Alors que Manuel Valls vient de dissoudre l’équipe de jour de la BAC nord de Marseille, bien des questions restent en suspens. Comment expliquer notamment que cette affaire « d’une ampleur que nul ne conteste », comme dit le Ministre, ait pu perdurer sans que personne n’y mette le holà ? Pourquoi les policiers étrangers à ces combines crapuleuses, dont sont soupçonnés une partie de leurs collègues, n’ont rien dit. Pourquoi la hiérarchie a-t-elle gardé la tête sous l’oreiller ?

C’est le côté noir des choses. Et il faudra des réponses, qu’elles soient judiciaires ou administratives. Mais il y a le côté blanc. Le côté rassurant : une enquête de l’IGPN qui redore sérieusement son blason. Une enquête colossale réunissant des dizaines de policiers, avec des moyens techniques dignes d’une affaire relevant de la grande criminalité. Avec un message clair : les flics ne sont pas au-dessus des lois.

Pourtant, si l’on examine le fruit des perquisitions, il s’agit de ripoux petits bras. Quelques centaines de grammes de cannabis et quelques centaines d’euros en argent liquide. Mais évidemment, le problème n’est pas là. Il va même nettement au-delà de la malhonnêteté de certains fonctionnaires. En fait, ce qui est inadmissible, incompréhensible, c’est qu’un réseau quasi mafieux ait pu se mettre en place dans la police française. Une pâle copie de The Shield.

Et de plus en plus de voix s’élèvent contre l’encadrement. Sous-entendu contre les commissaires. Pierre Ottavi, qui a installé la BAC de Marseille, alors qu’il était directeur départemental de la sécurité publique, a déclaré sur BFM-TV qu’il y avait aujourd’hui un sérieux problème de commandement. Cela tient peut-être à la réforme de 2005. Depuis, les commissaires se sont éloignés de leurs équipes pour devenir un corps de « conception », tandis que « le commandement opérationnel » est désormais assuré par les officiers de police. Il ne s’agit pas jeter la pierre à l’un ou à l’autre, mais simplement de s’interroger : l’organisation actuelle des services est-elle adaptée à cette profonde modification des missions ? N’y a-t-il pas trop de chefs à certains endroits et pas assez à d’autres… Notamment sur le terrain. Notamment dans les BAC.

C’est l’un des aspects du problème. L’autre est plus délicat. Personne ne peut imaginer que des flics, dont c’est le métier, ne détectent pas des délits qui se commettraient sous leur nez. Mais que peut faire celui qui ne marche pas dans la combine ? Cafarder ? Pas facile lorsque l’on est intégré à une équipe. En revanche, il est difficile d’admettre qu’il soit quasi impossible de dénoncer des dysfonctionnements dans un service sans encourir les foudres de la hiérarchie. Or, l’administration n’est pas tendre avec ceux qui franchissent le pas.

Rappelons-nous du cas Pichon !

En 2008, ce commandant de police attire l’attention de ses supérieurs sur des irrégularités flagrantes dans la tenue du fichier STIC. Un fichier, il faut le souligner, qui ne concerne pas que les délinquants, et dans lequel figurent plus de six millions de personnes

Devant l’autisme de l’administration, il décide d’aviser les médias en rendant publique la fiche de deux stars du showbiz. Pour celle de Johnny Halliday, par exemple, les faits mentionnés remontent à plusieurs dizaines d’années et auraient dû être effacés depuis longtemps. Une démonstration par l’absurde. Il est cloué au pilori par sa hiérarchie, suspendu de ses fonctions, puis, finalement, viré de la police – alors que la procédure judiciaire à son encontre (pour violation du secret professionnel) est toujours en cours.

Et pourtant Philippe Pichon n’a pas agi par intérêt. Il ne s’est pas mis un fifrelin dans la poche. Non, il a juste eu un geste citoyen. L’année suivante, la CNIL reconnaissait implicitement qu’il avait eu raison en pointant du doigt de graves errements dans la tenue du fichier STIC. Un nouveau contrôle est d’ailleurs en cours.

Aujourd’hui, il rame pour faire vivre sa famille. Il est même victime d’un certain acharnement. Il y a une quinzaine de jours, on lui a reproché d’avoir mis en vente sur Internet des objets et des effets « de police ». Ce qu’il nie catégoriquement. Peu importe : rappel à la loi du procureur. De nombreuses personnes ont trouvé injuste qu’il soit exclu de la police pour avoir dénoncé une faille au sein de la Grande maison. Une association de défense a même été créée. À ce jour, silence radio du côté de la Place Beauvau. En désespoir de cause, son avocat, Me William Bourdon, vient de déposer une plainte auprès du doyen des juges d’instruction du TGI de Paris, contestant les procédés utilisés lors de l’enquête disciplinaire de l’IGPN, notamment l’usage d’écoutes téléphoniques administratives. Un peu comme si un patron piégeait le téléphone personnel de son salarié pour justifier son licenciement.

En marge de l’affaire de Marseille, Manuel Valls a déclaré qu’il « ne tolérerait aucun comportement qui nuise à l’image de la police… ». Il serait bien également de travailler sur l’image que les policiers ont d’eux-mêmes (ou celle que leur hiérarchie leur renvoie). Pour qu’ils se sentent fiers de faire ce métier. Un métier où les petits démerdards ne feront pas la loi.