Lorsque Mlle Banon accuse M. Strauss-Kahn de tentative de viol pour des faits qui se seraient déroulés en tête à tête il y a de cela huit ans, on comprend bien que les enquêteurs éprouvent des difficultés à faire le tri entre les déclarations forcément contradictoires de l’un et de l’autre. Et la confrontation qui a eu lieu aujourd’hui n’y a probablement rien changé. Dans une affaire de viol ou d’agression sexuelle, s’il n’existe aucun témoin et aucune preuve matérielle, la première difficulté consiste à déterminer l’existence du crime ou du délit. En fait, l’un des moyens les plus parlants consiste souvent à effectuer une reconstitution. Une sorte de pièce de théâtre où l’on replace les deux antagonistes dans la même situation, dans les mêmes conditions et au même endroit, pour mieux faire ressortir les invraisemblances.

Je ne sais pas si c’est envisagé… Comme il s’agit d’une enquête préliminaire, c’est le procureur qui décide. Et, au final, c’est à lui qu’il appartiendra de trancher. Les faits sont-ils exacts ? S’il estime que oui, il lui reste à déterminer la nature de l’infraction. S’agit-il d’une tentative de viol ? Le viol étant caractérisé par un acte de pénétration sexuelle, il faut donc qu’il y ait au minimum un commencement d’exécution dans l’intention d’une pénétration sexuelle, comme le fait d’arracher les vêtements de la victime. Si c’est ce qui ressort de l’enquête, le procureur va saisir un juge d’instruction. Mais s’il apparaît qu’au pire les faits pourraient être assimilés à une agression sexuelle, il ne peut que constater la prescription et abandonner les poursuites. À noter que même s’il le souhaitait (?), DSK lui-même ne pourrait renoncer au bénéfice de la prescription. Enfin, le procureur peut jeter l’éponge ; constater qu’il est impossible à la justice de démontrer l’existence d’un crime ou d’un délit. Et dans ce cas, il va classer le dossier.

Le classement sans suite – A la différence de l’ordonnance de non-lieu prise par un juge d’instruction, il s’agit là d’une décision « d’administration judiciaire » qui n’a pas valeur de chose jugée et n’est pas susceptible d’appel. Une loi de 2004 a cependant admis la possibilité d’un recours devant le supérieur hiérarchique du procureur. Une sorte de recours administratif. Le procureur général peut alors enjoindre à son procureur d’engager des poursuites.

Plainte avec constitution de partie civile – J’ai lu ici ou là que dans le cas où le parquet n’engagerait pas de poursuites, Tristane Banon déposerait une plainte avec constitution de partie civile, ce qui entraînerait de facto l’ouverture d’une information judiciaire. La jurisprudence estime en effet que la recevabilité de la plainte n’est subordonnée ni à la preuve de l’existence de l’infraction ni à celle de l’existence du préjudice allégué. La partie civile n’est donc pas tenue d’avancer une qualification juridique (sauf délit de presse). Cependant, cette plainte suit un long parcours et passe notamment entre les mains du procureur de la République. Lequel doit prendre des réquisitions. Et dans deux cas (pour ce qui nous intéresse), il peut décider qu’il n’y a pas lieu d’ouvrir une information judiciaire : si les faits ne constituent pas une infraction pénale ou en raison d’un élément qui touche à l’action publique – comme la prescription. On tourne en rond.

Une plainte non recevable – Donc la plainte avec constitution de partie civile ne serait pas recevable si la prescription a été soulevée (le juge peut toutefois passer outre par une ordonnance motivée). Il resterait donc à la jeune femme la possibilité de se tourner vers le juge civil. Aujourd’hui, depuis la loi du 17 juin 2008, l’action en responsabilité civile engagée par la victime d’un « dommage corporel » peut s’effectuer dans un délai de dix ans (vingt ans en cas de tortures ou d’actes de barbarie, ou à la suite de violences ou d’agressions sexuelles contre un mineur). DSK se retrouverait alors dans une situation similaire par bien des points à celle qui est la sienne aux États-Unis : suspect d’être responsable des conséquences d’un acte qu’il n’aurait pas « légalement » commis.

Nous sommes là dans les méandres du droit.