Partie 9 – Le massacre qui a suivi la prise d’otages de la délégation israélienne, aux Jeux Olympiques d’été à Munich, en septembre 1972, fait prendre conscience aux autorités de différents pays d’Europe, qu’il faut disposer d’une force d’intervention spécialisée pour gérer ce genre de situation. En France, des groupes d’intervention de la police nationale (GIPN) sont créés dans les mois qui suivent. Le commissaire Nguyen Van Loc (il jouera son propre rôle dans la série télé Le chinois), est sans conteste le gipn.jpgdéfricheur. Dès le mois d’octobre, il met sur pied le GIPN de Marseille. Ces brigades, au nombre de onze, ne dépendent pas de la PJ, mais de la direction de la sécurité publique (DCSP). Un an plus tard, c’est la gendarmerie qui installe, sous la férule du lieutenant Christian Prouteau (il deviendra préfet sous Mitterrand) le groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN). À ses côtés, on trouve le lieutenant Paul Barril, plus spécialement chargé de la technique, de l’armement et de la partie opérationnelle. Le directeur central de la PJ, Maurice Bouvier, refuse de suivre le mouvement. Il estime que ce genre de mission ne relève pas de la compétence de son service. Douze ans plus tard, sous la pression de Robert Broussard, alors au cabinet du directeur général de la PN, le RAID (recherche – assistance – intervention -dissuasion) voit le jour. Son premier chef est le commissaire Ange Mancini.

Entre 1969 et 1976, sept femmes et un homme sont assassinés dans le département de l’Oise, à  l’intérieur d’un périmètre de quatre kilomètres sur deux. Jamais le dimanche. La presse parle du tueur de Nogent, et l’arme, toujours la même, est une carabine .22 LR. L’homme sera finalement arrêté malgré une guéguerre police-gendarmerie qui n’a pas facilité les choses. Il s’agit d’un ancien para, Marcel Barbeault, 35 ans, marié et père de deux enfants.  Mais à partir de mai 1978, un nouveau maniaque fait son apparition. Lui aussi s’en prend à des jeunes femmes, mais à la différence de Barbeault, son action criminelle est désordonnée. Cette fois, il est surnommé le tueur de l’Oise. Lorsqu’il est interpellé, le 9 avril 1979, l’affaire fait grand bruit, car il s’agit d’un gendarme de Chantilly. Il se nomme Alain Lamare, et il a 23 ans. Ses motivations sont nébuleuses. Il semble qu’il prenait plaisir à voir ses collègues rechercher tous azimuts un assassin, alors qu’ils le côtoyaient journellement. Le journaliste Yvan Stefanovitch s’est passionné pour cette affaire. Il en a fait un livre : Un assassin au-dessus de tout soupçon, aux éditions, J’ai Lu. Alain Lamarre a été reconnu « irresponsable ». Il n’a donc pas été jugé mais enfermé à l’hôpital psychiatrique de Sarreguemines.

En février 1974, au Canard Enchaîné, le juliénas doit couler à flot, lorsque Georges Pompidou remercie Raymond Marcellin. Il nomme Jacques Chirac à sa place. Quelques mois plus tard, il y a un nouveau décès chez nos amis les truands. Il se nomme Roger Bacry, mais tout le monde l’appelle P’tit Roger. Il a eu des rêves de puissance, au point de trahir les Zemour, et de prendre la tête du clan ennemi, les Siciliens. Beaucoup de morts de part et d’autre, mais il a vu trop grand, le petit Roger, cette aventure l’a dépassé. Depuis, il est sur le qui-vive, il sursaute au moindre bruit, il guette celui qui va le liquider. En fait, il est déjà mort. Il a craqué. Ce 12 juin 1974, il tire sur sa compagne, Josiane A., et se loge une balle dans la tête. Josiane s’en sortira. Pas lui. Dans son livre Les derniers seigneurs de la pègre, aux éditions Julliard, Roger Le Taillanter cite l’oraison funèbre prononcée par Gilbert Zemour : « C’était une crapule, une ordure, un rat d’égout. Je comprends qu’il se soit suicidé ! Il avait fait tellement de saloperies…» C’étaient paroles d’expert.

Le 26 mai 1975, un décret officialise les relations entre l’organisation internationale de police criminelle (l’OIPC-Interpol) et la France. Chaque pays membre possède en effet un correspondant unique : le bureau central national (BCN). Pour la France, il est désormais rattaché à la DCPJ. Le directeur central PJ devient donc le chef du BCN-France. Sinon, les années 70 apportent peu de changements dans les structures de la PJ. Les policiers tentent surtout de s’adapter à deux nouveaux fléaux de la société, auxraf.1173003251.gif desseins d’ailleurs tout à fait différents. D’un côté le terrorisme, aux prétentions idéologiques, et de l’autre, les enlèvements avec demande de rançon, clairement crapuleux.

La France est relativement épargnée par le terrorisme d’extrême gauche, à l’exception d’action directe. En fait, contrairement à l’obsession de Raymond Marcellin, la violence politique (ou la politique de la violence) n’a pas trouvé son ferment dans mai-68. C’est différent en Italie, où les brigades rouges sèment la terreur et surtout en Allemagne (de l’ouest), où la fraction armée rouge (FAR), autrement appelée en France bande à Baader (par référence à la bande à Bonnot ), enchaînent les attentats et les exécutions. schleyer-otage-de-la-raf.1173044757.jpgEn septembre 1977, la PJ arrête Klaus Croissant, qui avait recherché l’asile politique en France. Malgré les protestations de nombreux intellectuels, notamment Jean-Paul Sartre et Michel Foucault, il est extradé vers l’Allemagne un mois plus tard. Klaus Croissant est l’avocat d’Andréas Baader et de ses acolytes, arrêtés en 1972. Epoque où Brigitte Mohnhaupt prend la relève et poursuit l’action de Baader. Elle est alors définie comme la femme la plus dangereuse d’Allemagne. Condamnée à perpétuité, en 1985, pour neuf assassinats, dont celui du représentant du patronnat allemand, Hans Martin Schleyer, et celui du procureur général, Siegfried Buback, elle est toujours emprisonnée. Elle doit être libérée le 27 mars 2007. Libération qui fait grand bruit outre-Rhin, alors qu’on doit bientôt commémorer la mémoire de toutes les victimes de cette organisation criminelle et qu’en Italie sourdent de nouvelles brigades rouges.

Aux élections législatives de 1974, la gauche arrive en tête au premier tour. Pourtant, le PS et le PC ne parviennent pas à s’entendre, ils sont laminés au second tour. Giscard d’Estaing va donc débuter son septennat avec une forte majorité de droite. Chirac n’a pas beaucoup de chemin à faire : il quitte la place Beauvau pour Matignon. Il aura été ministre de l’intérieur pendant trois mois. C’est Michel Poniatowski qui lui succède. Considéré comme le principal organisateur de la victoire de Giscard d’Estaing aux élections présidentielles, il est nommé ministre d’état, ministre de l’intérieur. Contrairement au protocole, dans ce gouvernement, le premier de nos ministres n’est donc pas le garde des sceaux, mais le chef de la police. La tradition perdure. En tout cas, Ponia doit être satisfait. Il ne sait pas ce qui l’attend.

Le 24 décembre 1976, Jean de Broglie, sort du bureau de son conseiller financier, Pierre de Varga. Un homme l’attend. Il lui tire dessus et s’enfuit. Celui qui vient de mourir n’est pas n’importe qui. Il est député de l’Eure, ancien ministre, et c’est l’homme qui, avec Louis Joxe, en 1962, signa les accords d’Evian. Il fut également l’un des fondateurs du parti des républicains indépendants, à côté de Valéry Giscard d’Estaing. La brigade criminelle mène rondement l’enquête. L’assassin est arrêté quelques jours plus tard. Il se nomme Gérard Frèche. Il a été recruté par un policier […], Guy Simoné, pour exécuter un contrat, à la demande de Pierre de Varga. Poniatowski et Pierre Ottavioli, le patron de la brigade criminelle, pontifient de conserve sur cette brillante réussite. Ils pavanent devant la presse et font des déclarations circonstanciées sur les raisons de ce meurtre. Pour faire court, tout cela n’est qu’une sordide affaire de gros sous. Mouais ! Ce n’est pas l’avis de l’inspecteur divisionnaire Michel Roux, de la 10° BT. Il rappelle, d’abord poliment, puis un peu moins poliment, qu’il a transmis deux rapports pour signaler qu’un contrat existait sur la tête de l’ancien ministre et que la BRI, dirigée par le commissaire Marcel Leclerc, avait été chargée de surveiller les protagonistes de cette machination. C’est un vieux routier de l’antigang, l’inspecteur divisionnaire Plouy, qui a hérité du bébé. On dit qu’on ne se bousculait pas à la brigade pour traiter cette affaire. Que s’est-il réellement passé ? Les policiers ont-ils relâché leur surveillance ? Ont-ils reçu des ordres en ce sens, comme certains l’ont affirmé ? Ou peut-être n’y ont-ils pas cru, tout simplement… Mais le contrat est exécuté – et aucun policier n’est présent. Et comme toujours dans ces cas-là, chacun, du chef de service au lampiste, chacun s’emberlificote dans ses mensonges. Mais, plus tard, l’Express, puis Le Canard Enchaîné, font des révélations. Et ce qui n’était qu’une boulette devient un scandale politique. Car, Jean de Broglie avait été le trésorier du parti républicain et il était également l’un des financiers d’une institution de l’église catholique : l’Opus Dei. Et il semble que cet organisme, répertorié « très à droite », et que certains n’hésitent pas à présenter comme une secte, ait largement contribué à alimenter les caisses du parti qui a placé Giscard au pouvoir. Je ne suis sûr de rien, sauf d’une chose : de grands chefs de la police ont vu pâlir leur auréole dans cette histoire politico-policière. Elle fait tache dans les annales de la brigade criminelle. Pierre Ottavioli a raconté ses mémoires dans un livre Echec au crime, aux éditions Le livre de poche.

L’enlèvement de Louis Hazan – Le 31 décembre 1975, le P-DG de la société Phonogram est enlevé en pleine réunion professionnelle. Les truands braquent l’assemblée et mettent leur victime dans une malle en osier avant de disparaître. Les ravisseurs réclament une rançon de quinze millions de francs. Le patron de la brigade criminelle, Pierre Ottavioli, Otta, pour les intimes (ils sont peu nombreux), fait mine d’accepter. Il monte une souricière et les policiers interpellent les deux hommes venus récupérer les sacs censés contenir l’argent (en fait de vieux annuaires) : les frères Pech. Maintenant, il s’agit de sauver l’otage. Et chaque minute compte. Il est donc indispensable d’obtenir des confidences des deux individus arrêtés. Ici, il existe trois versions. La version officielle, selon laquelle les enquêteurs découvrent un numéro de téléphone griffonné sur le bas du jean de l’un des ravisseurs. La version officieuse, qui mentionne qu’on leur a laissé passer un coup de fil, et que le numéro a été intercepierre-ottavioli.1173006098.jpgpté. Enfin, la dernière version, juste pour information, mais peu vraisemblable, selon laquelle les deux hommes se sont pris une « sérieuse avoine ». Je vous laisse choisir. Le numéro de téléphone correspond à une adresse à Tremblay-le-Vicomte, en Eure-et-Loir. Michel Guyot, surnommé Michel les bretelles, le patron du SRPJ de Versailles, me réquisitionne vers 19 heures 30. Il reste peu de monde à la brigade. Je fais le tour des bureaux et parviens à recruter une demi-douzaine de « volontaires ». Ça traîne des pieds, car chacun est persuadé que le tuyau est bidon. « Si c’était du solide, ils nous auraient pas invités, les seigneurs du 36… », ronchonne un enquêteur. Maurice Duyck, un vieil inspecteur divisionnaire, qui a été mon mentor durant mes premières années, ne dit rien. Mais je devine qu’il s’est renseigné. C’est du sérieux. Au dernier moment, Aimé Brémond, le sous-chef du SRPJ, doit s’être tenu le même raisonnement. Il me dit : « Tiens, je vais aller avec vous ! » Il pense qu’on n’est pas assez nombreux. Ou il ne me fait pas confiance. Ou il en marre de rester derrière son burlingue… Je plaisante. Brémond, que tout le monde surnomme Mémé, est le genre de patron que j’apprécie. Il n’a pas fait une super carrière, mais il est toujours resté droit dans ses bottes. Il faut être sur place avant 21 heures, l’heure légale en matière de perquisition. Ce jour-là, si on a pris des risques, c’est bien sur la route. À faire exploser les radars automatiques – s’il y en avait eu à cette époque. En chemin, les choses se précisent. Les nouvelles consignes sont de surveiller les lieux jusqu’à l’arrivée des collègues de la PP, et de ne rien faire d’autre. « Même pas en rêve », maronne quelqu’un au-delà des ondes. Ça doit être Patrick !… À l’entrée de Tremblay, les gendarmes nous attendent. Ils nous pilotent. On s’arrête à une centaine de mètres de la maison. Il fait nuit, un bout de lune éclaire une grande bâtisse. Elle se trouve au milieu d’un parc, et de larges portes-fenêtres font face à l’entrée. Il doit y avoir cinquante mètres à découvert. Pour l’effet de surprise, ça ne va pas être évident… Mémé attend des instructions. Je le bouscule un peu. La vie d’un homme peut se jouer à quelques secondes. « On y va », lâche-t-il. En disant ça, il transgresse les ordres. Je l’aimais bien. On escalade le portail, on se faufile dans le parc. Derrière moi, un collègue actionne la culasse de son PM. Je serre les fesses : ça part tellement vite ces trucs-là. Je mets la main sur la poignée de la porte, et… elle s’ouvre. On fonce. La pièce est vide. La maison est vide. Dans un coin, la télé marche en sourdine, sur une table basse, deux verres à moitié vides et un cendrier bourré de mégots. Rien ! « Allez, les enfants, on refouille tout ! ». J’ai lancé ça d’une voix ferme, mais l’heure légale est passée, nous n’avons pas de témoins et nous ne sommes pas saisis de l’affaire. On n’est même pas certains d’être dans la bonne maison. Si on s’est plantés, va y avoir des têtes qui vont tomber… Et Mémé sera aux premières loges. Juste devant moi. C’est bon parfois d’avoir un chef. On se dirige vers la cuisine. De la vaisselle sale, un reste de repas. Rien d’intéressant. Soudain, un léger bruit nous fait tressaillir. On sonde les murs. Ça sonne creux. Il y a une ouverture derrière l’une des cloisons. On la fait sauter et on tombe sur un réduit de deux mètres sur trois. Sur un matelas, à même le sol, un homme est attaché par des chaînes. Il porte une cagoule noire sur la tête. Je la lui retire. Il est terrorisé. « Vous êtes Hazan ? » je demande. Je sors ma carte, je le rassure. Il finit par prendre confiance. « J’ai cru ma dernière heure arrivée », nous confiera-t-il plus tard…

Ni Mémé ni moi, ni aucun gars du GRB, nous ne serons invités au pot offert par Louis Hazan pour remercier la police de l’avoir délivré. Il n’a jamais dû savoir qu’on n’était pas du 36 – et d’aucun s’est bien gardé de le lui dire. Ça fait rien, on s’est bu une bière entre nous.

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