LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Étiquette : Contrôles d’identité

Police : le retour de la pucelle ?

Parmi les ballons d’essai lâchés par M. Valls pour rapprocher la police de la population figurent le « contrôle » des contrôles d’identité, le bannissement du tutoiement et la réapparition du matricule sur l’uniforme. Le matricule, c’est le numéro d’identification attribué à chaque fonctionnaire de police et qui le suit sa carrière durant. Autrefois, les gardiens de la paix le portaient sur un écusson accroché à la boutonnière : la pucelle.

Pucelle de la Préfecture de police (site Amicale Police Patrimoine)

Il y a plusieurs origines possibles à ce nom, toutes militaires. Ma préférée : les jeunes recrues devaient ouvrir la boutonnière pour y glisser l’attache. Il fallait donc la dépuceler. Lors de la création de la police nationale, en 1966 (les mots « police nationale » ont été utilisés une première fois sous Vichy), la pucelle a survécu. Pour la police parisienne, elle a seulement changé de côté, elle est passée de gauche à droite (mais on peut intervertir, hein !).

L’air de rien, un matricule visible pourrait être considéré comme un premier pas vers un rapprochement des policiers et de la population. Soudain, derrière l’uniforme, il y a quelqu’un. Alors que depuis près de 30 ans, la tendance est inverse. On s’est efforcé de « déshumaniser » la fonction et de la couper du reste de la société. Peut-être le relent d’une vieille crainte : voir les forces de sécurité se ranger du côté du peuple !

En 1984, dans le cadre du plan de modernisation de la police voulu par Pierre Joxe, il a été décidé de changer les uniformes. Le traditionnel képi a disparu, remplacé par la casquette plate. Et la pucelle aussi, remplacée par rien du tout. Je ne sais pas s’il s’agissait d’un caprice du couturier Balmain (qui a créé la tenue) ou d’une décision politique. Pourtant, on peut dire que si M. Joxe a laissé son empreinte Place Beauvau, il a également été le premier ministre de l’Intérieur à fermer la police au monde extérieur, interdisant, par exemple, toute communication avec la presse. Un élagage peut-être nécessaire : trop de têtes dépassaient.

En 1995, Jean-Louis Debré remplace Charles Pasqua à l’Intérieur et les inspecteurs de police deviennent des officiers. Et la police nationale devient la « petite muette ».

En 2004, Nicolas Sarkozy, décide de changer la tenue pour la rendre plus fonctionnelle. Disons que le policier devient plus martial (et à mon avis moins élégant). Cette fois, les uniformes sont griffés Balenciaga. Mais toujours pas de retour de la pucelle : elle semble définitivement condamnée puisque le nouvel habit ne comporte pas de poche sur la poitrine, donc pas de boutonnière.

Et pourtant, aujourd’hui, l’idée est de nouveau dans l’air. Et pas seulement en France.

Ainsi, l’année dernière, en Belgique, à la suite de violences infligées à une jeune « indignée », un collectif d’avocats a demandé au ministre de l’Intérieur que tout agent en uniforme ou en civil soit rendu identifiable par la présence d’un numéro matricule. Et, récemment, le sénateur Gérard Deprez a déposé une proposition de loi en ce sens (dans ce pays, il existe déjà un texte, mais il n’est pas appliqué). En résumé, il souhaite que les policiers en tenue portent de manière visible leur numéro matricule personnel et que ceux qui agissent en civil le portent sur leur brassard. Il base d’ailleurs son argumentaire sur un arrêt du 11 octobre 2011, rendu par la CEDH (M. Deprez a été député européen durant 25 ans). La Cour s’est penchée sur le cas d’un citoyen bulgare qui a été victime de coups et blessures infligés par des policiers cagoulés. Elle a condamné la Bulgarie pour violation de l’article 3 de la Convention. En deux mots, il aurait fallu que les policiers portent un signe distinctif qui, tout en préservant leur anonymat, permette de les identifier.

Policier masqué (Revue Police Pro)

Au Québec, le Code de déontologie oblige les forces de l’ordre à porter un moyen d’identification. Or, ces derniers jours, des photos ont fait le buzz sur le Net. Elles montraient des policiers qui avaient collé des rubans adhésifs sur leur casque antiémeute, dont l’un cachait le numéro d’identification. Le Service de police de la ville de Montréal (SVPM) a diligenté une enquête, tout en faisant preuve de circonspection. Il semblerait, d’après le SVPM, que les manifestants étudiants prennent un malin plaisir à submerger le service des enquêtes internes de plaintes pas toujours justifiées. Une crainte exprimée par les policiers français si les contrôles d’identité devaient donner lieu à un récépissé.

Chez nous, le code de déontologie ne parle pas de l’identification des policiers. Et, à ma connaissance, rien ne les oblige à communiquer leur matricule – si ce n’est sur un P-V. Mais les syndicats ne semblent pas opposés à la réapparition de la pucelle.

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Sur le même sujet, un « lien contextuel » sur Le Monde : Manuel Valls sceptique sur les récépissés. Et, sur ce blog, Contrôles d’identité : Est-ce l’angélisme qui sonne ?


Contrôles d’identité : Est-ce l’angélisme qui sonne ?

L’annonce du Premier ministre sur la délivrance d’un « reçu » lors d’un contrôle d’identité a fait ricaner dans les commissariats. Faut dire, qu’en dehors de toute sensibilité politique, on les attend un peu au tournant, les gens de gauche. On se demande quelle sera leur première boulette. Ici, on a un bel exemple d’une idée simple, généreuse, et en décalage sérieux par rapport aux réalités. Eh oui ! Le chemin est long du bureau au terrain. Mais, comme durant la campagne présidentielle M. Hollande a sans cesse parlé de concertation, on peut supposer que cette mesure ne sera pas prise de manière autocratique. Comme cela a souvent été le cas ces dernières années. Il n’y a pas le feu au lac. On prend l’avis des gens qui savent et surtout celui des gens qui font, et puis, pourquoi pas ! on commence par une expérimentation dans un secteur type, comme le suggère le délégué national d’un syndicat majoritaire.

Mais avant tout, il ne serait peut-être pas inutile de s’interroger sur le but des contrôles d’identité. On trouve en partie la réponse dans l’article 78-2 du code de procédure pénale. Un article un peu flou.

Quels sont les critères de base qui autorisent policiers et gendarmes à contrôler l’identité d’une personne ?

  • –      Elle est suspectée d’avoir commis une infraction ;
  • –      Elle est suspectée de se préparer à commettre un crime ou un délit ;
  • –      Elle est susceptible de fournir des renseignements utiles sur une enquête pour un crime ou un délit ;
  • –      Elle fait l’objet d’une recherche judiciaire ;
  • –      Cas particuliers (espace Schengen, trains…).

Mais l’identité d’une personne peut également être contrôlée pour prévenir une atteinte à l’ordre public, notamment à la sécurité des personnes et des biens. On parle alors d’un « contrôle administratif ».

Un individu qui tournicote bizarrement autour de voitures en stationnement n’est pas suspect (légalement) de préparer un vol à la roulotte, mais en lui demandant ses papiers, le policier envisage cette possibilité. Il fait de la prévention. Et pour cela, il se fie à son instinct de flic.

Mais je suppose que dans l’esprit de nos nouveaux dirigeants, ce ne sont pas ces situations qui sont visées, mais les contrôles systématiques. Ils sont faits soit pour prévenir un trouble à l’ordre public (contrôle administratif) soit sur réquisition écrite du procureur de la République, en principe « aux fins de recherche et de poursuite d’infractions ». C’est de la PJ-scanner.

Depuis une loi de 2003, toutes les conditions énumérées ci-dessus sont laissées à l’appréciation du policier ou du gendarme. Il suffit qu’il existe « des raisons plausibles de soupçonner que ». Ce sont donc ces quelques mots qui encourageraient les contrôles au faciès (entre nous, c’était la même chose avant, sauf que ce n’était pas écrit). Il est aussi malhonnête de les nier que de les généraliser. Et en disant ça, on pense à la couleur de la peau. Mais il y a bien d’autres détails qui peuvent attirer l’attention du policier : le comportement, l’accoutrement, l’âge et surtout cette réaction instinctive qui trahit soit un sentiment de culpabilité soit, tout simplement, la crainte d’être contrôlé. C’est ce petit truc que guettent les douaniers lorsque les voyageurs ont récupéré leurs bagages, et qu’ils se dirigent vers la sortie de l’aérogare. Personnellement, je passe rarement la douane sans être fouillé. Lorsque je voyage en groupe, on organise des paris. Et je gagne souvent. C’est le délit de sale gueule.

Alors, le reçu est-il la solution ? Il va ralentir les contrôles, il va obliger à relever l’identité de la personne contrôlée et, comme le fonctionnaire va engager sa responsabilité, il se montrera plus pointilleux. En contrepartie une personne pourra exhiber son reçu si elle subit un deuxième contrôle. Mais comme elle aura déjà été interpellée et qu’il faudra bien comparer son identité avec celle figurant sur le reçu, on ne voit pas trop l’avantage… Mais je dois être de mauvaise foi.

Pour mémoire, toute personne doit accepter de se prêter à un contrôle d’identité (78-1 du CPP). Seuls la carte nationale d’identité et le passeport électronique permettent de certifier de son identité. Mais comme ni l’un ni l’autre ne sont obligatoires, il est possible de présenter d’autres documents. Dans le doute (ce qui est rare) ou en l’absence de toute justification, un contrôle plus approfondi peut-être envisagé avec une rétention qui ne peut excéder 4 heures.

Lors du vote de la loi de 2003, dite Sarkozy II, haro de l’opposition ! Pour la gauche, ce texte allait favoriser les contrôles au faciès. Le Conseil constitutionnel a été saisi. Celui-ci a gentiment botté en touche, rappelant qu’il appartenait au législateur de faire la part des choses entre les libertés individuelles garanties par la Constitution et la nécessité de sauvegarder l’ordre public. Or, dans une quinzaine de jours, la gauche pourrait reprendre la main. En bonne logique, on peut donc penser que les parlementaires vont se pencher sur le code de procédure pénale pour lui donner un petit coup de jeune. Et qu’ils ne se limiteront pas à un modeste reçu… Peut-être un badge « J’ai été contrôlé ! »… Je plaisante.

Mais le problème est presque derrière nous : la technologie RFID ainsi que la reconnaissance faciale via les caméras de vidéosurveillance et le nouveau fichier TAJ (traitement d’antécédents judiciaires) qui remplace le STIC et le JUDEX (décret du 4 mai 2012) vont rendre quasi inutiles les contrôles physiques. Nous serons bientôt contrôlés sans même nous en apercevoir.

Elle est pas belle la vie de demain !

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