« Déconne pas mon pote… » Le gardien de la paix Gérard n’a rien vu du drame, il est arrivé trop tard, mais son collègue est là, étendu sur le sol, inanimé, une plaie à la gorge. « TNZ1, TNZ1… » Il s’époumone dans son talkie-walkie. « TNZ1… Au secours ! ». La scène rappelle cette course-poursuite en 1981 entre deux « cyclos » et un motard, ou plus exactement « une motarde », puisqu’il s’agit d’Inge Viett, cette intellectuelle dézinguée qui n’a pas hésité à tirer sur un policier qui s’approchait d’elle sans méfiance. Il s’appelait Francis Violleau. Il n’est pas mort, mais il est resté près de vingt ans dans un lit d’hôpital, tétraplégique, juste capable de bouger l’extrémité des doigts, avant de s’en aller – pour de bon.

Dans un roman, surtout un premier roman, presque à l’insu de son auteur, de vieux souvenirs ressurgissent. De ces choses qui vous ont marqué. Quand Christine Rogier parle de cette affaire, elle a les yeux qui brillent un peu trop…

À l’époque, elle était toute jeune. Mais lorsqu’elle a débuté, gardien de la paix à la circulation, les anciens lui ont raconté cette histoire, pour la mettre en garde, lui apprendre la prudence. Huit ans à la circul’, à faire le « ventilo au milieu des carrefours ». Un métier difficile : chaud l’été, froid l’hiver et toujours les gaz d’échappement… Mais ça lui plaisait bien : « J’étais autonome et indépendante », dit-elle. Puis elle a passé le concours de lieutenant de police. Elle aurait préféré officier de paix, mais ce grade a été supprimé en 1995. Tout un symbole.

« C’est l’histoire banale de trois flics (…) Du gardien au commissaire, ils sont scénaristes, acteurs, souffleurs, projectionnistes ou décorateurs d’un spectacle mis en scène par la vie… », c’est ainsi qu’elle attaque son Mercredeuils, trois flics face au destin, aux éditions AO. Il y a D’jorge, Piou-Piou et Sophie-la-Cap. Ils ne sont pas du 36, ils ne font pas partie d’un service prestigieux, non, ils bossent à l’unité d’investigation d’un central parisien. De la police de terrain. Au jour le jour. Comme elle, dans ce commissariat du centre de Paris, où elle est affectée.

Beaucoup de cadavres dans ce polar, un par mois. Sauf qu’ils sont morts depuis longtemps et qu’ils fleurissent aux quatre coins de la capitale pour former peu à peu une étrange figure : un hexagone. Qui peut être le barjot à l’origine de ce jeu macabre ?

« Le voyage, les pensées et l’impertinente affaire épuisent Sophie. Elle aime l’espace, la lenteur, la paix, la douceur. Une bouffée de nicotine, l’œil par-dessus les toits, Sophie cherche à suspendre ses rêves au-dessus du zinc et des ardoises, histoire de dérouiller ses idées, d’enterrer la gêne de ces cadavres dansant le jour dans son boulot, hantant de cauchemars ses nuits agitées. »

Dans ce livre, ce qui marque surtout, c’est l’atmosphère, cette atmosphère inclassable d’un service de police. Et le style. Car Christine Rogier a une manière d’écrire très personnelle, avec des tournures de phrases parfois un peu déroutantes, mais où les mots claquent pour mieux souligner une scène, une idée, ou un état d’âme : « Je ne suis pas plus capable ou incapable de résoudre les mystères de l’esprit humain tortueux. Et puis, je ne suis pas payée pour ça ; juste là pour clarifier des affaires criminelles qui n’ont pas dû changer depuis la nuit des temps ! » Ou sa révolte contre l’administration, ou autre chose, je ne sais pas : « On a le droit de ne pas se laisser faire (…) L’humiliation avant l’humilité, c’est pas ma tasse ».

Mais je me demande bien où elle est allée dénicher cet ancien policier qui serait, parait-il, « guichetier du Monde » (et non au Monde) !

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Christine Rogier signera son roman le samedi 11 juin, de 10h à 18h à la libraire Agora presse et cætera, 57 cours Vitton, Lyon 6°.