Les policiers canadiens les appellent les drogues de dernière génération. Ils en saisissent beaucoup. Des tonnes. « Cuisinées » dans des laboratoires de fortune, mais parfois aussi produites de manière quasi industrielle, elles sont en grande partie destinées à l’exportation. Les « cocktails de drogues » ainsi réalisés sont chargés sur des camions ou noyés dans le fret aérien, et partent aux quatre coins de la planète : États-Unis, Australie, Nouvelle-Zélande, Japon, et aussi Europe. En très peu de temps, le Canada est devenu la plaque tournante des drogues de synthèse. Quant à la consommation locale, il semble qu’elle concerne plutôt les jeunes. Ils la privilégieraient à la cocaïne, à l’héroïne et même au haschich.

La France n’est pas épargnée. Pour l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), ces drogues seraient apparues d’une manière conséquente il y a seulement quelques années. La première a été identifiée en Europe en 2005 (par un laboratoire français) : la MDHOET (ou N-hydroxyethyl MDA). Leur succès tient à la similitude des effets par rapport aux drogues plus traditionnelles. Mais, si leur structure moléculaire se rapproche des amphétamines, de la cocaïne, etc., elle n’est cependant pas tout à fait identique. Et de ce fait, elles échappent à la législation sur les stupéfiants – du moins jusqu’au jour où elles sont identifiées. Ce qui demande du temps et des moyens. Il existe une collaboration entre les différents laboratoires au niveau national et européen, via le Système d’Alerte Précoce (Early Warning System : EWS). Les informations sont dispatchées par Eurotox qui se trouve à la tête d’un système de diffusion du type pyramidal. Après l’avoir repérée, il faut environ six mois pour inscrire une substance psychoactive au tableau des stupéfiants.

Si les drogues répertoriées sont systématiquement saisies et placées sous scellés, une note de la DGPN rappelle que des prélèvements de produits présumés stupéfiants sont également possibles, notamment pour alimenter la base de données nationale. Ils ne peuvent toutefois être utilisés dans une procédure judiciaire.

En 2008, une enquête nationale, concluait que les drogues de synthèse étaient encore ignorées des jeunes de 17 ans. En revanche, la méphédrone (surnommée depuis « miaou miaou »), était déjà prisée dans certains cercles d’initiés, gays en particulier. Ces effets stimulants, de type ecstasy, étant particulièrement recherchés lors de débauches sexuelles. Pour faire simple, on peut dire que c’est la drogue des partouzards. Elle a été classée dans les produits stupéfiants en juin 2010. Mais il n’était pas difficile de s’en procurer sur le Net, où elle se présentait sous diverses étiquettes : sels de bain, engrais… Sa fabrication et sa commercialisation ont finalement été interdites par décision des ministres de l’Intérieur de l’U-E, il y a environ un an.

Dans ce domaine, les choses vont très vite. Ainsi, dans un article du Figaro de mars dernier, le commissaire Lucas Philippe, responsable de la division du renseignement et de la stratégie au sein de l’Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (OCTRIS), déclarait qu’aujourd’hui, les jeunes de 18-20 ans étaient « particulièrement concernés ». Il faut dire que le prix et la facilité d’usage rendent ces petites pilules bien attrayantes…

En matière de drogue, le besoin crée le business. Il est tellement facile de se procurer les ingrédients sur l’Internet, que l’on pourrait bientôt voir, chez nous, des coins de cuisine se transformer en labo de fortune. Si ce n’est déjà le cas. D’autant que les services de la douane sont maintenant sensibilisés au problème : l’importation devient plus risquée. L’année dernière, les saisies frontalières ont explosé les statistiques.

Mais à ce jour, rien à voir avec le Canada. Là-bas, les drogues de synthèse sont devenues un enjeu des différentes mafias. Avec des laboratoires parfois dissimulés au sein même d’entreprises qui ont pignon sur rue. Un peu comme dans la série télévisée américaine Breaking bad, dans laquelle le petit professeur de chimie du Nouveau-Mexique est récupéré par les narcotrafiquants pour une production de masse. Du coup, la gendarmerie royale canadienne (GRC) a mis en place une unité pour surveiller les courtiers en produits chimiques et détecter ceux qui alimentent les circuits mafieux. Et une section spéciale a également été créée pour lutter contre les drogues synthétiques.

Bizarrement, notre gouvernement, pourtant prompt à dégainer, n’a pas vraiment réagi devant cette menace. Et pourtant, les drogues de synthèse sont autrement plus dangereuses que le cannabis. Elles sont tellement différentes de l’une à l’autre que le consommateur ne sait jamais ce qu’il ingurgite. Comme on peut le voir dans la liste (partielle) tirée d’un rapport canadien de 2008. On y trouve même parfois du Sildénafil, c’est-à-dire du Viagra. Or ces molécules, utilisées dans les médicaments, ont toutes des effets indésirables, voire contradictoires. Et peuvent entraîner notamment des troubles cardiaques. Autrement dit, quelle que soit la couleur de ces petites pilules, le simple fait d’en avaler une revient à jouer à la roulette russe…

Dans n’importe quelle commune de la banlieue parisienne, la moitié de l’activité judiciaire des policiers  vise des affaires de stupéfiants. Pour une grande part, le cannabis. Je peux me tromper, mais la déferlante des drogues de nouvelle génération va probablement bientôt toucher notre pays. Et, pour être pragmatique, il faudra alors faire un choix entre la poursuite judiciaire du petit fumeur de joints et la protection de la santé publique – et surtout de notre jeunesse. Le débat sur la dépénalisation du cannabis  pourrait alors ressembler à un combat du passé.