LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

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De Empain à Pétronin : le business des enlèvements

Après 63 jours de séquestration dans des conditions inhumaines, au lendemain de la libération du baron Empain, la presse est dithyrambique sur l’efficacité de la police judiciaire parisienne. C’est le triomphe du commissaire Pierre Ottavioli, le patron de la brigade criminelle, qui a mené cette enquête de main de maître avec le concours de la BRI des commissaires Marcel Leclerc et Robert Broussard.

Tout a été dit sur cette affaire : le 23 janvier 1978, Édouard-Jean Empain, âgé de 40 ans, PDG du groupe industriel Empain-Schneider, quitte son domicile de l’avenue Foch, à Paris, vers 10 h 30. Son chauffeur l’attend pour le conduire à son bureau situé rue d’Anjou. C’est alors qu’une estafette coince la 604 Peugeot. Cinq individus masqués et armés surgissent et les neutralisent tous les deux. L’homme d’affaires est bâillonné, enchaîné et jeté dans la Peugeot qui démarre avec les ravisseurs, abandonnant le chauffeur ligoté dans la fourgonnette.

Le lendemain, Jean-Jacques Bierry, le principal collaborateur du baron, récupère dans la consigne d’une gare la troisième phalange de l’un de ses doigts et un mot d’Empain lui-même, indiquant le montant de la rançon : 80 millions de francs, soit plus de 40 millions d’euros, si du moins j’en crois un convertisseur qui tient compte de l’érosion monétaire.

C’est la première erreur des ravisseurs  Continue reading

Un nouveau crime dans le code pénal : la disparition forcée

Il ne s’agit pas d’un acte typiquement crapuleux. C’est le fait d’agents de l’État ou du moins de personnages qui agissent en son nom. Des spécialistes des coups tordus que, chez nous, autrefois, du temps de la lutte contre l’OAS, on appelait des barbouzes. La disparition forcée est l’arrestation arbitraire, voire l’enlèvement, d’opposants politiques ou de militants des droits de l’homme, et leur maintien en détention dans un lieu tenu secret.

À ce jour, en France, de tels comportements sont assimilés à des crimes contre l’humanité et sont punis de la réclusion criminelle à perpétuité (art. 212-1, al. 9 du code pénal). Ce n’est pas seulement un article symbolique. Ainsi, actuellement, à la suite d’une plainte déposée par plusieurs associations ou ONG, un juge d’instruction du tribunal de Meaux est en charge d’une enquête sur des exactions commises au Congo. Les faits remontent à mai 1999. En pleine guerre civile, des réfugiés ont voulu profiter d’un couloir sécuritaire pour rejoindre Brazzaville. Des centaines de personnes ont alors été arrêtées pour interrogatoire. On ne les a jamais revues.

Et, en 2010, un procès historique s’est tenu devant la Cour d’assises de Paris pour juger certains des responsables des crimes commis sous la dictature chilienne.

Plus récemment, plusieurs organisations pour la défense des droits de l’homme ont attiré l’attention sur l’Algérie, signalant des arrestations qui pourraient bien ressembler à des disparitions forcées. Comme ce fut le cas en novembre 2011, pour Nouredine Belmouhoub, défenseur des droits de l’homme et porte-parole du Comité de défense des anciens internés des camps de sûreté, séquestré durant trois jours par de pseudo-policiers.

D’après les chiffres des Nations unies, dans 90 pays, sur les cinq continents, ce sont 40 à 50 000 personnes qui auraient disparu depuis 1980. Mais la monstruosité a été atteinte les décennies précédentes en Amérique latine, durant la « guerre sale », alors que les services secrets de plusieurs dictatures militaires coordonnaient leur action répressive. Avec, pour le moins, la complicité passive de la Maison Blanche. Certains pensent d’ailleurs que d’anciens membres de l’OAS réfugiés dans ce coin du monde ont coopéré à cette sauvagerie. Notamment pour mettre en place l’opération Condor, qui rappelait (en plus grand), les « Crevettes Bigeard » : des cadavres, les pieds coulés dans le béton, largués en mer depuis des hélicoptères. Ces faits, reconnus par certains, ont toutefois été démentis par le général Marcel Bigeard lui-même.

Plusieurs pays ont œuvré pour mettre en place une procédure qui viserait à protéger les populations et à réprimer ces actes. Une première résolution en ce sens a été signée en 1978. Finalisée en 2006 par une convention internationale adoptée à la fois par le Conseil des droits de l’homme et par l’Assemblée générale des nations Unies. La France a eu un rôle moteur dans l’histoire de cette convention.  Elle a donné une impulsion à la démarche et elle a présidé les négociations jusqu’à la signature du texte. Aujourd’hui, elle fait partie des dix membres du nouveau comité des Nations unies chargé de faire respecter la Convention et de traiter les plaintes individuelles. À ce jour, 91 États sont signataires.

« Où sont les centaines d’enfants nés en captivité ? » demandent ces femmes.

La première réunion de la « Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées » s’est tenue à New York en mai 2011 sous la présidence de l’Argentine. Elle était parrainée par la présidente de l’ONG des « Grands-mères de la place de Mai », Estella de Carlotto, toujours à la recherche de l’enfant que sa fille a mis au monde alors qu’elle se trouvait en détention, avant d’être assassinée.

La France a été le premier pays d’Europe à ratifier cette convention. Il était donc urgent qu’elle adapte son code pénal et sa procédure pénale. Ce qui, entre parenthèses, aurait dû être fait en 2011. Le mois dernier, au nom du gouvernement, Michel Mercier, le garde des Sceaux, a déposé un projet de loi en ce sens. Un peu noyé, il faut le dire, parmi d’autres modifications comme le jugement, l’exécution des peines ou l’extradition des étrangers dans le cadre d’une meilleure coopération judiciaire au sein de l’Europe. Mme Le Pen sera sans doute contente d’apprendre que les étrangers pourront exécuter leur peine en dehors de l’Hexagone. Sous certaines conditions, va sans dire. D’autre part, le fonctionnement d’EUROJUST sera repoli, principalement au niveau de l’information au sein de l’Union. Par exemple, une fois la loi adoptée, EUROJUST pourra consulter les principaux fichiers français.

Cette  nouvelle infraction criminelle sera inscrite dans le code pénal sous le titre « Des atteintes à la personne constituées par les disparitions forcées ». La peine encourue est la réclusion criminelle à perpétuité avec une période de sûreté qui pourra aller jusqu’à 22 ans.

La disparition forcée est nécessairement commise par des agents de l’État ou sous l’autorité de l’État et, que l’on soit en haut ou en bas de la hiérarchie, le simple fait d’être au courant et de n’avoir rien fait pour l’empêcher est considéré comme de la complicité. Il y a donc implicitement dans le texte, nécessité de désobéir, de s’opposer, ou du moins de dénoncer. Quel que soit le pays où les faits ont été commis, les juridictions françaises sont compétentes à partir du moment où les suspects se trouvent sur le territoire national.  Les personnes morales peuvent également être poursuivies.  La peine et l’action publique se prescrivent par 30 ans, comme en matière de terrorisme ou de trafic de stups. Alors qu’aujourd’hui, considérés comme des crimes contre l’humanité, ces agissements sont normalement imprescriptibles. Les disparitions forcées commises avant 1982 ne pourront donc plus faire l’objet de poursuites pénales si aucune procédure n’a été engagée.

Pour mieux matérialiser la portée de cette loi, si elle avait existé lors de l’enlèvement de Ben Barka, en 1965, devant la brasserie Lipp, à Paris, les deux policiers français mis en cause auraient risqué perpette. Ils ont pris 8 ans et 6 ans. Et les juges auraient pu remonter la hiérarchie… Jusqu’à quel niveau… ? Je ne sais pas. De toute façon, à un moment ou à un autre, ils se seraient heurtés au « secret défense ».

Quant aux crimes et délits commis durant la guerre d’Algérie, on oublie. Ils ont fait l’objet d’une loi d’amnistie votée le 31 juillet 1968. Le texte vise même expressément les infractions commises par les militaires.

Notre histoire est une leçon.

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