LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Étiquette : Christophe Gavat

Mis en examen dans l’affaire Neyret, un policier raconte…

« Il y avait quelque chose de surréaliste dans cette scène. Le juge seul derrière son grand bureau vide, à sa droite son greffier, encombré de dossiers, derrière l’écran mes deux avocats dans leur belle robe noire (…)  Il a croisé les mains sur son grand bureau vide, m’a fixé droit dans les yeux. J’ai soutenu son regard. Une tentative d’intimidation comme dans les cours d’école. C’est toujours plus facile de jouer, quand on est sûr de gagner. Il m’a mis en examen pour trafic de stupéfiants (…) détournement de scellés, vols en réunion et association de malfaiteurs… »

Christophe Gavat n’est pas allé en prison. Il était tellement soulagé, qu’il a serré la main du magistrat. En lisant son livre, 96 heures – Un commissaire en garde à vue, aux éditions Michalon, j’ai eu l’impression qu’il regrettait son geste… Il a néanmoins fait l’objet d’un contrôle judiciaire drastique qui lui interdisait d’exercer son métier, d’adresser la parole à ses collègues, à ses amis, et même de se déplacer. « Cette affaire m’a changé. Je me suis rendu compte à quel point la machine judiciaire pouvait broyer les hommes. C’est une mécanique de précision déshumanisée. La chance pour le juge d’instruction dans cette affaire, c’est qu’aucun policier ne se soit suicidé. Parce que le suicide, j’y ai pensé. » Les juges ont-ils conscience de la portée de leurs décisions ? Psychologiquement, un contrôle judiciaire peut être plus dur à supporter que la prison, car on est tout seul. Enfin, je dis ça, mais je n’ai vécu ni l’un ni l’autre.

Fortement marqué par cette expérience, depuis la Guyane, là où il exerce aujourd’hui les fonctions de sous-directeur de la police de l’air et des frontières, Christophe Gavat n’a trouvé qu’un moyen pour tirer un trait sur cette période : écrire. Écrire son histoire, son ressenti, son amertume, sa désillusion. Un peu comme un amoureux éconduit fait un poème à sa bien-aimée.

Le 29 septembre 2011, lorsque « l’affaire » a éclaté, il dirigeait l’antenne de PJ de Grenoble. Michel Neyret était donc son patron direct. L’info tourne en boucle sur les ondes et dans sa tête.  « Michel, mon chef, mon modèle », arrêté !… Il ne comprend pas, mais l’idée ne l’effleure même pas qu’il pourrait à son tour être visé par l’enquête. Ou tout au plus comme témoin. Et pourtant…

Le soir, il dîne avec ses parents. L’ambiance n’y est pas. Le téléphone sonne. C’est un copain de promo : « Christophe, j’ai consulté Internet. Ton nom complet est sur les sites. Ils disent que demain à dix heures, tu seras placé en garde à vue… » C’est ainsi qu’il apprend qu’il est sur la liste de l’IGS. « Putain, c’est quoi ce bordel ! (…) La presse au courant. Au courant des futurs gardés à vue par la police des polices (…) Trop forts ces journalistes ! »

Le lendemain à l’aube, il prend le TGV pour Lyon.

Toute l’enquête des bœufs-carottes sera ainsi en live dans les journaux, à la radio, à la télé, sur le Web. Chacun y allant de ses phantasmes. À se demander si certains journalistes n’avaient pas connaissance de la procédure avant les magistrats. Les policiers de l’IGS (à l’époque très proche du Pouvoir) avaient-ils des consignes pour agir de cette manière ? Cette enquête a-t-elle servi d’écran de fumée alors que, dans l’affaire Bettencourt, l’information judiciaire venait d’être dépaysée à Bordeaux et que les soupçons d’un abus de faiblesse au préjudice de la milliardaire commençaient à prendre corps ? Christophe Gavat est mis en cause pour n’avoir pas osé dire non à son chef. Les charges contre lui se résument à deux ou trois coups de fil de Michel Neyret, alors que celui-ci était sur écoute. L’un d’eux, en particulier, lorsqu’il lui demande si, dans sa dernière affaire de stups, il a pu mettre un peu de « produit » de côté pour l’un de ses « amigos » – Et il n’a pas osé l’envoyer se faire foutre. « Oui, oui, qu’il a répondu. C’est fait ! » – Mais pour autant, il ne l’a pas fait. Il n’a pas obéi.

La drogue avait d’ailleurs été brûlée à la déchetterie, selon la procédure habituelle, devant témoins, chacun ayant signé le procès-verbal de destruction. La suspicion du juge d’instruction est-elle là ? D’ailleurs, je crois que les policiers devraient refuser de détruire un scellé. Après tout, un scellé judiciaire est placé sous la responsabilité du Greffe du tribunal et il appartient à la Justice de s’en dépatouiller.

Lorsqu’il se présente pour passer au « tourniquet », Gavat est serein : « Je n’ai jamais remis de came à un indicateur », écrit-il.

Christophe Gavat en opération Harpie en Guyane
(avec son aimable autorisation)

À Lyon, il est reçu par Christian Lothion, le directeur de la PJ. « Je vais pas vous la faire à l’envers, lui dit celui-ci, Michel est accroché. Ils le tiennent. Pour vous, je ne sais pas ce qu’il y a exactement dans le dossier. Mais il semble que ce soit plus fragile (…) Sauvez vos couilles de là. Tant qu’on le pourra, on sera derrière vous. »

« À l’époque, dit Christophe Gavat, je n’ai pas compris tous les messages qu’il a voulu me faire passer, ils ont pris un sens plus tard, mais je dois reconnaître qu’il a toujours été là. »

Plus tard, c’est maintenant. Il ne sait toujours pas ce que l’on lui reproche. Son dossier lambine à l’instruction. Le juge ne semble pas pressé, puisque, en 18 mois, les policiers de l’IGS n’ont pas eu le temps de lui retourner sa commission rogatoire – et que cela ne le dérange pas.

Ce livre était forcément difficile à écrire, et le lecteur a parfois du mal à suivre, à s’accrocher aux allers-retours de l’auteur, tant il a de choses à dire. Mais c’est un livre chargé d’émotion. Bien sûr, Christophe Gavat a dû se limiter à son propre vécu, revenant   sur les enquêtes qui l’ont le plus marqué. On peut se sentir un peu frustré. On aimerait en savoir plus sur l’affaire de Lyon. Percer les arcanes. Mais déjà, comme ça, en le publiant, il a pris d’énormes risques. Une manière de fermer la porte de l’Intérieur pour mieux l’ouvrir sur l’extérieur. Et là, je sais de quoi je parle. A son âge, j’ai fait la même chose.

J’ai l’impression que le commissaire Gavat pourrait bien reprendre le fil d’un vieux rêve : le théâtre, le cinéma… Il ne sera pas tout seul : des amis l’attendent, comme Olivier Marchal et Bruno Wolkowitch, les deux flics de la pièce Pluie d’enfer.

Affaire Neyret : la procédure a-t-elle été bâclée ?

En tout cas, c’est ce que pensent les avocats. Ils ont saisi la Cour d’appel et demandent ni plus ni moins l’annulation du dossier. Les magistrats de la chambre d’instruction ont reporté au 5 avril prochain l’examen des différentes demandes. Ils pourraient les rejeter en bloc, invalider certains actes de la procédure ou, éventuellement, l’annuler en entier. Voilà de quoi faire rêver Michel Neyret dans sa cellule !

Cela semble toutefois peu probable. Il faut en effet se souvenir que l’affaire a été traitée par l’Inspection générale des services (IGS), donc (on l’espère) par des policiers d’un haut niveau procédural ; et par la Juridiction interrégionale spécialisée de Paris (JIRS), composée de magistrats triés sur le volet. On peut donc penser que le dossier est bien saucissonné.

À moins que…

Si l’on en croit Le Point qui, depuis le début, suit l’enquête de très près, certains éléments soulevés par les avocats semblent néanmoins sérieux.

Si j’ai bien compris, une grande partie des faits reprochés aux protagonistes de cette affaire repose sur des écoutes téléphoniques. Des écoutes capricieuses, à en croire Me Kaminski, l’avocat de Stéphane Alzraa (celui qui aurait fait profiter de ses largesses le commissaire Neyret).  C’est lui qui a porté la première estocade : son client a été entendu sur des écoutes téléphoniques qui n’étaient pas dans la procédure. Ce qui pose un vrai problème. Car on peut soit en déduire qu’il s’agissait d’écoutes administratives (donc en principe inutilisables en justice), soit que c’est le souk dans la procédure.

Je dois avouer que la deuxième version me plaît bien. Car, en fait, il est extrêmement difficile de s’y retrouver lorsqu’une douzaine d’individus sont placés sur écoute simultanément. Cela est vrai pour les policiers qui doivent faire la part des choses dans un flonflon de mots souvent anodins, et encore plus pour les juges qui, eux, doivent se faire une opinion sur des propos extraits d’une ou plusieurs conversations. Ainsi, lorsque les avocats relèvent que les premières écoutes téléphoniques sont antérieures à l’ouverture de l’information judiciaire, indéniablement, ils marquent un point. Il semblerait que ces enregistrements aient été effectués par la brigade des stups, alors qu’elle travaillait sur une autre affaire. Si c’est le cas, comme il s’agit d’éléments pouvant faire penser à un crime ou un délit qui ne concerne pas leur enquête, ils ne peuvent en faire état dans leur procédure. La bonne règle veut alors que l’on en avise le procureur qui juge de l’opportunité d’ouvrir une enquête préliminaire. Mais, dans le cas présent, les faits se passent à Lyon, le proc de Paris n’est donc pas « territorialement » compétent. Il doit passer le relais. Et s’il craint des fuites, car l’affaire pourrait mettre en cause des policiers, voire des magistrats, il lui reste la possibilité de saisir un service à compétence nationale, comme l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) ou un office central de la police judiciaire.

Or, la question que l’on se pose depuis le début de cette affaire, c’est pourquoi avoir saisi les policiers parisiens d’une affaire pour laquelle ils n’avaient pas compétence ? La question reste sans réponse. Mais le sentiment de nombreux policiers de province est double. Un, il y a eu méfiance des autorités vis-à-vis des policiers qui n’appartiennent pas au sérail (la PP) ; deux, l’IGS sait montrer beaucoup de « souplesse » dans ses enquêtes. Opinion renforcée par des affaires récentes, comme celle du trafic supposé de titres de séjour ou même l’affaire des fadettes d’un journaliste du Monde.

Me Kaminski, a donc aujourd’hui beau jeu de dire que les critères de compétence du parquet et du juge d’instruction n’ont pas été respectés, « puisqu’aucune des infractions n’a été commise à Paris, aucun des suspects n’y réside et qu’ils ont tous été interpellés en province ».

Cela suffit-il à faire tomber la procédure ? Pour les avocats du commissaire Christophe Gavat, l’ancien chef de la PJ de Grenoble, la question ne se pose même pas, car ils se demandent encore pourquoi leur client a été mis en examen. Pour eux, le dossier est vide.  Le policier est soupçonné d’avoir détourné des scellés (de drogue), à la demande de Michel Neyret, afin de rétribuer des indicateurs. L’air de rien, lors de son arrestation, France 3 a rappelé que ce commissaire atypique (il veut être comédien), lorsqu’il était en poste à Perpignan, a arrêté le maire UMP de Saint-Cyprien, lequel s’est suicidé en prison. Et que dans une affaire de trafic de cocaïne, il a également mis en garde à vue un autre élu de ce parti politique. « Le fait qu’il se soit attaqué à des notables de l’UMP peut-il expliquer les déboires qu’il connaît aujourd’hui ? » s’interroge innocemment le journaliste.

Cette histoire peut-elle avoir un lien avec les idées politiques des uns ou des autres ?  Je ne veux pas le croire. Mais si Michel Neyret et ses collègues avaient eu le « bon » profil, les enquêteurs auraient peut-être reçu la consigne d’y aller avec des gants… Alors que là, le directeur central de la PJ leur a tenu la tête sous l’eau, tandis que des fuites dans la presse faisaient monter la pression. Et, dès la fin de sa garde à vue, Michel Neyret a été suspendu par le ministre de l’Intérieur. « Il ne faut jamais faire quoi que ce soit d’illégal », a virilement déclaré Claude Guéant sur France 2. Depuis, d’autres policiers ont eu un traitement moins ferme.

Alors ce dossier, vide, bâclé ou solide ? Je n’en sais rien. Il faut attendre la décision de la chambre d’instruction de la Cour d’appel. Et dans quelques mois, ou des années, la justice passera, et nous saurons peut-être si autre chose se cachait derrière l’apparence des faits. Mais avec le temps, cela n’intéressera plus personne.

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