Après les événements qui ont mis KO la PJ de Lyon, les policiers se seraient bien passés de ce coup de projecteur sur les petits arrangements lillois. Une drôle d’affaire que cette histoire de proxénétisme hôtelier, avec des ingrédients qui nous rappellent l’affaire DSK et celle qui vise le commissaire Neyret : le sexe, le fric, les mystères des grands hôtels, les indics… et des policiers qui ont perdu leur marque.

Mais quel intérêt pour le ou les responsables d’un établissement de grand luxe de fricoter avec des proxénètes et des prostituées ? Juste pour satisfaire le client… au risque de se faire prendre la main dans le sac ? Pour gagner de l’argent ? Peut-être un peu les deux, mais le plus important, sans doute, c’est l’impression d’être au centre d’un réseau occulte dans lequel se côtoient des personnalités de la finance, de la politique, etc. Avec aussi cette petite décharge d’adrénaline qui met du piment dans la vie. Car tout le monde sait bien que l’on est de plain-pied dans l’illégalité. Un business certes illégal en France, mais plus ou moins toléré en Belgique. Comme le dit Dominique Alderweireld, alias « Dodo la Saumure », dans Le Courrier de Mouscron, il existe entre 1500 et 2500 maisons closes sur le territoire belge. Ce monsieur sait de quoi il parle, puisqu’il détiendrait plusieurs « bordels ». Il a été arrêté par la police de Courtrai (Belgique) dans une affaire distincte, mais probablement liée à celle du Carlton de Lille. Et pour ceux qui s’interrogent sur l’origine de son surnom, on peut imaginer certains poissons immergés dans un bain saumâtre, comme le hareng ou le maquereau – ce n’est qu’un avis. Cette affaire n’aurait pas pu avoir lieu en Espagne, où les « proxénètes » sont des hommes d’affaires. Ils ont pignon sur rue. Ainsi, dans la région de Barcelone, un ressortissant français détient même plusieurs établissements de ce genre. « Chacun de ces établissements, écrit-il à un député, est titulaire d’une licence administrative me permettant l’accueil de prostituées et de leurs clients dans les meilleures conditions possibles ».

Mais nous sommes en France, et l’addition risque d’être salée.

Le délit de proxénétisme – Le proxénétisme est le fait d’aider, d’assister ou de protéger la prostitution d’autrui. C’est un délit intentionnel : l’auteur doit avoir connaissance de la finalité de la chose, mais il n’est pas indispensable qu’il en tire un profit. Le simple fait, par exemple, de communiquer les coordonnées d’une prostituée ou celles d’un lieu de prostitution peut être considéré comme une aide à la prostitution. En exagérant à peine, on pourrait même dire que si vous aidez une prostituée à changer la roue de sa voiture, du moins s’il s’agit de son instrument de travail, vous risquez bien des ennuis.

Dans l’ancien code pénal, il suffisait de vivre, même occasionnellement, avec une personne se livrant à la prostitution pour être considéré comme son protecteur. Ce que les flics de la Mondaine appelaient « le julot casse-croûte ». En effet, pour chaque affaire, ils touchaient une prime, et là, c’étaient des dossiers rondement menés… Mais cette disposition pénale revenait à interdire aux prostituées toute vie privée, ce qui était contraire à la Convention européenne qui garantit aux ressortissants des États membre le droit au mariage. Aujourd’hui, la cohabitation est possible à condition que le conjoint ne bénéficie pas du fruit de la prostitution. Autrement dit, il faut qu’il puisse justifier de ressources propres. On peut s’interroger sur la situation de deux prostitué(e)s qui partageraient le même toit…

Hôtelier : un métier à risques – Mais la loi est encore plus sévère en ce qui concerne le proxénétisme, dit hôtelier, puisqu’elle réprime le simple fait de tolérer la prostitution dans un lieu public. Les hôtels, bien sûr, mais aussi les bars, restaurants, lieux de spectacle, camping, etc. Il suffit pour le responsable de simplement fermer les yeux sur ces agissements, même sans en tirer un profit direct, et le délit est constitué (dix ans de prison). Et, outre les personnes physiques, l’entreprise peut également être condamnée (une amende qui peut atteindre plusieurs millions d’euros). Les tenanciers doivent donc être particulièrement vigilants, puisqu’ils sont à la fois responsables du comportement de leurs salariés mais aussi de celui de leurs clients… quels qu’ils soient. Ce qui n’est pas facile, car la loi interdit de refuser un client sous prétexte qu’il s’agit d’un prostitué notoire. Cela s’appellerait de la discrimination. Attitude réprimée par cinq ans de prison, comme le souligne l’art. 225-1 du code pénal .

À noter que le proxénétisme contre des mineurs de quinze ans, ou commis en bande organisée, ou en recourant à la torture ou à des actes de barbarie, transforme le délit en infraction criminelle. Et une dizaine de circonstances particulières en font un délit aggravé punissable de dix ans de prison.

Une police déboussolée – Mais que viennent faire des policiers dans cette soupe lilloise ? On entre là dans le petit jeu du donnant-donnant. Les hôteliers, surtout dans les établissements prestigieux, sont une précieuse source de renseignements pour les services de police. Pas tellement pour la PJ, mais plutôt pour les policiers chargés de « l’information générale ». Autrefois, cette mission était confiée aux RG, sous la houlette du préfet de département. Mais depuis la création de la DCRI, en 2008, c’est la sécurité publique qui est en charge, via les services départementaux de l’information générale (SDIG), lesquels sont rattachés aux directions départementales de sécurité publique. Or, même si ces services ont des comptes à rendre aux préfets, ils sont en prise directe avec la place Beauvau (la suppression des RG est une image forte de la centralisation). Et là comme ailleurs, la pression se fait sentir : il faut des résultats. Les policiers doivent donc se démener pour obtenir des infos, et pour cela, il leur faut des informateurs. Car ici, il ne s’agit pas d’indics, du truand qui balance, mais de gens de tous milieux dont la motivation correspond parfois à un simple geste civique.

À la différence de l’affaire de Lyon, cette fois, c’est la PJ qui mène l’enquête, avec le concours de l’inspection générale de la police nationale (IGPN), puisque des policiers semblent impliqués. Et si ceux-ci ont participé d’une manière ou d’une autre à des comédies sexuelles, ils risquent fort d’être pris dans l’engrenage de la justice. Même s’ils ont agi dans l’intérêt du service. Même s’ils n’ont pas mis un sou dans leur poche. Ils sont dans la même situation que s’ils avaient prélevé un kilo de cocaïne pour en saisir cent. C’est du kif, si j’ose dire.

Et, puisqu’on en parle… Si le débat est ouvert pour la dépénalisation du cannabis, il n’en est pas de même en matière de prostitution. À gauche comme à droite, les positions se rejoignent. Jusqu’à la pénalisation du client. Chantier mis en œuvre par le gouvernement actuel. D’après le site de Terra Nova Débats 2012, Martine Aubry, lorsqu’elle était ministre de l’Emploi et de la Solidarité, avait même dénoncé une réglementation qui différenciait la prostitution exercée librement de la prostitution forcée.

Mais la controverse entre les abolitionnistes et les réglementaristes semble aujourd’hui derrière nous : on s’achemine vers une interdiction totale. Je n’ai pas d’opinion, je ne suis pas client.