« Agissant en enquête préliminaire pour des faits de violation du secret de l’instruction et recel, conformément aux instructions de Monsieur le procureur de la République de Paris, nous présentons ce jour au siège de l’entreprise Éléphant et Cie… »
J’ai eu beau râler, le chef m’a dit qu’il fallait foncer et récupérer dare-dare les enregistrements des négociations entre la DCRI et Mohamed Merah, dont une partie avait été diffusée sur TF1. Une enquête sur des œufs. Avant de me lancer dans l’aventure, j’ai évidemment compulsé mon code de procédure pénale…
La perquisition – Quasi impossible. D’abord, en préli, il faut un accord écrit du « maître des lieux ». Ensuite, la perquisition dans une entreprise de presse est réglementée par la loi de 2010. Question : la maison de production Éléphant et Cie est-elle un organe de presse ? Petit tour sur l’Internet. Oui, il est indiqué qu’il s’agit d’une société de production audiovisuelle qui possède ce statut. Mais c’est quoi une agence de presse. Pour Wikipédia, plus facile à lire que le Dalloz, « une agence de presse est une organisation qui vend de l’information aux médias à la manière d’un grossiste fournissant des détaillants ». La définition juridique est fournie par l’ordonnance n° 45-2646 du 2 novembre 1945 (modifiée par la loi du 22 mars 2010 et consolidée en mars 2012). Pour remplir les conditions, il faut que l’entreprise effectue au moins la moitié de son chiffre d’affaires dans la fourniture à des publications de presse. Là, je n’ai pas le temps de vérifier. Après tout, qui dit perquise chez des journalistes, dit décision écrite d’un magistrat. Il est où le proc ? D’autant que Mister Chain me fait les gros yeux. Je sors ma réquise article 77-1-1 et je lui demande du bout des lèvres s’il veut bien me remettre les enregistrements susvisés. Il me dit non. Je m’en vais.
De toute façon, l’acte aurait été frappé de nullité, puisqu’il violait l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Et puis, j’ai bien compris, plus tard, en lisant les propos d’Emmanuel Chain dans Le Point, que la justice n’y avait rien perdu : « Vous imaginez bien que nous nous y attendions et que nous avons pris toutes les précautions pour protéger nos sources », qu’il a dit.
Le secret professionnel – Il est l’apanage de certaines professions : médecins, avocats, ministres du culte… et même les flics qui ne sont pas tenus d’indiquer l’identité de leurs informateurs. Enfin, ça, je demande à voir, hein ! Pour les journalistes, la première tentative vers un secret professionnel date de 1925. Cette idée avait été balayée sous le prétexte que le journaliste n’est pas dépositaire d’un secret confié par un particulier, comme c’est le cas d’un avocat, par exemple. Depuis, l’eau a coulé. Aujourd’hui, la France s’est alignée sur la jurisprudence de la Cour européenne. La loi du 4 janvier 2010 pose le principe de la protection du secret des sources des journalistes « dans leur mission d’information du public ». Ce principe interdit que les enquêteurs tentent de les identifier, même de façon indirecte. D’où l’histoire des fadettes du Monde. Si le nom d’un honorable correspondant d’un journaliste apparaît inopinément sur une écoute téléphonique, le policier peut l’entendre, mais ne peut pas l’écrire.
Parfois, je me dis que c’est un métier pour autiste…
Le secret de l’instruction – Il est amusant de noter que le juge et le journaliste ont quelque chose en commun : la recherche de la vérité. Mais ils ne disposent évidemment ni des mêmes pouvoirs ni des mêmes méthodes. Toutefois, tous deux sont protégés dans leurs actes par la notion de secret : secret de l’instruction pour l’un, secret des sources de l’information pour l’autre. À ceci près que pour les juges, c’est peine perdue : le temps médiatique n’est pas le même que celui de la justice. Et le « parasitage » est trop fort. À tel point que l’on a pris l’habitude de suivre le travail du juge dans nos journaux – parfois d’ailleurs par un jeu de fuites savamment orchestré, comme dans l’affaire Neyret. Une carotte que l’on agite sous notre nez pour satisfaire notre goût des faits divers et masquer des événements plus enquiquinants pour le pouvoir. Raison pour laquelle bon nombre de magistrats ont pris en main leur communication. Et, tandis qu’un député de l’ancienne majorité (pas encore vacciné) réclame le durcissement de la loi sur la violation du secret de l’instruction, des voix plus autorisées se font entendre pour sa suppression, ou du moins son adaptation aux méthodes modernes de communication. Pour mémoire, d’ailleurs, le rapport Léger, enterré (sans doute contre son gré) par le précédent locataire de l’Élysée, proposait la suppression du secret de l’enquête et de l’instruction – tout en conservant le secret professionnel. Finalement, c’est un peu comme la consommation de cannabis : si l’on ne peut pas faire respecter la loi, autant la supprimer.
Je prenais sur moi, en sortant de la maison de prod, mais j’en avais gros sur la patate. Puisqu’il n’est pas possible d’enquêter sur les journalistes, je me suis dit que la seule solution, c’était de prendre l’enquête par l’autre bout. Et pour cela, il fallait déterminer entre quelles mains étaient passés ces enregistrements ! Pas facile, d’autant qu’avec le numérique, la piste se perd rapidement dans les méandres des ordinateurs : policiers, magistrats, techniciens… Ces enregistrements ont-ils été placés sous scellés ? Dans quel délai ? Et comment déterminer combien il y a eu de copies avant… Ce qui n’a d’ailleurs aucune importance s’il s’agit, non pas de scellés fermés, mais de scellés ouverts, qui sont justement faits pour pouvoir en lire le contenu.
Soyons réaliste, mon enquête n’est pas prête d’aboutir. Mais comme je ne suis pas sûr que là-haut on souhaite un résultat, ça ne m’inquiète pas trop.
Cela dit, le journaliste ne bénéficie d’aucune immunité. S’il enfreint la loi d’une manière ou d’une autre dans l’exercice de son métier, il peut très bien se retrouver en prison. Par exemple s’il est receleur de la violation du secret d’instruction.
Le recel de violation du secret de l’instruction – Celui qui obtient les confidences d’une personne concernée par le secret de l’instruction devient receleur. Mais celui qui obtient l’information du receleur peut-il être lui-même receleur ? Il semble bien que non. On ne peut être receleur du délit de recel. Donc, en masquant leurs sources, les journalistes ne risquent pas grand-chose, même s’ils sont hors la loi. Et pour les enquêteurs, c’est mission impossible.
Dans ces conditions, alors que la police manque de bras, je me demande s’il est bien utile de faire un travail au résultat si incertain. Un coup de tampon « vaines recherches », et hop ! Et là-dessus, le procureur de Paris a ouvert une information judiciaire. Donc, changement de patron. Maintenant, c’est le juge d’instruction qui décide. Franchement, on aurait peut-être pu commencer par là, même si j’ai l’impression que cela ne changera pas grand-chose.
15 réponses à “L’enquête imaginaire sur les enregistrements de Merah”
Lisez mon article sur Mohamed Mhera ! sur http://dominicfrontier.blogspot.com/
Décidément, merci pour vos informations sur le fonctionnement de notre poplice. Toute confirmation ou infirmation « de l’intérieur » de ce que l’on pressent » de l’extérieur » nous fait progresser.
A vous relire donc, comme toujours avec intérêt et pour cette fois ci avec le plaisir de la forme … imaginaire.
Je vais rejoindre l’idée M. Etienne CHOUARD qui prône une assemblée constituante composée de citoyens tirés au sort dont le rôle serait de contrôler le travail des politiques, des ministres et de nos institutions. En effet, comment comprendre la pétaudière engendrée par cette triste affaire qui sent un poil la manipulation et le mensonge.
Policiers… Saisissez vous de ces policiers… Ce sont eux qui ont fait le coup…. Qui d’autre pour piquer des enregistrements mis sous scellés… sous la garde de ces policiers…
Qui par ailleurs avait intérêt à foutre le souk pour éviter de se faire mettre en première ligne dans une affaire qui sent… très fort…
Gardes… saisissez vous ce ces gardes… et coupez leur la tête… ou tondez les… pour l’exemple….
Les perquisitions dans les locaux de presse contraires à la Convention européenne des droits de l’homme (via @Dalloz) – http://www.dalloz-actualite.fr/essentiel/dopage-perquisitions-dans-locaux-de-presse-contraires-convention-europeenne-des-droits-de-?utm_source=dlvr.it&utm_medium=twitter&utm_campaign=dalloz
Bon article. Il aurait aussi été intéressant de rentrer plus en profondeur sur ces histoires de complots comme vous l’aviez traité pour le cas de DSK. En effet, certains semblent penser que si Merah aurait agi en lien avec les services secrets français qui l’aurait emmené à la commission des crimes (ce qui est interdit en France, mais pas aux Etats-Unis), il pourrait en revanche ne pas être coupable. Comme si ce n’était pas son bras qui n’était pas armé, mais celui des services secrets… Toujours la même histoire que pour le 11 Septembre où les Saoudiens rejettent la faute sur les Israeliens et le reste du monde de dire que c’était des Islamistes. Pourtant, ils étaient bien là les pilotes dans l’avion pour le précipiter, si l’on peut être sûr d’une chose…
Mais bon, c’est clair que pour cette manoeuvre de contre-attaque dans l’émission de dimanche dernier face aux vidéos qui devaient sortir ce jour par l’avocate de son père, il n’y avait pas grand risque de la part de quelqu’un du gouvernement de les faire fuiter. Mais influencer l’opinion publique n’a pas de prix, surtout dans ces temps où projeter une telle vidéo deux jours avant la fête nationale aurait pu coûter cher aux assurances…Le lobby des assurances n’est pas rancunier, lui.
Les policiers imaginés sont souvent plus réels que les vrais policiers, parce qu’ils pensent et qu’il leur arrive même d’avoir des sentiments, presque au seuil d’une conscience, y compris envers leur propre métier.
Les journalistes, eux, leur droit professionnel postule qu’ils ont une conscience (sauf erreur de ma part, la notion de clause de conscience, écrite dans la loi de 1935). Et donc qu’ils pensent.
Je regrette, pour de simples raisons humaines, la diffusion de ces enregistrements. Quelques mots, quelques phrases, créditées de vraies par le Procureur par exemple, le Ministre, voire des journalistes auxquels on montre les sources en leur demandant de ne pas appuyer sur le personnage, la fascination morbide qu’il suscite encore, la difficulté de parvenir tout simplement à penser qu’il était un être humain. Et qu’on cesse les portraits de vérité : qu’il soit difficile de penser que Merah était humain est quasiment un pré-requis d’intelligence, de respect et de confiance envers l’humain.
EXCELLENT ! enquête pas si imaginaire que ça ! rire
Elle a le mérite d’expliquer ce qui se passe avec humour et délicatesse.
Merci pour ce bon moment de lecture 😉
« » »Et pour cela, il fallait déterminer entre quelles mains étaient passés ces enregistrements ! » » »Je me gosse, je suis mdr. En effet nous connaissons bien les relations de TF1 avec les ex-patrons de notre grande République. Le reportage de TF1 minore le rôle des policiers, ils passent presque pour des enfants de choeur. Je crois que les communications ont été enregistrées avec le TPH d’un enquêteur. Si la police n’est pas capable de tracer les copies et de les mettre sous scellés…………C’est prendre les citoyens pour des truffes.
Nan, à ma connaissance, on écrit « je me gausse »…
http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/gosser/
@Philibert connaissances à réviser.
je pense que Philibert faisait allusion à un problème d’orthographe et non de conjugaison. Si le verbe gosser existe effectivement, il n’a pas la signification que vous pensez; dans votre cas, vous auriez du utiliser effectivement « se gausser ».
Merci, je prends note.
De toute manière, c’était hors sujet et limite impoli pour ceux qui étaient venus ici pour traiter de droit et de libertés publiques.
Voyons voir un peu :
Gosser (via Saint Wiki)
» gosser /gɔ.se/ transitif (Canada) (Familier) 1er groupe (conjugaison)
1.Tailler un bout de bois avec un couteau dans le but de passer le temps.
2. (Par extension) Sculpter le bois avec des moyens de fortune
3. (Par extension) (Figuré) Tripoter, manipuler avec plus ou moins de difficulté, parfois dans un but plus ou moins défini et avec des résultats plus ou moins probants.
Ex. : Ça faisait un bout de temps que j’avais gossé avec un ordinateur.
4.Déranger. »
J’ai appris qqchose (ne vous gaussez pas !).