Et ce n’était pas facile de le faire taire, Serge Livrozet. C’était une grande gueule. Mais derrière sa tronche de truand, c’était aussi un esprit affûté, un intello autodidacte, le représentant parfait de la contre-culture française. Un emmerdeur. Il n’avait pas appris à lire en prison, mais presque. Il est décédé le 29 novembre 2022 d’une maladie qu’il traînait depuis un long moment. Il avait 83 ans. Le grand public le connaissait peu, et pourtant le cinéaste Nicolas Drolc lui a consacré un long métrage, La mort se mérite, sorti en salle en 2017.

Né dans la pauvreté, enfant, il dort la tête sous l’oreiller pour ne pas entendre sa mère qui se prostitue dans la chambre d’à côté. À 13 ans, il tente le droit chemin, celui qui est fléché : il devient apprenti plombier. Mais il y a trop de force en lui, dans sa tête, ça se bouscule, ça bouillonne. « Je poussais tant bien que mal dans l’ombre étroite de ma jeunesse déjà vieille de n’avoir pu servir, dressant dans ma tête entre la société et moi une muraille de colère et de révolte faite d’envies avortées et de besoins inassouvis », écrira-t-il plus tard.

Serge Livrozet, extrait de la bande annonce du film de Nicolas Drolc, « La mort se mérite »

Il comprend très vite que ce chemin est un cul-de-sac et que personne n’a le droit, à sa place, de décider de sa vie : pour se sortir de la misère, il faut aller chercher le fric là où il est. Le plombier devient voleur, puis perceur de coffre-fort. Plus tard, il dira qu’il s’agissait d’une action de « réappropriation ». « Les pauvres ont le droit de voler les riches », ajoutait-il, provocateur en diable.

La première fois que je l’ai aperçu, de dos (c’est une image), avec deux complices, il « chalumait » un coffre dans une grande surface de la région parisienne. À l’époque, je dirigeais le GRB de la PJ de Versailles et j’avais chargé un groupe d’enquêteurs de mettre le paquet sur une équipe qui pillait allègrement les commerces de la grande distribution. Un boulot de dingue : des planques et des filoches – toujours de nuit, et souvent le week-end. Une nuit, je me souviens, nous étions quatre ou cinq devant un supermarché des Yvelines. Nos « clients » étaient entrés par le toit, et nous attendions qu’ils ressortent pour les cueillir avec leur butin. Au petit matin, le brouillard s’est levé. Les lumières ressemblaient à des falots dont la lueur rougeâtre magnifiait les lieux. Le sol ondulait sous des mouvements de brume. On était crevés. On n’y voyait plus à dix mètres. On a vaguement aperçu des ombres qui s’enfuyaient. Lorsque l’on a fait les constatations à l’intérieur du magasin, le rayon confiserie était jonché de papier d’emballage de chocolat.

Serge Livrozet était accro, je l’ai découvert plus tard, lorsqu’il me piquait le carré de chocolat qui souvent accompagne le café. Continue reading