LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Auteur/autrice : G.Moréas (Page 3 of 82)

Le libertaire s’est tu !

Et ce n’était pas facile de le faire taire, Serge Livrozet. C’était une grande gueule. Mais derrière sa tronche de truand, c’était aussi un esprit affûté, un intello autodidacte, le représentant parfait de la contre-culture française. Un emmerdeur. Il n’avait pas appris à lire en prison, mais presque. Il est décédé le 29 novembre 2022 d’une maladie qu’il traînait depuis un long moment. Il avait 83 ans. Le grand public le connaissait peu, et pourtant le cinéaste Nicolas Drolc lui a consacré un long métrage, La mort se mérite, sorti en salle en 2017.

Né dans la pauvreté, enfant, il dort la tête sous l’oreiller pour ne pas entendre sa mère qui se prostitue dans la chambre d’à côté. À 13 ans, il tente le droit chemin, celui qui est fléché : il devient apprenti plombier. Mais il y a trop de force en lui, dans sa tête, ça se bouscule, ça bouillonne. « Je poussais tant bien que mal dans l’ombre étroite de ma jeunesse déjà vieille de n’avoir pu servir, dressant dans ma tête entre la société et moi une muraille de colère et de révolte faite d’envies avortées et de besoins inassouvis », écrira-t-il plus tard.

Serge Livrozet, extrait de la bande annonce du film de Nicolas Drolc, « La mort se mérite »

Il comprend très vite que ce chemin est un cul-de-sac et que personne n’a le droit, à sa place, de décider de sa vie : pour se sortir de la misère, il faut aller chercher le fric là où il est. Le plombier devient voleur, puis perceur de coffre-fort. Plus tard, il dira qu’il s’agissait d’une action de « réappropriation ». « Les pauvres ont le droit de voler les riches », ajoutait-il, provocateur en diable.

La première fois que je l’ai aperçu, de dos (c’est une image), avec deux complices, il « chalumait » un coffre dans une grande surface de la région parisienne. À l’époque, je dirigeais le GRB de la PJ de Versailles et j’avais chargé un groupe d’enquêteurs de mettre le paquet sur une équipe qui pillait allègrement les commerces de la grande distribution. Un boulot de dingue : des planques et des filoches – toujours de nuit, et souvent le week-end. Une nuit, je me souviens, nous étions quatre ou cinq devant un supermarché des Yvelines. Nos « clients » étaient entrés par le toit, et nous attendions qu’ils ressortent pour les cueillir avec leur butin. Au petit matin, le brouillard s’est levé. Les lumières ressemblaient à des falots dont la lueur rougeâtre magnifiait les lieux. Le sol ondulait sous des mouvements de brume. On était crevés. On n’y voyait plus à dix mètres. On a vaguement aperçu des ombres qui s’enfuyaient. Lorsque l’on a fait les constatations à l’intérieur du magasin, le rayon confiserie était jonché de papier d’emballage de chocolat.

Serge Livrozet était accro, je l’ai découvert plus tard, lorsqu’il me piquait le carré de chocolat qui souvent accompagne le café. Continue reading

Collecte d’armes oubliées : une occasion à saisir

Le ministre de l’Intérieur a lancé une opération nationale pour inciter les Français à se débarrasser des armes qu’ils pourraient détenir irrégulièrement ou à légaliser leur situation. Il ne reste que quelques jours pour se décider.

Si l’on peut regretter une « fenêtre de tir » aussi réduite – une semaine, ce qui peut exclure certaines personnes de bonne volonté, isolées, âgées, malades, ou tout simplement indisponibles -, la proposition est une opportunité. C’est l’occasion en effet de se défaire d’une arme dont on n’a aucune utilité, quelle que soit son origine. C’est le sens de la communication du ministère, laquelle table essentiellement sur l’abandon des armes détenues irrégulièrement en s’engageant à n’entamer aucune poursuite.

Il est permis au passage de s’interroger sur la légalité d’une décision administrative qui ferme les yeux sur un délit punissable d’une peine d’emprisonnement prévu par la loi… Mais fi du droit, qu’en est-il exactement ?

Toutes les armes classiques sont concernées : armes d’épaule, armes de poing, armes blanches…, ainsi que les munitions de petits calibres. Pour l’occasion, leur propriétaire peut les transporter (pas les porter sur soi) afin de les déposer dans un point de collecte. Pour les engins de guerre, la préfecture organisera un ramassage. Pas question de se pointer à la gendarmerie du coin avec une caisse de grenades datant de la dernière guerre. En principe, cette démarche est anonyme, mais comme avant d’être détruites, les armes en état de fonctionnement sont susceptibles de faire l’objet d’une comparaison balistique afin de s’assurer qu’elles n’ont pas été utilisées dans une affaire judiciaire, il existe un petit doute. En tout état de cause, sauf si l’arme tilte sur un dossier, l’opération doit être transparente et l’on peut espérer que le dépositaire ne sera inscrit sur aucun registre.

Quant aux personnes qui détiennent une arme non déclarée et qui souhaiteraient la conserver, elles disposent là d’une occasion qui ne se reproduira peut-être pas. Elles n’ont même pas besoin de se déplacer. Le SIA (Système d’information sur les armes), déjà ouvert aux chasseurs, leur est accessible. Il suffit de se connecter, d’ouvrir un compte et de se laisser guider. Évidemment, le demandeur doit remplir les conditions habituelles l’autorisant à détenir une arme, mais aucune question ne lui sera posée sur son origine. Il deviendra donc détenteur légal de l’arme qu’il détenait illégalement. Dans le cas d’un refus administratif, il devra abandonner cette arme chez un armurier habilité ou lui demander de la faire neutraliser.

Attention, pas de bricolage ! Pour être neutralisée, ou démilitarisée comme on dit couramment, l’arme doit passer au Banc national d’épreuve de neutralisation des armes. Elle est alors restituée avec un certificat de neutralisation et vous pouvez l’accrocher au mur ou en faire un presse-papier. L’opération n’est pas gratuite.

Nouvellement créé, le SIA est destiné à remplacer les services préfectoraux Continue reading

Le refus de communiquer le code de son smartphone peut constituer un délit

Nos téléphones portables sont des mouchards de poche, et à ce titre ils intéressent au plus haut point les enquêteurs de police judiciaire ou ceux des services de renseignement, ainsi que les magistrats – et parfois aussi, des personnages couleur de muraille dont l’objectif premier n’est ni de servir la société ni la justice. À question simple, réponse compliquée : devons-nous fournir le code de déverrouillage de notre mobile à la demande d’un policier ou d’un gendarme ?

Il faut dire qu’à la suite du dernier avertissement de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), le sujet est devenu primordial. Celle-ci, on s’en souvient (voir en fin de texte) a fait les gros yeux après plusieurs arrêts qui n’ont pas vraiment été suivis d’effets : en deux mots, a-t-elle rappelé, les données de connexion et de géolocalisation ne peuvent pas être conservées ad vitam par les opérateurs téléphoniques. À cela, deux exceptions : la criminalité organisée et la sécurité nationale, en cas d’une menace « grave, actuelle ou prévisible ». Non sans traîner les pieds, la France s’est pliée. En octobre 2021, trois décrets concernant la conservation des données ont été publiés : pour déroger au principe de non-conservation, il faut que les opérateurs reçoivent une injonction d’un magistrat indépendant (donc pas un membre du parquet), ou du Premier ministre.

Motorola des années quatre-vingt-dix

Devant cette situation que nos dirigeants n’avaient pas anticipée – comme d’habitude -, les flics ont eu un coup de blues. D’où l’idée de recueillir les renseignements à la source, c’est-à-dire, non plus chez l’opérateur, mais dans nos téléphones. Ils ont dû déchanter, car à l’évidence, personne, honnête ou malhonnête, n’a envie d’ouvrir son mobile à un inconnu : il y a trop de choses personnelles dedans.

Comme les élus n’ont guère envie de légiférer sur un sujet qui risque d’irriter leurs électeurs, ce sont les hauts magistrats qui se sont attelés à la tâche en tentant de tortillonner un texte vieux d’une vingtaine d’années, adopté après le 11-Septembre, pour un temps limité (!), avec d’autres, tout aussi liberticides. Mais comment faire coller la technologie actuelle avec une décision prise à une époque où la téléphonie mobile était encore à un stade embryonnaire ? Adapter aux temps modernes l’article 434-15-2 qui vise une « convention secrète de déchiffrement d’un moyen de cryptologie », lorsque ce cryptage est « susceptible d’avoir été utilisé pour préparer, faciliter ou commettre un crime ou un délit », tient du défi.

Sous couvert d’une modeste affaire de stups, la Cour s’est donc penchée sur le cas d’un individu poursuivi pour usage et revente de cannabis. Continue reading

Yves Jobic : une vie d’aventure en PJ

« C’est pour la PJ que j’ai passé le concours de commissaire de police », me dit Yves Jobic, qui vient de publier ses mémoires : Les secrets de l’antigang, flics, indics et coups tordus, Plon, 2022, écrit en collaboration avec Frédéric Ploquin.

Yves Jobic, octobre 2022

Après des études de droit à Bordeaux, à l’âge de 25 ans, il termine major de sa promo, la 33e ; tous les postes lui sont donc ouverts. Il aurait pu rester près de chez lui, mais sans hésiter, il choisit Paris, peut-être pour être « au centre des choses », comme disait Camus. En tout cas, s’il cherchait une vie d’aventure, il a été servi. Il a même connu la prison : cellule C 415, à Bois-d’Arcy.

C’était le 22 juin 1988 : neuf mètres carrés, un lit métallique, une petite table, un WC, un lavabo, une fenêtre ovale en partie occultée par des lames d’acier horizontales et des murs couleur de rien bardés d’inscriptions. « L’une d’elles me fait sourire : Mieux vaut mitard que jamais ! » C’est le QI (?), le quartier d’isolement, au quatrième et dernier étage de cette prison récente où séjournent les habituels clients du commissaire en attente de jugement. Derrière les murs, la rumeur s’est vite répandue… Au petit matin, Jobic est réveillé par des cris : « Fils de pute ! Pédé de flic ! – Bravo Hayat, envoie tous les flics au trou ! ». Jean-Michel Hayat, c’est le juge d’instruction qui a placé Jobic en détention – contre l’avis du ministère public – pour proxénétisme et corruption. « Tu te rends compte, me dit-il, dans la perquise, chez moi, comme il n’a rien trouvé, il a saisi un « Que sais-je ! » sur le proxénétisme… » Son histoire est méandreuse à souhait. Elle fleure le règlement de comptes dans le quart monde du business du sexe, et notamment de la rue de Budapest, dans le 9e – Buda pour les initiés. Un coupe-gorge qui s’ouvre par une arche sur la rue Saint-Lazare, en face de l’immeuble où Charlie Bauer, le complice de Jacques Mesrine, avait trouvé refuge. Là où les filles de joie (la joie des clients s’entend) sont sous la coupe machiste du banditisme de ces années-là : si t’as pas de filles au tapin, t’es rien ! Buda, c’est un peu la Cour des Miracles, on y trouve de tout : des putes, des julots, des voleurs, des michetons, des dealers, des camés…, et les braves gens qui viennent pour le folklore ou pour acheter le dernier Leica « tombé du camion ». Et sous le vernis, on y trouve aussi des indics : c’est le terrain de chasse du commissaire.

Yves Jobic est accusé d’avoir touché de l’argent des prostituées, de leurs protecteurs, des tenanciers d’hôtel, ou de je ne sais trop qui, et d’avoir planqué cet argent sale en Algérie. Je simplifie. Le jour du procès approche. Continue reading

La PJ sacrifiée sur l’autel de la politique

Ils ont la rage, les flics de PJ, car ils sont les grands perdants de la réforme de la police nationale dont le ministre de l’Intérieur a fait son marqueur. Cette réforme, qui se veut « dans l’esprit et la continuité des réformes engagées depuis 2017 », supprime d’un trait de plume les services extérieurs de la direction centrale de la police judiciaire – une maison vieille de plus d’un siècle, tout de même ! – qui sera absorbée au sein de nouvelles structures départementales regroupant l’ensemble « des forces de sécurité intérieure ». Un organigramme calqué sur celui des grands groupes privés.

Site de l’Association nationale de police judiciaire (ANPJ)

Cette réforme trouverait sa justification dans la nécessité de restaurer une relation de confiance entre la population et les forces de sécurité.

Y a du grain à moudre !

Depuis sa création par Clemenceau, en 1907, la police judiciaire n’a cessé d’évoluer. Et son terrain de chasse n’a cessé de s’agrandir. En 1941, les sûretés urbaines et les brigades mobiles fusionnent pour devenir des services régionaux de police judiciaire (dissous à la Libération et recréés peu après). En 2003, pour s’adapter à l’évolution de la criminalité organisée et pour mieux mutualiser les moyens d’action, des structures territoriales de la DCPJ sont regroupées au sein de directions interrégionales. En décembre 2020, un décret soutenu par Gérald Darmanin agrandit le territoire de certains services en créant des directions zonales de police judiciaire (DZPJ).

     Billet de décembre 2013 : La vraie histoire du logo de la PJ

La zone sud, que dirigeait Éric Arella avant d’être limogé, s’étend sur l’ensemble de l’arc méditerranéen. Son ressort de compétence englobe les régions Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA), Occitanie et Corse, ce qui représente 30 tribunaux judiciaires et 8 cours d’appel.

Demain, cette structure sera balayée et ses 1350 fonctionnaires seront répartis dans 21 départements, au sein des services de sécurité publique.

L’horizon se rétrécit pour la police judiciaire. Pourquoi une telle régression ? Il y a des non-dits dans cette réorganisation simpliste, par exemple, supprimer l’autonomie des enquêteurs de PJ et, en les plaçant directement sous la coupe d’un directeur « généraliste », bras droit du préfet, les éloigner des magistrats.

Cette réforme est présentée comme une volonté de déconcentration alors qu’elle est le reflet d’un contrôle renforcé, tant sur l’action de la PJ que sur la teneur des dossiers judiciaires, comme cela se passe à Paris. On comprend bien l’intérêt politique de reprendre la main sur des affaires potentiellement sensibles.

Existe-t-il un seul avantage, pour nous, citoyens, à cette liquidation de la police judiciaire ? Continue reading

Dans la peau de Mesrine

Jacques Mesrine, « L’ennemi public n° 1 » pour les Français, « Mister Jacky », pour les Québécois, est mort criblé de balles le 2 novembre 1979. Il avait 42 ans. Sa traque finale s’est étalée sur plusieurs mois, mais durant des années, chez nous comme au Canada, il n’a eu de cesse de faire parler de lui, pavoisant dans les médias, dénonçant un système pénitentiaire déshumanisé, fustigeant le pouvoir politique, menaçant les journalistes, les magistrats, et sans cesse provoquant les flics. Il devait mourir, il le savait, mais il rêvait d’un face-à-face, l’arme à la main, les bottes aux pieds et le soleil dans les yeux. Comme dans un western. Il est parti sans éclat, saucissonné sur le siège de sa BMW, sans avoir eu le temps de glisser la main dans sa sacoche, à ses pieds, dans laquelle se trouvaient son nouveau hochet, un Browning GP 35, et deux vieilles grenades quadrillées qui ne le quittaient jamais. Ce jour-là, sa légende est née.

C’était un vendredi, il était 15 h 15. Porte de Clignancourt, l’embouteillage a été colossal.

Moi, j’ai suivi l’opération depuis le PC de l’Office central pour la répression du banditisme. Lorsque Mesrine est sorti de sa planque, rue Belliard, le trafic radio s’est intensifié. Puis, tout est allé très vite. Sous les crachotements, j’ai cru entendre une voix qui disait « Oh putain, ça flingue ! » Ensuite un long silence, plus fort que tout : ce moment qui succède à la tension d’une intervention à haut risque.

Comme beaucoup de flics, je me suis senti frustré par cette fin brutale. Cet événement marquait la fin d’une épopée criminelle hors du commun et, d’une certaine manière, l’épilogue aux années folles de la PJ.

Chacun d’entre nous rêvait de passer les pinces au « Grand » et d’un face-à-face, le temps d’une garde à vue – sans avocat, à l’époque. Dans son livre de souvenirs (De l’antigang à la criminelle, Plon, 2000), le commissaire Marcel Leclerc (c’était loin d’être un affreux gauchiste) disait de lui : « La première impression qui se dégage du personnage, c’est la sensation intense d’une présence. Il est là. Il capte le regard, d’abord par son apparence physique athlétique, ensuite par la force de sa personnalité, mélange de gouaille, de séduction et de brutalité. »

Oui, qu’on le veuille ou non, Mesrine était un truand hors norme, non pas en raison de son parcours criminel, mais en raison de sa personnalité – à facettes multiples. Il a passé sa vie à la jouer. Comme un comédien sur les planches. Il nous avait dit « Attrape-moi, si tu peux ! » Jeu de piste, jeu de rôle…, le jeu a tourné court. Continue reading

Cyberattaques : faut-il payer la rançon ?

L’hôpital de Corbeil-Essonnes a refusé de payer la rançon demandée par les hackers qui, dans la nuit du 20 août, ont fomenté une cyberattaque bloquant son système informatique. On parle d’une somme de dix millions de dollars. L’établissement hospitalier avait-il les moyens de réunir une telle somme ? Il semble que la question ne se soit pas posée, puisque la direction du complexe de santé a opposé aux malfaiteurs la même détermination – celle de ne pas céder – lorsque ceux-ci ont ramené leurs exigences à un ou deux millions. Si les choses se sont déroulées ainsi, cela vaut un coup de chapeau ! Cependant, une question titille : que se serait-il passé si l’hôpital s’était prémuni de ce risque en souscrivant une assurance ?

On trouve la réponse dans le projet de loi du ministre de l’Intérieur actuellement en discussion au Sénat, puisque celui-ci prévoit, en cas de cyberattaque, de pérenniser le paiement d’une rançon en insérant un nouvel article dans le code des assurances. Si ce texte est adopté, les assureurs pourront donc payer la rançon demandée par les hackers sous réserve que l’entreprise ait déposé une plainte dans les 48 heures.

Gérald Darmanin serait-il prêt à baisser culotte ?

Il sera intéressant de scruter la réponse du législateur, car depuis les années soixante-dix, alors que les rapts crapuleux étaient fréquents, la position des autorités a été claire : on ne paie pas de rançon ! Et la police œuvrait pour convaincre les proches de l’otage de ne pas céder au chantage à la vie. Même si ça ne marchait pas à tous les coups, comme lors de l’enlèvement par Jacques Mesrine d’Henri Lelièvre, le milliardaire de la Sarthe, en 1979.

Lorsque les enlèvements crapuleux ont fait place à des enlèvements plus ou moins terroristes, la question s’est de nouveau posée et la règle a été assouplie : on paie, mais on ne le dit pas. Même s’il apparaît difficile de le démontrer, la France a souvent fait le dos rond. On comprend bien que la libération de tel ou tel otage ne peut être que le résultat d’une négociation. En 2014, le président Obama s’en était d’ailleurs indigné : « François Hollande dit que son pays ne paie pas de rançons aux terroristes alors qu’en réalité, il le fait ! »  Ce qui revient à admettre, malgré les coups de menton politiques, que l’on finance le terrorisme.

Or, l’article 421-2-2 du code pénal incrimine non seulement le financement d’une entreprise terroriste, mais également le seul fait de gérer des fonds, des valeurs ou des biens dans ce but. Plusieurs résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies vont d’ailleurs dans le même sens.

Pour obtenir la libération d’un otage, les autorités sont donc face à un problème contradictoire : financer des organisations terroristes ou ne pas assumer la protection que doit chaque pays à ses ressortissants – le « droit à la vie » tel qu’il est défini par l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Mais en est-il de même si l’otage est un système informatique ? Continue reading

Refus d’obtempérer : Halte au feu !

Il y a quelques jours, deux jeunes hommes ont été tués par des policiers. Cela s’est passé à Vénissieux, dans la banlieue sud de Lyon, non pas lors d’un banal contrôle routier, mais au cours d’une intervention à connotation pénale sur un véhicule signalé volé à l’arrêt sur le parking d’une grande surface. Une situation qui laissait présager un « mauvais coup ». Ce que les juristes appellent un délit d’apparence.

Dans la nuit du jeudi 18 août 2022, peu après minuit, l’attention de quatre policiers de la brigade spécialisée de terrain de Vénissieux (BST) est attirée par une Renault Megane en stationnement sur l’immense parking d’un centre commercial. Deux hommes sont à bord, la voiture est signalée volée. C’est le type même d’une intervention à risques. En l’état, difficile de dire comment les événements se sont enchaînés, mais tout se joue en quelques dizaines de secondes : le chauffeur aurait d’abord levé les mains, puis il aurait manœuvré pour s’enfuir, renversant un gardien. Le policier blessé et l’un de ses collègues auraient alors fait usage de leur arme à huit reprises. Adam, le passager, âgé de 20 ans, est mort sur le coup ; le conducteur, Reihane, 26 ans, est décédé peu après. On nous les présente comme des « multiréitérants », un néologisme pour désigner des individus qui ont eu des comptes à rendre à la police mais non à la justice. Peu importe, même multirécidivistes, il s’agit là d’informations connues après coup.

Cette fusillade unilatérale qui succède à d’autres tout aussi meurtrières (Pont-Neuf, Barbès…) pose question, car, contrairement aux allégations entendues ici ou là, notamment dans la bouche de politiciens plutôt rétrogrades dès qu’il est question de nos valeurs républicaines, l’usage des armes par les forces de l’ordre doit être l’exception. On signe pour sauver des vies, pas pour les prendre. L’entraînement des policiers du RAID ou des gendarmes du GIGN est d’ailleurs basé sur la sauvegarde de la vie humaine. « C’est un échec », aurait dit un jour un gradé de la gendarmerie après que ces hommes eurent tué un preneur d’otages.

Cependant, la loi du 28 février 2017 a inséré dans le code de la sécurité intérieure (CSI) l’article L 435-1 qui modifie la perception de la légitime défense. Il existe donc aujourd’hui deux vitesses : la légitime défense qui s’applique aux particuliers, et une autre, modulée pour les représentants de la puissance publique. Cela n’est pas anormal, dans la mesure où policiers et gendarmes sont confrontés à des situations que ne connaît pas le citoyen lambda, dans la stricte limite toutefois du respect du « droit à la vie », comme il est dit dans la Convention européenne des droits de l’homme. C’est pourquoi l’ambiguïté du paragraphe 4 de cet article du CSI pose question : l’usage des armes est possible pour immobiliser un véhicule « dont les occupants sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celle d’autrui ». (Il faut comprendre la vie des policiers ou des gendarmes, pas celle des occupants du véhicule.)

On imagine le flic devant le refus d’obtempérer d’un chauffeur qui, en pleine nuit, s’interroge : les occupants de cette voiture ont-ils l’intention de fuir le contrôle, ou d’attenter à ma vie ou à celle d’autrui ?

Cet article du CSI, écrit avec le pied, est une diversion démagogique digne du quinquennat Hollande, car il appartient au législateur de dire clairement le droit afin d’effacer le doute qui nous interpelle à chaque nouvelle fusillade des forces de l’ordre et qui, je le suppose, doit laisser les magistrats dubitatifs. Comment rendre la justice en se basant sur un texte aussi approximatif ?

Sans surprise, depuis la Corse – il est sur tous les feux – le ministre Darmanin lui ne s’est pas posé de question. Il a immédiatement réaffirmé son « soutien a priori » à tous les policiers et les gendarmes de France qui font face tous les jours à des refus d’obtempérer. « Alliance » était aux anges. Continue reading

Surveillance des communications téléphoniques : c’est la cata !

La téléphonie est au centre de la plupart des enquêtes judiciaires, et personne ne peut nier leur efficacité… ni les risques liés à une utilisation déviante. En dehors des écoutes, qui font l’objet d’une procédure particulière, les enquêteurs s’intéressent systématiquement aux données de connexion en temps différé, c’est-à-dire tout ce qui a trait aux échanges passés, communications et SMS : dates, numéro des correspondants, durée des échanges, bornage… et, plus rarement, aux données en temps réel : la géolocalisation. Cette possibilité de « remonter le temps » permet de retracer la vie privée d’une personne au long de l’année écoulée. C’est un atout considérable, un peu comme une empreinte immatérielle, mais à la différence d’une trace papillaire ou ADN, on pénètre là dans l’intimité des gens, on viole leur vie privée.  C’est donc une démarche particulièrement intrusive qui ne devrait être effectuée qu’à bon escient. Est-ce vraiment le cas ?

En 2021, en France, les opérateurs téléphoniques ont reçu 1 726 144 réquisitions. Un adulte sur trente, environ, a donc fait l’objet d’une vérification de sa vie privée…

Eh bien, la Cour de cassation vient d’y mettre le holà ! Dans quatre arrêts rendus le 12 juillet 2022, elle a entériné les décisions de la Cour de justice de l’Union européenne de 2014, 2016, 2020 et 2021, qui déterminent les conditions dans lesquelles une nation peut autoriser l’accès aux données de téléphonie. Ces fameuses métadonnées, c’est-à-dire toutes les informations que peut révéler un message téléphonique sans pour autant l’écouter ou le lire.

Note explicative relative aux arrêts de la chambre criminelle du 12 juillet     2022 (pourvois n° 21-83.710, 21-83.820, 21-84.096 et 20-86.652) : « Les articles 60-1, 60-2, 77-1-1 et 77-1-2 du code de procédure pénale, sont contraires au droit de l’Union uniquement en ce qu’ils ne prévoient pas un contrôle préalable par une juridiction ou une entité administrative indépendante. »

Pour la Cour de justice, cette technique d’enquête doit s’entourer d’un maximum de garanties, car ces données sont susceptibles de révéler des informations sensibles sur la vie privée, « telles que l’orientation sexuelle, les opinions politiques, les convictions religieuses, philosophiques, sociétales ou autres ainsi que l’état de santé… », et de fournir des indications sur le mode de vie (déplacements, lieux de séjour, activités, relations, milieux fréquentés, etc.)

Or, au nom de la sécurité, tous les services plus ou moins secrets, bataillent pour engranger ces informations, si possible d’une manière généralisée – ce qui permet ensuite, selon la demande, de « faire son marché ».

C’est d’ailleurs pour avoir rendu publics les programmes de la NSA concernant l’enregistrement systématique de ces métadonnées aux USA, et la captation des échanges sur Internet, que le lanceur d’alerte Edward Snowden est en cavale depuis bientôt dix ans. Et aucun État, sauf la Russie (pour des raisons plus politiques qu’idéologiques), ne l’a soutenu. Sous la présidence de François Hollande et celle d’Emmanuel Macron, la France a refusé le droit d’asile à Snowden – et personne n’a moufté au sein de l’U-E.

En deux mots, nous disent les juges européens, Continue reading

Le commissaire François Thierry sera-t-il jugé par une cour d’assises ?

Dans son réquisitoire rendu le 4 juillet dernier, « que Le Monde a pu consulter », le procureur de la République de Lyon réclame le renvoi devant la cour d’assises de l’ancien chef de l’Office central pour la répression du trafic illicite de stupéfiants (OCRTIS), pour faux en écriture publique.

Le faux en écriture publique, dans une procédure pénale, est un fait parfois soulevé par les avocats pour décrédibiliser l’enquête d’un OPJ ; il est rarement retenu. Dans le cas de François Thierry, les choses se compliquent, car ce faux serait la conséquence d’une « fausse garde à vue ». Ou le contraire.

On est là dans les méandres de la procédure pénale : pour faire tenir une infraction qui n’existe pas, on se rabat sur une autre infraction. Et on shake !

Que reproche-t-on au commissaire ? En 2012, il aurait raconté des bobards au juge des libertés et de la détention (JLD) de Nancy pour extraire de cellule son indicateur, un certain Sofiane Hambli, dit La Chimère, et, sous couvert d’une enquête imaginaire, il l’aurait placé en garde à vue. Une garde à vue qui aurait été prolongée à deux ou trois reprises par ce magistrat à la demande pressante de deux procureures parisiennes.

Durant cette garde à vue, le bonhomme aurait été hébergé dans un hôtel de Nanterre, à proximité du siège de l’Office des stups, d’où il aurait coordonné une livraison de plusieurs tonnes de cannabis sur la côte andalouse, à destination de notre beau pays. C’est l’opération Myrmidon (Marmiton, pour les initiés) : une « livraison surveillée » (LS), menée dans les limites (extrêmes) du code de procédure pénale.

Ces faits ont été dénoncés en 2017 par un certain Hubert Avoine, 56 ans, indic professionnel, recruté, non pas par le Bureau des légendes, mais par le Bureau des sources, un service rattaché au SIAT (service interministériel d’assistance technique), à l’époque où le commissaire Thierry en était le patron. C’est à la demande de ce policier, devenu chef de l’OCRTIS, qu’Avoine aurait participé à cette opération saugrenue. (Sur ce blog : La justice secrète : indic, infiltré, repenti, collaborateur…)

On imagine la scène : par une nuit sans lune, sous un ciel sans étoiles, une dizaine d’hommes cagoulés, policiers et trafiquants à tu et à toi, entourent de mystérieuses embarcations échouées sur la plage d’Estepona et déchargent des dizaines, des centaines de ballots de cannabis qu’ils entreposent dans une maison louée pour la circonstance avant qu’ils ne soient acheminés vers la France par des « go fast »…

On ne sait pas ce qu’ont touché les autres, mais, pour cette « mission », Avoine a pris du blé Continue reading

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