LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Affaires criminelles (Page 12 of 12)

Les Irlandais de Vincennes

Après l’attentat de la rue des Rosiers, Mitterrand saisit l’occasion de justifier la création de sa cellule antiterroriste. C’est le début d’une mélasse «politico-gendarmesque», qui a transformé le palais de l’Elysée en Cour des miracles, nous rappelant les plus mauvais aspects de la monarchie.

Nous sommes le 9 août 1982. Il est un peu plus de 13 heures. La foule se presse dans le restaurant Goldenberg, au centre du vieux quartier juif, à Paris. Un homme lance une grenade à l’intérieur de l’établissement. C’est la panique. Mais ce n’est pas fini. Un commando de quatre ou cinq hommes descend la rue des Rosiers en tirant dans la foule. L’attentat fait six morts et vingt-deux blessés. Il n’y aura aucune revendication. Les soupçons se portent sur un groupe palestinien dissident de l’OLP.

Mais, quinze jours plus tard, la cellule antiterroriste interpelle les auteurs de cet attentat. Il s’agit de nationalistes irlandais. C’est du moins ce qu’annonce la presse, suite au communiqué de l’Elysée.

Tout est bidon.prouteau_barril_photo-paris-match.1173876118.jpg

Se fiant aux informations d’un indic, que gendarmes, douaniers et policiers, connaissent de longue date, le capitaine Paul Barril, et ses hommes de la cellule, investissent l’appartement d’un ressortissant irlandais, un certain Michael Plunkett, rue Diderot, à Vincennes. Ils espèrent y découvrir armes et explosifs. Ils font chou blanc. Mais déjà le succès est claironné. Prouteau, le chef de la cellule est en vacances. Barril, son adjoint, lui a rendu compte par téléphone, et Prouteau a renseigné Mitterrand. Tout le monde jubile, tandis que les autres services de police, tenus à l’écart, sont pour le moins dubitatifs. Ils ont raison. Car l’affaire est dans l’affaire. Pour ne pas reconnaître qu’il a chanté victoire trop vite, Barril dissimule des armes dans l’appartement de Plunkett. Il s’aperçoit alors, mais un peu tard, qu’il n’est pas officier de police judiciaire, donc juridiquement non compétent pour effectuer la perquisition. Il fait appel à son collègue, le capitaine Jean-michel Beau, tout nouveau promu à la tête de la section de Paris. Ce dernier est en confiance, à la différence du commissaire P., qui lui a décliné la proposition, il prend en charge la procédure. Mais il est arrivé après la bagarre, et il ne connaît rien des faits. Certes, ce jour-là, il a commis une grave irrégularité, suffisante pour carboniser le dossier, mais ce n’est pas moi qui lui jetterais la pierre. Il m’est arrivé de faire de même, pour éviter des ennuis à des collègues. Les trois Irlandais de Vincennes, feront neuf mois de détention pour rien – pour rien, du moins sur le plan du droit.

Lorsqu’il a fallu rechercher les responsables, Barril s’est retranché derrière Prouteau, et Prouteau, derrière le fait qu’il était en vacances. Seul Mitterrand a assuré. Il a dû se dire que cela ne ferait que pigmenter son auréole, et ajouter un mystère à sa légende.

Quant à Jean-Michel Beau, il a été jugé, et condamné. Il a payé. C’est normal. Mais ce qui l’est moins, c’est la pression qu’il a subie. On a tenté de le juguler. Il a été surveillé,la-verite-de-jack-palmer-par-petillon.1173876606.jpg pressuré, mis sur écoutes, lâché par sa hiérarchie, et peut-être par ses amis… Et depuis plus de vingt ans, il se bat pour retrouver un peu de son honneur perdu.

Mission accomplie. La cour d’appel de Paris, ce mardi 13 mars 2007, a reconnu qu’il avait été placé sous écoute par la cellule de l’Elysée. Elle lui a octroyé des dédommagements et, surtout, elle a intimé aux protagonistes l’obligation de publier un communiqué dans deux journaux différents.

Jean-Michel Beau m’écrivait, il y a deux jours : « Je souffre le martyre depuis 24 ans et je ne veux pas mourir sans que tout soit au clair ».

Longue vie, mon colonel.

La PJ, sous Giscard (2)

PARTIE 10 – Dans les années 70, le fonctionnaire chargé de tenir à jour le fichier du grand banditisme n’en finit pas de rayer des noms. Les morts violentes se succèdent, avec un pic important en 1973, l’année des records, une hécatombe chez les voyous, avec aussi, hélas ! quelques dégâts collatéraux. La PJ compte les coups. C’est pourtant une action de police qui va freiner l’ardeur des belligérants, même si ce ne fut pas de la manière escomptée.

Ce 28 février 1975, les hommes de la BRI n’ont pas le moral. Ils viennent de « foirer » une affaire. Un braquage qui a mal tourné. Bilan : le caissier de la banque a été tué, et les deux malfaiteurs, bloqués à l’intérieur, renversent la situation à leur avantage. Ils ont des otages. Ils exigent une rançon, un avion, etc. Ils repartent avec un million de francs, mais sans l’avion – ce qui n’est déjà pas si mal. C’est dans cet état d’esprit que le commissaire Marcel Leclerc reçoit un coup de fil de son collègue, Marcel Morin, fossoyeur de la French-connection à Marseille, et à présent patron de la 1e brigade territoriale. L’un de ses hommes, l’inspecteur Antona, a obtenu un tuyau : le clan des Zemour et la bande à Vella, autrement dit le clan des Siciliens, désirent discuter d’un armistice. Ils doivent se rencontrer dans le café, J’ai du bon tabac, boulevard de Saint-germain, à Paris. Dispositif en place, deux « clients » sont repérés dans le bar situé en face, Le Thélème. Leclerc et Broussard se concertent. Ils décident de se partager les objectifs. C’est Broussard qui récupère Le Thélème. L’inspecteur divisionnaire Chaix, accompagné de deux collègues, pénètre dans l’établissement par la porte principale, tandis qu’une autre équipe se présente à l’autre porte. « Police ! Que personne ne bouge ! … » crie Chaix. Instantanément, Joseph Elbaz ouvre le feu. Chaix, encaisse la balle dans l’épaule gauche, au-dessus du cœur. Il dégaine et riposte. Dans le bistroquet, les armes aboient. Puis c’est la mêlée générale, l’empoignade au corps-à-corps. Lorsque la fumée se dissipe, on monte au résultat. Du côté de la brigade antigang, les inspecteurs Chaix et Guitard, sont blessés. Chez les truands, c’est pire. Elbaz est mort sur le coup. Le chef de bande, William Zemour ne vaut guère mieux. Son frère Edgar a ramassé sept balles. Il s’en sortira – pour cette fois. Edmond Zemour, lui, est touché au genou gauche. Seul Roland Attali est indemne. Il n’en revient pas. Quant à l’autre bande, celle de Vella, Leclerc apprend par l’OCRB que toute l’équipe est réunie à des kilomètres de là, dans un pavillon de Paray-Vieille-Poste, dans l’Essonne. Les policiers les trouveront en train de sabler le champagne. On se demande ce qu’ils pouvaient arroser ? On comprend un peu tard que l’antigang s’est fait manipuler pour éliminer le clan Zemour. Ce n’était pas un bon jour pour la BRI, car un client, présent sur les lieux, qui s’est ramassé au passage, il faut le dire, une petite correction, est un avocat marocain, du nom de Benachenchou. Dénué du moindre fair-play, le ci-devant dépose plainte pour tentative de meurtre. La gauche monte au créneau contre les cow-boys de l’antigang, la police raciste, etc. Tandis que les syndicats déplorent le manque de formation, de moyens, etc. La routine. Tandis que nos poulagas sont poursuivis pour tentative de meurtre, les truands chevronnés de la bande à Zemour, du moins les rescapés, se voient reprochés des violences à agents de la force publique. Les arcanes de la justice… ! Poniatowski, empêtré dans les remugles de l’affaire des micros du Canard Enchaîné, a dumal à faire front. D’ailleurs, Benachenchou est intraitable. Il refuse ses excuses. Néanmoins, des années plus tard, en catimini, il acceptera un substantiel dédommagement pour retirer sa plainte.

Cette année-là, Franco est mort, et, à l’insu de tous, quelques personnages douteux posent les premiers jalons de la plus grande escroquerie que la France ait connu. Pourspaggiari-photo-affaires-criminelles.1173691884.jpg la société Elf Aquitaine, il s’agit du projet « Aix ». Pour la presse, cela va devenir « l’affaire des avions renifleurs ».

En juillet 1976, en un seul week-end, les coffres de la société générale, en plein centre de Nice, sont vidés de toutes leurs richesses. Pour commettre ce vol, que les journaux baptisent « le casse du siècle », les malfaiteurs ont réalisé un travail titanesque. À l’aide d’un véhicule tout-terrain, ils sont passés par le lit du Paillon, un torrent souterrain (à sec à cette époque) qui traverse la ville, et ils ont rejoint les égouts pour finalement déboucher derrière la salle des coffres de la banque. Une préparation qui a dû s’étaler sur des semaines. Avant de repartir, avec un butin estimé par la suite à quarante-cinq millions de francs, ils laissent, comme un pied de nez, l’inscription : « Ni armes, ni violence, et sans haine ». C’est grâce à un banal contrôle d’identité, effectué un mois plus tôt, sur deux petits malfrats marseillais qui trimballent du matériel et des outils de terrassement (ce qui est rare pour des voyous, généralement peu enclins aux travaux manuels), que les policiers vont remonter la piste. Elle les conduira à une équipe de Marseillais. On murmure que Gaétan Zampa… Mais on ne prête qu’aux riches. C’est alors qu’un informateur anonyme « souffle » aux oreilles des policiers le nom d’Albert Spaggiari. Fabulateur et mégalomane, submergé par une gloire médiatique qui lui monte à la tête, celui-ci revendique l’entière paternité de ce casse rocambolesque. Certains restent dubitatifs. C’est le cas du journaliste Roger-Louis Bianchini, dans son livre 13 mystères de la Côte, aux éditions Fayard. Dix jours après ce vol spectaculaire, qui ridiculise nos institutions, un peu comme l’aurait fait Arsène Lupin, Giscard d’Estaing se croit sans doute obligé de faire preuve de fermeté. Il refuse la grâce de Christian Ranucci. Celui-ci est guillotiné le 28 juillet 1976.

ranucci-photo-scene-de-crime.1173692049.jpgEn mars 1977, Michel Poniatowski, durement secoué par les révélations qui ont suivi le meurtre de Jean de Broglie, quitte le ministère de l’intérieur. Sa carrière politique virera nettement à droite. Il est remplacé par Christian Bonnet, homme discret, sans couronne, dont le principal mérite aura été d’épingler une médaille sur mon veston. Pendant ce temps, Mitterrand demande un référendum sur la force de dissuasion, et, à Téhéran, après les émeutes sanglantes du 8 septembre 1978, la révolution est en marche. Quelques mois plus tard, le Shah boucle ses valises dans l’urgence et abandonne son pays. L’année suivante, commence la guerre Iran-Irak. Le prix du pétrole s’envole (100 dollars actuels) et la politique sociale de Giscard d’Estaing est reportée à la saint-glinglin.

À Nice, il se passe toujours quelque chose. Cette fois, c’est Agnès Leroux, la fille de la patronne du casino Le palais de la Méditerranée, qui disparaît. C’est le début d’une saga à la Dallas, dont le dernier épisode n’est pas encore tourné.

1978, est l’année des trois papes. À la mort de Paul VI, en un temps record, le conclave désigne comme successeur le cardinal Luciani. Celui-ci prend le nom de Jean-Paul 1er. Son pontificat dure 33 jours. Le 29 septembre 1978, Jean-Paul 1er se meurt – en bonne santé. Beaucoup s’étonnent que le saint homme soit décédé si soudainement. D’autres s’interrogent. Aurait-il découvert des choses qu’il ne voulait pas cautionner ? On pense à la curie, on murmure le nom de sectes mystérieuses, la loge P2, l’Opus Dei… Douze heures après son décès, le corps est embaumé. Pas d’autopsie, pas d’enquête. C’est le cardinal Wotjyla qui va lui succéder.ma-mere.1173692216.jpg

Ma mère est morte, aussi, cette année-là.

L’enlèvement de la fille du roi de l’étain – Lorsque nous avons débarqué de l’avion, à l’aéroport de Genève, l’inspecteur divisionnaire Hubert Fadda et moi, un policier suisse nous attendait. Nous étions porteurs d’une commission rogatoire internationale pour le meurtre d’un certain Rumi Giovanni. On avait retrouvé son corps, criblé de balles, sur les bords de l’autoroute, près d’Auxerre. Ça sentait le règlement de comptes à plein nez, aussi, j’avais réussi à conserver l’affaire au sein du GRB, au grand dam de mon ami, Alain Tourre, chef du groupe criminel du SRPJ de Versailles. Fadda est un flic hors du commun. Il marche à l’instinct. D’ailleurs, au poker, lors des nuits de permanence, c’est souvent lui qui part avec la cagnotte. En dehors du fait qu’il était mort d’une overdose de plomb, ce Giovanni présentait deux particularités. D’abord, il était probablement un élément dormant de la mafia italienne. Et ensuite, on avait trouvé, en perquisitionnant sa chambre, une mallette pleine de billets de cent dollars. Le genre de plan qu’on voit dans les films – et qui fait totalement bidon. L’enquête avait permis de déterminer que notre client avait résidé à Lausanne. « Vous savez, Lausanne, c’est un autre canton… », nous dit le policier genevois, avec son accent nonchalant. Ils ne sont pas chauds, les poulets suisses, pour nous servir de cicérones. Fadda n’y prête pas attention. Il explique l’affaire, et il sort la liste des billets de cent dollars. D’un seul coup, ils se réveillent à la sûreté de Genève. Quelques semaines auparavant, Graziella, la fille du plus gros industriel de la région a été enlevée. Les ravisseurs exigent une importante rançon qui doit être remise par George Ortiz, le père de la fillette. Celui-ci doit prendre l’autoroute et s’arrêter cinq minutes sur chacune des aires de stationnement, pour attendre de nouvelles instructions. Le jeu de piste traditionnel, dans ce genre d’entreprise. Tous les flics du coin sont mobilisés. Ortiz s’arrête sur le premier parking. Là, un homme lui demande de jeter la rançon par-dessus le grillage qui sépare l’autoroute d’une voie de dégagement. L’homme récupère l’argent et démarre tranquillement. Les collègues suisses n’ont rien vu. Alors, évidemment, ils sont à cran. Et les numéros sur la liste qu’on vient de leur remettre correspondent aux billets de la rançon. Ce qu’on savait déjà. C’est pas parce qu’on fait le même métier qu’on est obligés de tout se dire… On a aussi une liste de suspects. Moi, pragmatique, je propose qu’on ramasse tout le monde. Mais les Suisses hésitent. Trop. Le lendemain, il y a une fuite dans la presse. Les opérations démarrent en catastrophe. Je n’y prends pas part. Après une petite altercation avec mes collègues, à deux doigts de l’incident diplomatique, j’ai préféré claquer la porte. J’ai toujours adoré claquer les portes. Mon histoire s’arrête donc là. Le côté positif de cette enquête, c’est que la gamine a été retrouvée saine et sauve. Quant à suisse-france-match-nul.1173692838.jpgl’argent… Des années plus tard, cité pour témoigner au procès des kidnappeurs, j’ai retrouvé Fadda et son équipe dans le train pour Genève. Les passagers du TGV on dû se demander quels étaient ces énergumènes, mal fagotés et bruyants, qui tapaient le carton dans un wagon de 1ère classe. Cette bourrique m’a encore plumé au poker.

Ah oui ! Avant de quitter Lausanne, j’ai croisé deux yeux noirs. Les yeux noirs m’ont souvent joué des tours. Ceux-là avaient 25 ans et s’appelaient RoseMarie. Quelques mois plus tard, on grimpait la Cordillère des Andes, la mano dans la mano, à la recherche de la ville sacrée des Incas, le Machu picchu. Rien de tel pour se laver la tête.

____________________________________

Cliquer pour lire la suite…

Jack Lang, de bois

Un homme broyé par une psychose publique. C’est le sentiment qu’on ressent devant la calamité qui s’est abattue sur Alain Hodique. En 2001, il est conseiller commercial chez Total, et son épouse est la directrice de l’école maternelle de Bucquoy, près d’Arras, dans le Pas-de-Calais. Le couple prépare sa retraite. Ils veulent acheter une petite maison dans le Gers. Des gens comme tout le monde. Puis un jour, par la voix d’un enfant de cinq ans, un bébé, le ciel leur tombe sur la tête. La mère du chérubin prévient la gendarmerie : Monsieur Hodique s’est livré à des attouchements sur ma fille… On est en pleine paranoïa médiatique, pas un journal qui ne consacre un article à la pédophilie, exploitant ainsi à outrance notre sensibilité. C’est tellement odieux de s’attaquer à un enfant… Les gendarmes enquêtent, et, bientôt, c’est quatre, cinq enfants, tous entre trois et cinq ans, qui ont subi les assauts de cet « obsédé ». L’affaire grossit, les parents se révoltent, les enfants en rajoutent – comme tous les enfants, évidemment.

nicolas.1173303332.jpgL’un d’eux dira même que le méchant monsieur lui a mis son sexe dans la bouche. « Il était comment ? » demande le juge, pour tenter d’étayer le témoignage. « Comme celui de papa », répond le gamin. Greffier, n’écrivez pas ! Une fillette racontera que son petit frère, Nicolas, a, lui aussi, subi des tripatouillages. J’imagine le juge… Il se frotte les mains, il félicite les gendarmes, il pose devant la presse. Le procureur se fend d’un communiqué satisfait. Mais personne ne vérifie vraiment les déclarations de la bambine: l’enfant s’est inventé un frère, le petit Nicolas. À cause de Sarkozy ou de Pimprenelle ?

Alain Hodique se retrouve derrière les barreaux, mis en examen pour viols et agressions sexuels sur mineurs de moins de quinze ans. Il y reste 380 jours. Bien sûr, il perd son emploi. Sa femme est priée de ne plus approcher les enfants. Et le ministre de l’éducation nationale se fend d’une lettre, adressée aux associations de parents d’élèves : « J’ai appris les actes scandaleux et odieux commis par l’époux de la directrice de l’école maternelle de Bucquoy (…) Je partage la souffrance des jeunes victimes et l’émotion des familles (…) Je peux vous assurer que toutes les mesures seront prises pour sanctionner les fautes qui ont été commises…»

Pour la petite histoire, ce même ministre a défendu avec vigueur l’élaboration de la loi sur la présomption d’innocence (sic). Comme le procès tarde un peu, la justice condescend à laisser sortir ce criminel, liberté assortie d’un contrôle judiciaire draconien, avec cette astreinte invraisemblable : sa femme et lui ne doivent ni se voir, de près ou de loin, ni se parler. Y sont pas beaux les juges !

L’affaire a duré plus de cinq ans. Cinq années pendant lesquelles les époux Hodique ont été montrés du doigt, vilipendés, repoussés de la société. On les aurait bien lynchés, mais personne n’a osé jeter la première pierre. Ils ont vécu de rien, avec un demi-traitement versé à Madame par l’éducation nationale, abandonnés de la plupart de leurs amis – et leur petite maison dans le Gers est partie en frais de procédure, frais d’avocats, etc.

Cinq ans de galère. Les magistrats se cramponnent. Comme d’autres, ils ne veulent pas admettre qu’ils ont pu se tromper. La cour d’appel prononce un non-lieu. Mais monsieur Hodique ne peut se contenter d’une demi-mesure. Son honneur est en cause. Il se pourvoit en cassation. La semaine dernière, enfin, la cour de cassation a rendu son verdict : Alain Hodique est innocent. Les enfants n’étaient que de petits affabulateurs, comme tous les enfants. Et les parents…pimprenelle-et-nicolas.1173303443.jpg

À ce jour, Madame Hodique n’a pas retrouvé son poste, et monsieur Hodique attend toujours une lettre d’excuses de la part du juge, du procureur, du garde des sceaux – et surtout de Jack Lang, puisqu’il s’agit encore de lui. Il parle vraiment beaucoup trop, cet homme, et jamais au bon moment. Interviewé sur RTL par Jean-Michel Apathie, il a tenté d’éluder la question avant d’avouer qu’il ne se souvenait pas de cet… incident. Il aurait ensuite écrit à monsieur Hodique : « S’il apparaissait que, par souci de protéger les enfants, j’aurais indûment mis en cause la présomption de votre innocence, j’en ressentirais alors un immense regret et je ne manquerais pas de vous en faire part. » Là, on sent que ça a du mal à sortir… La classe, pour monsieur Lang, serait qu’il décroche son téléphone, et qu’il appelle cet homme. Il pourrait l’inviter au restaurant, et s’expliquer, s’excuser, devant un plat de choucroute, et un petit vin d’alsace, les coudes sur une toile cirée, dans un bistroquet, bien loin de la place des Vosges.

Ouais, ce serait la classe…

À défaut, il peut toujours relire La goutte d’or, de Michel Tournier : « Si ce que tu as à dire n’est pas plus beau que le silence, – alors, tais-toi ! »

——————

Les époux Hodique ont été invités par Pierre Rancé, le 3 mars 2007, dans Paroles d’accusés, sur Europe 1.

La PJ, sous Giscard

Partie 9 – Le massacre qui a suivi la prise d’otages de la délégation israélienne, aux Jeux Olympiques d’été à Munich, en septembre 1972, fait prendre conscience aux autorités de différents pays d’Europe, qu’il faut disposer d’une force d’intervention spécialisée pour gérer ce genre de situation. En France, des groupes d’intervention de la police nationale (GIPN) sont créés dans les mois qui suivent. Le commissaire Nguyen Van Loc (il jouera son propre rôle dans la série télé Le chinois), est sans conteste le gipn.jpgdéfricheur. Dès le mois d’octobre, il met sur pied le GIPN de Marseille. Ces brigades, au nombre de onze, ne dépendent pas de la PJ, mais de la direction de la sécurité publique (DCSP). Un an plus tard, c’est la gendarmerie qui installe, sous la férule du lieutenant Christian Prouteau (il deviendra préfet sous Mitterrand) le groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN). À ses côtés, on trouve le lieutenant Paul Barril, plus spécialement chargé de la technique, de l’armement et de la partie opérationnelle. Le directeur central de la PJ, Maurice Bouvier, refuse de suivre le mouvement. Il estime que ce genre de mission ne relève pas de la compétence de son service. Douze ans plus tard, sous la pression de Robert Broussard, alors au cabinet du directeur général de la PN, le RAID (recherche – assistance – intervention -dissuasion) voit le jour. Son premier chef est le commissaire Ange Mancini.

Entre 1969 et 1976, sept femmes et un homme sont assassinés dans le département de l’Oise, à  l’intérieur d’un périmètre de quatre kilomètres sur deux. Jamais le dimanche. La presse parle du tueur de Nogent, et l’arme, toujours la même, est une carabine .22 LR. L’homme sera finalement arrêté malgré une guéguerre police-gendarmerie qui n’a pas facilité les choses. Il s’agit d’un ancien para, Marcel Barbeault, 35 ans, marié et père de deux enfants.  Mais à partir de mai 1978, un nouveau maniaque fait son apparition. Lui aussi s’en prend à des jeunes femmes, mais à la différence de Barbeault, son action criminelle est désordonnée. Cette fois, il est surnommé le tueur de l’Oise. Lorsqu’il est interpellé, le 9 avril 1979, l’affaire fait grand bruit, car il s’agit d’un gendarme de Chantilly. Il se nomme Alain Lamare, et il a 23 ans. Ses motivations sont nébuleuses. Il semble qu’il prenait plaisir à voir ses collègues rechercher tous azimuts un assassin, alors qu’ils le côtoyaient journellement. Le journaliste Yvan Stefanovitch s’est passionné pour cette affaire. Il en a fait un livre : Un assassin au-dessus de tout soupçon, aux éditions, J’ai Lu. Alain Lamarre a été reconnu « irresponsable ». Il n’a donc pas été jugé mais enfermé à l’hôpital psychiatrique de Sarreguemines.

En février 1974, au Canard Enchaîné, le juliénas doit couler à flot, lorsque Georges Pompidou remercie Raymond Marcellin. Il nomme Jacques Chirac à sa place. Quelques mois plus tard, il y a un nouveau décès chez nos amis les truands. Il se nomme Roger Bacry, mais tout le monde l’appelle P’tit Roger. Il a eu des rêves de puissance, au point de trahir les Zemour, et de prendre la tête du clan ennemi, les Siciliens. Beaucoup de morts de part et d’autre, mais il a vu trop grand, le petit Roger, cette aventure l’a dépassé. Depuis, il est sur le qui-vive, il sursaute au moindre bruit, il guette celui qui va le liquider. En fait, il est déjà mort. Il a craqué. Ce 12 juin 1974, il tire sur sa compagne, Josiane A., et se loge une balle dans la tête. Josiane s’en sortira. Pas lui. Dans son livre Les derniers seigneurs de la pègre, aux éditions Julliard, Roger Le Taillanter cite l’oraison funèbre prononcée par Gilbert Zemour : « C’était une crapule, une ordure, un rat d’égout. Je comprends qu’il se soit suicidé ! Il avait fait tellement de saloperies…» C’étaient paroles d’expert.

Le 26 mai 1975, un décret officialise les relations entre l’organisation internationale de police criminelle (l’OIPC-Interpol) et la France. Chaque pays membre possède en effet un correspondant unique : le bureau central national (BCN). Pour la France, il est désormais rattaché à la DCPJ. Le directeur central PJ devient donc le chef du BCN-France. Sinon, les années 70 apportent peu de changements dans les structures de la PJ. Les policiers tentent surtout de s’adapter à deux nouveaux fléaux de la société, auxraf.1173003251.gif desseins d’ailleurs tout à fait différents. D’un côté le terrorisme, aux prétentions idéologiques, et de l’autre, les enlèvements avec demande de rançon, clairement crapuleux.

La France est relativement épargnée par le terrorisme d’extrême gauche, à l’exception d’action directe. En fait, contrairement à l’obsession de Raymond Marcellin, la violence politique (ou la politique de la violence) n’a pas trouvé son ferment dans mai-68. C’est différent en Italie, où les brigades rouges sèment la terreur et surtout en Allemagne (de l’ouest), où la fraction armée rouge (FAR), autrement appelée en France bande à Baader (par référence à la bande à Bonnot ), enchaînent les attentats et les exécutions. schleyer-otage-de-la-raf.1173044757.jpgEn septembre 1977, la PJ arrête Klaus Croissant, qui avait recherché l’asile politique en France. Malgré les protestations de nombreux intellectuels, notamment Jean-Paul Sartre et Michel Foucault, il est extradé vers l’Allemagne un mois plus tard. Klaus Croissant est l’avocat d’Andréas Baader et de ses acolytes, arrêtés en 1972. Epoque où Brigitte Mohnhaupt prend la relève et poursuit l’action de Baader. Elle est alors définie comme la femme la plus dangereuse d’Allemagne. Condamnée à perpétuité, en 1985, pour neuf assassinats, dont celui du représentant du patronnat allemand, Hans Martin Schleyer, et celui du procureur général, Siegfried Buback, elle est toujours emprisonnée. Elle doit être libérée le 27 mars 2007. Libération qui fait grand bruit outre-Rhin, alors qu’on doit bientôt commémorer la mémoire de toutes les victimes de cette organisation criminelle et qu’en Italie sourdent de nouvelles brigades rouges.

Aux élections législatives de 1974, la gauche arrive en tête au premier tour. Pourtant, le PS et le PC ne parviennent pas à s’entendre, ils sont laminés au second tour. Giscard d’Estaing va donc débuter son septennat avec une forte majorité de droite. Chirac n’a pas beaucoup de chemin à faire : il quitte la place Beauvau pour Matignon. Il aura été ministre de l’intérieur pendant trois mois. C’est Michel Poniatowski qui lui succède. Considéré comme le principal organisateur de la victoire de Giscard d’Estaing aux élections présidentielles, il est nommé ministre d’état, ministre de l’intérieur. Contrairement au protocole, dans ce gouvernement, le premier de nos ministres n’est donc pas le garde des sceaux, mais le chef de la police. La tradition perdure. En tout cas, Ponia doit être satisfait. Il ne sait pas ce qui l’attend.

Le 24 décembre 1976, Jean de Broglie, sort du bureau de son conseiller financier, Pierre de Varga. Un homme l’attend. Il lui tire dessus et s’enfuit. Celui qui vient de mourir n’est pas n’importe qui. Il est député de l’Eure, ancien ministre, et c’est l’homme qui, avec Louis Joxe, en 1962, signa les accords d’Evian. Il fut également l’un des fondateurs du parti des républicains indépendants, à côté de Valéry Giscard d’Estaing. La brigade criminelle mène rondement l’enquête. L’assassin est arrêté quelques jours plus tard. Il se nomme Gérard Frèche. Il a été recruté par un policier […], Guy Simoné, pour exécuter un contrat, à la demande de Pierre de Varga. Poniatowski et Pierre Ottavioli, le patron de la brigade criminelle, pontifient de conserve sur cette brillante réussite. Ils pavanent devant la presse et font des déclarations circonstanciées sur les raisons de ce meurtre. Pour faire court, tout cela n’est qu’une sordide affaire de gros sous. Mouais ! Ce n’est pas l’avis de l’inspecteur divisionnaire Michel Roux, de la 10° BT. Il rappelle, d’abord poliment, puis un peu moins poliment, qu’il a transmis deux rapports pour signaler qu’un contrat existait sur la tête de l’ancien ministre et que la BRI, dirigée par le commissaire Marcel Leclerc, avait été chargée de surveiller les protagonistes de cette machination. C’est un vieux routier de l’antigang, l’inspecteur divisionnaire Plouy, qui a hérité du bébé. On dit qu’on ne se bousculait pas à la brigade pour traiter cette affaire. Que s’est-il réellement passé ? Les policiers ont-ils relâché leur surveillance ? Ont-ils reçu des ordres en ce sens, comme certains l’ont affirmé ? Ou peut-être n’y ont-ils pas cru, tout simplement… Mais le contrat est exécuté – et aucun policier n’est présent. Et comme toujours dans ces cas-là, chacun, du chef de service au lampiste, chacun s’emberlificote dans ses mensonges. Mais, plus tard, l’Express, puis Le Canard Enchaîné, font des révélations. Et ce qui n’était qu’une boulette devient un scandale politique. Car, Jean de Broglie avait été le trésorier du parti républicain et il était également l’un des financiers d’une institution de l’église catholique : l’Opus Dei. Et il semble que cet organisme, répertorié « très à droite », et que certains n’hésitent pas à présenter comme une secte, ait largement contribué à alimenter les caisses du parti qui a placé Giscard au pouvoir. Je ne suis sûr de rien, sauf d’une chose : de grands chefs de la police ont vu pâlir leur auréole dans cette histoire politico-policière. Elle fait tache dans les annales de la brigade criminelle. Pierre Ottavioli a raconté ses mémoires dans un livre Echec au crime, aux éditions Le livre de poche.

L’enlèvement de Louis Hazan – Le 31 décembre 1975, le P-DG de la société Phonogram est enlevé en pleine réunion professionnelle. Les truands braquent l’assemblée et mettent leur victime dans une malle en osier avant de disparaître. Les ravisseurs réclament une rançon de quinze millions de francs. Le patron de la brigade criminelle, Pierre Ottavioli, Otta, pour les intimes (ils sont peu nombreux), fait mine d’accepter. Il monte une souricière et les policiers interpellent les deux hommes venus récupérer les sacs censés contenir l’argent (en fait de vieux annuaires) : les frères Pech. Maintenant, il s’agit de sauver l’otage. Et chaque minute compte. Il est donc indispensable d’obtenir des confidences des deux individus arrêtés. Ici, il existe trois versions. La version officielle, selon laquelle les enquêteurs découvrent un numéro de téléphone griffonné sur le bas du jean de l’un des ravisseurs. La version officieuse, qui mentionne qu’on leur a laissé passer un coup de fil, et que le numéro a été intercepierre-ottavioli.1173006098.jpgpté. Enfin, la dernière version, juste pour information, mais peu vraisemblable, selon laquelle les deux hommes se sont pris une « sérieuse avoine ». Je vous laisse choisir. Le numéro de téléphone correspond à une adresse à Tremblay-le-Vicomte, en Eure-et-Loir. Michel Guyot, surnommé Michel les bretelles, le patron du SRPJ de Versailles, me réquisitionne vers 19 heures 30. Il reste peu de monde à la brigade. Je fais le tour des bureaux et parviens à recruter une demi-douzaine de « volontaires ». Ça traîne des pieds, car chacun est persuadé que le tuyau est bidon. « Si c’était du solide, ils nous auraient pas invités, les seigneurs du 36… », ronchonne un enquêteur. Maurice Duyck, un vieil inspecteur divisionnaire, qui a été mon mentor durant mes premières années, ne dit rien. Mais je devine qu’il s’est renseigné. C’est du sérieux. Au dernier moment, Aimé Brémond, le sous-chef du SRPJ, doit s’être tenu le même raisonnement. Il me dit : « Tiens, je vais aller avec vous ! » Il pense qu’on n’est pas assez nombreux. Ou il ne me fait pas confiance. Ou il en marre de rester derrière son burlingue… Je plaisante. Brémond, que tout le monde surnomme Mémé, est le genre de patron que j’apprécie. Il n’a pas fait une super carrière, mais il est toujours resté droit dans ses bottes. Il faut être sur place avant 21 heures, l’heure légale en matière de perquisition. Ce jour-là, si on a pris des risques, c’est bien sur la route. À faire exploser les radars automatiques – s’il y en avait eu à cette époque. En chemin, les choses se précisent. Les nouvelles consignes sont de surveiller les lieux jusqu’à l’arrivée des collègues de la PP, et de ne rien faire d’autre. « Même pas en rêve », maronne quelqu’un au-delà des ondes. Ça doit être Patrick !… À l’entrée de Tremblay, les gendarmes nous attendent. Ils nous pilotent. On s’arrête à une centaine de mètres de la maison. Il fait nuit, un bout de lune éclaire une grande bâtisse. Elle se trouve au milieu d’un parc, et de larges portes-fenêtres font face à l’entrée. Il doit y avoir cinquante mètres à découvert. Pour l’effet de surprise, ça ne va pas être évident… Mémé attend des instructions. Je le bouscule un peu. La vie d’un homme peut se jouer à quelques secondes. « On y va », lâche-t-il. En disant ça, il transgresse les ordres. Je l’aimais bien. On escalade le portail, on se faufile dans le parc. Derrière moi, un collègue actionne la culasse de son PM. Je serre les fesses : ça part tellement vite ces trucs-là. Je mets la main sur la poignée de la porte, et… elle s’ouvre. On fonce. La pièce est vide. La maison est vide. Dans un coin, la télé marche en sourdine, sur une table basse, deux verres à moitié vides et un cendrier bourré de mégots. Rien ! « Allez, les enfants, on refouille tout ! ». J’ai lancé ça d’une voix ferme, mais l’heure légale est passée, nous n’avons pas de témoins et nous ne sommes pas saisis de l’affaire. On n’est même pas certains d’être dans la bonne maison. Si on s’est plantés, va y avoir des têtes qui vont tomber… Et Mémé sera aux premières loges. Juste devant moi. C’est bon parfois d’avoir un chef. On se dirige vers la cuisine. De la vaisselle sale, un reste de repas. Rien d’intéressant. Soudain, un léger bruit nous fait tressaillir. On sonde les murs. Ça sonne creux. Il y a une ouverture derrière l’une des cloisons. On la fait sauter et on tombe sur un réduit de deux mètres sur trois. Sur un matelas, à même le sol, un homme est attaché par des chaînes. Il porte une cagoule noire sur la tête. Je la lui retire. Il est terrorisé. « Vous êtes Hazan ? » je demande. Je sors ma carte, je le rassure. Il finit par prendre confiance. « J’ai cru ma dernière heure arrivée », nous confiera-t-il plus tard…

Ni Mémé ni moi, ni aucun gars du GRB, nous ne serons invités au pot offert par Louis Hazan pour remercier la police de l’avoir délivré. Il n’a jamais dû savoir qu’on n’était pas du 36 – et d’aucun s’est bien gardé de le lui dire. Ça fait rien, on s’est bu une bière entre nous.

______________________

Cliquer pour lire la suite

La PJ de 68

PARTIE 6 – Il existait en France, depuis la nuit des temps, deux institutions policières : la sûreté nationale (SN) et la préfecture de police (PP) de la ville de Paris. Une loi du 9 juillet 1966, change la donne. Le préfet de police conserve ses prérogatives, mais les policiers sont tous rattachés au ministère de l’intérieur, au sein d’un corps unique : la police nationale.

barricades.1171098949.jpgCependant, en ce qui concerne la PJ, les choses n’évoluent guère. Le 36 reste une forteresse où les « seigneurs » regardent avec condescendance leurs « cousins » de l’ex-SN. Quel policier de province ne s’est pas vu mander, d’un ton goguenard, de retirer la paille de ses sabots avant de pénétrer dans le saint des saints !

Dans le milieu, le gros truc pour ces messieurs, c’est le business du jeu. Alors que le clan Guérini est en pleine décrépitude, deux corses tirent les ficelles : Jean-Baptiste Andréani et Marcel Francisci. Associés dans l’établissement Le Grand cercle, un certain temps ; ils sont à présent en froid. En fait, tous deux postulent pour le titre d’empereur du jeu. Le chemin est semé d’embûches – et de cadavres.

Début 68, après la création des trois départements limitrophes à la capitale, la PP boucle les frontières. Bénéficiant d’un piston lié à la proximité du pouvoir, d’un fort copinage sur les bancs de la franc-maçonnerie, et sans doute d’un plus grand professionnalisme, elle accapare un grand nombre de postes-clés. Pendant ce temps, chez les étudiants, les esprits s’échauffent. Et c’est Mai-68 ! avec cette superbe allégation, qui s’affiche sur les murs de la Sorbonne : « L’imagination prend le pouvoir. » . Moi, petit officier de police adjoint à la DST, je ne suis pas acteur, mais spectateur privilégié. Claquemuré dans une minuscule chambre de bonne du quartier Latin, j’espionne un « espion ». Depuis ma vigie improvisée, j’assiste jour après jour aux échauffourées de rue. La fronde des étudiants entraîne le pays dans une drôle de farandole, cadaffiche-mai-68-crs.1171099180.gifencée par une batterie de bombes lacrymogènes. Un vent de liberté souffle sur le pays. Mais, pendant la révolte, les affaires continuent…, notamment avec l’émergence d’un nouveau clan : les Z. Natifs de Sétif, les frères Zemour débutent dans le négoce du vin, puis la protection des commerçants du Sentier, puis le racket, etc. Mais leur ambition grandit. Ils veulent eux aussi s’immiscer dans le monde du jeu, et avoir leur part de gâteau. Ils se tournent vers Francesci, lequel doit se dire que quelques gâchettes de plus ne seraient pas superflues pour lutter contre la concurrence. Il les prend sous son aile. Les Zemour feront leur pelote. Ils tiendront le haut du pavé durant de longues années, laissant dans leur sillage une trentaine de cadavres, avant, à leur tour, de devenir des cibles. Le dernier survivant, Gilbert Zemour, est abattu le 28 juillet 1983, alors qu’il promène son quadrille de caniches, comme un bon petit retraité. Alexandre Arcady s’inspirera de cette saga du grand banditisme dans son film, Le grand pardon, avec Roger Hanin.

Le 14 mai 68, De Gaulle part en… séminaire en Roumanie. On fait courir le bruit que le pouvoir est vacant. À tout hasard, Mitterrand prépare un coup d’état. Il allègue que les forces de l’ordre font usage de gaz toxiques contre les manifestants, et exige la démission du gouvernement. On a l’impression que tout est possible. Tout est possible, mais rien n’est vrai. Avec le recul, on s’aperçoit qu’un seul slogan a tenu la distance : « J’ai quelque chose à dire, mais je ne sais pas quoi. » Le 18 mai, le Général revient. Dans le milieu, on règle ses comptes, mais la police a d’autres chats à fouetter. Après la décision d’expulser Cohn-Bendit, le 24 mai sera la nuit la plus longue . À Lyon, un commissaire est écrasé par un camion lancé par les manifestants. Je crois qu’il s’agit de la seule victime de ces semaines de violences, avec Christian Fouchet, le ministre de l’intérieur, qui est évincé. Raymond Marcellin, alias, Raymond la matraque, prend la relève. Pour lui, l’analyse est sommaire : les étudiants sont manipulés par l’extrême gauche. Dans cette optique, il crée une brigade spéciale au sein de la DST, la SUBAC. Un pilier de ce service, disait de lui : « Março, c’est simple, dès qu’on lui parle de la gauche, il voit rouge. » Finalement, De Gaulle annonce la dissolution de l’Assemblée nationale. Il aurait avoué à ses proches : « Cette fois, j’ai mis à côté de la plaque… » Le 30 mai, une manifestation de soutien d’une ampleur exceptionnelle se déroule sur les Champs-Élysées. Les relents des gaz lacrymogènes à peine disparus, une sale affaire pointe son museau. Elle mobilisera plus de 200 policiers et comportera 1.808 procès-verbaux. Ce sera un échec pour la PJ et le point final à la légende des brigades du Tigre.

stefan-markovic.1171099343.jpgLe 1er octobre 1968, un corps enveloppé dans une housse de matelas est découvert dans une décharge publique à Elancourt, dans les Yvelines. Il faudra deux autopsies pour découvrir les causes de la mort : une balle dans la tête. Le médecin légiste se justifie par un surcroît de travail. Cette boulette rafraîchit (?) l’ambiance de l’institut médico-légal. Dorénavant, décide-t-on en haut lieu, tous les corps seront radiographiés et les légistes opéreront par deux. L’individu est identifié comme étant un Yougoslave, Stéfan Markovic, un jeune homme, beau comme un dieu et gorille d’Alain Delon. Une lettre posthume (et prémonitoire) du défunt, désigne les époux Delon et un certain François Marcantoni, alias Monsieur François, comme suspects, en cas « d’accident ». La personnalité (et les relations) du comédien freine l’enquête. La presse est sur les dents. Les fuites sont nombreuses. Et, quelques mois plus tard, cerise sur le gâteau, des photos truquées circulent sous le manteau, soi-disant prises par Markovic, représentant madame Pompidou, dans des soirées… particulières. On a dit qu’il s’agissait d’une manipulation du SDECE, pour déstabiliser Georges Pompidou, désigné comme le futur président de la République. C’est peut-être vrai. En tout cas, une fois à la tête de l’Etat, il ne traîne pas. C’est jour de grande lessive dans les services secrets. Il vire notamment, Jean-Charles Marchiani, le cousin de Marcantoni, et il reproche à De Gaulle d’avoir laissé faire, sans rien lui dire. Ce sera la rupture entre les deux hommes. Pendant ce temps, Delon tourne La piscine – et l’enquête prend l’eau de tous bords. François Marcantoni, contre qui il existe pourtant des indices troublants, récupère un non-lieu, sept ans plus tard, prononcé par le procureur de Versailles, Pierre Bezio. Entre-temps, les flics de l’ex-1ère brigade mobile, les seuls encore présents sur Paris, ont été rapatriés au SRPJ de Versailles, où le commissaire Claude Bardon, assisté d’un unique inspecteur, a poursuivi, dans lemarcantoni-photo-de-son-livre.1171099500.jpg secret le plus absolu, l’enquête jusqu’au dernier P-V. Marcantoni donne sa version des faits, dans Monsieur François, le milieu et moi de A à Z, éd. Le Cherche-midi. Bardon n’a pas écrit de livre.

En 1970, une équipe de braqueurs défraie la chronique : le gang des lyonnais, dirigé par Edmond Vidal, dit Monmon. Ils braquent dans toute la France. On les attend à Grenoble, ils attaquent un fourgon blindé à Nancy, etc. Le coup de maître sera l’attaque de la poste centrale de Strasbourg, avec un butin gentillet de onze millions de francs. Il faudra quatre ans et pas loin de 150 policiers pour en venir à bout. C’est Michel Poniatowski, qui, à son arrivée au ministère de l’intérieur, décide de faire le ménage à Lyon, ville dont il vise la mairie. Mais, cette équipe est insaisissable, ses méthodes sont quasi militaires et certaines mauvaises langues suggèrent que le service d’action civique, le SAC, leur apporterait son soutien. Une opération d’envergure est montée. C’est un fiasco, mais heureusement les perquisitions s’avèrent positives. L’instruction sera marquée par l’assassinat du juge François Renaud , le 2 juillet 1975, à Lyon, sans qu’on puisse corréler les deux affaires avec certitude. Cette épopée de l’équipe de Monmon, qu’on cite souvent en exemple, est en fait un contre-exemple : trop de services sur le coup, trop de chefs, trop d’ordres et de contrordres. Honoré Gévaudan, alors sous-directeur des affaires criminelles, expose sa version des faits dans son livre, Ennemis publics, chez J.C. Lattès.

Probablement à l’issue d’un débriefing technocratique des événements de Mai-68, il a été décidé de désarmer d’éventuels récidivistes, en… dépavant la capitale. Ce n’est pas sans une certaine nostalgie que les Parisiens assistent à cette drôle de fenaison. Le pavé de Paris devient la relique des soixante-huitards. Il trône encore sur le bureau de certains cadres supérieurs – du moins ceux qui assument.

De Gaulle a capitulé. Il s’est replié à Colombey. Cette fois, il n’en partira plus. Les officiers de police reprennent le titre « d’inspecteurs », et, aux élections présidentielles, Pompidou bat Poher, avec 58 % des voix. Il ne sait pas encore que ses lymphocytes vont lui jouer un sale tour et l’empêcheront de terminer son mandat. Il meurt le 2 avril 1974.

Pierre Goldman, écrivain, terroriste ou braqueur ? – Le 19 décembre 1969, la pharmacie du boulevard Richard-Lenoir s’apprête à fermer ses portes. La pharmacienne, mademoiselle Delaunay, et sa laborantine, ont déjà enfilé leur manteau, lorsqu’un homme armé fait irruption dans la boutique. Un banal braquage de pharmacie. C’est alors qu’un client retardataire pousse la porte. Le malfaiteur dirige son arme vers lui. L’homme, un quinquagénaire, monsieur Trocard, lève les mains. Il se montre docile, mais par malheur, il tente de raisonner son agresseur. Sans hésiter, celui-ci tire. Trocard s’écroule, la mâchoire en miettes. Un policier, le gardien Quinet, entend le coup de feu, puis plusieurs autres. Il n’est pas en service. Bien quegoldman-a-son-proces.1171099847.jpg sans arme, il se précipite et tente de neutraliser le bandit. La bagarre a lieu sur le trottoir. Finalement, l’individu se dégage et tire à bout portant, avant de détaler, poursuivi (des yeux) par plusieurs témoins. Bilan : la pharmacienne et sa laborantine sont mortes, criblées de balles, le client et le gardien de la paix sont sérieusement blessés.

Une affaire dramatique, mais relativement simple, pour la brigade criminelle. Plusieurs témoins ont vu l’assassin en pleine lumière. Ils pourront l’identifier. Il suffit de l’attraper. Quelques mois plus tard, un indic fournit des éléments intéressants. Il rapporte que le braqueur serait un certain Goldi, lequel aurait participé aux événements de Mai-68, à la Sorbonne, au sein d’un groupe particulièrement violent, les Katengais. Il ajoute que ce personnage aurait effectué plusieurs séjours chez les guérilleros, en Amérique Latine, et qu’il pourrait être lié à l’ETA. Les RG sortent une fiche : Pierre Goldman, né le 22 juin 1944, à Lyon. Le gardien Quinet l’identifie formellement dans un lot de photos. Goldman est arrêté au mois d’avril. Il possède un passeport vénézuélien, sous un pseudonyme, et, dans la perquisition, les enquêteurs découvrent un pistolet et… des plans et des documents paramilitaires. Il nie en bloc, puis finit par reconnaître un cambriolage et deux agressions, dont une, dans une pharmacie, mais en aucun cas celle du boulevard Richard-Lenoir. Qu’importe, se dit le commissaire Marcel Leclerc, en se frottant les mains, nous avons cinq témoins qui l’identifient formellement. Et la parade d’identification a été effectuée dans les règles de l’art – photos à l’appui. Hélas ! un peu plus tard, le fonctionnaire de l’identité judiciaire, tout penaud, lui apprend que la pellicule est voilée. Il n’y aura donc aucun cliché photographique du « tapissage ». La banane. Peu après, Leclerc remplacera Le Mouel à la tête de la brigade antigang.

Devant la cour d’assises, Goldman assure seul sa défense – avec maestria. Il clame : « Je suis innocent, parce que je suis innocent ! » La presse est emballée. La foule admirative. Il est condamné à la prison à vie. Derrière les barreaux, il rédige un livre, à la fois autobiographique et philosophique : Souvenirs d’un juif polonais né en France. Cet ouvrage connaît un grand succès, non seulement chez les intellectuels de gauche, qui depuis longtemps ont adopté le bonhomme, mais également à droite. Dans Le Figaro, Claude Mauriac s’indigne qu’on ait jeté « un philosophe en prison ». Goldman est pressenti pour le Goncourt. Devant la pression, la justice cède. La cour de cassation décide la révision du procès. Goldman est rejugé en 1976. Avant le procès, Mitterrand déclare : « Je ne crois pas qu’il soit l’assassin ». La bourde du photographe de l’identité judiciaire pèse lourd dans les débats, à moins que cette erreur n’ait servi… d’échappatoire. Il est acquitté pour les meurtres et condamné à douze ans de réclusion criminelle pour les autres affaires. En additionnant aux remises de peine le temps qu’il a déjà passé en prison, et par un calcul hermétique au commun des mortels, le compte est bon. Il est remis en liberté.

Le 20 septembre 1979, Pierre Goldman est abattu, place de l’Abbé-G.Henocque, à Paris, par trois hommes armés. Des policiers sont témoins du meurtre, sans avoir eu le temps d’intervenir. Ils ont déclaré lors de leur audition que l’un des agresseurs, après avoir tiré, s’était retourné vers ses complices en lâchant : « Vamos, hombres ! »

Peu de temps après, un mystérieux groupe, baptisé « Honneur de la police », revendiquera le meurtre auprès de l’AFP. Dix à quinze mille personnes assisteront à ses obsèques. En tête du cortège funéraire, des personnalités de tout crin.

____________________

Cliquer pour voir la suite…

Agnelet en appel

lapin_loup1.jpgSi Agnelet espérait retourner au Panama pour tranquillement y gérer sa fortune à l’abri du fisc français, c’est loupé ! Que nib, il va repasser à la moulinette. Le procureur général de la cour d’appel d’Aix-en-Provence a en effet décidé de faire appel du verdict, trop clément à son goût, de la cour d’assises des Alpes-maritimes. 

Avant la loi de l’an 2000, une décision de cour d’assises était définitive. On disait de cette institution qu’elle représentait le peuple, lequel jugeait ainsi de manière souveraine. Même la cour européenne des droits de l’homme, pourtant prompte à épingler la France, n’y avait rien trouvé à redire, estimant que la possibilité d’un pourvoi en cassation suffisait à rendre le procès équitable. En fait, cette spécificité de la procédure pénale française reposait sur d’autres bases : le principe d’une juridiction à deux degrés, c’est-à-dire jugement de première instance et jugement d’appel. Sauf en matière criminelle, où la double juridiction était représentée par l’instruction judiciaire (1er degré) et la cour d’assises (2e degré). C’est même cette particularité qui justifiait, de façon non dite, les prérogatives importantes, voire exorbitantes, du juge d’instruction. On peut se demander à présent ce qui les légitime, puisqu’il existe dorénavant trois degrés dans l’enquête criminelle : l’instruction, le jugement et l’appel.

Ne chinoisons pas sur l’impéritie de nos chers élus, qui légifèrent à tour de bras dans des domaines où leur ignorance se veut constructive, et qui ajoute ainsi sans sourciller leur ridicule petite brique au mur inaccessible de notre législation… Limitons-nous à l’actualité de ces dernières semaines.

  • L’affaire Seznec : la cour de révision décrète qu’il n’y a pas lieu à révision. Point barre. En droit, elle a sans doute raison. Et, comme l’ont déclaré certains commentateurs, il y a même un réel courage à braver l’opinion publique – sauf s’il s’agit d’une démonstration de force ou du refus d’admettre que la justice peut se tromper.
  • L’affaire Agnelet : l’avocat général réclame 20 ans de réclusion criminelle contre l’accusé. Verdict du jury populaire : acquittement. Est-ce le haut magistrat qui n’a pas supporté le camouflet des jurés ou le représentant de la justice ? On ne sait pas, mais il décide de faire appel.

À se demander l’utilité du premier jugement en cours d’assises, car… 1/ L’accusé est condamné – et il loustal-dans-touriste-de-bananes-de-georges-simenon.jpgfait appel. 2/ L’accusé est innocenté – et le procureur fait appel. On pourrait peut-être gagner un tour, non ! Et revenir à l’ancienne formule ou, plus courageusement, laisser la possibilité d’appel au seul condamné… 

En tout cas, ces deux affaires récentes, et quelques autres, sont une démonstration éclatante que la justice rendue au nom du peuple français n’est plus l’image que le peuple français se fait de la justice. 

Alors il faut soit changer de justice, soit changer de peuple, soit… changer de pays.      

Dossier c/: Agnelet, suite (et fin ?)

joyeux-noel.jpgAvant l’an 2000, la décision d’une cour d’assises était définitive. Le législateur a alors décidé d’ouvrir une procédure d’appel, remettant ainsi en cause l’esprit « révolutionnaire » de cette institution, créée pour que le peuple rende justice et tire un trait sur les affaires criminelles les plus graves.

 

 

Même si Badinter a réussi à faire de la guillotine une pièce de musée, en l’an 2000, l’air de rien, le peuple souverain est ainsi passé à la « lucarne » !

 

On peut comprendre que dans leur grande sagesse, les élus se soient penchés sur le sort des faux coupables ; des innocents expédiés derrière les barreaux par un jury composé de braves gens, tirés au sort, sortis du chapeau en quelque sorte, pour endosser une responsabilité à laquelle ils ne sont pas spécialement préparés. Il était même noble de vouloir éviter à un innocent les affres de la prison. Dans sa tombe, Seznec avait dû approuver. On offrait ainsi aux condamnés aux peines les plus lourdes l’opportunité d’une deuxième chance. La justice se grandit toujours à reconnaître qu’elle peut se tromper.

Mais, dans le même temps, le contraire était-il normal ?

L’article 380-2 du code de procédure pénale précise en effet, in fine, comme si cette dernière ligne avait été rajoutée en catimini : « Le procureur général peut également faire appel des arrêts d’acquittement. »

On a donc renversé la vapeur. Cette loi n’était pas faite pour éviter à des innocents de se retrouver dans un cul-de-basse-fosse, mais pour être certain qu’aucun coupable ne franchirait les mailles du filet…

Le législateur est passé à côté d’une idée généreuse pour enfanter un texte pétochard.

 

Le procureur général dispose donc d’un délai de 10 jours pour faire appel de la décision de la cour d’assises des Alpes-Maritimes qui a déclaré Maurice Agnelet innocent.

Peut-on imaginer un moment, qu’après avoir été relaxé une première fois, puis de nouveau poursuivi en raison des déclarations de son épouse et de la pugnacité d’un juge, puis fustigé par un avocat général qui a réclamé (au nom de la société) une peine de 20 ans de réclusion criminelle, pour enfin être acquitté par un jury populaire ; peut-on imaginer que le procureur général, qui en l’occurrence agirait sur instructions du garde des sceaux ; peut-on imaginer que ce haut magistrat balaie tout cela d’un effet de manche et fasse appel de cette décision de justice !

Le jury de la cour d’assises s’est prononcé. Il a pris deux décisions phares :balance.gif

  • Agnès Leroux a été assassinée.

  • L’accusé est innocent de ce crime.

Dans cette affaire extravagante dont sans doute on ne pénétrera jamais les arcanes, il existe encore une interrogation et une seule :

 

Maurice Agnelet va-t-il faire appel de son acquittement ?

 

Le 4×4 d'Agnès Leroux

range_rover1.jpg

L’un des points troublants dans cette affaire Agnelet, c’est la disparition du 4×4 d’Agnès Leroux.

 

Au moment de la disparition d’Agnès Leroux, le Range Rover était un engin tout-terrain de conception relativement  récente, quelques années tout au plus (1971?), et cela restait une voiture d’exception. On n’en voyait peu (nous n’étions pas encore à l’ère des 4×4 de ville) et son prix était inabordable pour le commun des mortels. Pour parler cru, c’était la bagnole des gens friqués qui voulaient paraître…

En tout cas, une voiture qui ne passait pas inaperçue. Alors, comment a-t-elle pu se volatiliser ?

Envisageons les différentes hypothèses :

  • Le Range a été précipité dans un ravin – L’idée première des enquêteurs. L’arrière-pays niçois se prête bien à ce genre d’exploit. Inutile de dire que des fouilles systématiques ont été menées : patrouilles, hélicoptères… Mais, on peut passer à côté, puis, au fil des saisons, le véhicule se recouvre de végétations et devient invisible. Sauf que la France n’est pas la forêt amazonienne et, avec le temps, quelqu’un aurait fatalement retrouvé l’épave.
  • Le véhicule a été incendié – Idée qui va de paire avec la première. Les recherches ont été menées en ce sens et toutes les carcasses abandonnées, calcinées ou non, ont été examinées.
  • Alors, cette voiture est peut-être engloutie sous les eaux d’un fleuve, d’un lac, de la mer… – Cela ne semble pas sérieux. Et comme précédemment, on l’aurait retrouvée, à la première sécheresse ou à la première crue.
  • Le 4×4 a été maquillé et revendu sur le marché de l’occasion – Possible pour une Renault 12 ou une Simca 1100, automobiles alors très répandues, mais pour un véhicule de luxe, particulièrement voyant, utilisé à quelques milliers d’exemplaires, les enquêteurs auraient fatalement retrouvé sa trace en épluchant le fichier des cartes grises.
  • Le Range Rover a été conduit hors de France – Cette voiture a été sans doute l’une des plus recherchée dans les annales de la police judiciaire : diffusions nationales, recherches dans les pays limitrophes, notamment l’Italie et la Suisse, diffusions internationales de recherches, via l’OIPC (Interpol). Il est vrai qu’avec certaines régions de l’Europe de l’est, la collaboration n’était pas évidente. Il existait (existe?) aussi des réseaux de dealers de voitures volées, notamment vers l’Afrique, mais le passage sur un bateau aurait laissé des traces, dans le souvenir des marins ou sur les registres de la douane.
  • La voiture a été détruite par un professionnel – Autrement dit elle serait passée entre les mains d’un casseur et en serait ressortie compactée et apte au recyclage. C’est envisageable. Mais on a du mal à imaginer qu’un ou plusieurs individus aient pu camoufler un acte somme tout bénin devant l’ampleur médiatique prise par la disparition d’Agnès Leroux.

Toutes ces suppositions se rapportant au Range Rover ne tiennent pas la route, si j’ose dire. On doit donc envisager que le tout-terrain ait disparu avant le début de l’enquête officielle. Rappelons-nous que les investigations n’ont réellement démarré qu’en février 1978, car au début, personne n’a vraiment pris au sérieux les inquiétudes de madame Leroux mère. Les recherches auraient donc dû se polariser très vite sur les jours qui ont suivi la date probable de la disparition de sa fille. Facile à dire – après.

Alors ?… Alors, rien ! On a fait le point, surtout pour Véronique, une amie lectrice, qui m’a gentiment demandé ce que j’en pensais. Agnelet a-t-il pu, à lui seul, organiser le meurtre de sa maîtresse et faire disparaître sa voiture avec tant d’ingéniosité qu’aujourd’hui encore on se perd en conjectures ? Mais au fait ! Pourquoi aurait-il fait disparaître le 4×4 alors qu’on le soupçonne d’avoir maquillé son crime en suicide ?

Le flegme de cet homme devant ses juges cache-t-il une véritable intelligence criminelle ou, enchaîné à son statut de star, veut-il paraître ce qu’il n’est pas ? Ou bien cherche-t-il à cacher ce qu’il est vraiment : un minable tourbillonnant à l’épicentre d’une aventure qui le submerge. Ce peut-il qu’il endosse à son compte des événements qu’il n’a jamais maîtrisés ? Un peu comme Spaggiari dans le casse de la Société Générale de Nice.

Sauf coup de théâtre lors de ces prochains jours d’audience, et quelle que soit la décision de la Cour d’assises, dans cette affaire, la Justice sera perdante. Si Agnelet est condamné, on criera à l’erreur judiciaire, s’il est acquitté, on hurlera au déni de justice. La pire des choses serait sans doute une condamnation de principe, du genre : on pense que vous êtes coupable mais on n’en est pas tout à fait sûrs, alors on vous condamne un peu…les-dossiers-agnelet.jpg

Condamné ou innocenté, Agnelet sera quitte. En France, on ne peut pas être jugé deux fois devant une cour d’Assises pour des faits identiques (la fois précédente, il a été relaxé, faute de preuves). Alors, attend-il ce moment ultime pour déclamer sa vérité dans un livre forcément best-seller ?  comme un pied de nez à la société.

Le personnage en semble capable.

 

Seznec au secours d'Agnelet

trucs-en-vrac-par-gotlieb.jpgMaurice Agnelet fait l’unanimité contre lui. Il agace tout le monde, à croire qu’il prend plaisir à fédérer la haine. En un mot, c’est une tête à claques.

 

 

 

Par les hasards du calendrier judiciaire, à quelques jours d’intervalle, deux décisions de justice importantes sont attendues : la réhabilitation de Guillaume Seznec (rejetée ce jour par la cour de Révision), et le verdict de la cour d’Assises sur la culpabilité ou l’innocence de Maurice Agnelet.

(La cour de Révision se réunit très exceptionnellement. Pour mémoire, elle ne se prononce pas sur le fond, mais doit seulement répondre à la question suivante : Existe-t-il des éléments nouveaux, inconnus le jour du procès, susceptibles de modifier le jugement ?)

On parle beaucoup de ces deux affaires, mais l’une se conjugue au passé, j’allais dire à l’ « imparfait ». Elle fait partie de l’Histoire des grandes enquêtes criminelles ; l’autre se conjugue au présent. Mais il existe deux points communs : pas de victime, pas de preuve.

Alors, question : plus de 80 ans après la condamnation de Seznec pour un crime qu’il n’a peut-être pas commis, doit-on condamner un homme pour un crime qu’il a peut-être commis ?

Maurice Agnelet est coupable aux yeux de tous, la presse, l’opinion publique, les enquêteurs qui ont mené les investigations, les magistrats qui ont été en charge de l’instruction, peut-être même le président de la cour d’Assises, ses assesseurs et les jurés…

Oui mais, rappelons-nous…

– Cet homme a été relaxé une première fois en 1986 pour les mêmes faits.

– Son immoralité et sa fourberie sont prouvées : il a été condamné pour avoir détourné l’argent de sa maîtresse – mais il a payé pour ce délit.

– On n’a jamais retrouvé le corps d’Agnès Leroux.

– Il est accusé devant la cour d’Assises pour la raison essentielle qu’un témoin déclare avoir menti pour lui fournir un alibi. Ce témoin, sa femme actuellement, sa maîtresse à l’époque, a donc menti une première fois (serment prêté) On ne peut s’empêcher de tiquer sur l’impartialité de son nouveau agnelet.jpgtémoignage, surtout dans le contexte semble-t-il difficile d’une procédure de divorce.guillaume-seznec.gif

Alors, on se pose des questions. Les cicatrices souvent anodines de notre enfance se mettent à nous grattouiller… On sait combien un châtiment injustifié est insupportable, et l’on se dit qu’il vaut peut-être mieux un coupable en liberté plutôt qu’un innocent en prison…

Ce type, Agnelet, est vraiment antipathique. On le sent intelligent, mais d’une intelligence maladive, négative, machiavélique – et c’est peut-être un assassin. Mais, doit-on le condamner sous prétexte qu’il a une tête à claques ?

Affaire Agnelet : des sous, des sous, des sous…

picsou.jpgAgnès Leroux se prépare-t-elle une vieillesse heureuse (elle aurait eu 58 ans le 14 septembre 2006) quelque part dans un pays sud-américain ou gît-elle au fond de la Méditerranée ? Maurice Agnelet est-il un ingénu pilorié par l’opinion publique ou un assassin machiavélique ?

 

 

 

Plusieurs milliers d’adultes disparaissent chaque année en France, sans qu’aucune recherche ne soit jamais effectuée. La police se contente le plus souvent d’enregistrer la chose, sauf cas particulier : individu malade, suicidaire, dangereux…

Alors, pourquoi Agnès Leroux a-t-elle tant fait parler d’elle, une fois disparue ?

C’est qu’il existait dès le début de l’histoire tous les ingrédients d’un roman comme le regretté Pierre Rey adorait en truffer ses livres :

– le soleil de la Côte d’Azur ;

– l’argent des casinos : le Palais de la Méditerranée, le Casino Ruhl ;

– l’ombre de la mafia, avec Jean-Dominique Fratoni ;

– un ancien mannequin, reloqué en femme d’affaires, Renée Leroux ;

– une jeune femme belle, romantique et riche, Agnès Leroux ;

– des comptes secrets en Suisse ;

– un avocat au comportement ambiguë, Maurice Agnelet ;

– et une série de règlements de comptes dans le milieu du sud de la France.

C’est sans doute l’imbroglio né de cette salade niçoise qui fit réagir le Président de la République, Monsieur Giscard d’Estaing. On dit qu’il a tapé du poing sur la table et qu’il a apostrophé son ministre de l’Intérieur : « Il faut que cela cesse ! ».

Le Président a parlé…, je vous laisse imaginer le remue-ménage dans les étages inférieurs…

 

Pour moi, beaucoup plus bas encore que les étages inférieurs, tout a commencé par un coup de fil de Mireille, la secrétaire du Directeur central de la Police Judiciaire :

« Mon petit, me dit-elle d’un air grave et mystérieux, le Patron voudrait vous voir demain à 15 heures. »

Je tente d’en savoir plus, mais elle reste discrète, comme toujours, m’assurant qu’elle ne peut rien me dire. L’attitude de Mireille m’inquiétait un peu. D’habitude, elle mettait un peu d’huile dans les engrenages, et rendait plus faciles les relations avec notre directeur.

« Asseyez-vous », me dit-il, le lendemain à 15 heures pétantes.

J’avais dû voir Maurice Bouvier deux ou trois fois et je ne savais même pas s’il connaissait mon nom. Il passait pour pas commode. Faut dire qu’il n’avait pas intérêt à rire car, alors, il montrait des dents noircies par la pipe qui ne le quittait jamais, et ça l’arrangeait vraiment pas, surtout qu’il n’avait pas besoin de ça…

J’hésite entre les deux fauteuils. Je sais qu’il a un œil bon et l’autre mauvais, mais je ne me souviens jamais lequel est le bon. Au hasard, je choisis celui de droite.

« Voilà, me dit-il, il y a un moment que vous êtes chef du G.R.B. de Versailles et j’ai suivi votre carrière avec attention. Guyot (le directeur du S.R.P.J. de Versailles) est content de vous, bien qu’il m’ait dit que vous n’en faisiez souvent qu’à votre tête. Aussi, j’ai une proposition à vous faire et j’aimerais que vous l’acceptiez. Je saurai d’ailleurs me montrer reconnaissant. Vous avez vu que je vous ai déjà inscrit sur le tableau d’avancement pour passer commissaire principal… »

Il n’y était sans doute pour rien, mais je souris, hypocritement.votre-serviteur-en-pleine-action-bri-de-nice-1980.jpg

« Vous savez, reprit-il, que la Côte d’Azur connaît une recrudescence importante d’actes de grand banditisme de toutes sortes. Hold-up, vols, règlements de comptes, pas un jour sans qu’il ne se passe un événement grave. Récemment encore, le vol de la Société Générale (aff. Spaggiari), ensuite l’affaire du Ruhl, tout ça fait beaucoup, beaucoup trop. Et ça ne peut pas durer. Le Président lui-même s’est inquiété de cet état de fait, et il m’a demandé de faire quelque chose. Je lui ai donc proposé de créer une brigade antigang. Il a accepté le principe, et c’est vous qui devrez mettre en place ce nouveau service. »

Il me regarde d’un œil interrogateur. C’est le gauche, pensais-je. Se méprenant sur mon silence, il reprend :

« Je comprends que cela peut vous poser des problèmes familiaux. Aussi, je vous donne 24 heures pour réfléchir…

« J’accepte, Monsieur le Directeur. »

J’étais donc à Nice, peu après l’ouverture de l’enquête sur la disparition d’Agnès Leroux.

Les deux policiers de la P.J. qui ont mené les investigations de bout en bout, Christian Noguéra et Michel Laffargue, sur délégation du juge Richard Bouazis, ont été parfaits. Ils ont su naviguer habilement dans les dédales d’un dossier où les obstacles n’étaient pas juridiques, mais plutôt médiatiques, hiérarchiques et même franc-maçonniques.

Souvent, dans une enquête criminelle, il y a un nœud. Un instant magique où tout peut s’éclaircir. Il faut le saisir, vite, sinon… Dans ce cas, c’étaient des bouquins.

 

Les 5 livres de La Pléiade

Le 17 septembre 1979, les enquêteurs reçoivent un coup de fil anonyme :  » Agnelet avait l’habitude de marquer chaque étape importante de sa vie par l’achat d’un livre de la collection La Pléiade dont il annotait la page de garde « , leur révèle une voix féminine.

Les deux policiers foncent à Cantaron, petit village près de Nice, ou Agnelet possède une maison. Dans la bibliothèque, située dans la chambre à coucher, ils repèrent cinq ouvrages de La Pléiade portant chacun une mention de la main du suspect. Le choix des auteurs est éclectique : Montesquieu, Gide, Rimbaud et Hemingway. (tome 1 et 2), mais les faits sont troublants car les annotations correspondent à des dates-clés :

Le 17 mai 1977 – Ce jour-là, les deux amants sont à Genève. Agnès Leroux retire près de 900.000 francs suisses de son compte et Agnelet en récupère plus de 10%, qu’il dépose sur son compte personnel.

Le 30 juin 1977– Sur les conseils de Maître Agnelet, Agnès Leroux vote contre sa mère à l’assemblée générale du Palais de la Méditerranée, donnant ainsi la majorité à Jean-Dominique Fratoni.

Le 7 octobre 1977– Deuxième tentative de suicide d’Agnès Leroux, où le comportement de Maurice Agnelet est limite non-assistance à personne en danger.

Le 2 novembre 1977– Disparition d’Agnès Leroux. Agnelet mentionne simplement « Liberté ».

Cette dernière date est importante car, même si Renée Leroux s’est inquiétée dès le mois d’octobre de la disparition de sa fille, dont elle était sans nouvelles, l’enquête officielle  n’a commencé qu’en… février 1978.

Les cinq livres sont placés sous scellés et remis au juge d’instruction qui a remplacé Richard Bouazis. Il lui faudra cinq mois pour réagir.

Roger-Louis Bianchini est le journaliste qui connaît le mieux ce dossier. Voici ce qu’il écrit, dans son livre Agnès Leroux, Enquête sur la disparition d’une jeune femme riche, aux Presses de la Cité : « M. Mallard est un magistrat dont la discrétion confine à l’effacement… Il n’a pas les mêmes raisons que son prédécesseur de se passionner pour ce dossier, épais de plusieurs dizaines de centimètres, touffu et complexe, qui n’est pas son enfant : on l’a contraint à l’adopter. Les mauvaises langues de la partie civile, mécontentes de son peu d’empressement, avanceront une explication en… trois points, si vous voyez ce que cela veut dire… »

Une  allusion directe à la franc-maçonnerie, dont on connaît, depuis la nomination du procureur Eric de Montgolfier à Nice, l’omniprésence à l’époque au sein de la magistrature locale.

 

Fait exceptionnel, la Cour d’Assises se réunit de nouveau. Elle doit se prononcer une deuxième fois sur la culpabilité de Maurice Agnelet, mais l’instant magique est passé. L’affaire est fichue.

Newer posts »

© 2025 POLICEtcetera

Theme by Anders NorenUp ↑