La téléphonie est au centre de la plupart des enquêtes judiciaires, et personne ne peut nier leur efficacité… ni les risques liés à une utilisation déviante. En dehors des écoutes, qui font l’objet d’une procédure particulière, les enquêteurs s’intéressent systématiquement aux données de connexion en temps différé, c’est-à-dire tout ce qui a trait aux échanges passés, communications et SMS : dates, numéro des correspondants, durée des échanges, bornage… et, plus rarement, aux données en temps réel : la géolocalisation. Cette possibilité de « remonter le temps » permet de retracer la vie privée d’une personne au long de l’année écoulée. C’est un atout considérable, un peu comme une empreinte immatérielle, mais à la différence d’une trace papillaire ou ADN, on pénètre là dans l’intimité des gens, on viole leur vie privée. C’est donc une démarche particulièrement intrusive qui ne devrait être effectuée qu’à bon escient. Est-ce vraiment le cas ?
En 2021, en France, les opérateurs téléphoniques ont reçu 1 726 144 réquisitions. Un adulte sur trente, environ, a donc fait l’objet d’une vérification de sa vie privée…
Eh bien, la Cour de cassation vient d’y mettre le holà ! Dans quatre arrêts rendus le 12 juillet 2022, elle a entériné les décisions de la Cour de justice de l’Union européenne de 2014, 2016, 2020 et 2021, qui déterminent les conditions dans lesquelles une nation peut autoriser l’accès aux données de téléphonie. Ces fameuses métadonnées, c’est-à-dire toutes les informations que peut révéler un message téléphonique sans pour autant l’écouter ou le lire.
Note explicative relative aux arrêts de la chambre criminelle du 12 juillet 2022 (pourvois n° 21-83.710, 21-83.820, 21-84.096 et 20-86.652) : « Les articles 60-1, 60-2, 77-1-1 et 77-1-2 du code de procédure pénale, sont contraires au droit de l’Union uniquement en ce qu’ils ne prévoient pas un contrôle préalable par une juridiction ou une entité administrative indépendante. »
Pour la Cour de justice, cette technique d’enquête doit s’entourer d’un maximum de garanties, car ces données sont susceptibles de révéler des informations sensibles sur la vie privée, « telles que l’orientation sexuelle, les opinions politiques, les convictions religieuses, philosophiques, sociétales ou autres ainsi que l’état de santé… », et de fournir des indications sur le mode de vie (déplacements, lieux de séjour, activités, relations, milieux fréquentés, etc.)
Or, au nom de la sécurité, tous les services plus ou moins secrets, bataillent pour engranger ces informations, si possible d’une manière généralisée – ce qui permet ensuite, selon la demande, de « faire son marché ».
C’est d’ailleurs pour avoir rendu publics les programmes de la NSA concernant l’enregistrement systématique de ces métadonnées aux USA, et la captation des échanges sur Internet, que le lanceur d’alerte Edward Snowden est en cavale depuis bientôt dix ans. Et aucun État, sauf la Russie (pour des raisons plus politiques qu’idéologiques), ne l’a soutenu. Sous la présidence de François Hollande et celle d’Emmanuel Macron, la France a refusé le droit d’asile à Snowden – et personne n’a moufté au sein de l’U-E.
En deux mots, nous disent les juges européens, Continue reading
4 réponses à “Fadettes, pirouettes, cacahouètes…”
Monsieur, merci pour cet article très instructif sur ces arrêts relativement passés sous silence. En revanche, je m’interroge sur votre analyse concernant les possibilités d’obtenir des nullités dans les dossiers pénaux en cours. En effet, la CJUE précise (§ 226, 227 et 288) une exception qui me semble peu compréhensible mais cependant de nature à bloquer certaines demandes de nullité :
» [l’article 15 de la directive] impose au juge pénal national d’écarter des informations et des éléments de preuve qui ont été obtenus par une conservation généralisée et indifférenciée des données relatives au trafic et des données de localisation incompatible avec le droit de l’Union, dans le cadre d’une procédure pénale (…), si ces personnes ne sont pas en mesure de commenter efficacement ces informations et ces éléments de preuve, provenant d’un domaine échappant à la connaissance des juges et qui sont susceptibles d’influencer de manière prépondérante l’appréciation des faits ».
Les §226 et 227 expliquent cette notion de « commenter efficacement » une preuve mais restent difficiles à interpréter.
Doit-on comprendre que l’inconventionnalité de la législation française est sans incidence dès lors que les Fadettes obtenues peuvent être « discutées » contradictoirement ?
Je ne vois pas bien ce qu’il y a à discuter si ce n’est contester la légalité de leur obtention…
Qu’en pensez-vous ?
Un avocat
Bonjour,
Oui, ce texte est difficile à interpréter, mais il y a du grain à moudre, du moins dans le cadre d’une information judiciaire. Je crois comprendre :
– Les éléments de preuve tirés des fadettes (ou des écoutes) doivent pouvoir être analysés et si besoin discutés comme tout autre élément de preuve, alors que ne figurent généralement dans les dossiers d’instruction que des extraits choisis par un OPJ.
– Le juge d’instruction lorsqu’il a besoin d’explications techniques fait appel à un expert, tandis que ce cas, il se contente des appréciations de l’enquêteur pour se forger une opinion. L’avocat doit donc se donner les moyens d’intervenir. Pas facile.
– On peut aller plus loin et contester la légalité de la conservation des données, dans la mesure où cette conservation ne serait ni ciblée et motivée.
Ce n’est qu’un avis.
voilà, c’est fait : on n’est pas seulement dans orwell, on est au aussi dans minority report !
c’est clair : vive le progres qui nique les libertés.
merci M’sieur-la-robe
Lumineux, merci pour cet effort de pédagogie sur un enjeu juridique essentiel et délicat. Et pour la défense, plutôt optimiste, de la liberté… dans le « contexte politico-sécuritaire actuel » (…). Mais qui pourra croire longtemps à son applicabilité, comme elle est décryptée avec humour sur le papier ?… Le distinguo « menace de crime » vs « menace de terrorisme » est a priori devenu tellement mou, flou et fluctuant, dans un tel maquis, qu’aucune poule juridique y retrouverait ses petits… L’état de droit n’existe virtuellement plus… Et l’ancien policier devenu avocat, GM de bonne volonté, doté d’un solide bâton de pélerin, y croit-il vraiment…, avec un EDM à la tête chancelante de la Chancellerie vacillante ?…
Bon bref,… il faut toujours rêver à l’avenir appartenant à tous… Bien à vous, Georges. Vous avez l’air en super forme ! (et pardon pour cette familiarité, hein).