Il y a quelques jours, la voiture de Mme Bernadette Chirac a heurté un chevreuil sur l’autoroute A20, à une cinquantaine de kilomètres de son château de Bity, à Sarran, en Corrèze. On ne va pas lui en tenir rigueur, d’autant que ce n’est pas elle qui conduisait, mais son « officier de sécurité ». Ce petit fait divers attire l’attention sur l’incidence de nos transhumances estivales sur les animaux sauvages, désorientés par ce va-et-vient incessant, et aussi, hélas ! sur les animaux de compagnie, qui deviennent parfois encombrants.
Au volant, si vous heurtez un animal en liberté, votre responsabilité n’est évidemment pas engagée. S’il s’agit d’un animal sauvage, vous pouvez même prétendre à une indemnisation du « fonds de garantie ». Pour cela, il faut prendre soin de préserver, à l’attention de l’expert, les traces laissées par le choc (sang, poils…). Mais s’il s’agit d’un animal dont le propriétaire est identifié, c’est vers lui que la compagnie d’assurance ou la justice se tournera.
« Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisé », dit le Renard au Petit Prince. C’est un peu ce que nous rappelle l’art. 1385 du code civil (créé par une loi de 1804) : « Le propriétaire d’un animal (…) est responsable du dommage que l’animal a causé, soit que l’animal fût sous sa garde, soit qu’il fût égaré ou échappé. »
Cette responsabilité peut d’ailleurs être pénale. Mais, ce que l’on sait moins, c’est que les animaux possèdent eux aussi des droits. La loi les protège des humains.
Ce qui ne va pas sans poser problème, car il n’est pas raisonnable de donner aux bêtes, comme pour les hommes, une véritable identité juridique. Et si la tendance actuelle va vers la personnification de l’animal, il faut se garder de tout anthropomorphisme. Chacun doit rester dans sa peau.
Il existe, depuis 1987, une Convention européenne pour la protection des animaux de compagnie. La France l’a ratifiée en 2004, avec toutefois une restriction sur un alinéa : la coupe de la queue, qui porte le nom savant de caudectomie. Une intervention chirurgicale qui – chez nous – se pratique encore sur les porcelets et parfois aussi sur les chiens. Pour ces derniers, il y a quelques années, un député avait même proposé que l’on en revienne à la pratique de la coupe des oreilles…
Il faut dire que de la zoolâtrie à la diabolisation, l’histoire nous montre que nos relations à l’animal ne sont pas simples. C’est un domaine où la raison marque souvent le pas. Ainsi, au Moyen Âge, les animaux pouvaient être cités en justice. On dit même qu’au début du siècle précédent, en Suisse, un chien a été jugé coupable de complicité de meurtre et exécuté. Plus près de nous, la Cour de cassation a estimé que les mauvais traitements infligés à un animal étaient en partie de sa faute, en raison de son comportement. Or, il est évident que si l’on donne une responsabilité pénale à une bête, il faut en contrepartie lui donner des droits juridiques. On frôle les fables de La Fontaine… Et, à force de « bons sentiments », on en arrive à des absurdités. En fait, si l’on appliquait le code pénal, cela ne serait déjà pas si mal. Comme l’article 521-1 qui punit de 2 ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende le fait d’exercer des sévices graves, ou de nature sexuelle, ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique ou apprivoisé – ou simplement tenu en captivité. Alors que bizarrement, la mise à mort, sans nécessité, n’est punie que de l’amende prévue pour la contravention de 5° classe.
En fait, les infractions qui visent les violences aux animaux n’encombrent pas les tribunaux. Mais les choses évoluent vite. On se souvient qu’en 2009 une jeune femme a été condamnée à 6 mois de prison ferme pour avoir aspergé un chien d’essence avant qu’un gamin y mette le feu. (L’animal, brûlé à 50 % a néanmoins survécu.) Et, en 2007, la Cour de cassation a confirmé que les actes de sodomie effectués par un homme sur son poney étaient des sévices sexuels, entérinant ainsi la condamnation à un an de prison avec sursis. Et comme cette déviance va souvent de pair avec des réseaux zoophiles, en 2010, une proposition de loi a été déposée pour lutter contre la diffusion d’images mettant en scène des animaux.
Volontairement, le code pénal ne parle pas d’animaux de compagnie. Il va au-delà. Dans la pratique, on peut retenir trois catégories :
L’animal de compagnie – C’est celui qui est détenu ou destiné à être détenu par l’homme pour son agrément (art. 214-6 du code rural).
L’animal domestique – Un arrêté de 2006 fixe la liste « des espèces, races ou variétés domestiques », du moins au sens du code de l’environnement. La définition qu’il en donne est quasi incompréhensible. Pour simplifier on peut dire qu’il s’agit des animaux qui ont fait l’objet d’une sélection par l’homme. On y trouve des mammifères, des oiseaux, des poissons et même des insectes, comme le ver à soie. L’animal de compagnie figure donc dans la liste des animaux domestiques.
Le cheval aussi, tout comme le bœuf, le porc, etc. En 2010, des députés ont déposé une proposition de loi pour que cet équidé soit considéré comme un animal de compagnie. Comme argumentaire, ils défendaient l’idée que de nos jours rien ne différencie un cheval d’un chien, animal qui peut être un outil de travail tout comme un compagnon de loisir. Sauf que les chiens ne finissent pas à l’abattoir… Sur le site de la Fondation Brigitte Bardot, on peut lire que 850 équidés seraient tués chaque jour en France. Mais le Canada reste notre principal fournisseur de viande de cheval. À ma connaissance, cette proposition de loi est restée lettre-morte…
L’animal non domestique – Ce sont toutes les autres espèces. Elles ne font donc l’objet d’aucune protection juridique lorsqu’elles vivent à l’état sauvage (sauf espèces protégées). Pour le code de l’environnement, sont considérées comme espèces animales non domestiques celles qui n’ont pas subi de modifications par sélection de la part de l’homme. La liste est établie par arrêté après avis du Conseil national de la protection de la nature (R-411-1).
Pour revenir à des choses sérieuses, c’est-à-dire l’accident de Mme Chirac, elle n’a heureusement pas été blessée. La préfecture de Corrèze a aussitôt envoyé un véhicule de remplacement et elle a pu poursuivre sa route. Oui, je sais bien, à l’heure de la rigueur, certains vont se poser des questions… Mais dans ce billet dédié aux bêtes et à leurs amis, je me contenterai d’une pensée pour le chevreuil.
20 réponses à “Vacances, animaux et bonne conscience”
la citation du renard dans le petit prince est bien choisie. je trouve que la responsabilité est encore plus forte que l’on a choisi de posséder un animal. les animaux ne sont pas des objets, il faut quil se créé un lien d’affection mutuel.
Odile
Une question que vous n’avez pas soulevé dans ce billet, mon p’tit Georges :
quand on tue un chevreuil en voiture : a-t-on le droit de le manger (mis à part le fait que c’est pas très casher) ?
Sinon : que faire du corps de la bête ?
La question n’est pas de savoir si la Bernadette s’est-elle fait un bon méchoui avec la sous prefette, au final… mais de savoir si moi je pourrais m’en faire un un si ça m’arrivait… (avec ou sans la sous-prefette, je m’en fous, je suis pas raciste avec les sous-prefette et un chevreuil ça se partage en plein, y’en a pour pas mal de sous-prefettes)
C’est une erreur, la coupe de la queue chez les biens est bien illégale.
Le décret transposant la convention européenne a bien été publié en 2004 sans exception
http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000247819&fastPos=1&fastReqId=378266552&categorieLien=id&oldAction=rechTexte (art.10)
Coquille dans mon dernier texte, « chez les chiens »
« Tauromachie », c’est bien mieux ainsi, mille excuses
Tres bon Post Mr MOREAS, c’est appaisant.
Toutefois, quid des « traditions » qui prévoient la maltraitance des annimaux ? Je pense à la toromachie, les fêtes de l’Aïd, etc…
« L’animal de compagnie figure donc dans la liste des animaux domestiques. »
Eh non, justement. Ce sont deux classifications distinctes. L’animal de compagnie est celui que vous avez chez vous pour votre agrément, l’animal domestique est celui qui est élevé et sélectionné. Le fait d’être « de compagnie » est lié à la l’usage que la personne concernée fait de l’individu animal dont on parle. Le fait d’être « domestique » est lié à l’espèce, ça concerne tous les animaux d’une espèce et pas tel ou tel individu.
Voilà des exemples :
Le chien est un animal domestique et ma chienne, nommée Mirza, est un animal de compagnie.
La vache est un animal domestique, mais mes vaches, qui n’ont pas de nom, sont des animaux d’élevage et pas de compagnie.
La mygale n’est pas un animal domestique, mais ma mygale, nommée Dracula, est un animal de compagnie.
Le lion n’est pas un animal domestique, et le lion qui vit dans la savane n’est pas un animal de compagnie.
Chez certaines espèces domestiques, comme le chien, persque tous les individus sont des animaux de compagnie. Ça n’était pas le cas du cheval jusqu’à récemment : la plupart des chevaux étaient utilisés pour le travail et pas pour l’agrément, et donc étaient des animaux domestiques mais pas des animaux de compagnie. Les chiens policiers ne sont pas non plus des animaux de compagnie. Un chien d’aveugle est à la fois un animal de compagnie et un animal de travail. Le canari est une espèce domestique, mais les couples reproducteurs d’un éleveur de canaris ne sont pas des animaux de compagnie, même si la plupart de leurs petits le deviennent. Les Nouveaux Animaux de Compagnie (NAC : serpents, araignées, insectes, …) sont par définition ceux dont l’espèce n’est pas (encore) considérée officiellement comme domestique, en général parce que son élevage n’existe pas (certains poissons d’aquarium prélevés dans la nature) ou est trop récent (insectes, scorpions, araignées).
« Le lion n’est pas un animal domestique, et le lion qui vit dans la savane n’est pas un animal de compagnie »
Et même pour la lionne au quotidien, il est d’une piètre compagnie,
à ce qu’il parait…
Dans « Amour Platonique », un court métrage allemand filmé genre thriller rigolo, y a une jeune fille dont c’est l’anniversaire qui se fait griller devant tous ses potes – réunis pour lui faire la surprise et qui allument la lumière au dernier moment – de la crème fouettée répandue des tétons jusqu’au minou, alors qu’elle appelle son chien pour qu’il vienne se (et la) régaler…
http://www.arte.tv/fr/340616,CmC=340620.html
Si une loi sur les pratiques sexuelles zoophiles venait à passer, j’espère qu’on ne punirait ni la femme ni le chien (qui s’appelle Platon) !
tant qu’à faire, il vaut mieux faire ça (ou dieu sait quoi) illégalement avec son chien que légalement, disons, avec un lion.
Moi, j’ai testé le lion de Vincennes. C’est un mâle
et pas pour un chien !
@Remy :
faut voir ce court-métrage pour bien comprendre, mais y a une bonne raison à la lumière éteinte, ça fait partie du fait que c’est un thriller : en fait, c’est quelqu’un qui a éteint la lumière, un invité surprise… et nous spectateurs on sait pas que c’est un invité surprise, on croit que c’est un voleur ou un tueur (on voit ussi une main qui attrape un couteau de cuisine, mais en fait à la fin, on comprend que c’est pour le gâteau)
Enfin bref, il est bien construit, un peu sexy et rigolo, mais je n’ai trouvé que le résumé sur le site d’Arte, désolé… en plus il n’est pas très bien résumé, ce résumé…
Mais pourquoi ma réponse à Rémy n’est-elle plus une réponse à Rémy qui avait posé une question qui a disparu ?
Et dans l’autre discussion sur l’autre billet, y a ma réponse à marc bdn, concernant les témoignages de l’affaire Ajimi, qui s’est aussi évaporée.
C’est bien dommage, je lui expliquais plein de trucs qu’il n’avait toujours pas compris…
Pour ceux d’entre vous qui souhaiterais en savoir plus sur ce sujet, je vous recommande le blog du juriste strasbourgeois Jean-Marc NEUMANN :
http://animaletdroit.blogspot.fr/
Il comporte de nombreux articles sur le droit animal en France et dans le Monde, ainsi que des liens vers des universités, organismes internationaux, associations et fondations qui se consacrent à cette thématique.
Clairehélène : Roquesteron n’est pas un hameau mais un bourg composé de deux villages séparés par l’Esteron, rivière anchanteresse. L’histoire dit que les deux villages ont été réunis par décision politique (le village de l’autre rive était Italien avant guerre). Lorsque j’y ai habité, il n’y a pas si lontemps, ils se regardaient en chiens de faience ! Ho j’allais oublier, il y a aussi une gendarmerie.
Cela dit il ne fait pas bon aller au sanglier par mauvais temps …. Les sangliers ont bon dos.
« Voyou » serait le chien du commissaire, j’ai mal compris ?
Oui. Et il n’est pas méchant, mais il aime bien le faire croire.
C’est donc un chien policé.
FACILE :
voilà un blog qui a du chien ; un peu cabot, mais chouette. Espérons que les bloggers de tout poil n’y resteront pas muets comme des carpes. Souhaitons aussi qu’ils ne se mangeront pas la laine sur le dos ! Parfois, ils se regardent en chien de faïence avant de s’aboyer dessus. C’est sûr, parfois, on s’entend comme chien et chat sur les billets du monde.
Cette fois, je promets davantage de cohérence : il n’y aura personne pour se comporter comme l’âne du buridan. Mais… ne singeons personne non plus. Ne prenons pas le mors aux dents et restons doux comme des agneaux.
Ha la vache ! tu décoiffes Maître Mô avec cet article ! C’est certain, c’est baloo pour M’ame Chirac. Mais je vois que la préfecture a fait des sauts de puce pour envoyer un véhicule sur les chapeaux de roues. « A cheval ! » a dit M’sieur le Préfet (je le sais, j’y étais !) L’homme, rusé comme un renard, n’a pas eu froid aux yeux. Et malgré le froid de canard, il a fait diligence.
Au moins, avec cet accident, personne n’aura hurlé avec les loups. La dame devait se sentir comme une biche aux abois, non ? A-t-elle encore peur du croque-mitaine ? Bouh… tout ça me donne la chair de poule.
Mais ne faisons pas l’autruche : si on donne une responsabilité pénal à une bête, c’est que l’on considère les hommes comme des chiens !
Sur ce, je vous laisse : ma souris à des ratés. Je vais supprimer les cookies de mon ordinateur. Le mulot a trop bouffé.
de Balou à Baloo, il y a l’âge (j’ai lu le livre de la jungle, il y a longtemps), et l’usage : baloo, comme par hasard, a l’air agréable de langage pour le comité de course du Tour de France à la Voile (Amaury Sport Organisation), comme par hasard aussi le directeur de course est un ancien collègue de l’ENV. Pour ce qui me concerne, je n’ai pas l’habitude de lier quiconque à un mât de M34 : quand le vent monte, la tension est terrible !
Rires ! Dans la catégorie de la poésie et du roman, heureusement que les animaux existent pour pallier souvent à la cruauté humaine (je pense à Balou dans Le Livre de la Jungle). Près de Nice, en allant vers le nord par la 202, il y a un hameau qui s’appelle le Roquestron. Je faisais de temps en temps des balades là bas, et beaucoup furent aussi belles que certains romans : au Roquestron, il arrive que ce soit un âne qui garde les chèvres (l’âne m’a terrifiée d’ailleurs, alors que, passant proche des chèvres, il a descendu le champ comme un fou pour se mettre à braire juste au ras du chemin – pas de danger : il est resté au ras du chemin, mais un âne, c’est parfois impressionnant). Un jour aussi, alors que les troupeaux de moutons avaient quitté les paturages plus haut, et que le berger en avait oublié, j’ai eu la surprise de voir un gros mâle me surveiller, juste avant que sa vigilance ne fasse détaler une biche à l’aval (une biche, une vraie).
On peut aussi ralentir, en voiture, quand les panneaux indiquent le passage possible d’animaux sauvages. Mais je suppose que le conducteur de Madame Chirac roulait lentement.