« On ne peut pas accepter des décisions comme ça », clame-t-il avec sa fougue habituelle. Les magistrats se seraient concertés pour lui « piquer ses biens » et toute cette procédure n’aurait d’autre but que de le descendre en flammes. « Je ne savais pas qu’on vivait dans un pays où l’on peut exécuter des gens avant d’avoir été jugés. » Pour lui, c’est la seule raison de cette enquête ouverte pour escroquerie en bande organisée. Pourtant, la loi du 9 juillet 2010 qui a donné aux juges et aux procureurs la possibilité de saisir les biens lors de l’enquête ou de l’information judiciaire ne vise pas que la criminalité organisée, mais toutes les infractions dont le but recherché est le profit. Et pour cela, les magistrats ont besoin d’un bilan de fortune, une sorte d’inventaire qui vient de plus en plus souvent se joindre au dossier judiciaire : l’enquête patrimoniale.
C’est l’une des missions de base de la PIAC (plate-forme d’identification des avoirs criminels). Créée en 2005, pour répondre à un besoin, à l’initiative du chef de l’office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF), la PIAC a été officialisée le 15 mai 2007. C’est un service de police judiciaire à compétence nationale, dirigé par un commandant de police, composé de policiers, de gendarmes et de fonctionnaires relevant d’autres administrations (impôts, douanes…).
À l’époque, la loi n’autorisait la confiscation des biens avant jugement que dans quelques cas précis, notamment par mesure de sûreté (armes, produits nocifs…) ou s’ils étaient directement liés à l’infraction. Même si certains juges pugnaces allaient bien au-delà. La loi de 2010 a changé la donne en instituant un principe de base : tous les biens confiscables sont saisissables.
Autrement dit, tout ce qui pourrait être récupéré après le jugement peut être saisi avant le jugement. Quitte à procéder à une restitution en cas de non-lieu ou d’acquittement.
Les biens concernés sont donc les mêmes que ceux visés à l’article 131-21 du CP qui prévoit la peine complémentaire de confiscation. Une sanction qui peut être prononcée à l’égard de l’auteur de n’importe quelle infraction punie d’une peine d’emprisonnement supérieure à un an (sauf délit de presse). Et lorsqu’il s’agit d’un délit punissable d’une peine d’au moins cinq ans d’emprisonnement, pratiquement tous les biens sont saisissables, qu’ils soient ou non matériels, sauf à pouvoir en justifier expressément l’origine. La confiscation peut même être générale pour les crimes les plus graves. On parle alors de saisie patrimoniale.
Le préalable à ces saisies est donc l’enquête patrimoniale. Elle est destinée à identifier et à localiser, en France comme à l’étranger, les biens mobiliers ou immobiliers qui composent le patrimoine d’une personne condamnée ou d’un suspect. Rien de plus simple pour un individu lambda, mais dès que l’on s’attaque à un « gros poisson », les écrans et les intermédiaires se multiplient. Les enquêteurs doivent donc connaître toutes les ficelles du monde underground de la finance.
Comme toujours dans une enquête de police, tout commence par la consultation des fichiers. Les fichiers de police et de gendarmerie, mais également, par voie de réquisition, les administrations, les banques, les assureurs, le cadastre, le bureau de conservation des hypothèques, etc. Il est évident que l’interrogation des différents fichiers fiscaux (revenus déclarés, comptes bancaires, coffres-forts, immeubles, participation dans des sociétés, etc.) est le béaba de l’enquête patrimoniale. Celle-ci s’étend le plus souvent aux proches de la personne soupçonnée.
Les documents recueillis lors des perquisitions sont également une source de renseignements. Les officiers de police judiciaire doivent désormais se livrer à un « calcul patrimonial » lors des perquisitions et des scellés. En garde à vue, il est même possible de réserver un temps d’audition pour inviter la personne à s’expliquer sur ses biens.
À la finale, la PIAC dressera une fiche d’identification patrimoniale (FIP) qui pourra être exploitée par le magistrat.
Mais l’identification des biens va au-delà des frontières. Une loi-cadre de 2006 (dite initiative suédoise) prévoit l’échange direct d’informations entre les services répressifs au niveau européen. En cas d’urgence, cela peut ne prendre que quelques heures. Et il existe, depuis 2007, dans presque tous les États de l’U-E, une unité nationale de dépistage et d’identification des avoirs criminels. D’une manière plus large, le réseau CARIN (Camden Asset Recovery Inter-agency Network) permet des échanges opérationnels et juridiques entre une soixantaine de pays.
Monsieur et Madame Tapie détiennent de nombreux biens à l’étranger. Les magistrats instructeurs en possèdent donc la liste et, s’ils l’estiment opportun, ils ont la possibilité de faire appel à l’entraide judiciaire internationale pour en obtenir la saisie, ou même délivrer directement un « certificat de gel de biens », conformément à l’article 695-9-1 du CPP. La raison voudrait qu’ils se limitent à la somme en litige (278 millions d’euros) et aux acquisitions effectuées après l’encaissement de cette somme, en juillet 2008. Cependant, comme l’intéressé est mis en examen pour escroquerie en bande organisée (dix ans de prison), rien ne les empêche d’élargir leurs exigences et de demander la justification de l’origine de l’ensemble de son patrimoine.
La saisie est devenue la nouvelle arme des juges d’instruction. Une arme d’une efficacité redoutable, parfaitement adaptée à la lutte contre la criminalité organisée et qui trouve son assise sur l’enquête patrimoniale. Mais est-elle toujours justifiée ? Il ne faudrait pas que cela devienne une sanction et que le justiciable ait l’impression d’être condamné avant d’être jugé, comme le dit Bernard Tapie. La liberté de disposer de ses propres biens constitue en effet l’un des attributs les plus importants du droit de propriété.
Sur un autre plan, ce droit de propriété ne serait-il pas menacé par l’application de cette pratique à un délit aussi mal défini que la fraude fiscale ? En effet, la peine encourue dans la loi actuellement en discussion va jusqu’à sept ans d’emprisonnement. Un individu soupçonné de fraude fiscale pourra donc se voir privé de tout ou partie de ses biens, en attendant d’être jugé.
Riches ou pauvres, nous n’aimons pas trop que l’on furète dans notre vie. Ce ne sont pas les sénateurs qui diront le contraire, eux qui viennent de rejeter le projet de loi sur la transparence. L’un d’entre eux a même déclaré que la publication de leur patrimoine serait une « atteinte au droit à la vie privée ». Pas mieux ! doit se dire Bernard Tapie.
13 réponses à “Saisies pénales : pour que le crime ne paie pas”
Cette loi est la porte ouverte à tout type de raquet de l’état.. sans jugement on vous saisit tous vos bien?? Mais ou somme nous ? ( un voleur se fait voleur par un autre voleur)
Cette loi me parait excellente car elle punit les délinquants tout de suite, et là où çà leur fait vraiment mal.
Il est dommage que la dernière victime des magistrats de gôche, kidnappeurs et piqueurs, n’ait pas lu ce post de blog…
« Le gros succès de cette loi de **2010** est la facilité qu’elle apporte dans la saisie d’immeubles. Ainsi, depuis le début de cette année, un immeuble est saisi chaque jour en France. »
Mais qui était aux « affaires », en 2010?
Bonjour, il me semble qu’en droit Français il est dit que “que toute personne physique recueillant des biens transmis à titre gratuit est imposable au titre des droits de succession ou de donation“. Etant donné que dans cette affaire il n’y est pas de lien de parenté entre monsieur Banier et Mme Bettencourt, à moins que le gestionnaire de patrimoine n’ait trouvé une astuce dans le code des impôts, c’est alors l’état Français qui devrait être le principal bénéficiaire de cette générosité !
Cette loi est assurément un outil puissant mais au delà de l’aspect pédagogique de votre note, j’aurais apprécié que vous preniez comme à votre habitude un peu de recul sur les travers et conséquences d’une telle loi.
Comme accepter qu’en démocratie, la sanction puisse prendre effet avant d’être prononcée ? Geler des avoirs pour empêcher leur usage est une chose, les confisquer en est une autre. Et manifestement, les juges semblent se précipiter à tort et à travers sur cette loi.
Au secours, l’arbitraire est de retour !
Ce dispositif est effectivement particulièrement motivant pour les enquêteurs car ils ont enfin le sentiment de toucher le délinquant là où cela fait mal…En outre cela permet d’acquérir des véhicules et des matériels « exotiques » qu’il est très difficile d’obtenir normalement.
Pour ceux que cela inquiète et comme précisé dans l’article, cela n’est possible que pour les biens dont l’origine n’est pas justifiable légalement. Le Rmiste qui roule en grosse allemande, habite un château équipé comme la NASA est concerné pas celui qui a un revenu lui permettant l’acquisition de toutes ces babioles…En outre il faut quand même un lien avec les infractions relevée !
Donc, si j’ai bien compris, mon voisin me dénonce de n’importe quoi d’un peu important, je me fais embarquer, garder à vue,(jusque là, l’histoire est vraie) emprisonner le temps qu’on réfléchisse, pendant ce temps on me saisi mes biens, on les brade, puis quelques mois ou années après, on me relaxe (ça aussi, c’est du vécu)… et on me donne les sous (mais quid des 1%?) de la vente de mon appartement (qu’il m’est évidemment impossible de racheter au cour actuel), de ma voiture, de ma collection de schmoldus anciens…
En « vrai » droit, ça ne s’appelle pas du vol, de l’escroquerie ou un truc dans le genre, ça ???
Toujours est il que je suis bien content de vivre fort loin du « Pays des Droits de l’Homme »
Vous avez parfaitement raison, il ne faudrait pas confondre vitesse et précipitation et attendre un jugement de culpabilité avant de vendre quoi que ce soit… Meilleures salutations. roger (debrestmême)
Ce n’est plus le pays des droits de l’homme de même que ce n’est plus une démocratie. C’est un régime totalitaire servi par un nouveau type d’élite, bien plus dangereuse que celle des époques précédentes, puisqu’elle a réussi a faire croire qu’elle était légitime du fait d’un processus démocrate ! Ce splendide chateau de carte finira t-il par tomber ? Une grande majorité des élites, les vraies, l’espère, et la première chose qui sera faite sera de remettre la pieuvre état et ses édiles à sa place !
On pourrait peut-être en profiter pour faire d’une pierre deux coups et utiliser les immeubles saisis pour y abriter quelques mal-logés… Je postule pour le yacht de M.Takkiedine 🙂
Les truands savent et vont s’adapter. Je prends un exemple : les trafiquants de calvados. Lorsqu’ils sont pris, la main dans le sac donc avec quelques milliers de litres dans leur véhicule, tout est saisi. Mais les biens propres jamais et pour une raison simple rien n’est à eux. Ils ont depuis le début de leur commerce illicite remis leurs biens soit à leur femme (grosse confiance), soit à un homme de paille.
Même les riches, les très riches contournent la loi avec des conseillers balaises.
Je serais corrigé si je me trompe, mais le propriétaire officiel du bien n’a que peu d’importance dans le cas présent. Le texte autorise la saisie de tout bien étant le produit du délit présumé.
Ca implique tout bien au nom du délinquant présumé, comme d’un prête nom, si celui ci ne peut justifier la réalité de la possession du bien (par une transaction bancaire, par exemple).
Je n’ose pas imaginer les indemnités maousses costaudes qui devront être versées par la Justice – et donc l’Etat – dans les cas – qui sont loin d’être des hypothèses d’école – ou sera prouvée l’innocence ou pas rapportée la preuve de la culpabilité….
La vente d’un bateau bradé pourrait coûter la peau des fesses s’il faut le racheter et le remettre dans son état d’origine – sans compter le coût des locations perdues qui peuvent se chiffrer à plusieurs million d’euros que sera en droit de réclamer le légitime propriétaire qui n’aura aucun mal à faire chiffrer le coût de la spoliation -.
Bien mal acquis ne profite jamais – c’est aussi vrai pour les soustractions de l’Etat qui s’avéreraient mal fondées…
J’ai bien peur que toutes ces confiscations deviennent prohibitives pour les contribuables…