plus étayés avait été diffusé en deuxième partie de soirée, la veille). Un assassinat fomenté par plusieurs personnalités politiques de droite nettement désignées. Malgré l’avertissement du pré-générique, les choses sont claires : on sait qui a commandité le meurtre. Certains des protagonistes sont aujourd’hui morts, d’autres sont vivants. J’imagine la tête de la petite-fille de l’un d’entre eux arrivant à l’école pour s’entendre dire : « Alors, c’est vrai que ton papy a tué Boulin ? »

Dans ce film, Messieurs Sanguinetti, Pasqua, Foccart, Debizet, Chirac, etc., sont identifiés comme les instigateurs. Les exécutants, eux, sont des membres du SAC. Et si ce crime reste impuni, c’est grâce à la complicité de plusieurs magistrats, de deux médecins légistes et de dizaines de policiers de la PJ de Versailles.

De plus, dans le débat qui a suivi, Jean Charbonnel, ancien ministre et ami de Robert Boulin, nous révèle qu’Alexandre Sanguinetti (mort en 1980) lui a donné les noms « de deux personnalités politiques toujours vivantes » qui auraient participé à ce complot. Noms qu’il refuse de communiquer, sauf à un juge d’instruction.

A partir de là, il n’y a que deux solutions : soit on rouvre le dossier pour recueillir le témoignage de tous ces gens (aussi bien les accusateurs que les accusés) ; soit on poursuit en diffamation ceux qui portent « atteinte à l’honneur et à la considération » des personnes incriminées dans ce scénario. Mais l’article 29 de la loi sur la presse s’applique-t-il à une fiction diffusée sur une chaîne de télévision ?