LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Étiquette : Bruno Sulak

De Sulak à « Libre »

Le film de Mélanie Laurent, qui doit sortir début novembre sur Prime Vidéo, devait s’appeler Sulak ; ce sera finalement Libre. On peut voir dans cette modification la patte des juristes d’Amazon, frileux devant la rouspétance de Pauline, la sœur du truand défunt, qui a grondé fort pour s’opposer au tournage de ce biopic. Il faut dire qu’elle-même, après avoir écrit deux livres sur Bruno Sulak et participé pleinement à celui de Jaenada, a des projets filmographiques.

Mélanie Laurent tourne la séquence « cabine téléphonique » où Steve (Rasha Bukvic) appelle Bruno Sulak (Lucas Bravo) pour mettre au point leur voyage au Brésil

Dans l’impossibilité de me rendre à la projection à laquelle la prod m’avait gentiment invité, j’ai eu la possibilité, grâce à l’obligeance d’une journaliste, de visionner Libre, sur mon ordi, avant sa sortie officielle. Que voulez-vous, la vie n’est faite que de passe-droits… Ma curiosité était d’autant plus forte que j’étais allé sur la prise de vue de deux ou trois séquences. Rien de bandant ! Cela m’a rappelé les planques de PJ : on passe son temps à attendre. Les figurants, ceux qui ont de l’expérience, s’emménagent un petit espace à l’ombre ou au chaud, c’est selon ; certains lisent, d’autres font les mots fléchés, d’autres somnolent. Il y avait même une dame qui tricotait. Un instant, j’ai revu ma mère, partie depuis longtemps, je croyais que plus personne ne tricotait. Tu sais maman, j’ai toujours le tour de cou bleu marine que tu m’avais tricoté lorsque j’étais marin ! Il y a plus de soixante ans. Il est collector, comme on dit aujourd’hui.

Puisque l’on parle du temps qui passe, et pas nécessairement perdu, la sortie de Libre, correspond à quelques jours près à l’anniversaire de Bruno Sulak et à celui de son ami Radisa Jovanovic, dit Steve. L’un et l’autre auraient eu 69 ans. Steve est mort sous les balles d’un policier de la PJ de Bordeaux, en mars 1984 ; Bruno en tentant une nouvelle évasion, en mars 1985.

Le film de Mélanie est une belle histoire d’amour entre Bruno (Lucas Bravo) et Thalie (Léa Luce Busato), sa complice, mais pour le reste, c’est une fiction à temps plein. Seule la perruque d’Yvan Attal dans le rôle du commissaire (moi) peut rappeler ma tignasse de l’époque. L’aspect flic-truand est un rien décevant pour les enquêteurs « survivants » de l’Office du banditisme, service que j’avais l’honneur de diriger à l’époque.

Quant à la finale, l’évasion de Fleury-Mérogis, elle m’a laissé sur ma faim. D’autant qu’elle est inutilement de parti-pris. Elle ne correspond d’ailleurs pas au scénario original de Chris Deslandes.

Je vais donc tenter de rétablir la vérité – du moins celle que l’on connaît.

En mars 1983, après un hold-up à Thionville qui avait mal tourné, et qui aurait pu se terminer dans le sang, Bruno Sulak avait décidé d’arrêter. C’est du moins ce qu’il m’avait affirmé, car à l’époque, après chaque braquage, il prenait un malin plaisir à me passer un coup de fil, un peu pour me narguer, un peu pour me tester. Je lui avais rétorqué que je n’y croyais pas une seconde, qu’il était accro à son adrénaline de truand, comme moi je l’étais dans mon métier de poulaga. « Si, si, tu vas voir, encore un ou deux coups, et tu n’entendras plus jamais parler de moi… »

Pour les braquages, il tint parole. Au mois d’août, il « tape » la bijouterie Cartier de Cannes ; en décembre, la bijouterie « les Ambassadeurs » dans la galerie feutrée du Hilton de Genève – et il s’envole pour le Brésil.

Pour se préretraite, on ne saura jamais s’il aurait tenu parole… À son retour du Brésil, via le Portugal, un douanier stagiaire tique sur ses documents d’identité, au nom de Radisa Savik. Les CRS viennent en renfort. Sulak invente une fable : il voyage avec de faux papiers parce qu’il n’a pas payé la pension alimentaire de sa femme, etc.  Il donne sa « véritable » identité, tout aussi fausse que la précédente. Ce qu’il ne sait pas, c’est que la voiture qu’il a payée cash au Portugal est un véhicule volé. Direction la prison. Mais à l’OCRB, un fin limier voit passer le télégramme, il demande la photo et bingo ! Bruno Sulak est récupéré alors qu’il s’apprêtait à être relâché en attente de son jugement pour des délits mineurs.

« Je crois que je n’ai plus la baraka », m’avait-il dit quelques mois plus tôt. Il est écroué à la Santé, puis à Fleury-Mérogis. Fleury, la plus grande prison d’Europe, celle dont on ne s’évade pas, une monstrueuse bâtisse en forme d’étoile, proprette et morbidement anonyme. Un lieu où, pour chaque détenu à l’isolement, les jours et les nuits se succèdent au rythme de la pénombre diffusée par une fenêtre barreaudée qui n’ouvre sur rien. « Je persiste à croire que 22 heures sur 24, enfermé sans rien faire d’autre que tourner en rond ne peut que détruire… », écrivait à l’époque Bruno Sulak.

Lors de sa garde à vue, en janvier 1982, en parlant avec lui de choses et d’autres, j’avais compris combien l’idée d’être bloqué entre quatre murs lui était insupportable. « La prison, je n’accepterai jamais. La mort vaut mieux que la prison », m’avait-il confié, à l’époque. Dans l’exercice de mon métier, en police judiciaire, j’ai connu pas mal de truands, et si la plupart se font une raison et empruntent des biais pour supporter l’enfermement, d’autres ne peuvent pas vivre sans apercevoir l’horizon. Ils se révoltent, et pour eux, c’est la double peine, ils sont enfermés dans leur tête.

Bien que fiché DPS, Bruno Sulak est un détenu sans problème, plutôt bien vu de ses matons. Il se lie d’amitié avec Marc Metge, un stagiaire dont c’est le premier poste. Celui-ci n’est pas aguerri. Il tombe sous le charme de ce jeune homme que la presse présente comme un gentleman cambrioleur. Aussi, lorsqu’il lui demande de l’aider à s’évader, il ne dit pas non. D’autant que Sulak lui promet une grosse somme d’argent. Un virement sur un compte offshore. Il en parle à Thierry Sniter, un sous-directeur stagiaire qui n’a pas plus d’expérience que lui. Il ne reste plus qu’à peaufiner un plan. Sniter donne son numéro de téléphone personnel à Sulak, afin qu’il puisse le communiquer à ses amis, à l’extérieur.

Au début, Bruno Sulak se méfie. C’est trop facile. Et si c’était un « turbin » de la police pour identifier ses complices… Pour lui qui a toujours assumé ses actes sans jamais donner un ami, la décision n’est pas facile. Mais ses amis justement n’hésitent pas une seconde : il faut tenter le coup.

Le 18 mars, un peu après minuit, Metge vient chercher Sulak et le conduit jusqu’à la grille du couloir où l’attend Sniter. Celui-ci possède le sésame qui ouvre toutes les serrures. Il le guide dans le labyrinthe du bâtiment D2 : une porte, un couloir, un escalier et des portes, encore des portes, jusqu’à « la rotonde », le cœur de la prison, à deux pas de la sortie. Les deux hommes se séparent devant une grille. Sulak doit l’escalader pour rejoindre le bâtiment administratif, tandis que son complice détournera l’attention de ses collègues qui, depuis « l’aquarium », le centre de contrôle de la prison, assurent la sécurité des lieux. Sulak doit ensuite gagner le 1er étage pour s’enfuir par la fenêtre d’un bureau dont la porte n’est habituellement pas fermée à clé. Un saut de trois mètres et il atterrit dans le parking réservé au personnel. Ensuite, il se dissimule dans la voiture de Sniter et il l’attend. La liberté est toute proche !

Ça a failli marcher ! Sauf que la porte « habituellement pas fermée à clé » était fermée à clé.

Ce qui s’est passé après, personne ne le sait. Probablement à l’approche d’une ronde, Sulak s’est-il réfugié dans un bureau du deuxième, le seul à ne pas être fermé à clé, celui où se trouve la machine à café. Peut-être même a-t-il ouvert la fenêtre avec l’idée de sauter. La porte s’ouvre… Il a juste le temps de se glisser dans un placard avant que les surveillants ne pénètrent dans les lieux. C’est la pause-café. Plusieurs minutes s’écoulent.

Le fugitif retient son souffle – mais pas son talkie-walkie. Le contraire de la baraka, c’est quoi ? Il est découvert. Profitant de l’effet de surprise, il fonce vers la fenêtre. Les surveillants cherchent à le retenir. Ils l’agrippent par son blouson. Il leur reste dans les mains. Sulak tombe plutôt qu’il ne saute sept mètres plus bas, sur le bitume du parking.

 « Ne referme pas mon dossier, commissaire ! » m’avait-il en quittant les locaux du 127. Lorsque j’ai appris qu’il n’avait aucune chance de se remettre de ses blessures, que pour lui c’était la fin de l’aventure, franchement, j’ai eu un coup de blues.

Le trésor de Sulak

La PJ, de 1982

PARTIE 15 – Cette année-là, un vent de suspicion souffle au ministère de l’intérieur. Le virus de la paranoïa se répand dans les hautes sphères et certains vont même imaginer que la police est en train de manigancer un coup d’état. Toutefois, pendant que les uns règlent leurs comptes avec les autres, et vice-versa, les affaires continuent. Truands et terroristes s’en donnent à cœur joie.

À peine installé aux manettes, Gaston Defferre demande un audit sur la police. Un sondage top secret, mais complètement bidon, qui aboutit à la conclusion politiquement-incorrect-de-petillon.1176784159.jpgque la majorité des fonctionnaires de police sont opposés au gouvernement de Pierre Mauroy. Ils sont qualifiés de «droitiers». En janvier 1982, Jean-Michel Belorgey, député PS de l’Allier, remet à Defferre un rapport sur la réforme de la police. À la lecture du seul préambule, les rares policiers qui ont eu le privilège de lire ce… poulet, sautent au plafond. La police, pour résumer l’incipit, est « inefficace et envahissante… Elle préfère s’immiscer insidieusement dans les sphères de la vie sociale, plutôt que de protéger les honnêtes gens… Elle donne l’image d’un corps prétorien ou d’une police politique…» Et le reste est du même tonneau. À tel point que même Defferre n’ose entreprendre les réformes envisagées. Un journal parle de « rapport poubelle ». Pourtant, n’en déplaise à certains, à part le verbiage idéologique, tout n’était pas à jeter dans ce document. L’idée d’un organisme de contrôle extérieur à la grande maison pouvait être creusée, à condition d’en exclure les actes de police judiciaire, qui sont sous la responsabilité des magistrats. Et ce précepte, que Belorgey proposait d’insérer dans le code de déontologie, et que tous les chefs de police rejetèrent comme un seul homme : « Tout policier doit s’abstenir d’exécuter tout ordre dont il sait, ou devrait savoir, qu’il est illégal. » Cette phrase n’est que la paraphrase du code pénal.

Mais en ce début d’année, les services spécialisés dans la lutte contre le grand banditisme, comme l’OCRB, dont je suis devenu le chef à la suite d’un gilbert-ciamaraglia_photo-presse.1176754620.jpgmouvement de chaises musicales, ont d’autres chats à fouetter. Quelques mois auparavant, le juge Pierre Michel a été tué, à Marseille, par deux hommes montés sur une moto rouge. Tout est mis en œuvre pour retrouver les coupables. Une seule certitude : c’est le milieu. Mais lequel ? Michel était un magistrat efficace, mais impitoyable. Et ses ennemis étaient légions. D’entrée, les soupçons se portent sur Gaétan Zampa. La presse le désigne comme le commanditaire. Et, chose invraisemblable, Zampa se fend, via maître Pelletier, d’un droit de réponse. Il dément formellement toute implication dans ce meurtre.On aurait peut-être dû en tenir compte, car, avec le recul, on peut penser que nous, les cracks (?) de la lutte contre le grand banditisme, on s’est fait bananer. En effet, Zampa, à cette époque, est installé en région parisienne, d’où il dirige, disons… ses affaires. Il est très lié à Gérard Vigier, qui tient une boîte de nuit à Ozoir-la-Ferrière, en Seine-et-Marne. Son épouse, Christiane Convers, est actionnaire principal d’un complexe de loisirs, Le Krypton, implanté à Aix-en-Provence. Et il semble avoir organisé un trafic de stupéfiants sur une grande échelle : l’importation de morphine base depuis la Turquie. On pensecharles-giardana_photo-presse.1176754396.jpg même que, pour limiter les risques, il a imaginé un moyen judicieux. Le produit est placé dans de petits caissons, fixés sous les wagons d’un train. Et, grâce à une télécommande, la drogue peut être larguée à distance, à n’importe quel endroit sur le passage du train. Autrement dit, hormis la guerre contre Jacky le Mat, qui lui pose problème, il est bien installé. Comme tous les truands qui ont réussi, il aimerait bien « s’embourgeoiser ». Il n’a donc aucun intérêt à faire assassiner le juge Michel, car ce crime ne pouvait que mobiliser des centaines de policiers contre lui. Ce qui s’est passé. Les auteurs de ce meurtre, deux porte-flingues, seront arrêtés en 1986, à la suite de confidences recueillies par la police suisse. Charles Altieri pilotait la moto et François Checchi, se trouvait à l’arrière. C’est lui qui a ouvert le feu. La préparation a été effectuée par quatre petits voyous marseillais de la bande de la Capelette, Gilbert Ciaramaglia, Charles Giardina, Daniel Danty et André Cermolacce. On a dit que François Girard, dit François le blond, impliqué dans la Sicilian connection, arrêté en juillet 1981, aurait pu être l’instigateur de ce crime. On a aussi parlé de la mafia franco sicilienne. Et de moins en moins de Zampa. En 1984 (donc sans connaître l’épilogue), Philippe Lefebvre a tiré un film de ces événements, Le juge, avec Jacques Perrin et Richard Bohringer.

Le 24 février, c’est la naissance d’Amandine, le premier bébé éprouvette français (Qu’est-elle devenue ?), et, un mois plus tard, Defferre fait adopter par l’assemblée nationale sa loi sur la décentralisation. Pendant ce temps, les policiers participent aux premières élections professionnelles depuis l’avènement de la gauche. Et ils votent comme d’habitude. D’aucuns pensent qu’on ne peut tirer aucun enseignement de ce scrutin. Alors qu’il crève les yeux : dans leur métier, les poulets se fichent de la politique. Mais certains des nouveaux dirigeants de gauche, qui depuis des années « cassent du flic », ne peuvent du jour au lendemain admettre qu’ils se sont fourvoyés, et que la police n’est pas un ramassis de fachos, mais tout simplement un corps d’état au service de la République. L’exemple vient de haut. Mitterrand vire les policiers habituellement chargés de la protection du président de la République, pour les remplacer par des gendarmes. Parallèlement, il crée à ses côtés la fameuse cellule élyséenne, dirigée par le commandant Prouteau. Il nomme un secrétaire d’état chargé de la police, Joseph Franceschi, et, à la tête de tout ça, il place un fidèle parmi les fidèles, Michel Charasse. Lequel choisit le sous-préfet Gilles Ménage pour l’aider dans sa tâche. Afin de suivre les affaires en direct, ce dernier fait appel au commissaire Charles Pellegrini, à charge pour lui de créer un bureau de liaison regroupant la DGSE, la DST, les RG et la PJ. On fait une pause. La PJ, placée sous la responsabilité des magistrats, qui vient rendre compte de son activité à l’Elysée ! Et de ces juges, que l’on voit actuellement si prompts à défendre leur indépendance, pas un ne bouge. Bof! Charasse et Ménage, un… ménage bien dangereux pour la République. Ils vont créer un véritable réseau parallèle au sein de la police, utilisant tous les moyens techniques de l’époque. À croire qu’ils se sont inspirés des méthodes du SAC, ce mouvement, qui, après le massacre d’Auriol, vient d’être dissous. Dans le même temps, Gaston Defferre déclare : « Il faut en finir pour toujours avec les écoutes téléphoniques ». Il est largué, Gastounet – et nous de même. On ne sait plus qui fait quoi. Tout est en place pour les événements qui vont se dérouler l’année suivante. En attendant, quai des Orfèvres, certains n’ont toujours pas digéré le baston entre Defferre, Le Mouel et Leclerc. Et ilscharles-pellegrini_photo-presse.1176784529.jpg sentent la volonté politique de « casser » la PP. Ils envoient une bombe à la cellule élyséenne, en faisant croire à un individu peu fiable, informateur attitré des gendarmes, qu’ils enquêtent sur un réseau de dangereux terroristes placés sous les ordres du fameux Carlos. Les officiers de gendarmerie ont sans doute bien des qualités, mais ils n’ont pas le vice des vieux poulets. Ils foncent comme des boy-scouts. Et c’est l’affaire des Irlandais de Vincennes, ces pseudo-terroristes, dont la DST suit d’un œil amusé les agissements depuis des années, et qui rêvent en permanence de la révolution qu’ils ne feront jamais.

Pendant ce temps, les vrais terroristes nous terrorisent. La France est un champ de bataille. Action directe se scinde en trois. Une partie renonce à la lutte armée, un autre fait alliance avec la Fraction armée rouge et la dernière, dite branche lyonnaise, se lance dans des actions antisémites. En mars, une bombe explose dans le train Le Capitole : cinq morts, vingt-sept blessés. En avril, une voiture piégée explose, rue Marbeuf, à Paris : un mort et soixante-trois blessés. En juin, un commando d’Action directe s’en prend à l’école américaine de Saint-Cloud. En juillet, c’est une banque. Le caissier est blessé. En juillet, une bombe explose, rue Saint-Maur, à Paris ; puis c’est le consulat de Turquie, à Lyon qui est visé. Le même mois, une bombe explose près de la cabine téléphonique du Pub Saint-Germain, dans le VI°. Le 9 août, c’est la fusillade du restaurant Goldenberg, dans le quartier juif, et la fusillade de la rue des Rosiers. L’été n’en finit pas. À Paris, voiture piégée devant l’ambassade d’Irak, bombe contre l’hebdomadaire Minute… Le 21 août, deux démineurs de la préfecture de police sont tués alors qu’ils tentent de désamorcer une charge d’explosif sous la voiture d’un Américain. Le 17 septembre, un véhicule de l’ambassade d’Israël explose en plein Paris, faisant près d’une centaine de blessés. Etc. Cette année 1982, des centaines de personnes sont mortes ou ont été blessées victimes d’attentats. Et pendant ce temps, la police tourne au ralenti.

Le 27 juillet, Badinter fait adopter une loi qui supprime l’homosexualité du code pénal, mais il faudra attendre 1991, pour que l’Organisation mondiale de la santé lui emboîte le pas et modifie en ce sens sa liste des maladies mentales.

Le 13 septembre, la princesse de Monaco quitte la route au volant de sa Rover. Elle fait un plongeon de quarante mètres. Grace Kelly rend son dernier soupir le lendemain. Sa fille, Stéphanie, qui était à ses côtés, s’en sort sans trop de mal. On ergotera pour savoir si ce n’est pas elle qui était au volant (elle n’avait pas dix-huit ans), ce qui au fond n’a aucune importance. La véritable polémique sera médicale. Si on l’avait transportée au service neurologique de l’hôpitalle-virage-dhairpin.1176754971.jpg de Nice, elle avait des chances de s’en tirer, affirment certains médecins. En effet, l’hôpital de Monaco n’était même pas équipé d’un scanner. Mais, on dit aussi, qu’avant cet accident, Grace Kelly aurait eu plusieurs malaises. L’hypothèse d’un évanouissement au volant n’est pas impossible. Un routier, qui suivait la Rover a déclaré : « Je ne sais pas ce qui s’est passé. Curieusement, au virage de droite, je n’ai pas vu la voiture ralentir. Les stops ne se sont pas allumés. Elle n’a pas braqué. Bien au contraire, j’ai eu l’impression qu’elle roulait de plus en plus vite avant de disparaître par-dessus le parapet. » On ne saura jamais. Il n’y a pas eu d’expertise de la Rover, ni d’autopsie, ni d’enquête. Vingt-huit ans plus tôt, dans La main au collet, d’Alfred Hitchcock, la comédienne Grace Kelly, fonce sur cette même routeau volant d’un cabriolet, au grand dam de Gary Grant. Mais tous deux s’en sortent sains et saufs.

Le 7 décembre 1982, les États-Unis inaugurent une mise à mort plus… moderne que la chaise électrique. Pour la première fois, un homme est exécuté à l’aide d’une injection létale.

Bruno Sulak – Le 25 janvier 1982, Bruno Sulak est interpellé à Paris. C’est le résultat de huit mois de travail soutenu, pour tout un groupe de l’OCRB. Car, le sulak-alias-legionnaire-bernard-suchon.1176783450.jpgbougre, il nous a donné du fil à retordre ! Mais, comme les singes, on a fini par l’attraper – par la queue. Il faut dire que l’appât ne manque pas de charme. Elle se prénomme Chantal, et se dit cover-girl. Sulak, c’est le genre de type qui te réconcilie avec ton métier. C’est un voleur. Il assume. On lui pose des questions, il y répond. Et il ne balance pas ses copains. Ce qui ne nous arrange pas, mais on apprécie. Il part pour la prison avec une douzaine de braquages sur la conscience, notamment au préjudice de grandes bijouteries. Il n’y restera pas longtemps. Le 21 juillet, dans le train Montpellier-lyon, deux hommes braquent les gendarmes qui l’escortent, et il prend la poudre d’escampette. Durant cette cavale, il m’appelle régulièrement, non pas pour m’insulter ou me provoquer, mais juste pour parler – ou pour se faire peur. À tel point que de gentils collègues font courir des bruits sur ces relations «contre-nature» et je suis contraint de me justifier auprès de ma hiérarchie et du magistrat instructeur. Le 12 novembre, un copain de Sulak, Jean-Louis Secreto, s’évade de la maison d’arrêt où il est incarcéré, grâce à une complicité extérieure. Futés, on se dit : Tiens, si c’était Sulak ! Deux mois plus tard, une patrouille du commissariat des Mureaux, dans les Yvelines, se permet « un délit de sale gueule » envers deux occupants d’une voiture. Il s’agit de Marc Mill, une relation de notre évadé, et Anthony Delon, le fils du comédien. Dans le véhicule, ils découvrent des cagoules et un pistolet MAC 50, qui, vérification faite, est l’une des armes volées aux gendarmes dans le train Montpellier-Lyon. On avance, on avance. Mais, le fils d’Alain Delon soupçonné de tentative de braquage, ça intéresse les médias. Je passe mon temps à rédiger des notes à Pierre, Paul et Jacques, pour expliquer le pourquoi du comment. L’influence de Delon est énorme. Son fils ne restera qu’une seanthony-delon_gp.1176783553.jpgmaine ou deux derrière les barreaux, et la presse, courageusement, oubliera l’incident. La justice aussi, semble-t-il. Quant à Sulak, il est interpellé bien plus tard, à la frontière espagnole, avec de faux papiers. Il revient du Brésil. Il se fait passer pour un journaliste suédois homosexuel qui fuit pour échapper aux poursuites de sa femme. C’est tellement gros, et tellement bien joué, que tout le monde y croit. Il est écroué sous une fausse identité. Un délit bien mineur pour lui. Il faudra le flair d’un vieux routier de l’OCRB pour le percer à jour. In extremis. «À un jour près, j’étais libre, cette sacrée chance m’a bel et bien laissé tomber…» Cette phrase est une citation du livre de Pauline Sulak, Bruno Sulak, radisa-jovanovic-dans-le-film-le-professionnel.1176755637.jpgaux éditions Carrère. Il ne savait pas à quel point il disait vrai. Un peu plus tard, avec son complice (et ami) Radisa Jovanovic, dit Steves, il organise son évasion par hélicoptère. Mais la police de l’air et des frontières (PAF) a eu vent de l’opération. Le SRPJ de Bordeaux est informé – mais pas l’OCRB. Une souricière est tendue, au cours de laquelle Steves est abattu. Sulak en veut à la terre entière. Et surtout aux flics pour avoir (d’après lui) tiré trop vite et sans doute à lui-même pour avoir entraîné son ami dans cette galère. De procès en procès, il se retrouve à Fleury-Mérogis. C’est un détenu sans histoire. Il intériorise sa révolte et la communique dans l’Autre Journal. Seule sa notoriété lui vaut parfois des accrochages avec un geôlier grincheux ou un compagnon d’infortune envieux. La prison est une microsociété qui amplifie les imperfections de la société tout court. En mars 1985, après avoir convaincu un jeune cadre de l’administration pénitentiaire de l’aider, il tente de s’évader. Il est surpris par des gardiens, et, après une courte lutte, il fait une chute de sept mètres. Il s’écrase sur une dalle en ciment. À ce jour, ses proches sont encore persuadés qu’il a été assassiné.

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