LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

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La mort mystérieuse de Gérard Lebovici : la piste inexplorée

Le car de Police-Secours était trop haut sur roues pour pénétrer dans le parking Foch, près de l’Étoile, à Paris. Le brigadier en descend et suit le vigile. C’est lui qui a composé le 17. Au premier sous-sol, près de la sortie, celui-ci lui désigne une voiture rutilante, une R 30 TX, le haut de gamme de chez Renault. Circonspect, le policier ouvre la portière du véhicule : un homme gît, affalé contre le volant, le corps incliné vers la droite. Il récupère le portefeuille du mort, pour vérifier son identité : « C’est lui ! », jure-t-il, en courant vers le car pour passer un message radio : « On a retrouvé l’homme que le ministre recherche ».

 

C’était dans la nuit du 6 au 7 mars 1984. Il est 4 h 30 heures. Dix minutes plus tard, le garde des Sceaux, Robert Badinter, est informé qu’on a découvert le corps de son ami Gérard Lebovici, abattu de quatre balles de calibre .22 Long Rifle.

Lebovici, « Lebo », dans le microcosme du cinéma, est un personnage hors norme. À la fois admiré, craint et haï, il a tout pour finir sous les balles. Il est surtout l’homme qui a créé l’agence artistique Artmedia. Une agence en forme de monopole, « une mafia du cinoche », m’avait dit dans les années 1980 un comédien. « C’est simple, si tu n’passes pas par eux, tu bosses pas. » Il est aussi le fondateur des Éditions Champ libre, connues pour la publication d’ouvrages révolutionnaires.

Gérard Lebovici est un homme à facettes : fric et gaucho. D’une certaine manière, c’est un anarchiste, un ouroboros, qui profite de sa position sociale pour détruire la société dont il profite, appliquant un vieux principe libertaire : l’immobilisme, c’est la mort…

Il avait 52 ans.

Le lundi 4 mars, à 18 heures, il quitte son bureau situé avenue Kléber. Il prend sa voiture. Il est à deux minutes du parking Foch, pourtant, le ticket d’entrée retrouvé sur lui indique 18 h 45. Que s’est-il passé durant ces trois quarts d’heure ? À moins que Lebovici n’ait déposé sa voiture pour aller à un rendez-vous incognito et qu’il ait été tué alors qu’il venait la récupérer…

Les enquêteurs de la brigade criminelle du 36 n’ont pas pu répondre à ces questions. Il faut dire qu’en ce mois de mars, la Crim’ traverse une période d’incertitude, son patron, Jacques Genthial, laisse la place à Marcel Morin, qui un an plus tard laisse la place, etc. Les nombreux attentats, notamment d’Action directe, avaient fait dérailler le « rouleau compresseur ».

Sept ans plus tard, le dossier était classé – sans la moindre piste. Celles suivies par les enquêteurs ont toutes tourné court.

La piste Debord

Guy Debord est le fondateur et l’animateur de l’International Situationniste (IS), une organisation marxiste et révolutionnaire qui condamne un tas de choses, mais reste ambiguë sur le rôle de la classe ouvrière dans une société nouvelle qui serait issue de la révolution. Ce qui fait dire au Courant communiste international (CCI), qui prône la conscience de classe au sein du prolétariat, que l’IS ne peut être « une organisation exprimant un effort de la classe ouvrière vers sa prise de conscience, mais bien une manifestation de la petite bourgeoisie intellectuelle radicalisée ».

L’IS sera à son apogée lors des événements de mai 1968.  Ses slogans sont sur tous les murs : « Vivre sans temps mort et jouir sans entrave », « Demandons l’impossible », « Il faut prendre ses désirs pour la réalité́ » … Lorsque les « Enragés de Nanterre » occuperont la Sorbonne, les Situationnistes seront à leurs côtés, ce qui donnera le « Comité Enragés-International Situationniste ».

Gérard Lebovici a adhéré à ce mouvement d’idées, proche d’une secte mystique, au point que dans son entourage il se murmurait qu’il était sous influence et que Guy Debord était son gourou. En tout cas peu à peu, il se coupait du monde des affaires, trop éloigné de sa nouvelle « religion ».

Guy Debord s’est donné la mort le 30 novembre 1994. Ses archives ont été achetées par la Bibliothèque nationale de France.

La piste Mesrine

Il y a aussi ce fameux François, avec lequel Lebovici aurait eu rendez-vous. Et comme, le mois précédent, il vient de rééditer L’Instinct de mort, le bouquin que Jacques Mesrine a écrit en prison, on pense à son complice François Besse. Mais Mesrine est mort il y a plus de quatre ans et Besse est en cavale depuis un an, après s’être échappé lors d’un transfert, en Espagne. Sa sixième évasion. On voit assez mal le « Petit François » le glaive vengeur à la main…

La colère de l’ex-ennemi public aurait été justifiée par une histoire de droits d’auteur. En fait, on mélange tout. Mesrine était remonté contre Jean-Claude Lattès, son premier éditeur. Il l’accusait de ne pas lui avoir versé ses royalties, plusieurs centaines de milliers de francs, cédant ainsi à la pression politique. Lebovici avait racheté les droits et envisageait de faire de « L’instinct » un film avec Belmondo, dont il était l’agent. Le scénario réunissait Audiard et Modiano. Mesrine le supervisait depuis sa prison. En plus de l’à-valoir versé indirectement à l’auteur, il lui avait promis de s’occuper de sa fille, Sabrina, au cas où… Ce qu’il a fait.

À l’époque, Jean-Paul Belmondo était associé à René Chateau dans la société de production « Cerito Films » (la grand-mère de Belmondo se nommait Cerrito) et dans la société de production et de distribution « Cerito-René Chateau ». Belmondo était le seul comédien à distribuer ses propres films. Il avait la maîtrise de toute la chaîne de fabrication.  Quant à Chateau, il détenait également une société de distribution de cassettes vidéo, la SAS « René Chateau Vidéo ». Les deux associés envisageaient un film grand public, dans la veine de Peur sur la ville, Flic ou voyou, Le Professionnel, etc. Mais après l’évasion, puis la mort de Jacques Mesrine, abattu par les policiers de l’antigang de Paris, il était devenu difficile d’en faire un personnage sympathique. Le film ne s’est pas fait. C’aurait été un succès.

En 1983-84, Lebovici revient à la charge. Il sollicite Jean-Luc Godard. Celui-ci a imaginé un héros plus dans le verbe que dans l’action, qui réciterait de longs passages du livre de Mesrine, dont le titre provisoire, « Frère Jacques », était déjà tout un programme. Bébel dit non. Je crois que Godard et lui ne se sont plus jamais parlé, si ce n’est par voie de presse. À ce moment, il y a eu une cassure entre les trois compères : si Chateau souhaitait continuer à remplir le tiroir-caisse, Lebovici voulait se détacher du spectacle pour se consacrer à l’édition engagée et Belmondo vivait de plus en plus mal le merchandising de sa personne. Mais sous les oripeaux de la réussite, ces trois seigneurs du cinoche cachaient-ils un secret moins reluisant ?

On dit que la rupture ne s’est pas bien passée. En tout cas Belmondo n’a jamais pardonné à René Chateau. Ainsi en 2011, dans le film rendant hommage à la carrière du comédien, montré à Cannes, les réalisateurs ont reçu la consigne de ne pas mentionner son nom. Et pourtant les films à succès, quatre, cinq millions d’entrées, sont dus en grande partie à Chateau.

Mais que pouvait bien lui reprocher Belmondo ?

La piste des vidéo-cassettes

Dans les années 1980, un peu partout en France, on trouvait des magasins de location de films en vidéo-cassettes. Une chaîne tenait le haut du pavé. Elle était sous la coupe d’une fratrie. Appelons-les les Dalton. Mais, quand on est un truand, il est évident qu’on ne peut pas se contenter de compter la recette du jour. Il y avait donc une combine. En deux mots, la voici : les droits de distribution des films étaient nettement sous-évalués et le complément était versé en cash. Genre moit-moit. Les Dalton voyaient ainsi un moyen de blanchir l’argent du crime et d’augmenter artificiellement le chiffre d’affaires de leurs magasins, tandis que les autres protagonistes échappaient au fisc.

Cette piste n’a pas été creusée, sans doute parce que la Crim’ ne connaissait pas les Dalton, pourtant suivis par l’Office central pour la répression du banditisme (OCRB). Dans ces années-là, la communication n’était pas la norme entre services. Une autre piste aurait mérité d’être exploitée…

La piste « Steve »

Là, il faut revenir sur un personnage bien connu : Bruno Sulak. Depuis son évasion rocambolesque lors d’un transfert par le train Montpellier-Lyon, en juillet 1982, celui-ci enchaîne les braquages de bijouteries de luxe, accumulant en quelques mois un butin considérable. Après un dernier hold-up à Genève, en décembre 1983, il disparaît de la circulation.  Son ami et complice Steve doit le rejoindre au Brésil, où tous deux comptent se faire une nouvelle vie. Il n’a pas pu partir avec lui, car il doit régler des détails avec son employeur, René Chateau, dont il est le garde du corps et, occasionnellement, celui de Belmondo.

Capture d’écran de la scène finale du film Le Professionnel (Steve à droite)

Il a même tenu le rôle d’un policier dans Le Professionnel. C’est d’ailleurs en visionnant ce film que les enquêteurs de l’OCRB sont parvenus à l’identifier. Steve, c’est Radisa Jovanovic, né en 1955 à Olpia (Yougoslavie).  Pour l’heure, « Jova », a du mal à régler certains problèmes. Il a un gros chèque à encaisser, mais comme il fait l’objet d’un mandat d’arrêt, il ne sait trop comment s’y prendre. Il appelle son ami Bruno. « J’arrive ! » lui répond celui-ci qui prend l’avion, atterrit à Lisbonne, achète une voiture sur place qu’il paie cash et se fait coincer comme un bleu à la frontière espagnole avec de faux papiers (La petite histoire de la PJ, partie 19) Il est transféré à Gradignan. Steve se sent responsable. Il décide de tout faire pour faire évader son ami. Il communique avec Sulak via un détenu et tous deux arrivent à la conclusion que la seule possibilité, c’est par les airs. C’est complètement fou. Infaisable. Mais ils ont déjà réussi tant de coups « infaisables » … Cependant il y a un hic ! Steve ne peut pas sortir une liasse de billets et dire au patron de la société Airlec de l’aéroport de Bordeaux-Mérignac, je veux louer un hélico. Il a donc besoin d’une couverture, quelqu’un qui ait pignon sur rue pour rendre la chose plausible. Naturellement, il se tourne vers le monde qu’il connaît le mieux, celui du cinéma. C’est donc cette personne non identifiée qui va réserver l’hélicoptère pour « son » photographe « chargé de repérer le terrain pour un prochain tournage ». Quel est le deal entre ces deux personnages ? Steve fait un premier repérage et la deuxième fois – quatre jours après le meurtre de Lebovici, coincé dans la salle d’attente de la société Airlec, il est abattu par les policiers de l’antigang de Bordeaux, avertis par les policiers de la police de l’air, avertis par…

Le salon d’attente Airlec où Steve a trouvé la mort (photo d’époque)

La mort de son ami plongea Bruno Sulak dans une véritable dépression. Un an plus tard, lorsqu’il tentera de s’évader de la prison de Fleury-Mérogis, il n’est pas exclu que derrière son envie de retrouver la liberté, il y ait eu un parfum de vengeance. Mais ce jour-là, il est mort.

D’ailleurs tous les protagonistes de cette histoire sont morts.

Le meurtre de Gérard Lebovici n’a pas été élucidé et je gage que jamais le pôle « cold cases » du tribunal judiciaire de Nanterre ne se saisisse de ce dossier.

La mort intrigante d’Albert Camus

Ce lundi 6 janvier 1960, en début d’après-midi, un luxueux coupé deux-portes rutilant fonce vers Paris. Les gens se retournent sur son passage. Ils n’ont pas souvent l’occasion de voir passer une si belle voiture ; une Facel Véga HK-500, dernier fleuron de la petite entreprise française d’Eure-et-Loir, sur lequel a été placé un moteur V8 Chrysler surpuissant – entreprise qui a fait faillite deux ans plus tard.

L’auto roulait à au moins 130, diront des témoins, ce qui n’aurait pas été une vitesse excessive pour un tel véhicule. Mais le compteur, bloqué lors du choc, indiquera 145 km/h.

Habitacle d’une Facel Véga (Cliquez pour voir la vidéo de présentation du véhicule)

Les occupants sortent de table. Ils ont déjeuné à Sète au restaurant de Paris et de la Poste. Michel Gallimard conduit. Il discute avec Albert Camus. À l’arrière se trouvent Jeanine, l’épouse de Michel et Anne, sa fille, qui vient d’avoir 18 ans. Ils viennent de passer les fêtes de fin d’année à Lourmarin, dans le Lubéron, dans la résidence que Camus a achetée avec l’argent de son Nobel. La route, l’ancienne nationale 6, est toute droite. Les kilomètres défilent et, soudain, la voiture décolle et va s’écraser contre un arbre. C’est le côté droit qui encaisse le choc : Camus est broyé entre son siège et le tableau de bord. Il meurt sur le coup, le manuscrit du Premier homme près de lui (publié en 1994). Pour Gallimard, ce n’est guère mieux : il a la rate éclatée et souffre de plusieurs fractures du crâne. Il décédera cinq jours plus tard. Quant aux passagères arrière, elles sont éjectées. Jeanine Gallimard sera légèrement blessée aux deux jambes, tandis qu’Anne, accrochée à son siège, sera projetée de l’autre côté de la route.

Après les premières constatations, les gendarmes ont estimé que l’accident aurait pu être provoqué par l’éclatement d’un pneu gauche. Plus tard, à l’expertise, ils ont découvert que l’essieu avant était brisé – mais avant ou après l’accident ?

Dans un livre La mort de Camus, publié en 2019 chez Balland, l’écrivain italien Giovanni Catelli soutient que la mort de Camus n’est pas accidentelle, mais qu’il s’agit d’un assassinat fomenté par le KGB : l’un des pneus de la Facel aurait été « saboté » pour exploser à grande vitesse. Il s’appuie pour cela sur les écrits du poète tchèque Jean Zabrana. Celui-ci, grand admirateur de Camus, tenait un journal intime qui paraîtra en 1992, huit ans après sa mort. D’après lui, l’ordre de liquider Albert Camus aurait été donné personnellement par Dmitri Chepilov, en 1957, alors, dit-il, qu’il était ministre de l’Intérieur de l’Union soviétique. Ce dernier aurait voulu se venger d’un article publié dans Franc-Tireur, dans lequel Camus lui reprochait son implication dans la répression par l’Armée rouge de la révolution hongroise de 1956. Zabrana ne cite pas ses sources, se contentant de dire qu’il s’agit d’une « source sûre ».

Euh !…

Chepilov a été ministre des Affaires étrangères (et non de l’Intérieur) de l’Union soviétique de 1956 à 1957. Durant son mandat, il a représenté l’URSS au Conseil de sécurité de l’ONU pendant la révolution hongroise et la crise du canal de Suez.

Il aurait donc fallu 3 ans au KGB pour exécuter un ordre de Chepilov, alors qu’en 1960, celui-ci n’était politiquement plus rien…

L’autre argumentation, plus solide, serait qu’à l’approche de la visite officielle à Paris de Nikita Khrouchtchev, prévue en mars, la vindicte publique de Camus, dont la parole portait haut, aurait pu nuire au rapprochement franco-soviétique souhaité par le général De Gaulle.

Mais tout cela, on l’aura compris, ne tient pas la route, si je puis dire, car Camus devait rentrer à Paris par le train, avec sa femme et ses deux jumeaux. C’est à l’instant du départ qu’il s’est laissé convaincre par son ami Michel de prendre place dans sa voiture.

Au moment de sa mort, Albert Camus avait dans une poche son billet de retour…

Le KGB n’est donc pour rien dans l’accident mortel et, dans l’hypothèse – invraisemblable – où la Facel Véga aurait été sabotée par une main criminelle, un enquêteur perspicace aurait pu s’interroger : Et si c’était Michel Gallimard qui avait été visé ? Continue reading

Georges Ibrahim Abdallah : un roman noir

Vendredi 25 juillet, en pleine nuit, les portes de la prison se sont refermées sur Georges Ibrahim Abdallah – dans le bon sens. Aux bleus des gyrophares, une demi-douzaine de véhicules l’ont escorté du centre pénitentiaire de Lannemezan (Hautes-Pyrénées) à l’aéroport de Tarbes, d’où il s’est envolé pour Roissy.

À quoi pouvait-il penser ?

Quelques heures plus tard, il était dans un vol pour Beyrouth. Plus de 40 ans qu’il n’avait pas revu son pays.

Ses 40 dernières années, il les a passées dans les prisons françaises, et durant tout ce temps, ce chrétien natif du nord du Liban est resté droit dans ses bottes, affirmant n’avoir pas de sang sur les mains, mais refusant de renier ses convictions propalestiniennes ou de se désolidariser des crimes revendiqués par les FARL (Fractions armées révolutionnaires libanaises). Un groupuscule qu’il a créé et qui se veut communiste anti-impérialiste, en tout cas bien à gauche de la gauche.

À l’exception de Carlos, tueur de flics, il était sans doute l’un des derniers taulards de la vague terroriste des années 1980.

Toutefois, à la différence de ce dernier, Georges Ibrahim Abdallah préfère l’ombre à la lumière. C’est un militant aux convictions solides qui, dès son adolescence, s’est aguerri au sein du Parti populaire syrien (PPS), puis du Front populaire de la libération de la Palestine (FPLP). Peu à peu, il se fait un nom auprès des pros de la lutte armée, dont un bon nombre deviendront des mercenaires de la Syrie, de l’Iran ou de l’Union soviétique.

Arrivé sur notre sol en 1979, Georges Ibrahim Abdallah cherche à implanter son réseau : les FARL ne sont pour l’heure qu’une petite entreprise familiale. Bien vite, ses membres seront opérationnels, même si leur première tentative échoue : le 12 novembre 1981, un homme d’une trentaine d’années vide le chargeur de son PA sur Christian Chapman, un diplomate de l’ambassade des États-Unis, alors qu’il sort de son domicile, à Paris, dans le 7° arrondissement. Il se réfugie derrière sa voiture (blindée). Il n’est pas blessé. Six douilles de calibre 7,65 sont retrouvées sur place. En quelques années, les FARL revendiqueront 6 attentats, dont l’assassinat en 1982 de Charles Ray, attaché de l’ambassade des États-Unis, et Yacov Barsimantov, deuxième secrétaire de l’ambassade d’Israël. Le premier est de la CIA et le second est un responsable des services secrets israéliens.

Le 24 octobre 1984, Georges Ibrahim Abdallah pousse la porte d’un commissariat de Lyon. Il affirme craindre pour sa vie, persuadé que des agents du Mossad sont à ses trousses et qu’ils veulent l’éliminer. On imagine la tête des flics… D’abord grognons, puis souriants lorsqu’ils apprennent qu’en fait de Mossad, ce sont des collègues de la DST qui le filochaient et qui se sont fait « détroncher ». Continue reading

La lutte contre le narcotrafic face à l’État de droit

Le 29 avril dernier, la loi « pour sortir la France du piège du narcotrafic » a été définitivement adoptée par l’Assemblée nationale. Une large majorité de députés, 396 sur 498, ont voté ce texte. Dans l’opposition (oups !), bon nombre se sont abstenus, seuls les élus LFI et quelques autres l’ont rejeté, estimant que certaines de ses dispositions sont attentatoires aux libertés publiques et aux principes constitutionnels de notre pays.

Ont-ils raison ?

Le Serpent d’Océan, de Huang Yong Ping, dont le squelette apparaît au rythme des marées.

Même si nombre de parlementaires votent les yeux fermés, la question est fondamentale : la montée en puissance du « commerce » de produits stupéfiants peut-elle justifier l’utilisation de méthodes qui, hier encore, n’auraient pas été envisageables ?

  Le dossier-coffre

Ainsi en est-il du dossier-coffre. Il cristallise toutes les interrogations. Rebaptisé « dossier distinct », puis « procès-verbal distinct », il s’agit en fait d’un dossier noir dont le contenu est inaccessible aux avocats des personnes mises en examen ou placées sous le régime de témoin assisté et, éventuellement, aux avocats représentant les victimes. Il découle d’une technique vieille comme le monde qui consiste pour un juge ou pour un flic à anonymiser certains actes en les plaçant dans un dossier « poubelle », c’est-à-dire un dossier destiné à être classé sans suite. Un dossier que personne n’ouvrira jamais. Une combine juridique qui, bien sûr, n’a jamais été appliquée en France. Mais aujourd’hui, alors que les techniques spéciales d’enquête ont pris le pas sur les enquêtes traditionnelles, la demande était forte de cacher aux avocats les moyens techniques utilisés, voire de ne pas faire état des personnes surveillées, dont le seul tort, parfois, est de faire partie de l’environnement d’un suspect.

Lorsque l’on parle de techniques spéciales d’enquête, il faut comprendre l’accès aux courriers et messages électroniques (mail, texto…), ainsi qu’au recueil des données techniques de connexion, l’interception en direct des correspondances, la sonorisation et la surveillance visuelle que ce soit dans un lieu public, privé ou dans un véhicule, ainsi que la captation de toutes les données informatiques. À cette panoplie, il faut ajouter la possibilité de déclencher à distance le micro et la caméra des portables et des ordinateurs à l’insu de leur utilisateur.

Des moyens de surveillance aujourd’hui largement connus des malfaiteurs, même si chacun se cache de les utiliser. En vrai, il s’agit surtout de dissimuler les acrobaties parfois nécessaires lors d’une installation technique – et d’anonymiser les services intervenants, surtout s’il est fait appel à des prestataires extérieurs.

Mais il n’empêche qu’en l’absence de possibilité de contrôle des parties au procès pénal, il est ainsi créé une présomption de légalité sur ces techniques d’investigation. On pourrait se dire qu’il n’est pas anormal de faire confiance à la police et à la justice, pourtant l’affaire Trident, à Marseille, montre qu’en matière de stups, l’espoir de faire un « gros coup », pousse parfois à la stupidité.

Il n’est donc pas interdit de s’interroger sur le professionnalisme des policiers et des magistrats en charge de la lutte antidrogue… Continue reading

La rente monarchique des anciens Présidents et Premiers ministres

En 1976, tandis qu’il négocie l’achat d’un terrain de 3 000 m2 à Saint-Jean-Cap-Ferrat, au cœur de la presqu’île des milliardaires, Raymond Barre, Premier ministre sous Valéry Giscard-d’Estaing, appelle les Français à se serrer la ceinture. Il lance coup sur coup deux plans d’austérité pour lutter notamment contre l’inflation et le chômage : limitation des hausses de salaire, augmentation des impôts et appel à l’esprit « ruisselant » du patronat. Rien n’y fait, tandis que les Français s’appauvrissent, l’inflation et le chômage continuent leur progression.

Il est amusant de constater que cinquante ans plus tard, les mêmes recettes produisent les mêmes résultats et qu’au tournis des milliards qui s’envolent, on nous demande encore et encore de faire des efforts.

Amusant n’est peut-être pas le mot qui convient…

Raymond Barre est décédé en 2007 et une enquête pour blanchiment a entaché sa mémoire. Je ne sais pas quel était le montant du cumul de ses retraites, mais aujourd’hui, notre armada d’anciens Premiers ministres n’est pas à plaindre – pas plus que nos deux anciens présidents de la République.

C’est sans doute ce qui a poussé le député centriste Charles de Courson à déposer une proposition de loi « visant à encadrer les avantages des anciens présidents de la République et des anciens premiers ministres ».

Dans son « exposé des motifs », il attaque fort : « l’État ne saurait exiger des efforts des citoyens sans lui-même donner l’exemple et sans mettre fin aux excès de son train de vie. » Et il dénonce, en termes policés, les rentes quasi monarchiques attribuées à nos anciens dirigeants dans un pays où plus de dix millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté, principalement des chômeurs et des familles monoparentales, dont 350 000 personnes seraient à la rue.

Les avantages des anciens chefs de l’État ont été encadrés par un décret du 4 octobre 2016, à quelques mois de la fin du quinquennat de François Hollande. Ce décret prévoit la mise à disposition, pendant cinq ans, d’un cabinet de sept collaborateurs et deux agents de service, appartenant à la fonction publique ou sous contrat d’État. Au-delà de cinq ans, l’ancien élu dispose ad vitam de trois collaborateurs et d’un agent. L’État règle également le loyer de locaux de bureaux meublés, l’équipement, et le montant des frais de déplacement et de réception – les frais de bouche, comme pourrait dire Gérard Larcher. Alors qu’ils n’ont aucun rôle dans la gestion du pays, en 2023, nos deux anciens présidents nous ont ainsi coûté 1,32 million d’euros rien que pour faire leurs petites affaires. Ce montant semble d’ailleurs sous-estimé, puisqu’en 2019, le Premier ministre Édouard Philippe, répondant à une question écrite, avançait un chiffre nettement supérieur. À cette somme, il convient d’ajouter environ 1,3 million d’euros par président, pour assurer sa sécurité et prendre en charge ses déplacements. Ah, j’oubliais ! mais c’est peanuts, une rente à vie d’un montant annuel de 65 000 euros bruts. Une dotation à laquelle, il convient d’ajouter une somme de 180 000 euros pour chaque ex-président qui déciderait de siéger au Conseil constitutionnel – ce qui n’est pas le cas actuellement.

Sarkozy et Hollande nous coûtent donc aujourd’hui plus de 4 millions d’euros par an. Continue reading

De Sulak à « Libre »

Le film de Mélanie Laurent, qui doit sortir début novembre sur Prime Vidéo, devait s’appeler Sulak ; ce sera finalement Libre. On peut voir dans cette modification la patte des juristes d’Amazon, frileux devant la rouspétance de Pauline, la sœur du truand défunt, qui a grondé fort pour s’opposer au tournage de ce biopic. Il faut dire qu’elle-même, après avoir écrit deux livres sur Bruno Sulak et participé pleinement à celui de Jaenada, a des projets filmographiques.

Mélanie Laurent tourne la séquence « cabine téléphonique » où Steve (Rasha Bukvic) appelle Bruno Sulak (Lucas Bravo) pour mettre au point leur voyage au Brésil

Dans l’impossibilité de me rendre à la projection à laquelle la prod m’avait gentiment invité, j’ai eu la possibilité, grâce à l’obligeance d’une journaliste, de visionner Libre, sur mon ordi, avant sa sortie officielle. Que voulez-vous, la vie n’est faite que de passe-droits… Ma curiosité était d’autant plus forte que j’étais allé sur la prise de vue de deux ou trois séquences. Rien de bandant ! Cela m’a rappelé les planques de PJ : on passe son temps à attendre. Les figurants, ceux qui ont de l’expérience, s’emménagent un petit espace à l’ombre ou au chaud, c’est selon ; certains lisent, d’autres font les mots fléchés, d’autres somnolent. Il y avait même une dame qui tricotait. Un instant, j’ai revu ma mère, partie depuis longtemps, je croyais que plus personne ne tricotait. Tu sais maman, j’ai toujours le tour de cou bleu marine que tu m’avais tricoté lorsque j’étais marin ! Il y a plus de soixante ans. Il est collector, comme on dit aujourd’hui.

Puisque l’on parle du temps qui passe, et pas nécessairement perdu, la sortie de Libre, correspond à quelques jours près à l’anniversaire de Bruno Sulak et à celui de son ami Radisa Jovanovic, dit Steve. L’un et l’autre auraient eu 69 ans. Steve est mort sous les balles d’un policier de la PJ de Bordeaux, en mars 1984 ; Bruno en tentant une nouvelle évasion, en mars 1985.

Le film de Mélanie est une belle histoire d’amour entre Bruno (Lucas Bravo) et Thalie (Léa Luce Busato), sa complice, mais pour le reste, c’est une fiction à temps plein. Seule la perruque d’Yvan Attal dans le rôle du commissaire (moi) peut rappeler ma tignasse de l’époque. L’aspect flic-truand est un rien décevant pour les enquêteurs « survivants » de l’Office du banditisme, service que j’avais l’honneur de diriger à l’époque.

Quant à la finale, l’évasion de Fleury-Mérogis, elle m’a laissé sur ma faim. D’autant qu’elle est inutilement de parti-pris. Elle ne correspond d’ailleurs pas au scénario original de Chris Deslandes.

Je vais donc tenter de rétablir la vérité – du moins celle que l’on connaît.

En mars 1983, après un hold-up à Thionville qui avait mal tourné, et qui aurait pu se terminer dans le sang, Bruno Sulak avait décidé d’arrêter. C’est du moins ce qu’il m’avait affirmé, car à l’époque, après chaque braquage, il prenait un malin plaisir à me passer un coup de fil, un peu pour me narguer, un peu pour me tester. Je lui avais rétorqué que je n’y croyais pas une seconde, qu’il était accro à son adrénaline de truand, comme moi je l’étais dans mon métier de poulaga. « Si, si, tu vas voir, encore un ou deux coups, et tu n’entendras plus jamais parler de moi… » Continue reading

Criminalité organisée : changement de pied

Lors de la passation de pouvoir, Éric Dupond-Moretti, le ministre de la Justice sortant, a mis en garde son successeur sur une éventuelle mise au placard de « sa » loi sur la justice : « Une trahison de cette loi serait un signal dévastateur », a-t-il lâché avec sa modestie habituelle.

« Je vous ai entendu », a répondu, goguenard, Didier Migaud, le nouveau garde des Sceaux, avec l’air de dire cause toujours. Le seul ministre un peu de gauche de ce gouvernement très à droite a visiblement une conception différente de la justice, avec en première intention la volonté de « renforcer la confiance des citoyens dans l’institution judiciaire ». Y’a de la route à faire, car les citoyens que nous sommes ont perdu depuis longtemps leurs repères dans le dédale des palais de Justice. Même les pros, magistrats, flics, avocats… ne s’y retrouvent plus. Elle sera semée d’embûches, cette putain de route, dont on a pu discerner les premiers obstacles après le fritage avec le nouveau ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau : la cohabitation s’annonce canon !

Dupond-Moretti a également insisté sur un projet de projet de loi qui lui tient à cœur concernant une refonte de la lutte contre la criminalité organisée : « Vous trouverez le texte sur votre bureau », a-t-il dit à Didier Migaud, sans intention j’en suis sûr d’en faire un épigone.

Il faut dire que la maquette est ambitieuse. Elle résulte d’une consultation de l’ensemble des acteurs de la chaîne pénale – du moins ceux qui dépendent du ministère de la Justice. Au centre de cette approche se trouve la création d’un parquet national anticriminalité organisée, le PNACO, dont la première intention serait la lutte contre le narcotrafic et toute la criminalité que ce trafic traîne dans son sillage, notamment le blanchiment d’argent. Or, pour blanchir de l’argent sale, il faut se livrer à des manigances financières : la corruption, le trafic d’influence, la fraude fiscale en bande organisée, etc.  Autant d’infractions qui sont le pré carré du PNF, le parquet national financier, ce qui promet de belles bagarres si le préprojet va à son terme.

L’évasion du narcotrafiquant Mohamed Amra, au cours de laquelle deux agents de la pénitentiaire ont été tués, a probablement été un détonateur. Cette évasion à main armée, qui a été rendue possible en raison de l’absence de communication entre les magistrats, est apparue comme un constat d’échec : celui d’une justice éparpillée face à des gangs structurés et friqués. En aparté, à ce jour, le fugitif n’a pas été retrouvé – ou, dans l’hypothèse où il aurait été non pas libéré, mais kidnappé par un clan adverse, on ne sait pas s’il est encore en vie.

Dans les mesures qui sont proposées dans ce texte, il faut retenir la création d’un « véritable statut de repenti » inspiré du modèle italien, la législation actuelle « étant trop restrictive et donc peu efficace ». Leur protection étant assurée par un « changement d’état civil officiel et définitif ».

La justice secrète : indic, infiltré, repenti, collaborateur…

Ces mesures seraient financées par les confiscations d’avoir criminel, lesquelles sont facilitées par une loi adoptée en juin 2024. Eh oui, il faut de l’argent ! La Commission nationale de protection et de réinsertion (CNPR, dite commission des repentis, fonctionne aujourd’hui avec un budget inférieur à 800 000 €. Opérationnelle depuis une dizaine d’années, elle ne protégerait qu’une quarantaine de personnes, alors que l’Italie en compte plus de mille ainsi que les membres de leur famille.

Cette loi, nous dit l’AGRASC, élargit l’éventail des biens pouvant être saisis et étend leur affectation avant jugement à de nouveaux bénéficiaires : administration pénitentiaire, établissements publics sous tutelle de la Justice et victimes.  Autant de mesures qui doivent augmenter le montant financier des saisies, dont, au passage, une partie est reversée au budget de l’État (près de 176 millions d’euros en 2023). Continue reading

Flic story : Où sont les lingots d’or volés aux nazis par Max Dissar ?

Dans un petit bourg au sud du Tyrol, au fond d’une grotte recouverte de végétations dont l’entrée a été obstruée par un éboulement, deux caisses remplies de lingots d’or frappés du sceau hitlérien attendent l’aventurier qui saura les découvrir.

Je vais vous raconter l’histoire de cet or et de l’homme qui a enterré ce butin de guerre, tel que me l’a confiée mon ami, Charles Pellegrini, ancien commissaire de police, qui a participé à cette chasse au trésor.

Le Clown, peinture sur toile de Max Dissar, MutualArt.com

Cet homme est un artiste peintre connu sous le nom de Max Dissar – l’anagramme de son nom véritable, puisque, pour l’état civil, il se nomme Maximilien Alberto Sardi, né en mars 1908 à Nice.

Il a obtenu plusieurs prix, son œuvre essentielle tournant autour du monde du cirque. Il a notamment réalisé le portrait de nombreux clowns célèbres : Rastelli, Popoff, Cavallini, Fratellini, etc. On peut trouver certaines de ses toiles en salles de vente à des prix très raisonnables.

Sa carrière s’est arrêtée un peu avant la fin de la Deuxième Guerre mondiale, du moins pour plusieurs années.

1944 – 1945

En mai 1944, après avoir tenté d’inonder l’Europe de faux billets de banque britanniques (opération Bernhard), l’unité allemande chargée des contrefaçons reçoit pour instruction d’imprimer de faux dollars américains. C’est un challenge, car ces billets sont beaucoup plus difficiles à fabriquer ; il faut faire appel à de nouveaux spécialistes, et notamment des graveurs. C’est ainsi que Max Dissar devient faux-monnayeur.

On ne sait pas exactement dans quelles conditions il s’est retrouvé à travailler pour les Allemands, comme prisonnier, ou peut-être, comme beaucoup de Français, sous le régime du travail forcé. Le fait est qu’il a participé pour les nazis à la gravure de matrices destinées à fabriquer de faux dollars américains, dans un endroit tenu secret, en Autriche, près de la frontière italienne.

Tandis que l’Armée rouge marche sur Vienne et que les raids aériens américains et britanniques se multiplient sur l’Autriche annexée, et notamment sur Innsbruck, la capitale autrichienne du Tyrol, les Allemands comprennent que c’est la fin : de nombreux SS abandonnent l’uniforme. C’est le début de la déroute. Pour ceux qui sont proches de la frontière, leur ligne de vie passe par l’Italie, d’où ils pourront rejoindre des pays peu regardants sur leur passé. Max Dissar saisit l’opportunité. Accompagné de deux hommes dont on ne sait pas s’ils sont français, allemands ou italiens, il s’échappe de son camp de travail. Toutefois, les trois comparses ne partent pas les mains vides ; ils chargent deux caisses de lingots d’or sur une charrette tirée par un cheval. Rapidement, ils sont confrontés à la réalité : jamais ils n’arriveront à traverser cette région alpine avec cet attirail roulant. Alors, ils s’arrêtent dans une forêt proche de la petite commune d’Ortisei, en Italie, et décident – on imagine à regret – de se défaire de leur butin. À défaut d’outils, ils déposent les deux caisses au fond d’une grotte, dont ils obstruent l’entrée à l’aide d’explosifs. En ce temps de guerre, l’explosion passe inaperçue.

Puis les trois fugitifs se séparent. Ils ne se sont jamais revus. Continue reading

Au 1er juillet, la garde à vue s’aligne sur le droit européen

Lorsqu’il s’agit d’imposer des bouchons soudés aux bouteilles d’eau minérale qui en font rager plus d’un, la France s’exécute sans tarder, mais pour adapter notre droit à celui de l’U-E, elle traîne des pieds. C’est la raison d’être de la loi fourre-tout du 22 avril 2024 qui modifie certaines de nos règles « en matière d’économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole ».

Une loi qui vient en application d’une directive du Parlement européen remontant à plus de dix ans.

La procédure de garde à vue est concernée par ce texte qui renforce les droits des personnes placées sous main de police, notamment l’impossibilité de débuter une audition hors la présence d’un avocat, et supprime le délai de carence. Alors qu’elle s’applique ce lundi 1er juillet, sa pratique ne sera envisagée que le lendemain, lors d’une réunion, semble-t-il informelle, entre la Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG), les présidents de juridiction, les forces de l’ordre et le Conseil national des Barreaux.

Il y a une quinzaine de jours, Laureline Peyrefitte, la directrice de la DACG, s’est fendue d’une circulaire qui détaille les modalités de mise en œuvre de cette réforme, tentant, du moins dans sa présentation, de minimiser les effets contraignants de ces nouvelles règles pour les services en charge d’une mission de police judiciaire, c’est-à-dire la police, la gendarmerie et les douanes.

Je ne sais pas si, de son côté, la direction générale de la police nationale a donné les clés de fonctionnement à ses troupes. Il est vrai que ces jours-ci, Place Beauvau, il y d’autres sujets de préoccupation…

Quant au Conseil national des barreaux, sa circulaire date du 26 juin.

Cette réforme renforce le rôle de l’avocat, rend sa présence quasi obligatoire et accorde au gardé à vue un certain droit de communication avec « l’extérieur ».

La fin du délai de carence

Jusqu’alors, si l’avocat de la personne en garde à vue ne s’était pas présenté dans un délai de deux heures, l’OPJ pouvait commencer les auditions sans lui. Ce délai de carence est supprimé. Dorénavant, la règle générale veut que ni les auditions ni les confrontations ne puissent s’effectuer en l’absence de l’avocat. Si l’avocat désigné ne peut être présent dans le délai de deux heures, il appartient à l’OPJ de saisir le bâtonnier pour la désignation d’un commis d’office. Dans l’attente de sa venue, seul un procès-verbal d’identité peut être envisagé. L’avocat, lui, est tenu « de se présenter sans retard indu ». Un retard délibéré pourrait probablement être considéré comme une faute professionnelle ou une combine procédurale. (art. 63-3-1)

Il existe des exceptions, mais elles sont… exceptionnelles :

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Flic story : Le gardien de but des JO était un julot

Délivrés de leur devoir de réserve, les anciens policiers, gendarmes, magistrats, etc., ont souvent en mémoire des enquêtes, des expériences, qui les ont marqués plus que d’autres, je leur ouvre ce blog.

Cette première histoire, racontée par un spécialiste de la répression de la traite des êtres humains, nous montre que des décennies avant #MeToo et le tamtam des réseaux sociaux, le sort des prostituées, objets de violences et de contraintes, était déjà une priorité tant pour les services de police que pour la justice.

Philippe Barbançon, 2024

Philippe Barbançon a effectué toute sa carrière à l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH), ce qui doit être un record. Il a quitté la police avec le grade de commandant à l’échelon fonctionnel « Je suis arrivé́ à l’OCRTEH le 1er juin 1978 et j’ai quitté́ l’Office le lundi 31 aout 2009 à 23 h, après avoir vidé́ la mémoire de l’ordi, enlevé́ mon nom sur la porte. » On l’imagine balayer d’un regard nostalgique ces lieux où il a passé une partie de sa vie… « J’ai éteint la lumière et remis la clef de mon bureau à l’accueil du 101 Fontanot à Nanterre. Le temps de parcours dans les transports en commun ce soir-là̀ a suffi pour faire de moi un retraité… Après 30 ans et 3 mois à chasser les maquereaux, je tente aujourd’hui de les pêcher. Une sorte de destinée… »

*

Nous sommes en 1987. Le week-end s’annonce tranquille, aucune affaire urgente à l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains. C’est alors que tombe l’appel du vendredi soir : une secrétaire de l’ambassade de Thaïlande, avec laquelle j’avais sympathisé lors d’un précédent dossier, m’informe que cinq jeunes Thaïlandaises, sans passeport et sans argent, viennent de trouver refuge dans les locaux de son ambassade. Elles ont été déposées par un taxi dont le chauffeur réclame avec insistance le prix de sa course. En panique, apeurées, elles racontent qu’elles étaient séquestrées au 5e étage d’un immeuble du boulevard Davout, à Paris, où elles étaient contraintes à se prostituer.

Elles se sont échappées par une fenêtre, en longeant le mur extérieur, pour atteindre le balcon du logement mitoyen, vide d’occupant et en travaux, dont les fenêtres avaient été laissées ouvertes.

Elles souhaitent dénoncer leurs proxénètes-geôliers et, surtout, elles désirent au plus vite rentrer dans leur pays.

J’en informe le commissaire Bernard Trenque, le chef de l’OCRTEH. Il contacte immédiatement le Parquet, puis il appelle Martine Monteil, alors Cheffe de la brigade des stupéfiants et du proxénétisme (l’ancienne mondaine) à la préfecture de police. « L’un de mes groupes travaille actuellement sur ce bordel asiatique…, de nombreuses surveillances ont déjà été exercées…, etc. » Mais la saisine de l’OCRTEH par le Parquet la contraint néanmoins à nous transmettre dès le dimanche matin, pour jonction, l’intégralité de son enquête préliminaire accompagnée d’un rapport de synthèse.

Nous mettons le cap sur l’ambassade du Royaume de Thaïlande pour y récupérer les victimes en même temps qu’un groupe de souriantes interprètes.

Début des auditions au siège du service, au 127 rue du Faubourg-Saint-Honoré. Les faits dénoncés sont rapidement confirmés. Je reste au service avec Jojo (Georges Bastien) pour enregistrer sur procès-verbal les déclarations des jeunes femmes tandis que Bernard Trenque récupère les troupes encore disponibles à cette heure et file bd Davout.

Ils reviennent avec 2 individus dont l’un a la pommette bien rougie : interpellé dans l’escalier, les mauvaises langues disent que sa tête aurait servi de « marteau de porte » pour solliciter l’ouverture de l’appartement.

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